PRESCRIPTIONS POSTOPÉRATOIRES : PRINCIPES ET PIÈGES

PRESCRIPTIONS POSTOPÉRATOIRES :
PRINCIPES ET PIÈGES
Cyrille de Vaumas (1), Yves Auroy (2)
(1) Service d’anesthésie, CHIV Lucie et Raymond Aubrac, 40 Allée de la
source 94195 Villeneuve Saint Georges
(2) Département d’anesthésie et de réanimation, HIA Val de Grâce, 74
boulevard de Port Royal, 75006 Paris
INTRODUCTION
La réalisation de la prescription postopératoire est une étape importante dans
la prise en charge anesthésique des patients. Des prescriptions manquantes
ou incomplètes peuvent être responsables d’erreurs médicamenteuses, de
complications postopératoires, et de déséquilibres de traitements antérieurs.
En période postopératoire, le rôle de l’anesthésiste-réanimateur n’est pas
uniforme au sein des unités de soin, alors que sa pratique est la plus régle-
mentée des spécialités médicales. Dans le décret de sécurité [1], il est bien
prévu « une surveillance continue après l’intervention » mais les prescriptions
postopératoires en tant que telles sont partagées entre les opérateurs et les
médecins anesthésistes-réanimateurs selon un mode de fonctionnement qui
est souvent dépendant des équipes et des habitudes de travail. Elles devraient
faire partie d’une charte de fonctionnement entre les équipes [2]. Le risque,
en l’absence de concertation entre les différents opérateurs, est la survenue
de complications liées à des omissions (anticoagulants, antibioprophylaxie),
de poursuites non justifiées (antibiotiques) ou des posologies non adaptées
(antibiothérapie). Le manque de concertation entre les différents intervenants
peut expliquer l’implication conjointe des anesthésistes-réanimateurs et des
chirurgiens dans certaines affaires judiciaires [3]. Dans la littérature, les erreurs
médicamenteuses, qui touchent toutes les étapes de la prescription à l’adminis-
tration, ont été largement documentées [4, 5]. La morbi-mortalité des erreurs
médicamenteuses est importante et leur prévention passe nécessairement par
une modification des comportements vis-à-vis de leur survenue [5]. Aucun travail,
à notre connaissance, ne s’est spécifiquement intéressé à la morbidité induite
par les erreurs médicamenteuses survenant dans la période post-anesthésique.
La haute autorité de santé (HAS), faisant suite à l’Agence Nationale d’Accré-
ditation et d’Evaluation en Santé (ANAES), a souhaité construire et développer
des indicateurs de qualité pour les établissements de santé ; ainsi, le projet
COMPAQH a permis de mettre au point des indicateurs de bonnes pratiques
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professionnelles : les scores IPAQSS (Indicateurs Pour l’Amélioration de la Qualité
et de la Sécurité des Soins). Pour l’anesthésie, a été retenu un indicateur agrégé
de la qualité de la tenue du dossier d’anesthésie, le score IPAQSS_DAN, prenant
comme base les éléments publiés concernant les évaluations des pratiques pro-
fessionnelles (EPP) proposées par le Collège Français d’Anesthésie Réanimation
(CFAR), dont la trace écrite d’une prescription postopératoire. (Tableau I). Ainsi,
depuis 2008, tous les établissements de santé (ES) ont l’obligation de participer
au recueil de données permettant l’établissement d’un score global.
L’analyse détaillée des données permettant le calcul de l’indicateur IPAQSS_
DAN représente une opportunité pour la spécialité d’anesthésie- réanimation de
progresser dans la maîtrise des risques liés à l’anesthésie selon une démarche
à laquelle la spécialité est habituée [6].
L’objectif de ce texte est de :
Rapporter les résultats de l’analyse, au cours des quatre dernières campagnes,
du critère 12 : « Trace écrite des prescriptions médicamenteuses en phase
post-anesthésique (si applicable) » qui portent sur la qualité des prescriptions
anesthésiques postopératoires.
De proposer des recommandations concernant la réalisation des prescriptions
postopératoires.
