Introduction

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LE DOUBLE JEU • DISSERTATION • SUJET
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• Cherchez pour chaque type de double jeu l’intérêt qu’il peut
présenter.
La poésie
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– la situation, la suite de l’action ou l’intrigue…
– la position du spectateur par rapport à ce double jeu, le rôle du spectateur en présence de ce double jeu ;
– la mise en scène, le jeu des acteurs (dimension scénique, théâtralité) ;
récapitulez les différents éléments de la représentation (décor, costumes, objets, espace scénique, jeu des acteurs…).
Le théâtre
Les conséquences de ce double jeu sur :
C O R R I G É
Attention ! Les indications en couleur ne sont qu’une aide à la lecture et ne
doivent pas figurer dans votre rédaction.
Le roman
• Cherchez comment chacun des éléments ci-dessus fait ressortir le
double jeu, le rend plus efficace, émouvant, poignant, amusant…
• Indiquez les moyens dont disposent l’auteur, le metteur en scène, les
acteurs pour tirer profit de ce double jeu… Faites autant que possible
référence à des mises en scène que vous avez vues.
Convaincre…
La mise en valeur du double jeu : comment le rendre
le plus efficace ?
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C O R R I G É
Les réécritures
(Amorce) L’introduction d’un double jeu est une situation élémentaire et
récurrente dans la littérature ; il est le ressort de l’action de genres aussi
populaires et anciens que le conte, mais aussi du théâtre et, plus récemment, du roman. Ainsi, par stratagème le loup du Petit Chaperon rouge se
déguise en grand-mère… Cependant, il revêt une forme particulière au
théâtre : en effet, en l’absence de narrateur, seules sont perçues les attitudes extérieures, tandis que, dans les genres narratifs – simples comme le
conte ou plus complexes comme le roman –, le narrateur peut faire
entendre, par ses incursions dans l’âme de ses personnages et par la focalisation interne, les mouvements de l’âme de celui qui mène un double jeu.
(Annonce des parties) Ainsi, au théâtre ce double jeu peut prendre diverses
formes et constitue un ingrédient efficace, une ressource précieuse pour le
L’autobiographie
Introduction
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LE DOUBLE JEU • DISSERTATION • SUJET
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dramaturge : il crée la tension et occasionne de multiples rebondissements
dans l’intrigue, augmentant par là l’intérêt du spectateur ; il donne aussi sa
coloration à la pièce – tragique ou comique – et confère au public un statut
privilégié qui intensifie son plaisir.
I. Qu’est-ce que le double jeu au théâtre ? La variété
et la complication pour le plaisir du spectateur…
Au théâtre, tout est jeu… Mais qu’est-ce que le double jeu, qui existe aussi
bien dans la vie que sur scène ?
1. Un comportement multiple et une identité double
Ce comportement, volontaire, fait qu’on l’on agit différemment selon les
personnes à qui l’on a affaire et suppose que certains personnages ne
soient pas au courant de ce double jeu. Il implique aussi que le personnage
ait l’intention de maintenir l’équivoque. La base du double jeu est la double
identité connue de certains personnages et non des autres.
Ainsi, le valet Silvestre des Fourberies de Scapin se fait passer devant le
vieil Argante pour le frère d’une jeune fille qu’Octave, le fils du vieillard, a
épousée sans le consentement de son père, sous cette identité, et il
menace de le tuer ; dans cette même scène, Scapin, complice de Silvestre,
initiateur de la farce, feint de défendre le vieil Argante, alors même qu’il est
en train de lui jouer, en accord avec Silvestre, ce mauvais tour ; mais, pour
Silvestre, il est bien toujours Scapin, son complice ! Le stratagème porte ses
fruits : Argante se « résout à donner les deux cents pistoles » que les deux
valets cherchaient à lui extorquer…
C’est le stratagème, tant de fois repris dans les comédies de Molière et si
efficace, du jeune amoureux qui s’introduit déguisé chez sa belle, sous les
yeux même du vieux père : Cléonte, amoureux de Lucile, fille du Bourgeois
gentilhomme réussit, déguisé en Turc, ainsi à épouser la jeune fille. Dans Le
Malade imaginaire, la servante Toinette fait passer Cléante pour un envoyé
du maître de musique, venu donner, à la barbe d’Argan, le père bougon,
une leçon à Angélique qui reconnaît sous l’habit son soupirant !
