5. La psychomotricite
´relationnelle
Le de
´veloppement de la the
´rapie psychomotrice base
´e sur
les preuves se heurte a
`un puissant courant the
´orique de
´signe
´
sous le terme de « psychomotricite
´relationnelle ». Derrie
`re le
louable souci de respecter la globalite
´de l’enfant, nombre de
psychomotriciens rejettent toute approche spe
´cifique des
troubles psychomoteurs. Selon eux, la spe
´cificite
´du ro
ˆle de
la the
´rapie psychomotrice dans une e
´quipe soignante « re
´side
dans son e
´clairage original centre
´sur une vision globale de la
personne, permettant de restituer les sympto
ˆmes dans une
perspective psychosomatique en reconnaissant l’importance de
la souffrance exprime
´e par le corps » ([15], p. 139).
Ce cadre the
´orique, se re
´fe
´rant quasi exclusivement a
`la
psychanalyse, conside
`re le trouble psychomoteur comme un
signifiant renvoyant a
`un signifie
´enfoui dans les replis
caverneux de l’inconscient. Sympto
ˆme d’un conflit psychique
inconscient, le trouble psychomoteur ne constitue pas en tant
que tel un objectif prioritaire de la the
´rapie. Il doit pluto
ˆte
ˆtre
regarde
´comme un te
´moignage, un message provenant d’un
lointain univers conflictuel. Quantifier le trouble en confrontant
les performances de celui qui en est porteur a
`une norme n’a pas
de sens dans cette approche. En fait, la nature me
ˆme du trouble
semble peu importer. On observe, en effet, une certaine unicite
´
des modalite
´s de prise en charge quelles que soient les
caracte
´ristiques des sympto
ˆmes pre
´sente
´s par le patient. Les
me
ˆmes moyens the
´rapeutiques pourraient e
ˆtre mobilise
´s pour
traiter une dysgraphie, un retard d’inte
´gration des notions
spatiales e
´le
´mentaires ou un trouble de l’attention. L’expression
corporelle, le jeu libre, la danse-the
´rapie et la relaxation
partagent un me
ˆme objectif : favoriser l’expression de ve
´cus
archaı
¨ques, d’angoisses primitives et d’e
´prouve
´s corporels. Ce
qui prime ici n’est pas d’agir sur le trouble mais de mettre au
jour le conflit pulsionnel qui s’y rattache. L’essentiel du travail
the
´rapeutique se situe a
`ce niveau. La disparition des
sympto
ˆmes est secondaire. En effet, en psychomotricite
´
relationnelle, « Une technique reste un leurre si elle n’est
pas marque
´e du sceau de la castration, du manque. Nous
tricotons avec la castration qui en passe en partie par le corps.
Travailler sur le corps n’est pas re
´parer le corps, mais entendre
les mots accroche
´sa
`celui-ci » ([14], p. 73).
Cette pratique de la psychomotricite
´est base
´e sur la
dialectique transfe
´rentielle et contre-transfe
´rentielle e
´motion-
nelle. Dans cette dialectique, le psychomotricien tente « de lier
en lui des ressentis disjoints et par la
`me
ˆme fournir une trame
identificatoire possible a
`l’enfant. Cette tentative de liaison
repose sur la reviviscence de situations toniques et e
´motion-
nelles qui demandent a
`e
ˆtre partage
´es, puis a
`e
ˆtre mises en
forme, c’est-a
`-dire en repre
´sentation » ([22], p. 30). Selon
Vigne : « L’analyse de notre contre-transfert, a
`partir du ressenti
de notre propre corps, du ressenti du corps du patient et des
modifications qu’entraı
ˆne l’interaction the
´rapeutique, c’est la
pierre angulaire de ce dispositif d’e
´coute. Un des ro
ˆles que peut
s’octroyer le psychomotricien serait d’e
ˆtre « un facilitateur »
pour son patient, afin que ce dernier puisse acce
´der a
`cette
ve
´ritable me
´moire sensorielle qui est reste
´e dissocie
´eet
isole
´e du reste de la personnalite
´; par son origine, cette
me
´moire est se
´pare
´e des mots et de la capacite
´de
communiquer » ([32],p.68).
