saint grégoire de nysse, éléments d`anthropologie dans son traité

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SAINT GRÉGOIRE DE NYSSE, ÉLÉMENTS
D’ANTHROPOLOGIE DANS SON TRAITÉ „DE LA
VIRGINITÉ”

Pr.Lect.Dr. Adrian Lucian Dinu
I. Introduction
Saint Grégoire de Nysse est né, environ, en 335 à Césarée de Cappadoce et il
est le frère cadet de saint Basile le Grand. Il a été consacré Evêque par son frère
qui était l’un des plus illustres hommes de son temps. La connaissance
théologique et son talent oratoire étaient appréciés par les Pères du II-e Concile
Oecuménique et il a été nommé: „Défenseur et pilier de l’Orthodoxie”1. Il est mort
entre 394-395.
St. Grégoire a composé et publié, à une cadence rapide, des nombreux
ouvrages et le Traité de la virginité, que nous allons étudier, remonte en 371, juste
avant son ordination épiscopale2. Il a enseigné la rhétorique pendant plusieurs
années, lorsque à l’âge de 40 ans il a écrit Peri parqeniaj à la demande de son
frère Basile3. Cette œuvre est plus un éloge (egkwmion) de la virginité avec des
nombreuses observations ascétiques qu’ un traité spécial d’anthropologie. Saint
Grégoire a précisé dans sa „Lettre préface” que „ce traité a pour but d’inspirer aux
lecteurs le désir de la vie vertueuse (I, 1)”4, d’inspirer l’amour pour un état de vie
qu’il admire et qu’il le considère possible et digne de nous. Son œuvre demeure
comme une exhortation efficace (paraainesij)5, capable de donner à
l’interlocuteur la proposition de suivre la vie vertueuse.
Nous allons essayer de faire une synthèse de l’anthropologie, telle qu’elle est
comprise par St. Grégoire en soulignant la nouveauté de sa pensée dans ce Traité
de la virginité. Ce travail sera divisé en quatres parties: L’homme; La constitution
de l’homme: âme et corps; Le péché; La virginité de l’homme et le modèle de la
Vierge Marie pour les chrétiens.
1
Patrologie, Manuel pour les Instituts de théologie, Bucarest, 1965, p. 168.
Grégoire de Nysse, Traite de la virginité, introduction, texte critique, traduction,
commentaire et index de Michel Aubineau, Les éditions du Cerf, Paris, 1966, p. 31.
3
Ibidem, Introduction, p. 83.
4
Ibidem, Introduction, p. 84.
5
Ibidem, Prologue, 2, 9, p. 144.
2
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II. L’homme (o anqrwpoj) dans la pensée de St. Grégoire
Plusieurs patrologues et théologiens ont considéré que St. Grégoire de Nysse
est le créateur au sens propre et scientifique de l’anthropologie chrétienne. Ce
Père de l’Église a fait pour l’homme et sa condition l’une de ses préoccupations
permanentes dans des œuvres comme: De la création de l’homme, De l’âme et
résurrection, La vie de Moïse. Pourtant nous rencontrons ce qu’on pourrait
appeler „une doctrine élaborée” de la personne humaine dans le traité qui nous
venons d’étudier. L’homme est vu comme sujet unique, personnel, créé d’après
l’image et la ressemblance de Dieu, qui se refère surtout à son mystère de l’ Etre
Humain.
L’homme (o anqrwpoj) est, dans la pensée de saint Grégoire de Nysse,
„l’œuvre et l’imitation (mimhma) de la nature divine”6 et „l’image et la similitude
(eikwn kai omoiwma) de la puissance qui règne sur tous les êtres”7.
„Cet animal intelligent et raisonnable, l’homme, œuvre et imitation de la
nature divine et sans mélange - car, c’est ainsi que dans le récit de la Création il
est écrit de lui: „Il le fit à l’image de Dieu” - cet animal (to zwon) donc, l’homme,
n’avait pas en lui-même par nature, ni comme propriété essentielle jointe à sa
nature, la capacité de pâtir et de mourir...”8.
