Urgences vasculaires Sang Thrombose Vaisseaux 2003 ; 15, n° 4 : 215–9 Occlusions veineuses rétiniennes Michel Paques1, Alain Gaudric2 1 2 Fondation Ophtalmologique A. de Rothschild, 25, rue Manin, 75019 Paris, France Service d’ophtalmologie de l’hôpital Lariboisière, 2, rue Ambroise-Paré, 75010 Paris, France Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. L es occlusions veineuses rétiniennes sont le plus souvent une complication de l’hypertension artérielle (HTA) chronique. Leur incidence est estimée à 11 000 cas par année en France. Leur étiopathogénie est mal comprise, associant en plus de l’HTA d’autres facteurs de risque tels que le glaucome et le diabète. La participation d’anomalies de l’hémostase reste incertaine. Cliniquement, les occlusions veineuses se traduisent par un ralentissement chronique du flux sanguin rétinien, pouvant entraîner une perte visuelle sévère par complications œdémateuses et/ou ischémiques. Pour le non-spécialiste, il s’agit d’un diagnostic qui ne peut qu’être évoqué au sein des autres causes de baisse d’acuité visuelle récente, le diagnostic se faisant à l’examen du fond d’œil. Un premier examen ophtalmologique doit être effectué dans la semaine suivant le diagnostic, pour dépister la présence d’une néovascularisation. Physiopathogénie des occlusions veineuses rétiniennes Les occlusions veineuses rétiniennes peuvent être classées selon le site de l’obstruction en occlusion de la veine centrale de la rétine (OVCR) (figure 1) ou en occlusion de branche veineuse rétinienne (OBVR) (figure 2). Correspondance : [email protected] Mots clés : occlusion veineuse rétinienne, hypertension artérielle, œdème maculaire Les OVCR sont dues à une augmentation des résistances veineuses à l’intérieur du nerf optique au niveau ou en arrière de la lame criblée. La présence d’un thrombus dans la veine centrale a été rapportée par la plupart des études histopathologiques [1], mais il n’est pas certain que ce thrombus soit la cause initiale de la maladie. L’OBVR est liée dans la grande majorité des cas à une compression de la veine par une artère au niveau d’un croisement artérioveineux dans le cadre d’une artériolosclérose secondaire à une hypertension artérielle. Les OVCR et les OBVR, malgré quelques similitudes cliniques, doivent être considérées comme deux maladies différentes : par exemple, une OVCR peut se voir chez un sujet de moins de 30 ans, au contraire d’une OBVR. De même, il est exceptionnel qu’un patient fasse les deux types d’occlusion. Les facteurs de risque prédominants communs aux OVCR et aux OBVR sont l’hypertension artérielle et l’hypertonie oculaire [2, 3]. Le diabète est retrouvé dans un certain nombre d’OVCR. Une hyperhomocystéinémie est également fréquente. STV, n° 4, vol. 15, avril 2003 215 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. œdème maculaire, hémorragie intravitréenne plus ou moins importante. Sur les temps précoces de l’angiographie rétinienne à la fluorescéine, il y a le plus souvent un retard du transit du colorant dans la circulation veineuse. Les zones œdémateuses montrent un lit capillaire dilaté laissant diffuser le colorant, indiquant une rupture de la barrière hématorétinienne. Des zones d’ischémie rétinienne se manifestent par une absence de perfusion par le colorant. L’angiographie n’est cependant pas indispensable au diagnostic. En mode dynamique, l’angiographie peut mettre en évidence des turbulences du flux veineux spécifiques de la maladie [4]. Occlusion de branche veineuse rétinienne Figure 1. Occlusion de la veine centrale de la rétine. Diagnostic Occlusion de la veine centrale de la rétine Tous les âges peuvent être atteints, mais l’occlusion de la veine centrale de la rétine (OVCR) est exceptionnelle chez l’enfant. La médiane de survenue est de 65 ans. Les signes d’appel sont une baisse d’acuité visuelle plus ou moins profonde, la perception de scotomes, des fluctuations visuelles. La baisse d’acuité visuelle initiale est souvent modérée mais elle peut être profonde. La survenue est rapide, en quelques heures à quelques jours. L’examen du fond d’œil permet de faire le diagnostic d’OVCR. Le tableau ophtalmoscopique peut être très varié mais il y a toujours association, dans les quatre quadrants de la rétine, de dilatations et tortuosités veineuses et d’hémorragies rétiniennes à disposition périveineuse. De nombreux autres signes peuvent s’y associer : œdème papillaire, Figure 2. Occlusion de branche veineuse rétinienne. 