Atelier C 05 / Interculturalité dans les arts performatifs en Asie : terrains et méthodes
Enjeux de l'interculturalité : Le songe d'une nuit d'été coréenne
Hervé PÉJAUDIER / 4
voit avec le triomphe exponentiel de musicals à grand spectacle dans toutes les villes de
Corée. Par ailleurs, au tournant des années 2000, les trublions géniaux des années 70 sont
devenus des institutions et la relève tarde: à deux ou trois exceptions près (dont Kim Kwang-
lim6), l'époque ne semble plus être aux grands auteurs, mais aux jeunes compagnies qui vont
prendre à bras le corps le double héritage : théâtre occidental, culture coréenne. Yohangza en
est un bon exemple.
Des voyageurs entre deux cultures
Yohangza theatre company : le nom adopté par la troupe est symptomatique de ce partage
géostratégique en deux espaces, la Corée (Yohangza) et le reste du monde, symbolisé par
l'usage de l'anglais, langue censément véhiculaire : et de fait, il n'est pas étonnant que le mot
Yoghanza signifie "voyageur". À la fois coupure et partage, cette scission semble une marque
d'origine du théâtre coréen. Yang Jung-ung, qui a fondé ce groupe en 1997, s'inscrit bien dans
la tradition de ses aînés des années 70, puisqu'il est à la fois écrivain et metteur en scène; mais
il appartient aussi à la génération suivante, celle qui s'est très tôt confrontée aux autres
cultures. Yang Jung-ung s'est formé auprès du Lasenkan International Theater, troupe
japonaise fondée en 1989 et ouverte au mélange des genres et des cultures, tournant dans de
très nombreux pays des cinq continents, et créant à partir de 1994 une forme spécifique de
théâtre mêlant les langues7 : paradoxalement, comme un siècle plus tôt, on retrouve le passage
par le Japon et l'ouverture à l'Occident que cela caractérise, mais quel renversement ! Autre
différence générationnelle, Yang Jung-ung, s'il se revendique comme auteur, ne met pas en
avant son propre travail d'écrivain, et choisit de se confronter avec les maîtres occidentaux :
Ionesco (Les chaises 2005), Ibsen (Peer Gynt 2009), d'autres encore, et bien sûr Shakespeare,
Hamlet en 2010 et surtout Le songe d'une nuit d'été en 2002, spectacle fondateur et
emblématique, retravaillé chaque année, et qui tourne toujours.
LE SONGE D'UNE NUIT CORÉENNE
Transposition et recréation
En fait, si Yang Jung-ung ne signe pas comme auteur ce spectacle, mais seulement
comme metteur en scène, il est en réalité l'auteur de la totalité du texte joué; il ne s'agit pas
d'une retraduction adaptée, comme on le fait souvent par ailleurs, mais bel et bien d'une
recréation du texte shakespearien en coréen. Cette démarche est cohérente dans l'esprit de
l'auteur, puisque son travail revendique une "orientalisation" du dramaturge élisabéthain : il
s'agit bien d'orienter l'ensemble du texte pour en faire, comme il le clament, un "Shakespeare
de l'Est". Pour cela, Yang Jung-ung n'hésite pas à resserrer la pièce (on se débarrasse de
Thésée et d'Egée), et surtout à la décaler pour la faire basculer dans l'imaginaire coréen. On
renomme tous les personnages en coréen, sans reculer devant les jeux onomastiques
signifiants : le plus important concerne le couple des rois des fées, devenus personnages
centraux, dont les deux noms, tot, le feu, et kabi, le père, combinés donnent totkabi, ou
6 Kim Kwang-lim viendra à Dijon en mai 2012 avec Wuturi, spectacle fondateur de la compagnie Wuturi (2002).
7 "Its aim is to create a modern theater that is effective on the border of languages and cultures. " (site officiel,
www.lasenkan.com) . Le Lasenkan a ouvert deux antennes à Barcelone et à Berlin.