On peut voir dans ce premier texte la grande considération pour l’homme et
son état de la part de St. Grégoire. Sa pensée chrétienne se relève ici comme un
accomplissement et un développement de l’ancienne philosophie grecque en ce
qui concerne notre origine et la relation avec Dieu. Dans la perspective de
l’anthropologie des anciens grecs il s’agissait d’analyser l’homme comme
microcosme qui unit deux mondes (spirituel et matériel). La conception de St.
Grégoire est différente: l’homme est un être supérieur, créé par Dieu qui
s’exprime dans ses divers aspects.
Saint Grégoire souligne dans plusieurs passages que l’homme n’est pas son
propre créateur en soulignant sa condition éphémère9. Dieu l’a créé par son amour
et pour cette raison il doit suivre „les raisons (les pensées) élevées”10, c’est-à-dire
de „vivre par l’âme seule et imiter, dans la mesure du possible, le mode de vie des
puissances incorporelles”11. St. Grégoire veut dire que l’homme a une valeur
supérieure dans le monde et un destin surnaturel. Il est créé par Dieu et pour Dieu.
6
Ibidem, XII, 2, 1, p. 399.
Ibidem, XII, 2, 11, p. 403.
8
Ibidem, XII,2, 5, p. 401.
9
Ibidem, IV, 3, 25 – 30, p. 311; aussi IV, 4, 2, p. 313.
10
Ibidem, IV, 4, 33, p. 317.
11
Ibidem, IV, 8, 10, p. 331.
7
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La vocation de l’homme était de conduire le monde et de s’approcher de son
Créateur. Mais il a commis le péché et pour cela „il demeure mortel en effet
l’homme né mortel, qu’on l’honore ou non !”12. L’aspect tragique de l’homme –
comme on peut le voir un peu plus loin – vient de ce fait: il a été créé comme
personne libre, mais le péché l’a individualisé. C’est pour cela que St. Grégoire
insiste sur le retour de l’homme vers Dieu par la pratique de la virginité qui veut
dire par une vie vertieuse.
La plus belle définition acceptée par saint Grégoire est que l’homme „est un
être grand et précieux”13, qui, disait-il, est écrit aussi dans l’Ecriture. Il a utilise ici
une formule platonicienne, mais qui existe aussi dans l’Ancien Testament dans le
livre des „Proverbes”. On peut dire premièrement que c’est un texte qui atteste la
continuité de la pensée grecque dans l’Eglise du IV-e siècle. Il existe aussi une
distinction claire, car l’homme n’est pas considéré comme un être produit par
matière (les théories cosmologiques), ni ayant la même nature avec la divinité
(comme disait la mythologie ancienne). St. Grégoire considère l’homme en étant
créé d’après „l’archétype”14, qui ne peut pas être que le Verbe de Dieu.
Dans son œuvre saint Grégoire parle de la distinction des sexes – homme et
femme – qui n’est pas du tout une séparation ou une rupture dans l’humain. Le but
de l’existence est la procréation et la transmission de la vie.
Ces quelques éléments nous montrent que St. Grégoire prend en
considération l’origine divine de l’homme et sa dignité dans le monde. Celui-ci est
vu dans sa structure unitaire en allant vers la ressemblance avec Dieu, fait qui
n’est pas possible sans l’Incarnation du Christ. Ces choses seront mieux clarifiées
quand nous parlerons de l’homme dans sa véritable réalité: âme et corps.

III. L’âme et le corps de l’homme
St. Grégoire se base dans ce livre sur la doctrine de saint Paul en affirmant
„qu’il y a deux hommes en chacun de nous: l’un vu de dehors, destiné par nature à
se corrompre, l’autre connu dans le secret du cœur et susceptible de
renouvellement”15. On a ici la doctrine biblique de la structure humaine composée
de deux parties: l’âme et le corps.