1. ANALYSE DES CAMPAGNES IPAQSS
Les campagnes de recueil généralisé des indicateurs de qualité ont débuté
en 2008. Les recueils d’indicateurs concernant la qualité du dossier d’anesthésie
consistaient en des enquêtes rétrospectives portant sur un échantillon aléatoire
de séjours. Ces recueils ont concerné l’ensemble des ES ayant des activités
de médecine, chirurgie et d’obstétrique à l’exception des hôpitaux locaux, des
structures d’hospitalisation à domicile (HAD) et des centres spécialisés de
dialyse. Quatre campagnes ont été réalisées en 2008, 2009, 2010 et 2011 qui
incluaient des dossiers respectivement de l’année 2007, le 1er semestre 2009,
le 1er semestre 2010 et le 1er semestre 2011.
Le recueil des données était effectué par le groupe qualité des ES qui pou-
vaient faire appel à des professionnels de l’anesthésie (cadre de santé, médecin
anesthésiste-réanimateur) pour auditer les dossiers. Un document explicatif et
des grilles de recueil étaient fournis aux auditeurs.
Pour chaque campagne, soixante séjours au minimum ont été analysés dans
chaque ES ayant une activité d’anesthésie. Le nombre de dossiers était identique
quelles que soient la taille et la catégorie des ES. Parmi les établissements
analysés, ceux ayant enregistré moins de 30 dossiers ont été exclus.
L’indicateur du dossier d’anesthésie, IPAQSS_DAN, était calculé à partir de
13 critères concernant les différentes phases de l’anesthésie (Tableau I)
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Tableau I
Nature des critères composant le critère agrégé IPAQSS_DAN
Phases anesthésiques
Nature du critère Pré- Per- Post
1Identification du patient sur toutes les pièces du
dossier
X X X
2Identification du médecin anesthésiste sur le
document traçant la phase pré-anesthésique (CPAet/
ouVPA)
X
3 Trace écrite de la viste pré-anesthésique (VPA) X
4Mention du traitement habituel ou de l’absence de
traitement dans le document traçant la CPA (ou la
VPA) (si applicable)
X
5Mention de l’évaluation du risque anesthésique dans
le document traçant la CPA (ou la VPA)
X
6Mention du type d’anesthésie proposé au patient
dans le document traçant la CPA (ou la VPA)
X
7Mention de l’évaluation des conditions d’abord des
voies aériennes supérieures en phase pré-anesthé-
sique dans le document traçant la CPA (ou la VPA)
dont :
• Mention du score de Mallampati
• et Mention de la distance thyro-mentonière
• et Mention de l’évaluation de l’ouverture de bouche
• ou Mention d’une conclusion d’IOT difficile
X
X
X
X
X
8Identification de médecin anesthésique sur le docu-
ment traçant la phase per-anesthésique
X
9Mention de la technique d’abord des voies aéri-
ennes supérieures en phase per-anesthésique (si
applicable)
X
10 Identification du médecin anesthésique sur le
document traçant la phase post-interventionnelle
(si applicable)
X
11 Autorisation de sortie du patient de la SSPI validée
par un médecin anesthésique (si applicable)
X
12 Trace écrite des prescriptions médicamenteuses en
phase post-anesthésique (si applicable)
X
13 Rubrique renseignée (ou barrée) permettant de
relever les incidents ou accidents péri-anesthésiques
X
L’analyse de ce travail porte sur les sous-critères du critère n° 12 : « Trace
écrite des prescriptions médicamenteuses en phase post-anesthésique (si
applicable) » qui était composé des rubriques suivantes :
DAN 25 : Retrouve-t-on une (ou plusieurs) prescription(s) médicamenteuse(s)
en phase postanesthésique
• DAN 26 : Si oui, quels éléments retrouve-t-on sur les prescriptions médica-
menteuses ?
