Ocytocine et stress Texte paru sous le titre “L’ocytocine : un moyen naturel de lutter contre le stress psychologique” dans le numéro de septembre 2002 des Bulletin et Mémoires de l'Académie royale de Médecine de Belgique. © J.J. Legros* points FORTS ▲ L’injection d’ocytocine diminue le cortisol plasmatique par inhibition de l’ACTH, et inhibe la réponse de l’ACTH au stress métabolique. ▲ La lactation responsable d’une libération d’ocytocine (OT) est associée à une diminution de l’activité corticotrope. ▲ Au cours de l’hypnosédation, la libération d’OT est associée à une inhibition de l’axe corticotrope. ▲ L’ocytocine semble avoir un effet inverse de la vasopressine (AVP) sur l’activité corticotrope. ▲ Chez la femme allaitante ou dans d’autres situations susceptibles de stimuler la production d’OT (massage abdominal chez l’animal) la libération d’OT pourrait induire l’inhibition de l’axe corticotrope permettant de lutter contre les effets délétères de l’hyperimprégnation en glucocorticoïdes et contre le stress psychologique. Historique La découverte de l’activité ocytocique d’extraits posthypophysaires bruts par Ott et Scott en 1910 a largement contribué à démontrer le rôle endocrinien de la partie postérieure de l’hypophyse (neurohypophyse). C’est également l’ocytocine (OT) qui fut le premier peptide à être isolé, défini quant à sa composition en acides aminés, puis synthétisé par Du Vigneaud et son groupe en 1933, travail pour lequel ce chercheur obtint le prix Nobel de chimie. Depuis sa découverte, on sait que l’OT périphérique, libérée par le noyau magnocellulaire de l’hypothalamus, est douée d’une activité utérotonique (rôle dans la parturition des mammifères) et galac* Service universitaire d’endocrinologie, coordonnateur de l’unité de psycho-neuroendocrinologie, CHU Sart-Tilman, Liège. torrhétique (rôle dans l’éjection réflexe du lait). Des travaux plus récents montrent que l’OT est distribuée ailleurs que dans le système hypophysaire : en particulier, des recherches de notre groupe ont démontré sa présence dans le thymus (1) et dans les tissus pulmonaires, en particulier la néoplasie à petites cellules (2). Au niveau central, l’OT libérée par les neurones parvocellulaires participe à des régulations comportementales qui, chez l’animal d’expérience, vont toutes dans le sens de l’“attachement”, en particulier parental, faisant de ces hormones un “peptide d’affiliation” (3). L’OT d’origine parvocellulaire est également libérée dans le système porte-hypophysaire au niveau de l’éminence médiane : à ce niveau, une régulation de la sécrétion des hormones antéhypophysaires chez l’animal avait été suspectée et nous avons pu, les premiers chez l’homme, démontrer une action stimulante de la sécrétion des gonadotrophines (4). Cette action est cependant peu reproductible et ce n’est que plusieurs années plus tard que nous nous sommes intéressés au rôle possible de l’OT sur la régulation corticotrope chez l’homme. Nous avions en effet démontré précédemment que l’hormone “sœur” de l’OT, la vasopressine (AVP), était douée d’effets généraux stimulants sur les fonctions cognitives chez l’homme, alors que l’OT était douée d’effets inverses (5). Sachant que l’AVP constitue un cofacteur de l’activation de la libération de l’hormone corticotrope (ACTH) agissant en “synergie” (c’est-à-dire de façon plus qu’additive) avec le corticotropin releasing hormone (CRH), nous avons postulé une action opposée, donc inhibitrice, de l’OT à ce niveau. Compte-rendu de congrès Allaitement maternel et nutrition Résultats expérimentaux Avec l’aide d’un jeune collaborateur italien en formation, le Dr P. Chiodera, nous avons tout d’abord démontré qu’une injection de 2 U.I. d’OT entraîne une diminution du cortisol plasmatique chez les volontaires masculins normaux. Nous avons ensuite démontré que cette action inhibitrice était parallèle à une inhibition de l’ACTH circulante, ce qui plaidait pour une action hypophysaire du peptide. Ces résultats ont été controversés dans un premier temps par des chercheurs n’ayant pas pris les précautions de prélèvement, telles que nous les avions utilisées ; ensuite, les résultats ont été Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VII), n° 3, mai/juin 2003 123 Niveaux individuels d’ACTH et de cortisol plasmatiques chez 4 volontaires sains masculins OT NaCl 32 mlU/m