Dans d’ autres passages il considère l’homme comme la création de Dieu:
„œuvre et imitation de la nature divine” 16, et „image et similitude de la puissance
qui règne sur tous les êtres”17.
12
Ibidem, IV, 3, 25, p. 311.
Ibidem, XII, 2, 53, p. 409.
14
Ibidem, XII, 2, 9, p. 403.
15
Ibidem, XX, 1, p. 493.
16
Ibidem, XII, 2, 2, p. 399.
13
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L’auteur fait, même dans cet œuvre qui ne traite pas de l’anthropologie, la
distinction claire des deux niveaux dans la personne humaine. L’homme est l’âme
animée par l’esprit de vie et la chair qui l’extériorise. Dans les citations ci-dessus
apparaît tout le vocabulaire que St. Grégoire utilise pour exprimer la ressemblance
de l’homme à Dieu: omoiwma, mimhma, eikwn, sans faire des distinctions techniques
entre l’un ou l’autre terme.
Quand il parle de la ressemblance et de l’image de Dieu dans l’homme, il
pense surtout à son âme ! Cette ressemblance s’inscrit dans l’âme dont la beauté
déforme est faite à l’imitation du „prototype”. St. Grégoire montre en détaille ce
que signifie les richesses qu’impliquent dans l’âme cette similitude, car il évoque
l’état paradisiaque par l’antithèse avec l’état de l’homme déchu: „Mais lorsque...
l’engrenage corrupteur du pèche eut saisi la vie des hommes, qu’a partir d’une
origine de peu d’importance, la malice se fut répandue à l’infini dans l’homme, et
que cette beauté déforme de l’âme, fait à l’imitation du prototype, eut été
obscurcie comme un morceau de fer par la rouille de la malice, l’âme ne conserva
plus désormais cette grâce d’image qui lui etait propre et selon sa nature, mais elle
se transforma en la laideur du péché”18.
D’autre part, la nature humaine, avant le péché originel, était conçue comme
presque une nature angélique:
„...l’homme n’avait pas en lui-même, par nature, ni comme propriété
essentielle jointe a sa nature, la capacité de pâtir et de mourir...; ...c’est plus tard
que s’insinua en lui la nature passible”19. Après la chute, l’homme a reçu en soi la
nature passible (to paqoj). Ce mot désigne „non seulement les impulsions
mauvaises, mais encore toutes les servitudes biologiques, animales, d’un être allié
à la matière”20. L’auteur utilise plusieurs fois l’image de la „tunique de peaux” en
se référant à la nature humaine pechereuse21. Dans un autre passage l’auteur
semble à approuver la théorie de l’existence dans le corps des quatre éléments:
l’air, l’eau, le feu, la terre22. Cette partie est considérée comme une interpolation
par les spécialistes ou bien un argument avec des idées stoïciennes, par exemple
que l’homme doit vivre en bonne santé spirituelle (dans l’équilibre des ces quatre
éléments)23.
17
Ibidem, XII, 2, 15, p. 403
Ibidem, XII, 2, 50, p. 407.
19
Ibidem, XII, 2, 10, p. 401
20
Ibidem, Introduction, p. 155.
21
Ibidem, XII, 4, 20, p. 421.
22
Ibidem, XXII, 1, 20, p. 515.
23
Ibidem, voir la note 2.
18
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En ayant une nature composée d’une âme immortelle et d’un corps mortel et
qui restent dans une union inséparable, la personne humaine ne se réduit pourtant
à ces éléments. Sans „le souffle de vie” l’homme ne peut pas vivre comme vrai et
raisonnable créature de Dieu. Pour souligner l’élément divin dans l’homme et sa
plénitude ontologique, saint Grégoire parle de l’esprit (nouj) qui est
complémentaire à l’âme et au corps. Le nouj est, pour St. Grégoire, la rationalité
de l’homme, l’intelligence qui l’enlève „vers le désir des biens supérieurs par sa
disposition naturelle à se mouvoir…”24. Dans le nouj l’homme s’accompli
comme une personne entière et il réalise sa dignité et sa condition: „… De même,
l’intelligence humaine, après avoir délaissé cette vie trouble et sale, apres que,
purifiée par la puissance et le soufle de l’Esprit, elle est devenue lumineuse et
qu’elle s’est mêlée à la pureté véritable et sublime, l’intelligence humaine ellemême resplendit en celle-ci comme par transparence, se charge de rayons et
devient lumière selon la promesse expresse du Seigneur…”25.
