Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VII), n° 3, mai/juin 2003
Allaitement maternel et nutrition
Compte-rendu de congrès
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Ocytocine et stress
©Texte paru sous le titre “L’ocytocine : un moyen naturel de lutter contre le stress psychologique” dans le numéro de septembre 2002
des Bulletin et Mémoires de l'Académie royale de Médecine de Belgique.
J.J. Legros*
Historique
La découverte de l’activité ocyto-
cique d’extraits posthypophysaires
bruts par Ott et Scott en 1910 a large-
ment contribué à démontrer le rôle
endocrinien de la partie postérieure
de l’hypophyse (neurohypophyse).
C’est également l’ocytocine (OT) qui
fut le premier peptide à être isolé,
défini quant à sa composition en
acides aminés, puis synthétisé par
Du Vigneaud et son groupe en 1933,
travail pour lequel ce chercheur
obtint le prix Nobel de chimie.
Depuis sa découverte, on sait que
l’OT périphérique, libérée par le
noyau magnocellulaire de l’hypo-
thalamus, est douée d’une activité
utérotonique (rôle dans la partu-
rition des mammifères) et galac-
torrhétique (rôle dans l’éjection
réflexe du lait). Des travaux plus
récents montrent que l’OT est dis-
tribuée ailleurs que dans le système
hypophysaire : en particulier, des
recherches de notre groupe ont
démontré sa présence dans le thymus
(1) et dans les tissus pulmonaires,
en particulier la néoplasie à petites
cellules (2).
Au niveau central, l’OT libérée par
les neurones parvocellulaires parti-
cipe à des régulations comportemen-
tales qui, chez l’animal d’expérience,
vont toutes dans le sens de l’“atta-
chement”, en particulier parental,
faisant de ces hormones un “peptide
d’affiliation” (3).
L’OT d’origine parvocellulaire est
également libérée dans le système
porte-hypophysaire au niveau de
l’éminence médiane : à ce niveau,
une régulation de la sécrétion des
hormones antéhypophysaires chez
l’animal avait été suspectée et nous
avons pu, les premiers chez l’homme,
démontrer une action stimulante de
la sécrétion des gonadotrophines (4).
Cette action est cependant peu repro-
ductible et ce n’est que plusieurs
années plus tard que nous nous
sommes intéressés au rôle possible
de l’OT sur la régulation cortico-
trope chez l’homme. Nous avions
en effet démontré précédemment que
l’hormone “sœur” de l’OT, la vaso-
pressine (AVP), était douée d’effets
généraux stimulants sur les fonctions
cognitives chez l’homme, alors que
l’OT était douée d’effets inverses
(5). Sachant que l’AVP constitue un
cofacteur de l’activation de la libé-
ration de l’hormone corticotrope
(ACTH) agissant en “synergie”
(c’est-à-dire de façon plus qu’addi-
tive) avec le corticotropin releasing
hormone (CRH), nous avons postulé
une action opposée, donc inhibitrice,
de l’OT à ce niveau.
Résultats expérimentaux
Avec l’aide d’un jeune collaborateur
italien en formation, le Dr P. Chiodera,
nous avons tout d’abord démontré
qu’une injection de 2 U.I. d’OT
entraîne une diminution du cortisol
plasmatique chez les volontaires
masculins normaux. Nous avons
ensuite démontré que cette action
inhibitrice était parallèle à une inhi-
bition de l’ACTH circulante, ce
qui plaidait pour une action hypo-
physaire du peptide. Ces résultats
ont été controversés dans un premier
temps par des chercheurs n’ayant
pas pris les précautions de prélève-
ment, telles que nous les avions uti-
lisées ; ensuite, les résultats ont été
* Service universitaire d’endocrinologie, coor-
donnateur de l’unité de psycho-neuroendocrino-
logie, CHU Sart-Tilman, Liège.
L’injection d’ocytocine diminue le cortisol plasmatique par inhibition
de l’ACTH, et inhibe la réponse de l’ACTH au stress métabolique.
La lactation responsable d’une libération d’ocytocine (OT) est associée
à une diminution de l’activité corticotrope.
Au cours de l’hypnosédation, la libération d’OT est associée à une
inhibition de l’axe corticotrope.
L’ocytocine semble avoir un effet inverse de la vasopressine (AVP) sur
l’activité corticotrope.