La psychomotricite
´relationnelle se fixe des objectifs
the
´rapeutiques tre
`s ambitieux. La transformation de soi et la
restructuration de l’ensemble de la personnalite
´semblent en
faire partie. Dans un style re
´dactionnel caracte
´ristique de la
litte
´rature consacre
´ea
`la psychomotricite
´relationnelle, nous
pouvons ainsi lire les deux passages suivants issus d’articles
re
´cemment publie
´s dans deux revues de psychomotricite
´:
« Notre travail fondamental est un travail de terrassier car les
tensions et les sensations sont les bases de la construction de
l’espace corporel et psychique et la perte de vitalite
´observable
et sensible dans toute sa souffrance psychomotrice s’origine au
niveau tonique. Avec l’e
´motion, nous communiquons de la
manie
`re la plus primaire, au sens de premier, nous pre
´parons le
terrain d’ouverture a
`la symbolisation, a
`la prise de conscience
de soi et du monde et c’est la
`qu’est la vertu the
´rapeutique de la
psychomotricite
´»([28], p. 66–67).
« Le psychomotricien sera celui qui, a
`partir de sa propre
dynamique psychomotrice, dont il a pris conscience a
`partir de
son propre processus de de
´veloppement, va accompagner
l’autre, soit dans sa construction, soit dans sa prise de
conscience, soit par le de
´nouement de conflits internes pouvant
s’exprimer toniquement, corporellement. Dans l’agir, son
attention se porte sur le tonico-e
´motionnel a
`partir son propre
tonico-e
´motionnel. Son premier objectif vise l’E
ˆtre essentiel »
([33], p. 90).
L’intelligibilite
´de certains e
´crits ne s’impose pas d’emble
´e.
Le discours tenu par les adeptes de la psychomotricite
´
relationnelle peut ainsi e
ˆtre juge
´e
´sote
´rique par un non-initie
´.
Un observateur exte
´rieur pourrait, en effet, ressentir l’impres-
sion d’un discours intuitif et confus ou
`la pense
´e magique
tiendrait lieu et place du raisonnement logique. On peut
ne
´anmoins noter que les pre
´tentions the
´rapeutiques de la
psychomotricite
´relationnelle sont inversement proportionnel-
les aux preuves scientifiques de ses re
´ussites. Il est vrai que dans
un syste
`me de pense
´eou
`la norme semble synonyme
d’oppression, la mise en œuvre d’e
´tudes contro
ˆle
´es est de
´licate.
Quoi qu’il en soit, l’objectivation scientifique des effets
the
´rapeutiques de la prise en charge psychomotrice ne semble
pas constituer le souci majeur de la psychomotricite
´
relationnelle. Parmi les diplo
ˆme
´s issus des centres ou
`domine
ce courant de pense
´e, l’insuffisance de formation me
´thodolo-
gique a
`l’e
´valuation des pratiques professionnelles en
psychomotricite
´n’est donc gue
`re e
´tonnante.
6. La the
´rapie psychomotrice base
´e sur les preuves
Soucieux d’obtenir des re
´sultats objectivables, c’est-a
`-dire
quantifiables, des psychomotriciens se fixent des objectifs
the
´rapeutiques pre
´cis et re
´alistes. Ils conside
`rent plus judicieux
de baser leur intervention the
´rapeutique sur le re
´tablissement des
potentialite
´s perceptivomotrices que d’essayer de lever un
« blocage » en guettant chez le patient l’e
´mergence de ses de
´sirs.
C’est dans cette logique que s’inscrit la the
´rapie psychomotrice
base
´e sur les preuves privile
´giant la prise en charge spe
´cifique,
c’est-a
`-dire cible
´e sur les difficulte
´s psychomotrices mises en
J. Rivie
`re / Annales Me
´dico-Psychologiques 168 (2010) 114–119 117