Beaumarchais lui-même fait dire au comte Almaviva, un de ses personnages du Barbier de Séville, alors même qu’il s’est introduit sous le
déguisement de maître de musique dans la maison du vieux Bartholo pour
donner une (fausse) leçon à Rosine : « Prenez garde que toutes ces histoires
de maîtres supposés sont de vieilles finesses, des moyens de comédie… »
(acte III, scène 2).
2. Variété des types de doubles jeux : on ne s’ennuie pas…
Le double jeu comporte ainsi toujours une part de dissimulation. Cependant, cette « tactique » peut répondre à des intentions très variées.
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La volonté de nuire…
Cependant, le plus souvent, celui qui mène un double jeu vise à nuire et
ses intentions ne sont pas pures. Le double jeu, malfaisant, devient alors de
l’hypocrisie, dont un des exemples les plus aboutis est le personnage de
Tartuffe, devenu du reste un nom commun : le faux dévot se comporte en
homme plein de componction, suit des voies tortueuses, se sert de la religion pour son profit et la perte de la famille d’Orgon devant lequel il prend
des airs pleins d’onction, tandis qu’il se comporte en vil séducteur avec
Elmire, la femme d’Orgon.
Curieusement du reste, c’est par le théâtre – que la Compagnie du SaintSacrement condamnait pour en avoir deviné le danger …– qu’est dévoilé,
démasqué le double jeu de l’imposteur et de tous ses semblables.
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Le théâtre
Convaincre…
Le roman
De bonnes intentions…
Les mobiles du double jeu ne sont pas toujours malhonnêtes et il ne naît
pas toujours de l’intention de nuire. La politesse peut imposer un double
jeu : Alceste, le misanthrope, vient de prôner à Philinte la franchise, quoi
qu’il en coûte, et de condamner l’hypocrisie sociale :
« Non, je ne puis souffrir cette lâche méthode
Qu’affectent la plupart de vos gens à la mode… […]
Je veux que l’on soit homme, et qu’en toute rencontre
Le fond de notre cœur dans nos discours se montre »
À la scène suivante, il tente de garder les formes lorsqu’Oronte lui fait
lecture d’un poème ridicule et lui demande son avis : Alceste, au lieu d’être
sincère, alors même qu’il peste tout bas à l’oreille de Philinte, joue un
double jeu, se dérobe et dissimule sa pensée pour ne pas contrevenir aux
règles de la bienséance.
Plus positivement, le double jeu peut naître du désir de venir en aide à
autrui : ainsi, lorsque Cyrano, caché sous le balcon, prend l’identité, sinon
physique du moins intellectuelle, de Christian en lui soufflant les mots
d’amour qui sauront reconquérir la belle Roxane, il met son intelligence, son
esprit et sa poésie – et aussi son propre amour – au service de son ami
incapable de s’exprimer et lui obtient le « baiser » qu’il aurait bien voulu
cueillir lui-même sur les lèvres de Roxane… Il continuera, pendant plus de
dix ans, ce double jeu commencé sous la forme de lettres prétendues de
Christian – en réalité de sa propre plume – envoyées à Roxane. Par ce
double jeu qui le mortifie, car il est amoureux de Roxane, il sert son ami et
en même temps apaise son amour en l’exprimant de façon détournée.
L’autobiographie
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Les réécritures
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La poésie
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3. Quand le double jeu se multiplie et se complique…
Des constructions acrobatiques qui réjouissent le spectateur
et satisfont son goût de l’embrouille : comment s’y reconnaître ?
