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mt cardio, vol. 4, n° 3, mai-juin 2008
202
Mort subite d’origine cardiaque et repolarisation précoce
Titre original et référence : Haïssaguerre M, Derval N, Sacher F, et al. Sudden cardiac arrest associated with early repolarization. N Engl J Med 2008 ; 358 :
2016-23.
en rythme sinusal, on parle de fibrilla-
tion ventriculaire (FV) idiopathique [1].
La repolarisation précoce est observée
dans 1 à 5 % des patients tout venant
sur l’électrocardiogramme. Bien que
ce signe soit considéré comme bénin,
son potentiel arythmogène a été
suggéré par certaines études expéri-
mentales mais les preuves cliniques
manquent [2].
Dans cette étude, les auteurs ont
observé 206 patients ayant présenté une
FV idiopathique. Ils ont déterminé la
prévalence de la repolarisation précoce
sur l’ECG et ont évalué sa relation
potentielle avec la survenue d’arythmie
ventriculaire et de ses conséquences,
enregistrée par un défibrillateur auto-
matique implantable (DAI).
Méthodes
Etude de la population. Il s’agit
d’une étude cas-témoins menée dans
22 centres chez des patients de moins
de 60 ans. Les patients étaient sélec-
tionnés car ils avaient bénéficié de
l’implantation d’un DAI. Un ECG de
base était réalisé, et la repolarisation
précoce était définie comme une
élévation du QRS à la jonction du
segment ST (point J) au moment où
le DAI était implanté. L’élévation du
point J devait être d’au moins 1 mm
(0,1 mV) au-dessus de la ligne de
base, ou un empâtement du QRS,
ou une déflection positive du point
J dans l’onde S dans les dérivations
inférieures (DII, DIII, aVF), latérales
(I, aVL, et V4 à V6) ou les 2 (figure 1).
Les dérivations antérieures (V1 à V3)
étaient exclues afin d’éviter l’inclu-
sion de patients porteurs d’une
dysplasie arythmogène du ventricule
droit ou d’un syndrome de Brugada.
Les patients étaient ensuite considérés
comme ayant présenté une FV idio-
Question évaluée par l’étude
La mort subite d’origine cardiaque
représente environ 350 000 morts
par an aux Etats-Unis et constitue
toujours un problème majeur de santé
publique. Malgré des progrès dans la
gestion des patients dans les structures
d’urgence, seulement 3 à 10 % des
patients présentant un arrêt cardiaque
extrahospitalier sont ressuscités avec
succès. On sait que la majorité des
arrêts cardiaques est due à des trou-
bles du rythme ventriculaire, qui se
produisent dans 6 à 12 % des cas
en l’absence d’anomalies structu-
relles cardiaques. Dans certains cas
aujourd’hui bien caractérisés, il existe
des anomalies électrocardiographi-
ques qui affectent la repolarisation
ventriculaire (syndrome du QT long,
syndrome de Brugada), tandis que
dans d’autres cas dans lesquels il n’y a
pas de signes électrocardiographiques
A
I
II
III
aVF
V1
V4
V5
V6
B
I
II
III
aVF
V1
V4
V5
V6
C
I
II
III
aVF
V1
V4
V5
V6
D
I
II
III
aVF
V1
V4
V5
V6
Figure 1. ECG de base de quatre patients.
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patique si leur échocardiographie,
leur coronarographie ou leur épreuve
d’effort étaient normales. Les auteurs
ont exclu les ECG évocateurs de
syndrome du QT long ou du syndrome
de Brugada et les troubles du rythme
évocateurs de tachycardie ventricu-
laire catécholergique.
Ainsi, 412 patients ont été sélectionnés
et les auteurs ont recueilli les données
cliniques (syncope, circonstance de
mort subite, antécédents familiaux,
activité physique quotidienne), et
paracliniques (ECG, ECG moyenné,
test pharmacologique et étude élec-
trophysiologique avec stimulation
ventriculaire programmée).
Traitement et suivi. Les patients ont
tous bénéficié de l’implantation d’un
DAI. Le suivi était programmé à 6 et
12 mois avec examen clinique et
interrogation de la mémoire du DAI.
Les patients présentant des événe-
ments rythmiques récurrents étaient
traités par antiarythmiques.
Résultats
Cent vingt-trois hommes et 83 femmes
ayant présenté une FV idiopathique
ont été inclus comme « cas » dans
l’étude (âge moyen 36 ± 11 ans) ;
412 témoins étaient également inclus
avec la même répartition par âge et par
sexe. Parmi les cas, 64 (31 %) présen-
taient une repolarisation précoce, alors
que seulement 21 (5 %) présentaient
une repolarisation précoce parmi les
témoins (p < 0,001) avec une élévation
du point J plus importante chez les cas
(2,0 ± 0,9 mm vs 1,2 ± 0,4 mm respec-
tivement ; p < 0,001). Après ajustement
sur l’âge, le sexe, l’ethnie, le niveau
d’activité physique, et l’odd ratio, la
présence d’une repolarisation précoce
chez les cas par rapport aux témoins
était de 10,9 (IC 95 % : 6,3 à 18,9).