216 Les occlusions de branche veineuse rétinienne (OBVR) sont symptomatiques si elles entraînent des complications au niveau de la macula, essentiellement un œdème maculaire. Au fond d’œil, les signes sont les mêmes que pour les OVCR, à la différence près que les hémorragies et la dilatation veineuse sont limitées au territoire de drainage de la veine occluse. Évolution L’occlusion veineuse est une maladie chronique, d’évolution imprévisible, pouvant amener à la perte de la vision ou au contraire à une récupération ad integrum. La gravité de l’affection est liée aux complications chroniques, probablement dues à une décompensation endothéliale secondaire au bas débit rétinien prolongé. Le degré de sténose, sa durée et la rapidité de mise en place des circulation collatérales permettant au sang veineux de contourner l’obstacle conditionnent aussi l’évolution clinique. Les complications des OVCR et des OBVR sont communes. Cependant, la plus grande surface atteinte par les OVCR rend leur pronostic plus redoutable. Les complications sont représentées par la survenue d’une ischémie étendue et d’une rupture de la barrière hémato-rétinienne. L’ischémie peut compliquer secondairement toute occlusion veineuse et associe une chute généralisée du flux sanguin à une fermeture capillaire extensive. Le risque majeur est celui du glaucome néovasculaire induit par des facteurs tels que le Vascular Endothelial Growth Factor (VEGF) produits par la rétine ischémique [5]. L’autre risque essentiel est la survenue d’un œdème maculaire, lié à la fois à une rupture de la barrière hématorétinienne et à l’ischémie elle-même. Le risque est celui d’une dégénérescence kystique de la macula aboutissant à une perte visuelle irréversible. Dans les OVCR, l’apparition d’une ischémie étendue se manifeste par une aggravation brutale de la baisse visuelle, STV, n° 4, vol. 15, avril 2003 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Figure 3. Non-perfusion capillaire étendue entraînant une ischémie rétinienne sévère dans un cas d’occlusion de la veine centrale de la rétine. À gauche, fond d’œil montrant des plages hémorragiques étendues. À droite, angiographie en fluorescence montrant la raréfaction du lit capillaire. à moins de 1/10 dans la majorité des cas. Le fond d’œil montre une aggravation des hémorragies et/ou l’apparition de nodules cotonneux. À l’angiographie, la perfusion rétinienne est gravement altérée, avec de vastes zones de nonperfusion capillaire (figure 3). L’autre complication principale est l’œdème maculaire. Il se traduit en tomographie en cohérence optique (figure 4) par un épaississement maculaire bien visible, et, à l’angiographie, par la diffusion du colorant dans des logettes intrarétiniennes. Un suivi régulier des patients atteints est donc indispensable. Le pronostic visuel des OVCR est essentiellement lié à l’acuité visuelle lors du premier examen. Deux patients sur trois ayant plus de 5/10 de vision vont conserver celle-ci. En revanche, seuls 1 % des patients ayant moins de 1/10 initialement vont pouvoir récupérer plus de 5/10 [6]. morragies périphériques, mais sans dilatation veineuse ni œdème papillaire dans la plupart des cas. La présence d’hémorragies centrées par des microanévrismes peut permettre de redresser le diagnostic dans les cas incertains. La rétinopathie diabétique peut entraîner une dilatation de l’ensemble des veines rétiniennes avec hémorragies, œdème maculaire, nodules cotonneux. Mais le tableau est bilatéral, plus ou moins symétrique et, surtout, survient chez un patient diabétique. Dans le doute, la recherche d’un diabète