Triple…
Le schéma de base du double jeu peut aussi se compliquer et devenir triple,
pour la joie du spectateur : ainsi, dans une même scène du Barbier de
Séville, le comte Almaviva est bien lui-même pour son valet Figaro, mais il
est Lindor, jeune bachelier – c’est-à-dire étudiant – désargenté pour la jeune
Rosine qu’il veut séduire, et, pour le vieux tuteur Bartholo, un cavalier ivre
muni d’un billet de logement ou, plus loin, un élève de Don Bazile venu
donner un cours de chant à Rosine à la place de son maître malade… C’est
à partir de cet enchevêtrement d’identités, ce triple jeu, que se noue une
situation périlleuse et de plus en plus acrobatique… qui se termine parfois
par une joyeuse débandade quand la supercherie est découverte, à la suite
d’un mot malheureux prononcé un peu trop fort (le mot « déguisement » !) :
Figaro, le meneur de jeu, et le comte Almaviva se voient contraints de fuir
avec la plus grande célérité pour échapper à la colère de Bartholo !
La multiplication des jeux, jeux en cascade, jeux croisés…
Ce n’est pas un triple jeu mais une « demi-douzaine » de jeux et plus auxquels se livre Scapin, lorsque, après avoir fait entrer le vieillard dont il veut
se venger dans le fameux sac, il joue simultanément son propre rôle de serviteur zélé et dévoué, et celui, en contrefaisant leur voix, de six spadassins
à la recherche du vieillard pour le bastonner.
Parfois même, le dramaturge construit un réseau compliqué de doubles jeux
qui se croisent : les personnages du Jeu de l’amour et du hasard se livrent,
sous la houlette de Marivaux devenu presque chorégraphe, à un chassécroisé d’identités : Silvia est pour Lisette sa maîtresse, mais à son prétendant Dorante elle se présente comme sa servante ; de son côté, Dorante est
bien, pour Arlequin, son maître, mais à sa promise Silvia il se présente
comme son valet… Ces scènes très complexes satisfont le goût de la
construction et de l’« embrouille ».
Un double jeu commandité à distance…
Plus subtilement, le double jeu peut se jouer par personnes interposées,
dirigé à distance par un commanditaire : dans Les Précieuses ridicules de
Molière, les deux gentilshommes, La Grange et Du Croisy, qui ont été malproprement reçus par les deux « pecques provinciales » qu’ils étaient venus
demander en mariage, se vengent en leur envoyant leurs valets, déguisés en
marquis et vicomte : les deux lascars – qui s’adressent l’un à l’autre des
sous-entendus amusés – jouent aux jolis cœurs et aux précieux : Cathos et
Magdelon n’y voient que du feu et tombent ridiculement dans le panneau…
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Toute la pièce repose sur ce double jeu, dont le spectateur se demande
comment il va finir.
La poésie
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II. Les cas de figure multiples d’une bombe
à retardement : plaisir et angoisse du spectateur
À plusieurs
Le double jeu peut enfin prendre pour cible une multitude de personnages,
envahissant toute la pièce : Sartre fait reposer toute sa comédie burlesque
Nekrassov sur la supercherie inventée par un escroc, Georges de Valera, qui
se fait passer auprès des journalistes d’un quotidien anticommuniste pour
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Convaincre…
Le roman
À deux
Il peut se construire par rapport à deux personnages, l’un absent, l’autre
présent : c’est Perdican qui tient à Rosette – présente sur scène – des
propos que la pauvre paysanne prend pour argent comptant mais qui sont
en fait destinés à Camille, cachée derrière un buisson, témoin blessé de ce
double jeu qui fait de Rosette une victime sacrifiée sur l’autel du dépit
amoureux. Plus amusant, mais tout aussi périlleux est le stratagème
d’Elmire qui veut dévoiler à Orgon les menées hypocrites de son « pauvre
homme » de Tartuffe (acte IV, scène 5) ; c’est alors elle qui mène un double
jeu pour… dénoncer celui de Tartuffe : elle enjoint à Orgon de se cacher
sous la table – Orgon, spectateur invisible qui est sur la scène est en
quelque sorte absent…– et feint de céder aux avances du faux dévot qui,
dans cette scène, ne joue plus un double jeu et se dévoile tel qu’il est ; pour
Tartuffe Elmire joue le rôle de la femme qui se laisse séduire, pour Orgon
elle est une femme fidèle qui veut dessiller les yeux de son mari incrédule.