Tous ces textes montrent que l’homme est la créature de Dieu, composé de
deux parties et que le nouj n’est qu’un attribut sans lequel il ne peut pas exister.
A aucun moment St. Grégoire ne soutien l’existence de trois parties séparées dans
la structure de l’homme (le trichotomisme).
Il faut dire en conclusion que St. Grégoire utilise la distinction ancienne entre
l’âme et le corps, mais il va plus loin en parlant de la réalité concrète du péché
dans l’être humain. Il met ainsi en opposition l’homme extérieur avec l’homme
intérieur, l’homme spirituel avec l’homme charnel. Saint Grégoire ne perd de vue
à aucun moment l’unité de l’âme et du corps. La dualité philosophique corps-âme
est présente toujours dans ces pages, mais St. Grégoire a insisté sur la supériorité
de l’âme pour suggérer que l’homme doit participer à la vie divine. Le nouj est la
faculté par laquelle l’homme peut se déterminer par soi-même et lui donne son
caractère d’être créé à l’image de Dieu, ce que nous pourrions appeler sa dignité
de personne. C’est pour cela qu’il emploie, par exemple, le mot „apparentée”
(suggenhj) 26 entre Dieu et l’homme.
IV. Le péché
Un autre élément d’anthropologie utilisé par St. Grégoire dans cette œuvre est
la notion du péché. L’homme a été créé bon, „image du Dieu incorruptible”27,
24
Ibidem, VI, 2, 23, p. 347.
Ibidem, XI, 4, 30, p. 391.
26
Ibidem, V,5, p. 334.
27
Ibidem, XII, 2, 55, p. 409.
25
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sans mélange et sans participation au mal. En ayant „la liberté de choix”28, il
l’utilise mal et pour cela il a introduit le péché dans sa nature: „...ce malheur qui
domine maintenant sur l’humanité, c’est l’homme qui, égaré par une tromperie,
l’a volontairement attiré, devenu lui-même inventeur de la malice et point
découvreur d’une malice créée par Dieu, car „Dieu n’a pas fait la mort”, mais
c’est l’homme qui, d’une certaine manière, est devenu créateur et artisan du
mal”29.
On doit remarquer que pour St. Grégoire le péché n’a aucune réalité
ontologique. Il existe seulement par l’élection de l’homme qui a été créé avec une
volonté libre. En même temps il faut dire que le texte ci-dessus se présente comme
un argument contre le dualisme manichéen qui voulait faire du mal un principe
coéternel avec Dieu.
Le péché (soit originel, soit une réalité générale) est adventice qui recouvre
„le bien” de Dieu qui existe en l’homme. C’est un plaisir qui „fut le
commencement de la déchéance”30 de la créature de Dieu. Le mot (aisxunh) doit
être traduit ici par „plaisir” et non par „volupté”, parce que St. Grégoire „n’y a
jamais vu un péché sexuel [dans le péché d’Adam – n.n.] et marque ainsi son
indépendance à l’égard de Philon et de bon nombre de Pères. Il s’agit de la
passion générique du plaisir, dont toutes les autres passions constituent des
espèces... à la faveur d’un sentiment de plaisir (dia tinoj hdonhj) dans notre
nature…”31.
