Actualités Mort subite d’origine cardiaque et repolarisation précoce Titre original et référence : Haïssaguerre M, Derval N, Sacher F, et al. Sudden cardiac arrest associated with early repolarization. N Engl J Med 2008 ; 358 : 2016-23. Actualités Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Question évaluée par l’étude La mort subite d’origine cardiaque représente environ 350 000 morts par an aux Etats-Unis et constitue toujours un problème majeur de santé publique. Malgré des progrès dans la gestion des patients dans les structures d’urgence, seulement 3 à 10 % des patients présentant un arrêt cardiaque extrahospitalier sont ressuscités avec succès. On sait que la majorité des arrêts cardiaques est due à des troubles du rythme ventriculaire, qui se produisent dans 6 à 12 % des cas en l’absence d’anomalies structurelles cardiaques. Dans certains cas aujourd’hui bien caractérisés, il existe des anomalies électrocardiographiques qui affectent la repolarisation ventriculaire (syndrome du QT long, syndrome de Brugada), tandis que dans d’autres cas dans lesquels il n’y a pas de signes électrocardiographiques 22 centres chez des patients de moins de 60 ans. Les patients étaient sélectionnés car ils avaient bénéficié de l’implantation d’un DAI. Un ECG de base était réalisé, et la repolarisation précoce était définie comme une élévation du QRS à la jonction du segment ST (point J) au moment où le DAI était implanté. L’élévation du point J devait être d’au moins 1 mm (0,1 mV) au-dessus de la ligne de base, ou un empâtement du QRS, ou une déflection positive du point J dans l’onde S dans les dérivations inférieures (DII, DIII, aVF), latérales (I, aVL, et V4 à V6) ou les 2 (figure 1). Les dérivations antérieures (V1 à V3) étaient exclues afin d’éviter l’inclusion de patients porteurs d’une dysplasie arythmogène du ventricule droit ou d’un syndrome de Brugada. Les patients étaient ensuite considérés comme ayant présenté une FV idio- en rythme sinusal, on parle de fibrillation ventriculaire (FV) idiopathique [1]. La repolarisation précoce est observée dans 1 à 5 % des patients tout venant sur l’électrocardiogramme. Bien que ce signe soit considéré comme bénin, son potentiel arythmogène a été suggéré par certaines études expérimentales mais les preuves cliniques manquent [2]. Dans cette étude, les auteurs ont observé 206 patients ayant présenté une FV idiopathique. Ils ont déterminé la prévalence de la repolarisation précoce sur l’ECG et ont évalué sa relation potentielle avec la survenue d’arythmie ventriculaire et de ses conséquences, enregistrée par un défibrillateur automatique implantable (DAI). Méthodes Etude de la population. Il s’agit d’une étude cas-témoins menée dans A B C D I I I I II II II III III III aVF V1 aVF V1 II III aVF aVF V1 V1 V4 V4 V4 V4 V5 V6 V5 V5 V5 V6 V6 V6 Figure 1. ECG de base de quatre patients. 202 jlemtc00217_cor4.indd 202 mt cardio, vol. 4, n° 3, mai-juin 2008 9/12/2008 8:00:03 PM taient une repolarisation précoce, alors que seulement 21 (5 %) présentaient une repolarisation précoce parmi les témoins (p < 0,001) avec une élévation du point J plus importante chez les cas (2,0 ± 0,9 mm vs 1,2 ± 0,4 mm respectivement ; p < 0,001). Après ajustement sur l’âge, le sexe, l’ethnie, le niveau d’activité physique, et l’odd ratio, la présence d’une repolarisation précoce chez les cas par rapport aux témoins était de 10,9 (IC 95 % : 6,3 à 18,9). Parmi les cas de FV avec une repolarisation précoce, les patients étaient plus fréquemment des hommes, avec des antécédents de syncope inexpliquée ou d’arrêt cardiaque pendant le sommeil, avec un intervalle QT plus court que chez les patients qui ne présentaient pas de repolarisation précoce. Concernant l’aspect électrocardiographique, une repolarisation précoce était notée chez 28 patients dans les dérivations inférieures, 6 patients dans les dérivations latérales, et 30 patients dans les dérivations inférieures et latérales. L’absence de potentiels tardifs chez ces patients confortait l’aspect en faveur d’une repolarisation précoce plutôt qu’en faveur d’une dépolarisation tardive. Chez 18 patients présentant une repolarisation précoce, un ECG était enregistré durant un événement ventri- culaire, montrant une élévation importante de l’amplitude de la repolarisation précoce (élévation du point J de 2,6 ± 1 mm à 4,1 ± 2 mm [p < 0,001]). Chez les patients ayant une repolarisation précoce, la FV naissait du ventricule gauche et présentait un intervalle de couplage court avec l’initiation de la FV. Dans les observations de repolarisation précoce, l’exercice physique ou la perfusion d’isoprotérénol réduisait ou éliminait l’aspect de repolarisation précoce chez la plupart des patients. En revanche, les bêtabloquants accentuaient l’aspect de repolarisation précoce. L’étude