Le double jeu peut aussi s’exercer sur deux personnages présents sur
scène, créant ainsi une situation périlleuse pour son meneur – et sans doute
possible uniquement au théâtre – : Dom Juan, dans la scène 4 de l’acte II de
la pièce de Molière, est à la fois acteur, personnage et metteur en scène
d’un double jeu qui prend pour cible deux paysannes, Mathurine et Charlotte, à qui il adresse simultanément une déclaration d’amour enflammée.
Pour maintenir son double jeu et prolonger de façon invraisemblable ce quiproquo, il doit déployer des trésors d’habileté et user de toutes les
ressources du langage qui réjouissent le public.
L’autobiographie
Par la multiplicité des combinaisons et le large éventail de situations qu’il
offre, le double jeu introduit de la variété sur la scène, variété qui surprend
le spectateur, et c’est là une raison de son intérêt.
Les réécritures
1. Multiplicité des cas de figure : la variété sur scène
Le théâtre
Avec le double jeu, simple ou complexe, le dramaturge dispose d’un
« ingrédient » théâtral – et scénique – très efficace.
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un ministre soviétique qui a « choisi la liberté », sous le nom de Nekrassov.
Plein succès de la supercherie : le voilà fêté par le Tout Paris anticommuniste, totalement dupe ; plus gros sont ses mensonges, plus nombreux sont
ceux qui se laissent abuser par le double jeu de Nekrassov : quand celui-ci
révèle la (fausse) existence d’« une liste des fusillés » qui doivent être exécutés quand vaincra le communisme, ceux-ci fondent une association des
futurs fusillés… Le double jeu touche tous les personnages et la situation
tourne au carnaval burlesque : l’effet scénique est garanti.
2. Un ressort dramaturgique : le double jeu comme base
de l’intrigue, tenir le spectateur en haleine
Le double jeu au théâtre est ainsi plus qu’un ornement : il est souvent le
fondement même du système dramatique, la base de l’intrigue ; c’est donc
lui qui tient le spectateur en haleine.
Que serait la pièce Tartuffe sans le double jeu du faux dévot ? L’attention du
spectateur n’est retenue que par le devenir de cette comédie sinistre dont il
est le témoin averti. Qu’adviendrait-il de la structure dramatique de Ruy
Blas, dont l’action tourne tout entière autour de la double identité de son
protagoniste, laquais misérable pour le diabolique Don Salluste, premier
ministre valeureux et courageux pour la Reine d’Espagne follement amoureuse et pour les grands d’Espagne ? Ce sont les différentes phases de ce
double jeu – bien involontaire ici –, soutenu et matérialisé sur scène par les
changements d’habit symbolique (on connaît l’importance de la « livrée » du
laquais sous le manteau de premier ministre) qui constituent le fond même
du drame et qui tiennent en haleine le spectateur. Le traître des mélodrames, personnage du double jeu par excellence, crée aussi le suspense.
Dans un tout autre registre, Feydeau fait du double jeu un système
dramatique : dans ses vaudevilles, comédies au rythme haletant – Un fil à la
patte, La Dame de chez Maxim’s –, les multiples doubles jeux – notamment
ceux des couples qui se trompent – occasionnent des cascades de quiproquos, de malentendus, de rebondissements et de situations cocasses, qui
relancent sans cesse l’intérêt du public.
Le double jeu peut même constituer la base de la construction dramatique
de toute une pièce, son « moteur » – dans le théâtre policier par exemple.