Parmi les cas de FV avec une repolari-
sation précoce, les patients étaient plus
fréquemment des hommes, avec des
antécédents de syncope inexpliquée ou
d’arrêt cardiaque pendant le sommeil,
avec un intervalle QT plus court que
chez les patients qui ne présentaient pas
de repolarisation précoce.
Concernant l’aspect électrocardiogra-
phique, une repolarisation précoce
était notée chez 28 patients dans les
dérivations inférieures, 6 patients dans
les dérivations latérales, et 30 patients
dans les dérivations inférieures et laté-
rales. L’absence de potentiels tardifs
chez ces patients confortait l’aspect
en faveur d’une repolarisation précoce
plutôt qu’en faveur d’une dépolarisa-
tion tardive.
Chez 18 patients présentant une repo-
larisation précoce, un ECG était enre-
gistré durant un événement ventri-
culaire, montrant une élévation
importante de l’amplitude de la
repolarisation précoce (élévation du
point J de 2,6 ± 1 mm à 4,1 ± 2 mm
[p < 0,001]). Chez les patients ayant
une repolarisation précoce, la FV nais-
sait du ventricule gauche et présentait
un intervalle de couplage court avec
l’initiation de la FV.
Dans les observations de repolarisa-
tion précoce, l’exercice physique ou
la perfusion d’isoprotérénol réduisait
ou éliminait l’aspect de repolarisation
précoce chez la plupart des patients.
En revanche, les bêtabloquants
accentuaient l’aspect de repolarisa-
tion précoce.
L’étude électrophysiologique avec
cartographie des ventricules était
réalisée chez 8 patients présentant
une repolarisation précoce. Chez
6 patients ayant un aspect de repola-
risation précoce inférieure, toutes les
extrasystoles naissaient de la paroi
inférieure du ventricule gauche. Chez
2 patients ayant un aspect de repo-
larisation précoce diffus, les extra-
systoles naissaient dans différentes
régions du ventricule gauche. L’abla-
tion par radiofréquence était efficace
pour éliminer toutes les extrasystoles
chez 5 patients sur 8.
Suivi des patients ayant présenté
une FV (figure 2). La moyenne
Probabilité d’absence de récurrence
109876543210
0,0
0,1
0,2
0,3
0,4
0,5
0,6
0,7
0,8
0,9
1,0
Pas de repolarisation précoce
Repolarisation précoce
Nombre d’années
Figure 2. Courbe actuarielle pour les patients ayant présenté une FV en fonction de la
présence ou de l’absence de repolarisation précoce (hazard ratio : 2,1 ; IC 95 % : 1,2-3,5 ;
p = 0,008).
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de suivi a été réalisée sur 61 ± 50
mois après l’événement initial sans
aucun perdu de vue. La récurrence
d’événement rythmique était plus
fréquente chez les sujets présentant
un aspect de repolarisation précoce
(41 versus 23 %). Le hazard ratio de
récurrence était de 2,1 (IC 95 % :
1,2-3,5 ; p = 0,008), même après
ajustement sur le sexe. En outre, les
patients ayant la plus haute éléva-
tion du point J (> 5 mm) présentaient
plus de 50 épisodes de fibrillation
ventriculaire (mortelle pour un
sujet). Quatre patients ont été traités
par quinidiniques, ce qui diminuait
les anormalités dans la repolarisa-
tion et éliminait la récurrence des
arythmies.
Résultat essentiel
L’aspect de repolarisation précoce sur
les dérivations latérales et inférieures
est plus fréquent chez les patients
ayant présenté une FV idiopathique.
Le suivi de ces patients montre que
les récidives d’événements ryth-
miques majeurs sont 2 fois plus
fréquentes chez les patients présen-
tant un aspect de repolarisation
précoce sur l’ECG, et certains anti-
arythmiques (quinidiniques) seraient
efficaces pour prévenir la récidive
des arythmies chez ces patients (sous
réserve d’un petit nombre de patients
traités).
Commentaires
La mort subite d’origine rythmique
peut se produire en l’absence d’ano-
malie structurelle d’origine cardiaque
et en l’absence d’anomalie électro-
cardiographique. Dans cette étude,
l’aspect de repolarisation précoce
avait une prévalence plus élevée
chez les patients ayant présenté une
mort subite d’origine rythmique que
chez les témoins (pour lesquels la
prévalence était la même que dans
la population générale). Dans 1/3
des cas, l’ECG avant la mort subite
était interprétable et montrait déjà
un aspect de repolarisation précoce.
Cela permet de conclure que cet aspect
n’était pas en rapport avec le traite-
ment ou le traumatisme dû à l’arrêt
cardiaque.