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- 26-1 Nom et prénom du patient
- 26-2 Date de prescription
- 26-3 Signature du médecin anesthésiste
- 26-4 Nom et prénom du médecin anesthésiste
- 26-5 Dénomination des médicaments
- 26-6 Posologie
- 26-7 Voie d’administration des médicaments
La participation des ES était stable au cours des différentes campagnes et
leur répartition représentative sur le territoire national.
Sur l’ensemble des quatre campagnes, 229852 dossiers ont été retenus
pour l’analyse.
Une prescription médicamenteuse post-anesthésique était retrouvée pour
66,4 % des dossiers (n = 152670), aucune prescription pour 14,2 % (n = 32508)
et pour 19,4 % (n = 44674) des dossiers analysés, l’auditeur avait conclu que
le critère « trace écrite des prescriptions médicamenteuses post-anesthésie »
était non applicable (Tableau II).
Tableau II
Répartition des dossiers
Dossiers Tous Conformes
Retrouvés 152 670 66,4 % 85 818 56,2 %
Non retrouvés 32 508 14,1 %
Non applicables 44 674 19,4 %
TOTAL 229 852 100 % 37,4 %
Le nombre de dossiers où les prescriptions étaient présentes était constant
entre les 4 campagnes alors que les dossiers sans prescription diminuaient
quasiment de moitié (20,3 % en 2007 à 10,7 % en 2011) au profit des dossiers
classés comme « non applicables » qui avaient presque doublé (13,2 % en 2007
à 22,4 % en 2011) (Figure 1).
Figure 1 : Répartition des dossiers selon la trace d’une prescription médicamen-
teuse post-anesthésique selon l’année.
Risque et qualité 409
Parmi les 152 670 dossiers où la trace d’une prescription post-anesthésique
était retrouvée 56,2 % (n = 85 818) étaient conformes car répondaient à l’en-
semble des sous-critères DAN 26_. Ainsi, 37,4 % de l’ensemble des dossiers
analysés avaient des prescriptions conformes (Tableau II). Mais cette faible
proportion de dossiers conformes doublait au cours des 4 campagnes (de
26,8 % de conformité durant la campagne 2008 à 45,6 % en 2011). La Figure 2
reprend la variation des sous-critères. Si la majorité des critères demandés était
davantage satisfaite en fonction des campagnes, ceux liés à l’identité du médecin
(nom et signature) ainsi que la voie d’administration n’atteignaient pas 90 % des
prescriptions post-anesthésiques. Pour plus de 2 000 dossiers analysés, soit la
dénomination des médicaments, soit la posologie, soit la voie d’administration
soit la combinaison de ces items n’était pas retrouvée.
Figure 2 : Variation des pourcentages des sous-critères prescription post-anes-
thésiques, en fonction des campagnes. (Parmi les dossiers où une prescription
était retrouvée).
Ces résultats portant sur le dossier d’anesthésie sont retrouvés dans
l’analyse de l’indicateur qualité « rédaction des prescriptions médicamenteuses
établies durant la période d’hospitalisation », sous critère du chapitre portant sur
la « tenue du dossier du patient », et qui retrouve des résultats comparables. Lors
de la dernière campagne de 2011, les prescriptions non conformes représentaient
45 % des dossiers analysés, (5 % en raison de l’absence de trace de prescription ;
40 % car les prescriptions ne réunissaient pas les bonnes recommandations
de rédaction). Dans ce dernier sous-groupe, pour la moitié des dossiers il était
constaté une absence ou une mauvaise identification du prescripteur et pour
près d’un dossier sur cinq, la posologie médicamenteuse n’était pas notée.
Le faible taux de conformité des prescriptions (identité, voie d’abord) est une
des causes fréquemment retrouvée dans la littérature [7]. La répétition et les
interruptions des tâches, surtout si elles ne sont pas automatisées, sont sources
de lassitude et d’erreurs dans leur accomplissement. Les imprécisions, voire les
absences de prescriptions, peuvent aussi résulter de phénomènes cognitifs liés
à la division du travail où les différents acteurs pensent qu’une action essentielle
a été effectuée par un autre et inversement, alors que cela n’est pas vrai [8].
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