Dans Huit femmes de Robert Thomas, le chef de famille vient d’être assassiné et la coupable est forcément une des huit femmes présentes cette nuitlà. Or, aux deux tiers de la pièce, la victime réapparaît, bien vivante : ce
n’était qu’une mise en scène pour que chacun des personnages se
découvre dans sa vérité.
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4. Quand le double jeu donne le ton de la pièce :
le rôle d’intensificateur
Le double jeu est essentiel dans l’intrigue mais il peut aussi colorer le ton de
la pièce en intensifiant le comique ou le tragique.
Source de comique et de burlesque
Pour peu que l’enjeu ne soit pas capital, que le double jeu soit mené par un
personnage qui a la sympathie du public, qu’il s’exerce sur un personnage
antipathique ou odieux, le double jeu est source de comique. Il est toujours
plaisant de voir un personnage duper les autres. Le spectateur admire en
esthète la prouesse et se dit : « Bien fait pour l’autre ! ». Bravo à Figaro qui
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Le théâtre
Convaincre…
L’efficacité scénique du double jeu tient au suspense qu’il crée, mais aussi
au fait qu’il est fragile et risque à tout instant d’être découvert. Quand le
spectateur partage les intérêts du personnage principal, son attention est
maintenue par la crainte de voir le secret découvert et la manœuvre
éventée : la longue scène du sac dans les Fourberies de Scapin procure
d’abord au public une saine jubilation devant la virtuosité et les talents
d’acteur du valet, mais, au fur et à mesure qu’il complique le scénario de
son double, triple, multiple jeu, le spectateur sent qu’il dépasse les bornes
et craint pour lui…, non sans raison, puisque Géronte… sort la tête du sac
et l’accable d’injures : « Ah ! infâme ! Ah ! traître ! Ah ! scélérat ! » Le double
jeu souffle ainsi le chaud et le froid sur le spectateur.
C’est qu’il comporte en lui, par sa nature même, les prémices d’un coup de
théâtre et le moment de la révélation du double jeu est toujours un temps
fort de la pièce.
Ce peut être un moment de surprise, par exemple quand le spectateur,
après avoir entendu Narcisse se faire le confident dévoué de Britannicus et
feindre la sollicitude, le voit obéir traîtreusement à Néron.
Ce peut être un moment où le spectateur sent concrètement le poids de la
fatalité sur le personnage : dans Ruy Blas, le laquais, démasqué par luimême aux yeux de la Reine par ses propres mots (« Je m’appelle Ruy Blas,
et je suis un laquais ») et par le geste symbolique par lequel il laisse
« tomber sa robe et se montr[e] vêtu de la livrée, sans épée », n’a pas
d’autre issue que la mort.
Ce peut être un moment où le personnage, ne se croyant plus surveillé, se
laisse aller à sa vraie personnalité et à ses penchants naturels et se montre
tel qu’il est, dangereux et monstrueux : c’est Tartuffe dans la dernière scène
de la pièce, où il fait frémir d’horreur le spectateur par son cynisme.