Chez la femme allaitante ou dans d’autres situations susceptibles de
stimuler la production d’OT (massage abdominal chez l’animal) la
libération d’OT pourrait induire l’inhibition de l’axe corticotrope per-
mettant de lutter contre les effets délétères de l’hyperimprégnation en
glucocorticoïdes et contre le stress psychologique.
points FORTS
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confirmés par d’autres groupes, dans
la littérature. Nous-mêmes avons
démontré la reproductibilité de cet
effet lors de trois épisodes différents,
réalisés à une semaine d’intervalle,
ainsi que la présence d’un phéno-
mène de rebond à l’arrêt de la perfu-
sion (6) (figure 1).
Nous avons ensuite démontré que la
perfusion d’OT inhibe également la
réponse en ACTH au stress méta-
bolique induit par l’hypoglycémie
insulinique, ainsi que les réponses
induites par l’injection d’AVP, confir-
mant ainsi une action au niveau hypo-
thalamo-hypophysaire.
La mise en évidence, par d’autres
groupes, de récepteurs à l’AVP au
niveau surrénalien nous a amenés
à tester l’action possible de l’OT
au niveau surrénalien ; nous avons
confirmé une faible activité inhibi-
trice à ce niveau. Ces résultats vont
donc dans le sens d’une action
opposée, antagoniste, de l’AVP et de
l’OT sur l’activité corticotrope (7).
Sachant que l’AVP est particuliè-
rement impliquée dans l’activation
corticotrope en rapport avec le stress
“neurogène” ou “psychogène” (alors
que le CRH serait plus spécifique-
ment dans l’activation corticotrope
en rapport avec le stimulus “méta-
bolique” ou “homéostasique”), il
nous a semblé intéressant de retenir
l’hypothèse que dans certaines condi-
tions de libération physiologique,
ou induites par des manipulations
non pharmacologiques, la libération
d’OT endogène pourrait induire une
inhibition de l’axe corticotrope per-
mettant de lutter contre les effets
délétères (en particulier mnésiques,
par l’action sur les récepteurs de
l’hippocampe) de l’hyperimprégna-
tion en glucocorticoïdes.
Réaction au stress
et libération d’OT endogène
dans l’espèce humaine
Peu de groupes ont étudié les rela-
tions entre l’importance de la libé-
ration en OT et la réponse au stress
dans l’espèce humaine. C’est essen-
tiellement Mme Uvnas-Moberg qui
attira l’attention, il y a plus de quinze
ans, sur les effets inhibiteurs cortico-
tropes de la lactation, chez le rat tout
d’abord, puis dans l’espèce humaine.
Récemment, celle-ci a démontré que
le massage abdominal provoquait,
chez le rat, une libération d’OT que
l’on peut mettre en relation avec
une diminution de l’activité cortico-
trope (8). Une action inhibitrice de
ce type vient d’être confirmée dans
l’espèce humaine (9) et il est certain
que plusieurs études psychoneuro-
endocriniennes quantifiant la libé-
ration d’OT et les paramètres de
réponse au stress seront réalisées
dans les prochaines années.
En ce qui nous concerne, nous avons
abordé ce problème en réalisant, en
collaboration avec le Dr Madame
Faymonville (service d’anesthésiolo-
gie, université de Liège, Pr M. Lamy),
une étude pilote concernant l’in-
fluence possible de l’hypnose sur
l’axe ocytocinergique. Nous avons
mesuré les taux plasmatiques
d’ACTH, cortisol, AVP et OT chez
dix-neuf patients subissant une
lobectomie thyroïdienne partielle.
Les prélèvements ont été réalisés à
deux reprises dans la demi-heure
précédant l’intervention, puis à trois
reprises au cours de l’intervention
sous hypnosédation (une heure
trente environ par patient). Outre
ces prélèvements, les opérés ont
également rempli un questionnaire
concernant les différentes caracté-
ristiques subjectives de la qualité de
l’hypnose.