NaCl ACTH (ng/l) 60 OT NaCl 32 mlU/m NaCl NS p < 0,003 NS p < 0,007 50 40 30 500 300 100 10:00 11:00 12:00 10:00 Heure 11:00 12:00 Heure 10:00 11:00 12:00 Heure Figure 1. Valeur individuelle de cortisol et d’ACTH chez quatre volontaires sains avant, pendant et après une perfusion d’OT en i.v., amenant à une concentration légèrement supraphysiologique de l’OT plasmatique (deux expérimentations), ainsi que lors de la perfusion contrôle de sérum physiologique. On observe un abaissement supplémentaire de l’ACTH et du cortisol lors de la perfusion d’OT par comparaison à une évolution circadienne normale, lors de la perfusion du sérum physiologique (d’après [6]). confirmés par d’autres groupes, dans la littérature. Nous-mêmes avons démontré la reproductibilité de cet effet lors de trois épisodes différents, réalisés à une semaine d’intervalle, ainsi que la présence d’un phénomène de rebond à l’arrêt de la perfusion (6) (figure 1). Nous avons ensuite démontré que la perfusion d’OT inhibe également la réponse en ACTH au stress métabolique induit par l’hypoglycémie insulinique, ainsi que les réponses induites par l’injection d’AVP, confirmant ainsi une action au niveau hypothalamo-hypophysaire. La mise en évidence, par d’autres groupes, de récepteurs à l’AVP au niveau surrénalien nous a amenés à tester l’action possible de l’OT au niveau surrénalien ; nous avons confirmé une faible activité inhibitrice à ce niveau. Ces résultats vont donc dans le sens d’une action opposée, antagoniste, de l’AVP et de l’OT sur l’activité corticotrope (7). Sachant que l’AVP est particulièrement impliquée dans l’activation 124 NaCl 20 Cortisol (mmol/l) Compte-rendu de congrès Allaitement maternel et nutrition corticotrope en rapport avec le stress “neurogène” ou “psychogène” (alors que le CRH serait plus spécifiquement dans l’activation corticotrope en rapport avec le stimulus “métabolique” ou “homéostasique”), il nous a semblé intéressant de retenir l’hypothèse que dans certaines conditions de libération physiologique, ou induites par des manipulations non pharmacologiques, la libération d’OT endogène pourrait induire une inhibition de l’axe corticotrope permettant de lutter contre les effets délétères (en particulier mnésiques, par l’action sur les récepteurs de l’hippocampe) de l’hyperimprégnation en glucocorticoïdes. Réaction au stress et libération d’OT endogène dans l’espèce humaine Peu de groupes ont étudié les relations entre l’importance de la libé- Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VII), n° 3, mai/juin 2003 ration en OT et la réponse au stress dans l’espèce humaine. C’est essentiellement Mme Uvnas-Moberg qui attira l’attention, il y a plus de quinze ans, sur les effets inhibiteurs corticotropes de la lactation, chez le rat tout d’abord, puis dans l’espèce humaine. Récemment, celle-ci a démontré que le massage abdominal provoquait, chez le rat, une libération d’OT que l’on peut mettre en relation avec une diminution de l’activité corticotrope (8). Une action inhibitrice de ce type vient d’être confirmée dans l’espèce humaine (9) et il est certain que plusieurs études psychoneuroendocriniennes quantifiant la libération d’OT et les paramètres de réponse au stress seront réalisées dans les prochaines années. En ce qui nous concerne, nous avons abordé ce problème en réalisant, en collaboration avec le Dr Madame Faymonville (service d’anesthésiologie, université de Liège, Pr M. Lamy), une étude pilote concernant l’influence possible de l’hypnose sur l’axe ocytocinergique. Nous avons mesuré les taux plasmatiques d’ACTH, cortisol, AVP et OT chez dix-neuf patients subissant une lobectomie thyroïdienne partielle. Les prélèvements ont été réalisés à deux reprises dans la demi-heure précédant l’intervention, puis à trois reprises au cours de l’intervention sous hypnosédation (une heure trente environ par patient). Outre ces prélèvements, les opérés ont également rempli un questionnaire concernant les différentes caractéristiques subjectives de la qualité de l’hypnose. L’OT plasmatique s’est élevée chez six des dix-neuf patients (de + 0,2 à + 61,5 pg/ml), concomitamment à une baisse d’ACTH (de – 0,9 à – 11,7 pg/ml). Chez trois patients, par contre, une nette élévation de l’ACTH (de + 52,7 à + 245,5 pg/ml) a été démontrée. Chez ces patients, la libération d’OT était nulle ou faible, tandis