Le roman
3. Une situation fragile, la tension et les prémices d’un coup
de théâtre : une usine à rebondissements, la promesse
d’un temps fort
L’autobiographie
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Les réécritures
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fait le serviteur zélé auprès de Bartholo en le rasant et qui en même temps
favorise le duo amoureux chanté de Rosine et Almaviva, bien fait pour ce
barbon grincheux qu’est Bartholo ! Bravo à Scapin qui fait le mourant pour
se faire pardonner et met Géronte en confusion en rappelant haut et fort
« les coups de bâton », bien fait pour Géronte qui est obligé de lui pardonner malgré lui pour le faire taire !… Le double jeu intensifie le registre de
la pièce et peut, par exemple, le faire basculer du simple comique au burlesque, notamment quand les deux aspects du jeu sont en fort contraste :
Toinette est une servante, maline certes, mais servante tout de même : le
burlesque de la scène où, déguisée en médecin, elle ausculte son maître
qu’elle prétend malade du « poumon », tient au décalage – qu’entraîne son
double jeu – entre la solennité de son costume et de son ton d’une part et,
d’autre part, son latin de cuisine (« ignorantus, ignoranta, ignorantum… ») et
la trivialité ou l’absurdité des remèdes qu’elle prescrit : « boire [son] vin pur,
(…) manger du bon gros bœuf, du bon gros porc (…) et des marrons pour
coller et conglutiner », « Vous avez là aussi un œil droit que je me ferais
crever, si j’étais en votre place »…
Dans une autre pièce de Molière, le personnage picaresque du Napolitain
Sbrigani multiplie les stratagèmes et les doubles jeux pour dissuader M. de
Pourceaugnac, un gentilhomme limousin, de se marier avec la jeune Julie
(qui ne l’aime pas) : Sbrigani se prétend son ami et protecteur, puis lui
dépeint la jeune Julie comme une coquette : sous sa fausse identité, il maintient ainsi le comique tout au long de la pièce.
Parfois, le plaisir du public vient du fait même qu’il est perdu et qu’il ne s’y
reconnaît plus. Feydeau invente le double jeu en cascade : dans ses vaudevilles, où tout le monde trompe tout le monde, une équivoque l’amène à en
inventer une autre, deux autres, trois autres, jusqu’à la catastrophe finale,
qui débouche sur le dénouement dans la joie et la farandole…
Source d’inquiétude et de terreur
Mais quand le spectateur ne partage pas les intérêts du dissimulateur, c’est
la crainte qui le tient, crainte pour les victimes virtuelles qu’il voit, totalement
impuissant, trompées, se précipitant dans un gouffre parfois tragique : c’est
la Monime de Racine que le roi Mithridate, amoureux d’elle mais qu’elle
n’aime pas, trompe pour connaître ses véritables sentiments, en prétendant,
alors qu’il n’en a nullement l’intention, qu’il veut lui faire épouser Xipharès,
celui qu’elle aime : la jeune femme tombe dans le piège et se perd. Racine
recourt là, pour emplir le spectateur de terreur, au même type de double jeu
que celui qu’invente Molière dans l’Avare : Harpagon feint de vouloir donner
à son fils, crédule, la belle Marianne, qu’en fait il se destine à lui-même ; et
dans cette scène au jeu sinistre, la pièce n’est plus vraiment une comédie…
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Le piège se referme parfois sur le personnage même qui joue le double jeu,
pour sa perte : Ruy Blas est l’artisan de son propre malheur, et le spectateur, lucide lui, assiste à sa chute progressive et inéluctable. Le double jeu,
source d’angoisse et de terreur, intensifie le tragique,
La poésie
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Le double jeu est essentiel dans l’intrigue, dans le registre, mais il peut aussi
agir comme un puissant révélateur de l’âme humaine ; il fait alors du spectateur un observateur privilégié de la psychologie du personnage et de son
entourage.
Le théâtre
III. Le double jeu, un « révélateur » de l’alchimie humaine ;
la position privilégiée du spectateur
Le roman
Le double jeu donne en effet le spectacle d’une manipulation adroite d’un
personnage par un autre et révèle alors la noirceur et l’habileté – parfois
sadique – de l’un, la vulnérabilité et la souffrance de sa « victime » : le
double jeu auquel Néron contraint Junie devant Britannicus à la fois dévoile
la cruauté habile et cynique de l’empereur et permet à Racine de donner sur
scène le spectacle de la torture morale et de ses effets destructeurs sur
Junie et, par là, celui du dépit amoureux et de l’incompréhension de Britannicus. Le double jeu agit alors comme un triple révélateur.
