Stomatite et agueusie induites par candésartan
C. Chen1, D. Chevrot2, C. Contamin3, T. Romanet1, B. Allenet1et M. Mallaret2
1Département pharmacie; 2Centre régional de pharmaco-vigilance;
3Service de néphrologie-dialyse-transplantation, CHU de Grenoble
articles originaux
Néphrologie Vol. 25 n° 3 2004, pp. 97-100 97
Résumé • Summary
Quelques cas de dysgueusie ou d’agueusie ont été rapportés
chez des patients traités par antagonistes de l’angiotensine II, tels
que le losartan (5 cas), le valsartan (1 cas), l’éprosartan (1 cas).
Nous rapportons le premier cas d’agueusie sous candésartan,
associée à une stomatite. Un traitement anti-hypertenseur par
candésartan (antagoniste des récepteurs de l’angiotensine II) est
débuté à la posologie de 4 mg par jour, chez un homme trans-
planté rénal de 46 ans. Six mois après le début du traitement, le
patient développe progressivement une agueusie, associée à des
sensations de brûlures buccales. Il se plaint aussi d’aphtes récidi-
vants, de stomatite, et de perlèche. Ce contexte induit une ano-
rexie conduisant à un amaigrissement de 8 kg en treize mois. Le
traitement par candésartan est arrêté treize mois après son intro-
duction. En deux à trois semaines, tous les symptômes disparais-
sent. Le patient retrouve l’appétit, ainsi que des perceptions gus-
tatives normales.
La chronologie des événements incluant l’évolution favorable
à l’arrêt du médicament suggère l’existence d’une relation cau-
sale entre candésartan et l’agueusie associée à une stomatite.
Mots-clés: Agueusie – Stomatite – Candésartan – Antagoniste
des récepteurs de l’angiotensine II.
Cases of dysgeusia or ageusia have been reported in patients
treated with angiotensin II receptor antagonist such as losartan
(5 cases), valsartan (1 case), eprosartan (1 case). This is the first
case-report of ageusia following candesartan. A 46-year-old-
male patient, with a medical history of renal chronic reject allo-
graft disease, started candesartan 4 mg once daily to treat high
blood pressure. Six months later, a progressive ageusia occurred
with a burning mouth syndrome. He also developed aphtous
ulcers of the mouth, stomatitis and perleche, which led him to
lose 8 kilos within 13 months. Thirteen months after the begin-
ning of the treatment, candesartan was stopped. The symptoms
and lesions required 2 to 3 weeks to disappear. Subsequently,
appetite was found again as well as the sense of taste. The tem-
poral sequence of events suggests a causal relationship between
ageusia and candesartan.
Key words: Ageusia – Stomatitis – Candesartan – Angiotensin II
receptor antagonist.
Quelques cas de dysgueusie ou d’agueusie ont été décrits avec
les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II. Nous rappor-
tons le premier cas d’agueusie survenant sous candésartan.
Présentation du cas
Un traitement anti-hypertenseur par candésartan cilexetil,a
antagoniste des récepteurs de l’angiotensine II, est débuté à la
posologie de 4 mg par jour chez un homme transplanté rénal de
46 ans, après l’arrêt d’amlodipinebresponsable d’œdèmes des
membres inférieurs. Le patient est porteur d’une néphropathie
interstitielle. Le traitement habituel du patient se compose d’une
trithérapie immunosuppressive antirejet (tacrolimusc3 mg/j, myco-
phénolate motild2 g/j, prednisonee5 mg/j) ainsi qu’aténololf
100 mg/j, furosémide 40 mg/j,gallopurinolh100 mg/j, et alfacal-
cidioli25 µg 2 fois/semaine.
Le patient développe six mois après le début de candésartan,
une agueusie avec perte totale des perceptions gustatives (amer,
sucré, salé), associée à une intolérance aux aliments acides, chauds
et froids. Il se plaint de brûlures et de sécheresse buccales, mais
pas de goût métallique. L’examen buccal révèle une glossite éro-
sive, des lésions aphtoïdes inflammatoires sur les gencives, le
palais, et les muqueuses jugales. Ces lésions entraînent des dou-
leurs importantes, particulièrement lors des repas, obligeant le
patient à se nourrir d’aliments mous (yaourt, compote, riz). Les
aAtacand®– Laboratoire Astra Zeneca.
bAmlor®– Laboratoire Pfizer.
cPrograf®– Laboratoire Fujisawa.
dCellcept®– Laboratoire Roche.
eCortancyl®– Laboratoire Aventis.
fTenormine®– Laboratoire Astra Zeneca.
gLasilix®– Laboratoire Aventis.
hZyloric®– Laboratoire GlaxoSmithKline.
iUn Alpha®Laboratoire Léo.
douleurs et l’anorexie secondaire le conduisent à un amaigrisse-
ment de 8 kg en treize mois. A l’examen clinique, il n’y a pas
d’hypoesthésie sensitive linguale, pas d’anosmie, pas d’autre
atteinte sensorielle, ni de neuropathie périphérique. En raison de
lésions érosives muqueuses, il n’a pas été pratiqué de test de la
gustation.