Dans un autre chapitre de ce Traité de la virginité il parle de la notion du
péché comme une déviation, un écart (paratroph) de la conduite humaine. Si on
peut définir la vertu comme un juste milieu, „la déviation vers les extrêmes situés
de part et d’autre est un vice, car c’est en prenant partout de milieu entre un
relâchement et une tension excessive qu’on distingue la vertu du vice”32. Cette
antithèse vertu-péché est utilisé plusieurs fois33 par saint Grégoire pour relever
mieux ce qui signifie le péché dans le monde et en même temps pour suggérer que
la virginité implique non seulement l’intégrité du corps et la chasteté du cœur,
mais elle exclut aussi toute faute morale quelle que soit.
On observe que St. Grégoire a une compréhension claire, orthodoxe, sur la
notion du péché qui n’est pas liée à la nature de l’âme ou du corps de l’homme. Le
péché est le résultat d’une fausse utilisation de la liberté, de la part de l’homme.
28
Ibidem, XII, 2, 13, p. 403.
Ibidem, XII, 2, 25, p. 403.
30
Ibidem, XII, 4, 17, p. 421.
31
Ibidem, cf. note 1, p. 420.
32
Ibidem, VII, 1, 20, p. 353.
33
Ibidem, VII, 2, 16; XVI, 2, 16; XVIII, 5, 6; XXII,1 16.
29
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Le mal existe seulement comme un choix de la part de l’homme. L’auteur a
peint en couleurs sombres la situation de l’homme soumis au péché, pour mieux
montrer le triomphe de la virginité, qui retrouve déjà, en quelque sorte,
l’immortalité paradisiaque.
V. La virginité et le modèle de la Mère de Dieu
Dès le premier chapitre la virginité est définie comme „noble idéal...,
précieux a tous ceux qui situent le beau dans la pureté...”34. Quelques lignes plus
loin St. Grégoire dit de la virginité ce que Saint Paul dit de l’Eglise: „don de
Dieu”, „grâce”, etc. Il voit la virginité comme propriété essentielle de la nature
divine et incorporelle.
„Il nous faut en effet beaucoup d’intelligence pour arriver à connaître
l’excellence de cette grâce dont l’idée accompagne celle de Père incorruptible, car
c’est bien un paradoxe que la virginité soit trouvée chez un père, qui possède un
fils et l’a engendrée sans passion. Elle est comprise en même temps que le Dieu
Fils unique chorège de l’incorruptibilité, puisqu’elle a resplendi simultanément
avec la pureté et l’impassibilité da sa génération: encore le même paradoxe, que la
virginité achemine à a la pensée d’un fils. Elle est contemplée également dans la
pureté essentielle et incorruptible du Saint-Esprit, car en parlant de pureté et
d’incorruptibilité, on désigne sous un autre nom la virginité. Elle est concitoyenne
de la nature hyper-cosmique tout entière...”35.
L’appartenance de la virginité à la sphère du divin est une des idées les plus
intéressantes dans cette œuvre de St. Grégoire. Cette relation entre la Sainte
Trinité et la virginité relève que la pureté appartienne „de jure” à la nature divine.
Dans un autre texte la virginité est comparée avec l’arbre de la vie36.
Mais St. Grégoire va plus loin. La virginité appartient par privilège à la
nature propre et incorporelle et „Dieu, dans son amour pour les hommes, l’a
donnée gracieusement même a ceux qu’il destinait à recevoir la vie par la chair et
le sang...”37. Les acceptations des termes parqeneia, parqenoj, parqeneuein
désignent pour l’auteur une continence parfaite, un renoncement absolu à
l’exercice de la sexualité. Les termes relèvent l’intégrité d’un corps voué à Dieu,
la vie vertueuse, la plénitude de la vie divine communiquée a l’homme. La
virginité a pour l’auteur un sens concret, précis. L’homme doit „...se rendre
étranger à toute sympathie pour son propre corps, de peur qu’un vivant selon la
34
Ibidem, I, 1, p. 257.
Ibidem, II, 1, 1, p. 265.
36
Ibidem, XXIII, 6, 20, p. 549.
37
Ibidem, II, 2, 10, p. 267.
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130
chair, on en vienne à dépendre des vicissitudes qui naissent de la chair”38.