confortera le diagnostic. Diagnostic différentiel La rétinopatie hypertensive donne un tableau voisin mais, là encore, bilatéral avec un œdème papillaire au premier plan et une exsudation très marquée par rapport aux hémorragies. Les veines sont dans la majorité des cas normales. Dans le doute, la mesure de la pression artérielle permettra de faire le diagnostic. L’ischémie oculaire chronique par occlusion carotidienne dans un contexte polyathéromateux peut entraîner des hé- Les fistules artério-veineuses carotido-caverneuses peuvent entraîner un tableau similaire, mais la présence d’un Figure 4. Œdème maculaire dans un cas d’occlusion de la veine centrale de la rétine. La rétine est visualisée par tomographie en cohérence optique permettant une coupe dans le plan de l’épaisseur de la rétine. À gauche, profil maculaire normal avec en particulier la dépression fovéolaire physiologique. À droite, épaississement rétinien maculaire. STV, n° 4, vol. 15, avril 2003 217 chémosis et/ou de céphalées permet habituellement de redresser le diagnostic. Les occlusions de branche peuvent éventuellement être confondues avec une occlusion par périphlébite rétinienne ou avec des télangiectasies rétiniennes. Examens complémentaires Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Devant une occlusion veineuse, le bilan se limite en général à la recherche d’une hypertension artérielle, d’un glaucome ou d’un diabète. Une numération formule sanguine, une vitesse de sédimentation seront également effectuées pour dépister les rares hémopathies ou syndromes inflammatoires généraux associés. L’intérêt d’un bilan plus approfondi (en particulier à la recherche d’une anomalie de l’hémostase ou d’une hyperhomocystéinémie) reste limité au cadre de la recherche clinique, car ces anomalies restent peu fréquentes comparativement à la population générale ; de plus, il n’est pas établi que la correction des éventuelles anomalies retrouvées (comme une hyperhomocystéinémie) modifie le devenir visuel. Il n’y a pas d’intérêt spécifique à faire un examen échodoppler des vaisseaux du cou ni un scanner orbitaire. Traitements des occlusions veineuses Comme dans de nombreux domaines de la médecine, la multiplicité des traitements proposés donne une indication de l’absence d’efficacité reconnue de la plupart d’entre eux. Traitement étiologique Les fibrinolytiques par voie générale ou locorégionale [7] n’ont pas d’intérêt démontré. Les anticoagulants, les héparines et les antiagrégants plaquettaires sont abandonnés. La fibrinolyse par injection directe dans une veine rétinienne est en cours de développement [8]. Plus récemment, l’idée que l’artère adjacente à la veine aggrave la gêne à l’écoulement veineux a mené à des tentatives chirurgicales de décompression artério-veineuse. Celles-ci sont faites soit par voie externe (incision de la dure mère du nerf optique par abord orbitaire, voie aujourd’hui abandonnée), soit par voie interne (incision de la papille par voie de vitrectomie). Par voie interne, la technique consiste après réalisation d’une vitrectomie à inciser radiairement le nerf optique [9]. L’intérêt de cette technique est en cours d’évaluation. Le même principe de décompression veineuse a été appliqué aux occlusions de branche veineuse [10], la chirurgie consistant à séparer l’artère de la veine au niveau du croisement artério-veineux. L’intérêt thérapeutique de ces procédures n’a pas été formellement établi. 