Comme l’ont montré Eisenberg
et al. [3], le seul facteur déterminant
le succès d’une ressuscitation est
l’accès rapide à un défibrillateur ce
qui rend peu probable l’hypothèse
selon laquelle l’aspect de repolarisa-
tion précoce serait plus fréquent chez
les patients survivant après un arrêt
cardiaque. En outre, l’étude a montré
que les patients présentant un aspect
de repolarisation précoce étaient plus
fréquemment exposés à la récurrence
d’événements rythmiques durant le
suivi.
Les explications possibles concernant
la relation entre repolarisation précoce
et arrêt cardiaque sont les suivantes :
- la définition de la repolarisation
précoce dans cette étude est singulière
(touchant les dérivations inférieures
et latérales en particulier). En général,
l’aspect de repolarisation précoce est
décrit sur l’ensemble des dérivations et
particulièrement les dérivations droites.
Les auteurs auraient donc sélectionné
un nouveau type de patients présen-
tant une anomalie ECG où les patients
seraient plus fréquemment sujets aux
troubles du rythme ;
- dans cette étude, peu de patients
font partie des groupes où tradition-
nellement on décrit une fréquence
importante de repolarisation précoce
(les sujets noirs et les athlètes). Il y
aurait donc des cofacteurs (autres que
l’ aspect de repolarisation précoce) qui
influenceraient la mort subite d’origine
cardiaque ;
- certaines études expérimentales sont
en faveur de la présence d’une forme
d’hétérogénéité électrique transmu-
rale lors de la présence à l’ECG d’une
repolarisation précoce. Cette hétérogé-
néité peut être amplifiée dans certaines
conditions, se compliquant alors
d’arythmies malignes [4]. L’arythmogé-
nicité potentielle serait donc en rapport
avec une modulation de la repolari-
sation et de changements temporels
dynamiques.
Pour les auteurs, le lien entre l’ aspect
électrocardiographique et les aryth-
mies malignes est d’autant plus proba-
ble que :
- une accentuation de la repolari-
sation précoce avant la survenue
d’un événement rythmique était
observée ;
- la cartographie par exploration
électrophysiologique montrait que les
zones gâchettes étaient situées là où
l’on observait l’aspect de repolarisa-
tion précoce ;
- la quinidine, qui est connue pour
restaurer l’homogénéité électrique
transmurale et éviter les événements
arythmiques dans ces conditions,
diminuait l’aspect de repolarisation
précoce et les événements rythmi-
ques chez les 4 patients traités.
Cette piste doit être explorée plus en
avant, notamment sur le plan géné-
tique, avec de nouvelles études,
d’autant plus que chez 10 des patients
de cette étude, il existait un antécé-
dent de mort subite familiale. Ceci
pourrait constituer une nouvelle piste
génétique liée à des canaux ioniques,
pouvant expliquer des morts subites
d’origine rythmique à ce jour mécon-
nues chez le sujet jeune [5].
Limites de l’étude
Cette étude de cohorte a cependant
des limites :
- malgré une définition stricte des
caractéristiques à collecter, les
données n’étaient pas uniformes selon
les centres ;
- il y avait peu de sportifs et de sujets
noirs, et aucun patient avec une
anomalie structurelle cardiaque. Les
résultats ne peuvent donc pas s’appli-
quer dans ces sous-groupes ;
- bien que les résultats suggèrent que
l’aspect de repolarisation précoce est
un marqueur de risque d’arythmies
malignes, les études sur l’histoire
naturelle prédisent une évolution
bénigne pour la plupart des patients
présentant un aspect de repolarisa-
tion précoce. Des études complé-
mentaires sont donc nécessaires pour
identifier les facteurs qui modulent
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l’arythmogénicité sous-jacente et
prédire quels patients sont plus préci-
sément à risque.
Conclusion
Cette étude de cohorte multicen-
trique montre une prévalence plus
élevée que prévue d’aspect de repo-
larisation précoce dans les dérivations
inféro-latérales parmi les patients de
moins de 60 ans présentant une FV idio-
pathique provoquant des syncopes et
des mort subites d’origine cardiaque.
Emmanuelle Berthelot-Garcias
Hôpital Saint-Antoine,
Service de cardiologie,
184 rue du Faubourg Saint-Antoine,
75012 Paris
Références
1. Huikuri HV, Castellanos A, Myerburg RJ.
Sudden death due to cardiac arrhythmias.
N Engl J Med 2001 ; 345 : 1473-82.
2. Klatsky AL, Oehm R, Cooper RA, et al.
The early repolarization normal variant
electrocardiogram : correlates and conse-
quences. Am J Med 2003 ; 115 : 171-7.
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4. Gussak I, Antzelevitch C. Early repo-
larization syndrome : clinical charac-
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5. Behr ER, Casey A, Sheppard M, et al.
Sudden arrhythmic death syndrome : a
national survey of sudden unexplained
cardiac death. Heart 2007 ; 93 : 601-5.
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