Toutefois il faut y remarquer que St. Grégoire n’entend pas de faire de la virginité
„une chose simple”39, une idée étroite en se referant seulement à la garde de la
chair. Il y voit surtout une chose spirituelle, propre à l’âme humain.
La virginité, la vie vertueuse est, en même temps, le revers de la mort: „En
effet la procréation corporelle – que personne ne se choque de mon discours –
n’est pas plus principe de vie que de mort pour les hommes, car la corruptibilité
commence avec la génération, mais ceux qui ont rompu avec elle ont fixé en
eux-mêmes par la virginité une limite à la mort, l’empêchant d’avancer plus loin
par leur entremise: ils se sont placés eux-mêmes comme une frontière entre la vie
et la mort, et ont contenu celle-ci dans sa poussée en avant”40.
On peut croire que saint Grégoire possède un pessimisme singulier qui ne voit
par le mariage rien d’autre qu’une source de la mort. Il est vrai qu’il considère la
sexualité et le péché comme réalités générales, comme les conséquence de la
chute41, mais il ne critique jamais l’institution du mariage, parce que c’est une vie
bénie par Dieu. L’auteur nous montre des arguments forts qui sont la Naissance
du Seigneur dans une famille et l’exemple de la virginité de Mère de Dieu.
On y arrive à un autre enseignement spécifique de St. Grégoire de Nysse qui
considère la virginité des hommes réintroduite dans le monde par le Fils de Dieu
et Sa Mère (la première qui a vit la plénitude de la divinité): „...je pense que la
source de l’incorruptibilité, notre Seigneur Jésus Christ lui-même, n’est pas entrée
dans le monde par un mariage, afin de montrer par le mode de son incarnation ce
grand mystère, que seule la pureté est capable d’accueillir Dieu quand il se
présente pour entrer”42.
La mort, le péché, qui demeurerait active par le mariage a trouvé dans la
virginité et en plus dans la Mère de Dieu, une borne sur laquelle elle se brisa 43.
Nous considérons que St. Grégoire a voulu exprimer dans ce texte le modèle de
Marie et son exemple de premier „âme” qui dépasse la vie charnelle par la
virginité.
En parlant de l’importance de la Naissance de notre Seigneur saint Grégoire
met en évidence le rôle de la Vierge Marie qui consiste à Lui être associée, pour
qu’il puisse naître virginalement et, par-là, opérer le salut du monde.
38
Ibidem, IV, 8, 10, p. 331.
Ibidem, XV, 1, 5, p. 445.
40
Ibidem, XIV, 1, 5, p. 433.
41
Cf. Spidlik, Thomas, La spiritualité de l’Orient chrétien, Roma, 1978, p. 117.
42
Grégoire de Nysse, op. cit., II, 2, 15, p. 267.
43
Ibidem, XIV, 1, 26, p. 435.
39
SAINT GRÉGOIRE DE NYSSE, ÉLÉMENTS D’ANTHROPOLOGIE… 131
La Naissance du Fils de Dieu n’a pas détruit la virginité de Sa Mère et cette
virginité n’a pas empêché la femme de porter en son sein: „Ainsi sont dites
bienheureuses, dans l’Evangile, les entrailles de la Vierge sainte qui ont servi à
l’enfantement sans souillure, parce que ni cet enfantement n’a détruit sa virginité,
ni sa virginité ne l’a empechée de porter en son sein”44.
Comme j’ai dit déjà la maternité virginale de Marie est pour les chrétiens un
exemple et un modèle à suivre, car tous peuvent vivre dans la pureté engendrant le
Christ dans leurs cœurs: „Ainsi ce qui s’est accompli corporellement dans Marie
immaculée quand la plénitude de la Divinité a resplendi dans le Christ par la
virginité, cela aussi s’accomplit en toute âme qui demeure vierge suivant la raison,
non pas que le Seigneur se rendre désormais présent corporellement, puisque
« nous ne connaissions plus le Christ selon la chair, mais il vient habiter
spirituellement, et introduit avec lui le Père, comme dit quelque part l’Evangile
(Jn 14:23)”45. Le thème qui prévaut est celui de la virginité avec des applications à
notre vie. Dans cette acceptation saint Grégoire utilise les exemples de l’Ancien
Testament (le tambourin qui frappe Mariam, la sœur de Moïse, le buisson qui
brûle sans se consommer, la porte close d’Ézéchiel, la manne que l’on trouve sur
la terre non labourée) qui sont pour St. Grégoire des symboles de la virginité de
Marie46.