De même, la sinistre comédie que Perdican joue à Rosette et à Camille
révèle le dépit du jeune homme et sa cruauté, mais aussi son amour pour
Camille. « Le personnage se dédouble et en même temps, nécessairement,
se révèle, à travers l’apparence. […] Ce dédoublement devient transparent
pour le spectateur. […] Le dedans d’une âme se montre et se livre, comme
un vêtement dont on nous montrerait la doublure » (Henri Lefevbre, Musset)
Convaincre…
1. « Le personnage se dédouble et se révèle »
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Les réécritures
Le double jeu peut prendre la forme de la dissimulation de quelques sentiments du personnage à soi-même : Silvia, la jeune aristocrate du Jeu de
l’amour et du hasard, joue un double jeu en donnant une fausse interprétation de ses réactions : elle invoque comme raison de son attitude
bienveillante à l’égard de celui qu’elle croit être un valet des sentiments
d’humanité, alors qu’il s’agit en fait de la naissance de l’amour.
Le public a alors le plaisir de mieux la comprendre qu’elle ne se comprend
elle-même : il discerne les véritables mobiles (l’amour…) d’un double jeu
dont le personnage n’est pas clairement conscient. C’est le principe même
de presque tout le théâtre de Marivaux et du marivaudage amoureux.
L’autobiographie
2. Mieux comprendre le personnage qu’il ne se comprend
lui-même
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Plus subtilement, le spectateur peut, en observant ce stratagème inconscient du personnage, apprendre sur l’âme humaine, donc sur lui-même : il
voit sur scène les ruses qu’emprunte, inconsciemment, tout amour naissant.
3. Le double jeu installe le spectateur dans une position
privilégiée
Mais, au fond, la satisfaction que procure au spectateur le double jeu au
théâtre, c’est celle de se sentir « au-dessus » de la mêlée : il a la position du
détective qui démêle les stratagèmes, les faux-semblants, les impostures
parce qu’il a réuni plus d’informations que n’importe lequel des personnages qui se débattent sur scène, puisqu’il en sait plus qu’eux – plus que
ceux qui sont trompés, mais aussi parfois plus que ceux qui trompent : seul
à dominer la situation, il est omniscient, telle une divinité qui voit les pauvres
hommes se débattre dans un jeu parfois comique – le rire est marque de
supériorité –, parfois tragique. Le double jeu, par exemple, lui procure la
satisfaction de tout comprendre, par exemple les quiproquos – c’est la
satisfaction de se penser plus intelligent que les personnages –, de prévoir
les conséquences du double jeu, c’est-à-dire de dominer en partie l’action –
c’est le plaisir d’égaler le dramaturge –, de pénétrer le fond de l’âme
humaine – c’est la fierté d’égaler Dieu, en somme.
En même temps, les conventions du théâtre l’empêchant de se conduire
comme un public d’enfants qui, ignorant les lois du genre, avertit Guignol de
la présence menaçante du gendarme, le spectateur est au supplice de
devoir rester « hors jeu », alors qu’il brûle d’envie d’intervenir pour empêcher
la catastrophe : ce tiraillement même entre son sentiment de supériorité
divine et omnisciente et son incapacité à agir, c’est-à-dire sa faiblesse née
de son statut de spectateur, est l’essence même du plaisir dramatique, et le
double jeu intensifie ce plaisir.
Conclusion
Rares sont les dramaturges qui n’ont jamais eu recours au double jeu pour
maintenir l’intérêt du spectateur ou pour susciter en lui rire ou angoisse.
Procédé sophistiqué qui crée une mise en abyme, le double jeu introduit en
somme le théâtre dans le théâtre, il est annonciateur de coups de théâtre, et
du même coup il double le plaisir dramatique. Il donne au public un statut
privilégié qui l’implique dans l’action, le fait subrepticement entrer dans le
jeu même et ainsi transgresser la barrière invisible qui sépare la salle de la
scène.
Seuls le monologue et l’aparté portent en eux les mêmes vertus : celles
d’augmenter l’intérêt et le plaisir du spectateur, à qui ils confèrent une existence et un rôle de confident réduit au silence, mais valorisé.
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