électrophysiologique avec cartographie des ventricules était réalisée chez 8 patients présentant une repolarisation précoce. Chez 6 patients ayant un aspect de repolarisation précoce inférieure, toutes les extrasystoles naissaient de la paroi inférieure du ventricule gauche. Chez 2 patients ayant un aspect de repolarisation précoce diffus, les extrasystoles naissaient dans différentes régions du ventricule gauche. L’ablation par radiofréquence était efficace pour éliminer toutes les extrasystoles chez 5 patients sur 8. Suivi des patients ayant présenté une FV (figure 2). La moyenne Actualités Résultats Cent vingt-trois hommes et 83 femmes ayant présenté une FV idiopathique ont été inclus comme « cas » dans l’étude (âge moyen 36 ± 11 ans) ; 412 témoins étaient également inclus avec la même répartition par âge et par sexe. Parmi les cas, 64 (31 %) présen- Probabilité d’absence de récurrence Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. patique si leur échocardiographie, leur coronarographie ou leur épreuve d’effort étaient normales. Les auteurs ont exclu les ECG évocateurs de syndrome du QT long ou du syndrome de Brugada et les troubles du rythme évocateurs de tachycardie ventriculaire catécholergique. Ainsi, 412 patients ont été sélectionnés et les auteurs ont recueilli les données cliniques (syncope, circonstance de mort subite, antécédents familiaux, activité physique quotidienne), et paracliniques (ECG, ECG moyenné, test pharmacologique et étude électrophysiologique avec stimulation ventriculaire programmée). Traitement et suivi. Les patients ont tous bénéficié de l’implantation d’un DAI. Le suivi était programmé à 6 et 12 mois avec examen clinique et interrogation de la mémoire du DAI. Les patients présentant des événements rythmiques récurrents étaient traités par antiarythmiques. 1,0 0,9 0,8 Pas de repolarisation précoce 0,7 0,6 0,5 0,4 Repolarisation précoce 0,3 0,2 0,1 0,0 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Nombre d’années Figure 2. Courbe actuarielle pour les patients ayant présenté une FV en fonction de la présence ou de l’absence de repolarisation précoce (hazard ratio : 2,1 ; IC 95 % : 1,2-3,5 ; p = 0,008). mt cardio, vol. 4, n° 3, mai-juin 2008 jlemtc00217_cor4.indd 203 203 9/12/2008 8:00:04 PM Actualités Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. de suivi a été réalisée sur 61 ± 50 mois après l’événement initial sans aucun perdu de vue. La récurrence d’événement rythmique était plus fréquente chez les sujets présentant un aspect de repolarisation précoce (41 versus 23 %). Le hazard ratio de récurrence était de 2,1 (IC 95 % : 1,2-3,5 ; p = 0,008), même après ajustement sur le sexe. En outre, les patients ayant la plus haute élévation du point J (> 5 mm) présentaient plus de 50 épisodes de fibrillation ventriculaire (mortelle pour un sujet). Quatre patients ont été traités par quinidiniques, ce qui diminuait les anormalités dans la repolarisation et éliminait la récurrence des arythmies. Actualités Résultat essentiel L’aspect de repolarisation précoce sur les dérivations latérales et inférieures est plus fréquent chez les patients ayant présenté une FV idiopathique. Le suivi de ces patients montre que les récidives d’événements rythmiques majeurs sont 2 fois plus fréquentes chez les patients présentant un aspect de repolarisation précoce sur l’ECG, et certains antiarythmiques (quinidiniques) seraient efficaces pour prévenir la récidive des arythmies chez ces patients (sous réserve d’un petit nombre de patients traités). Commentaires La mort subite d’origine rythmique peut se produire en l’absence d’anomalie structurelle d’origine cardiaque et en l’absence d’anomalie électrocardiographique. Dans cette étude, l’aspect de repolarisation précoce avait une prévalence plus élevée chez les patients ayant présenté une mort subite d’origine rythmique que chez les témoins (pour lesquels la prévalence était la même que dans la population générale). Dans 1/3 des cas, l’ECG avant la mort subite était interprétable et montrait déjà un aspect de repolarisation précoce. 204 jlemtc00217_cor4.indd 204 Cela permet de conclure que cet aspect n’était pas en rapport avec le traitement ou le traumatisme dû à l’arrêt cardiaque. Comme l’ont montré Eisenberg et al. [3], le seul facteur déterminant le succès d’une ressuscitation est l’accès rapide à un défibrillateur ce qui rend peu probable l’hypothèse selon laquelle l’aspect de repolarisation précoce serait plus fréquent chez les patients survivant après un arrêt cardiaque. En outre, l’étude a montré que les patients présentant un aspect de repolarisation précoce étaient plus fréquemment exposés à la récurrence d’événements rythmiques durant le suivi. Les explications possibles concernant la relation entre repolarisation précoce et arrêt cardiaque sont les suivantes : - la définition de la repolarisation précoce dans cette étude est singulière (touchant les dérivations inférieures et latérales en particulier). En général, l’aspect de repolarisation précoce est décrit sur l’ensemble des dérivations et particulièrement les dérivations droites. Les auteurs auraient donc sélectionné un nouveau type de patients présentant une anomalie ECG où les patients seraient plus fréquemment sujets aux troubles du rythme ; - dans cette étude, peu de patients font partie des groupes où traditionnellement on décrit une fréquence importante de repolarisation précoce (les sujets noirs et les athlètes). Il y aurait donc des cofacteurs (autres que l’aspect de repolarisation précoce) qui influenceraient la mort subite d’origine cardiaque ; - certaines études expérimentales sont en faveur de la présence d’une forme d’hétérogénéité électrique transmurale lors de la présence à l’ECG d’une repolarisation précoce. Cette hétérogénéité peut être amplifiée dans certaines conditions, se compliquant alors d’arythmies malignes [4]. L’arythmogénicité potentielle serait donc en rapport avec une modulation de la repolarisation et de changements temporels dynamiques. Pour les auteurs, le lien entre l’aspect électrocardiographique et les arythmies malignes est d’autant plus probable que : - une accentuation de la repolarisation précoce avant la survenue d’un événement rythmique était observée ; - la cartographie par exploration électrophysiologique montrait que les zones gâchettes étaient situées là où l’on observait l’aspect de repolarisation précoce ; - la quinidine, qui est connue pour restaurer l’homogénéité électrique transmurale et éviter les événements arythmiques dans ces conditions, diminuait l’aspect de repolarisation précoce et les événements rythmiques chez les 4 patients traités. Cette piste doit être explorée plus en avant, notamment sur le plan génétique, avec de nouvelles études, d’autant plus que chez 10 des patients de cette étude, il existait un antécédent de mort subite familiale. Ceci pourrait constituer une nouvelle piste génétique liée à des canaux ioniques, pouvant expliquer des morts subites d’origine rythmique à ce jour méconnues chez le sujet jeune [5]. Limites de l’étude Cette étude de cohorte a cependant des limites : - malgré une définition stricte des caractéristiques à collecter, les données n’étaient pas uniformes selon les centres ; - il y avait peu de sportifs et de sujets noirs, et aucun patient avec une anomalie structurelle cardiaque. Les résultats ne peuvent donc pas s’appliquer dans ces sous-groupes ; - bien que les résultats suggèrent que l’aspect de repolarisation précoce est un marqueur de risque d’arythmies malignes, les études sur l’histoire naturelle prédisent une évolution bénigne pour la plupart des patients présentant un aspect de repolarisation précoce. Des études complémentaires sont donc nécessaires pour identifier les facteurs qui modulent mt cardio, vol. 4, n° 3, mai-juin 2008 9/12/2008 8:00:04 PM Conclusion Cette étude de cohorte multicentrique montre une prévalence plus élevée que prévue d’aspect de repolarisation précoce dans les dérivations inféro-latérales parmi les patients de moins de 60 ans présentant une FV idiopathique provoquant des syncopes et des mort subites d’origine cardiaque. Emmanuelle Berthelot-Garcias Hôpital Saint-Antoine, Service de cardiologie, 184 rue du Faubourg Saint-Antoine, 75012 Paris <[email protected]> Références 1. Huikuri HV, Castellanos A, Myerburg RJ. Sudden death due to cardiac arrhythmias. N Engl J Med 2001 ; 345 : 1473-82. 2. Klatsky AL, Oehm R, Cooper RA, et al. The early repolarization normal variant electrocardiogram : correlates and consequences. Am J Med 2003 ; 115 : 171-7. 3. Eisenberg MS, Mengert TJ. Cardiac resuscitation. N Engl J Med 2001 ; 344 : 1304-13. 4. Gussak I, Antzelevitch C. Early repolarization syndrome : clinical characteristics and possible cellular and ionic mechanisms. J Electrocardiol 2000 ; 33 : 299-309. 5. Behr ER, Casey A, Sheppard M, et al. Sudden arrhythmic death syndrome : a national survey of sudden unexplained cardiac death. Heart 2007 ; 93 : 601-5. Actualités Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. l’arythmogénicité sous-jacente et prédire quels patients sont plus précisément à risque. ACTIVEZ l’accès en ligne à VOTRE REVUE T GRAleTs aUboInnés @ pour Consultation de la revue en ligne Articles téléchargeables au format PDF Accès aux archives de la revue Il vous suffit de vous munir de votre numéro d’abonné* et de suivre les instructions pas à pas. *Pour connaître votre n° d’abonné : reportez-vous à votre facture ou appelez notre service abonnement au : + 33 (0)1 43 62 66 64 Rendez-vous sur www.mtcardio.fr mt cardio, vol. 4, n° 3, mai-juin 2008 jlemtc00217_cor4.indd 205 205 9/12/2008 8:00:04 PM