L’OT plasmatique s’est élevée chez
six des dix-neuf patients (de + 0,2
à + 61,5 pg/ml), concomitamment
à une baisse d’ACTH (de – 0,9 à
– 11,7 pg/ml). Chez trois patients,
par contre, une nette élévation de
l’ACTH (de + 52,7 à + 245,5 pg/ml)
a été démontrée. Chez ces patients, la
libération d’OT était nulle ou faible,
tandis que la libération d’AVP était
nette, voire importante (de + 3,8 à
+ 20 pg/ml). Il existe donc une cor-
rélation hautement significative entre
20
100
10:00 11:00 12:00
300
500
Cortisol (mmol/l) ACTH (ng/l)
30
40
50
60
10:00 11:00 12:00 10:00 11:00 12:00
Figure 1. Valeur individuelle de cortisol et d’ACTH chez quatre volontaires sains avant,
pendant et après une perfusion d’OT en i.v., amenant à une concentration légèrement
supraphysiologique de l’OT plasmatique (deux expérimentations), ainsi que lors de la
perfusion contrôle de sérum physiologique. On observe un abaissement supplémentaire de
l’ACTH et du cortisol lors de la perfusion d’OT par comparaison à une évolution circadienne
normale, lors de la perfusion du sérum physiologique (d’après [6]).
Niveaux individuels d’ACTH et de cortisol plasmatiques
chez 4 volontaires sains masculins
NaCl NaCl
NS p < 0,003
NS
Heure Heure Heure
p < 0,007
OT
32 mlU/m NaCl NaCl NaCl
OT
32 mlU/m
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le rapport des élévations d’AVP et
d’OT ( AVP/ OT) et le ACTH
(r = 0,86 ; p = 0,0001) (figure 2),ce
qui indique qu’il existe le plus sou-
vent une libération significative d’OT,
concomitamment à une inhibition de
l’axe corticotrope lors de l’hypno-
sédation.
Par contre, il n’existe aucune relation
entre les quantités d’OT libérées et
les paramètres de qualité du proces-
sus hypnotique. Ces résultats pré-
liminaires confirment donc le rôle
inhibiteur de l’OT endogène sur la
sécrétion corticotrope et l’impor-
tance de la “balance” entre les deux
systèmes vasopressinergique et ocy-
tocinergique. Ils démontrent égale-
ment qu’il est possible de stimuler
la sécrétion d’OT endogène par des
moyens non pharmacologiques (ici
l’hypnose), apportant ainsi un substrat
scientifique, physiopathologique, à
l’utilisation de certaines techniques
dites parfois “de médecine douce”,
exploitées souvent de façon empi-
rique, voire abusive.
Conclusion
L’OT possède, outre ses actions cen-
trales périphériques, une action inhi-
bitrice de l’axe corticotrope dans
l’espèce humaine. Cette action s’op-
pose à celle de son hormone “sœur”,
l’AVP, amenant ainsi un effet ago-
niste-antagoniste (ying-yang). Le
mécanisme d’action est essentielle-
ment hypothalamique mais ne semble
pas faire intervenir une simple com-
pétition au niveau d’un récepteur à
l’AVP. Enfin, une stimulation non
pharmacologique de la sécrétion
d’OT endogène (lactation, massage,
hypnose, etc.) s’accompagne souvent
d’une inhibition de l’axe corticotrope,
dont les effets bénéfiques éventuels
méritent une approche expérimentale
rigoureuse.
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7.
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8.
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9.
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adrenal axis responses to psychosocial stress in
postpartum lactating women. J Clin Endocrinol
Metab 1986 ; 10 : 4798-804.
-20
-40 -20 0 20
ACTH (pg/ml)
p = 0,0001
Comparaison entre le AVP/OT et le ACTH
lors de la chirurgie sous hypnosédation
VP/OT
40 60 80 100 120 140
0
20
40
60
Figure 2. Comparaison entre les AVP/ OT et le ACTH chez dix-neuf patients subissant
une intervention sous hypnosédation. On constate que plus le rapport AVP/OT est élevé, plus
l’ACTH est élevée (J.J. Legros, M.E. Faymonville, C. Pequeux, M.T. Hagelstein, J. Joris).
Mise en évidence de libération d’OT concomitamment à une inhibition de l’axe corticotrope
lors de l’anesthésie par hypnosédation (Ann Endocrinol 2002 ; 63: 321).
1. L’ OT diminue le cortisol plasmatique principalement par une inhibition de l’axe corticotrope.
2. L’ OT s’oppose à l’AVP pour son effet sur l’axe corticotrope.
3. L’effet “anti-stress” de l’OT s’exerce à doses pharmacologiques.
1. Vrai ; 2. Vrai ; 3. Faux.
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