218 Traitement de la néovascularisation En présence d’une néovascularisation irienne, la réalisation rapide d’une panphotocoagulation rétinienne s’impose pour éviter l’évolution vers le glaucome néovasculaire. La photocoagulation panrétinienne permet d’atrophier complètement la rétine ischémique, supprimant ainsi le stimulus néovasculaire. Ce traitement ne fera pas remonter l’acuité visuelle mais pourra éviter l’apparition de douleurs liées à l’hypertonie oculaire qui peuvent conduire à l’énucléation. En raison de la plus petite surface de rétine concernée, il n’y a pas de risque de glaucome néovasculaire au cours des OBVR. Une néovascularisation prérétinienne peut cependant survenir, nécessitant une photocoagulation du territoire rétinien occlus. Traitement de l’œdème maculaire Le problème le plus important en termes de handicap visuel est celui de l’œdème maculaire. Dans les occlusions de branche veineuse, la photocoagulation autour de la macula peut faire diminuer l’œdème maculaire et amener une amélioration visuelle. En revanche, ce traitement est peu efficace dans le cas des occlusions de la veine centrale de la rétine [11]. Pour cette dernière maladie, différents traitements ont été proposés, dont les anastomoses rétinochoroïdiennes et l’hémodilution. Le principe des anastomoses rétinochoroïdiennes consiste à dériver le sang veineux rétinien vers la choroïde sous-jacente dont la pression est plus faible. Le traitement consiste à réaliser un impact de laser de haute intensité sur une veine, dans le but de provoquer un phénomène cicatriciel qui fera communier les circulations rétiniennes et choroïdiennes [12]. Le taux de succès anatomique est faible (moins de 25 % des sites traités). E n revanche, celui des complications est élevé (occlusion de la veine traitée, néovascularisation au site du laser, etc.). Ce traitement n’a pas fait l’objet d’une vaste diffusion. L’hémodilution, par la diminution de l’hématocrite, permet théoriquement à la fois d’accélérer le flux sanguin et de diminuer l’agrégation érythrocytaire, améliorant ainsi la microcirculation rétinienne [13]. Les résultats des études contrôlées sont contradictoires et ne permettent pas de trancher sur l’efficacité du traitement. Les contreindications sont nombreuses (âge supérieur à 75 ans, insuffisance cardiaque, angor, traitement bêtabloquant, hématocrite inférieur à 35 %, etc.) et empêchent la généralisation de ce traitement. Corticothérapie intravitréenne Il a été récemment montré que la corticothérapie intraoculaire par injection de triamcinolone (Kénacort®) permet STV, n° 4, vol. 15, avril 2003 d’améliorer la vision centrale chez environ la moitié des patients traités, pendant une durée de 3 à 6 mois [14, 15]. Le mode d’action de cette corticothérapie à très haute dose reste incertain. La cible pourrait être la correction d’une inflammation de la cellule endothéliale. L’effet du traitement n’est cependant que suspensif, la récidive étant la règle au bout de 3 à 6 mois. Ce traitement prometteur, sous réserve de la bonne tolérance des réinjections, en est encore au stade de l’évaluation. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Conclusion L’occlusion veineuse rétinienne est responsable d’un handicap visuel significatif dans la population. Elle est essentiellement une complication microvasculaire de l’HTA chronique, dont l’étiopathogénie reste incertaine. Des facteurs associés comme un glaucome ou un diabète peuvent concourir à la survenue d’une occlusion veineuse. Son évolution est souvent imprévisible, une perte visuelle sévère pouvant survenir soit par œdème maculaire, soit par occlusion capillaire étendue. Le traitement reste controversé et dans l’ensemble décevant. La corticothérapie intravitréenne représente un réel espoir d’amélioration durable de la fonction visuelle, qui doit cependant faire sa preuve dans des études contrôlées ■ Références 1. Green WR, Chan CC, Hutchins GM, et al. Central retinal vein occlusion. A prospective histopathological study of 29 eyes in 28 cases. Retina 1981 ; 1 : 27-55. 2. Mitchell P, Smith W, Chang A. Prevalence and associations of retinal vein occlusion in Australia. The Blue Mountains Eye Study. Arch Ophthalmol 1996 ; 114 : 1243-7. 3. The eye disease case-control study group. Risk factors for central retinal vein occlusion. Arch Ophthalmol 1996 ; 114 : 545-54. 4. Paques M, Garmyn V, Catier A, et al. Analysis of retinal and choroidal circulation during central retinal vein occlusion with ICG videoangiography. Arch Ophthalmol 2001 ; 119 : 1781-7. 5. Boyd SR, Zachary I, Chakravarthy U, et al. 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