que la libération d’AVP était nette, voire importante (de + 3,8 à + 20 pg/ml). Il existe donc une corrélation hautement significative entre Comparaison entre le ∆AVP/∆OT et le ∆ACTH lors de la chirurgie sous hypnosédation 60 ∆VP/∆OT 40 20 ment hypothalamique mais ne semble pas faire intervenir une simple compétition au niveau d’un récepteur à l’AVP. Enfin, une stimulation non pharmacologique de la sécrétion d’OT endogène (lactation, massage, hypnose, etc.) s’accompagne souvent d’une inhibition de l’axe corticotrope, dont les effets bénéfiques éventuels méritent une approche expérimentale rigoureuse. Références 0 p = 0,0001 -20 -40 -20 0 20 40 60 80 100 120 140 ∆ ACTH (pg/ml) Figure 2. Comparaison entre les AVP/ OT et le ACTH chez dix-neuf patients subissant une intervention sous hypnosédation. On constate que plus le rapport AVP/OT est élevé, plus l’ACTH est élevée (J.J. Legros, M.E. Faymonville, C. Pequeux, M.T. Hagelstein, J. Joris). Mise en évidence de libération d’OT concomitamment à une inhibition de l’axe corticotrope lors de l’anesthésie par hypnosédation (Ann Endocrinol 2002 ; 63 : 321). le rapport des élévations d’AVP et d’OT ( AVP/ OT) et le ACTH (r = 0,86 ; p = 0,0001) (figure 2), ce qui indique qu’il existe le plus souvent une libération significative d’OT, concomitamment à une inhibition de l’axe corticotrope lors de l’hypnosédation. Par contre, il n’existe aucune relation entre les quantités d’OT libérées et les paramètres de qualité du processus hypnotique. Ces résultats préliminaires confirment donc le rôle inhibiteur de l’OT endogène sur la sécrétion corticotrope et l’importance de la “balance” entre les deux systèmes vasopressinergique et ocytocinergique. Ils démontrent également qu’il est possible de stimuler la sécrétion d’OT endogène par des moyens non pharmacologiques (ici l’hypnose), apportant ainsi un substrat scientifique, physiopathologique, à l’utilisation de certaines techniques dites parfois “de médecine douce”, exploitées souvent de façon empirique, voire abusive. Conclusion L’OT possède, outre ses actions centrales périphériques, une action inhibitrice de l’axe corticotrope dans l’espèce humaine. Cette action s’oppose à celle de son hormone “sœur”, l’AVP, amenant ainsi un effet agoniste-antagoniste (ying-yang). Le mécanisme d’action est essentielle- 1. Grenen V, Legros JJ, Baudrihaye M et al. The neuroendocrine thymus : coexistence of oxytocin and neurophysin in human thymus. Science 1986 ; 232 : 508-10. 2. Pequeux C, Breton C, Hendrick JC et al. Oxytocin synthesis and oxytocin receptor expression by cell lines of human small cell carcinoma of the lung stimulate tumor growth through autocrine/paracrine signaling. Cancer Res 2002 ; 62 (16) : 4623-9. 3. Insel TR. Oxytocin - a neuropeptide for affiliation : evidence from behavioral, receptor autoradiographic, and comparative studies. Psychoneuroendocrinology 1992 ; 17 (1) : 3-35. 4. Legros JJ, Franchimont P. Serum-gonadotrophins after oxytocin in man. Lancet 1968 ; 2 (7570) : 735. 5. Geenen V, Adam F, Baro V, Mantanus H, Ansseau M, Tim sit-Berthier M, Legros JJ. Inhibitory influence of oxytocin infusion on contingent negative variation and some memory tasks in normal men. Psychoneuroendocrinology 1988 ; 13 (5) : 367-75. 6. Legros JJ, Chiodera P, Demey-Ponsart E. Inhibitory influence of exogenous oxytocin on adrenocorticotropin secretion in normal human subjects. J Clin Endocrinol Metab 1982 ; 55 (6) : 1035-9. 7. Legros JJ. Inhibitory effect of oxytocin on corticotrope functions in humans : are vasopressin and oxytocin ying yang neurohormones ? Psychoneuroendocrinology 2001 ; 26 : 649-55. 8. Uvnas-Moberg K. Antistress pattern induced by oxytocin. News Physiol Sci 1998 ; 13 : 22-5. 9. Heinrichs M, Meini-Schmidt G, Neumann I et al. Effects of suckling on hypothalamic-pituitaryadrenal axis responses to psychosocial stress in postpartum lactating women. J Clin Endocrinol Metab 1986 ; 10 : 4798-804. Compte-rendu de congrès Allaitement maternel et nutrition Auto-test 1. L’OT diminue le cortisol plasmatique principalement par une inhibition de l’axe corticotrope. 2. L’OT s’oppose à l’AVP pour son effet sur l’axe corticotrope. 3. L’effet “anti-stress” de l’OT s’exerce à doses pharmacologiques. 1. Vrai ; 2. Vrai ; 3. Faux. Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VII), n° 3, mai/juin 2003 125