Fondé sur la christologie, le dogme de la Mère de Dieu (son état d’excellence
dans l’Eglise: Mère – Vierge) reçoit un fort accent.
Dans ces textes saint Grégoire montre l’excellence de la condition de Marie
en n’oubliant pas les aspects sotériologiques et anthropologiques. Si l’homme vit
dans la virginité il „attire” la présence de Dieu et aussi son état devient un, en
cohabitation avec Lui. Seule la virginité (de Marie et de tous les saints) se situe
„dans un état de connaturalité avec la source de l’incorruptibilité, notre Seigneur
Jésus-Christ”47.
44
Ibidem, XIX, 43, p. 493.
Ibidem, II, 2, 22, p. 269.
46
Ibidem, XIX, 3, p. 487.
47
Ibidem, Introduction, p. 165.
45
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VI. Conclusions
„De virginitate” a un caractère partiel du document et la doctrine y comprise
n’est pas toute la doctrine de Saint Grégoire, „ni même toute sa doctrine sur la
virginité”48. C’est un premier ouvrage „écrit par un auteur encore proche de la
rhétorique, qui n’est pas affronté aux problèmes pastoraux, dont l’expérience
religieuse n’a point encore atteint les hauteurs mystiques, telles qu’on les devine
dans In Canticum par exemple”49.
L’homme est vu dans son intégralité comme la plus belle créature du Dieu.
Ses deux parties constitutives, le corps et l’âme, sont dans une union naturelle et
l’homme participe tout entier à la vie créé par Dieu. Si l’auteur a parlé de la
supériorité de l’âme c’est seulement pour démontrer que l’homme a une autre voie
sur la terre que celle de cohabitation avec le péché, et par l’âme il peut s’élever
vers Dieu. Dans l’âme se réalise notre ressemblance avec Dieu. St. Grégoire parle
de la réalité du péché qui n’est pas ontologiquement lié à la nature humaine. Le
péché a soumis l’homme à la mort et à son état dégradant sur la terre. Toutefois,
Dieu a donné la possibilité pour l’homme de vivre avec Lui et de sortir de
l’esclavage du péché.
La virginité, qui est considérée comme un Don de Dieu, n’est pas ni un
privilège de Dieu ou quelque chose intangible, ni „une chose simple”. En vivant
dans la virginité, qui est accessible à tous, l’homme réalise la restauration de
l’image de Dieu en lui. Mariage et virginité ne sont pas deux états qui s’opposent.
Entre eux il y a une complémentarité parfaite.
Marie, la Mère de Dieu, est intimement liée par sa virginité au mystère de
l’Incarnation. Elle, dans laquelle s’accomplit premièrement la vocation de vie
supérieure, sans souillure ou péché, participe aussi au salut des hommes. On
observe l’influence de Marie dans la spiritualité chrétienne. Au IV-e siècle on
assiste à la floraison des communautés de moines et des vierges consacrées, qui
choisissent la virginité comme idéal chrétien. Il était donc normal qu’on y prit,
Notre Seigneur Jésus Christ et Marie, pour modèles.
St. Grégoire enseigne une doctrine centrée sur le mystère du Christ et de
l’Eglise et quand il parle de l’homme et de son état il ne perd jamais de vue ces
réalités et leurs implications.
48
49
Ibidem, p.210.
Ibidem.
SAINT GRÉGOIRE DE NYSSE, ÉLÉMENTS D’ANTHROPOLOGIE… 133
BIBLIOGRAPHIE
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