Devant cette stomatite persistante, une connectivite et une
maladie de Behçet sont écartées; il est recherché, dix mois après
l’introduction du candésartan, un virus herpès buccal dont la
présence est confirmée. La posologie de tacrolimus est dimi-
nuée. Un traitement associant valaciclovir j1 g/j et des bains de
bouche (triclocarban;kchlorhexidine-chlorbutanoll) est institué
pendant 10 jours, sans amélioration clinique. Une supplémenta-
tion en zincmà 67,4 µg/jour est prescrite pour quinze jours sans
résultat probant. Trois mois plus tard, aucune amélioration cli-
nique n’est constatée: asthénie, anorexie, agueusie, aphtes, et
perlèche. Ces derniers symptômes sont invalidants dans la vie
quotidienne du patient. Le candésartan est arrêté définitivement
après treize mois d’utilisation, en même temps qu’un arrêt tran-
sitoire du tabac chez ce patient fumeur de 20 cigarettes/jour
depuis l’âge de 30 ans. En deux à trois semaines, tous les symp-
tômes et les lésions disparaissent. Le patient retrouve l’appétit
ainsi que des perceptions gustatives normales. Sa tension arté-
rielle reste stable à 130/80 mmHg, malgré l’arrêt de l’anti-hyper-
tenseur. Le sevrage tabagique est de courte durée (1 mois):
l’agueusie et la stomatite ne récidivent pas avec la reprise de tabac.
Discussion
Les stomatites et les agueusies peuvent avoir une origine
médicamenteuse. Parmi les médicaments les plus souvent res-
ponsables, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) sont
fréquemment cités. En revanche, les inhibiteurs des récepteurs
de l’angiotensine II, médicaments plus récents, sont rarement
mis en cause. Des cas de dysgueusie-agueusie ont été rapportés
chez des patients traités par certains antagonistes de l’angioten-
sine II, tels que le losartan,1-5 et le valsartan.6Un seul cas a été
décrit sous éprosartan.7A l’heure actuelle, aucun cas sous can-
désartan n’a été publié (tableau I).
Le mécanisme de ces troubles du goût n’est pas élucidé. A la
différence d’autres médicaments (IEC), il n’y a pas d’arguments
en faveur d’une éventuelle carence associée en zinc. Certains
auteurs ont rapporté l’effet bénéfique du zinc lors de dysgueu-
sies induites par certains IEC :8-10 les IEC, par une action chélatrice
pourraient favoriser une carence en zinc au niveau des récep-
teurs sensoriels gustatifs, zinc-dépendants, occasionnant ainsi
des dysgueusies. Il n’y a pas actuellement d’étude sur les effets
des antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II sur le méta-
bolisme du zinc. Dans le cas décrit, la supplémentation en zinc
n’a apporté aucune amélioration clinique.
Une interaction médicamenteuse pourrait être évoquée entre
le candésartan et les immunosuppresseurs. En effet, de nom-
breuses interactions avec le tacrolimus ont été identifiées. Elles
sont principalement liées à sa puissante action inhibitrice sur le
cytochrome P450 3A4. Toutefois, le métabolisme hépatique du
candésartan reste limité et est réalisé principalement par l’isoen-
zyme 2C911 et non par le 3A4. Une interaction médicamenteuse
entre le candésartan et les immunosuppresseurs pris par ce
patient, semble peu probable en regard des données disponibles
sur le métabolisme de ces médicaments.
Parmi tous les médicaments pris sans interruption par ce
patient, le tacrolimus et le mycophénolate mofétil ont été décrits
comme pouvant induire certains symptômes présentés par le
patient. En effet, asthénie, perte de poids, anorexie et dysgueu-
sie ont été rapportés avec le mycophénolate mofétil.11 Des modi-
fications de poids et d’appétit ont été décrites sous tacrolimus.1
Dans notre cas, la posologie de tacrolimus a été réduite devant
les prélèvements oraux positifs pour le virus de l’herpès, évoca-
teurs d’une immunosuppression trop intense. Mais cette diminu-
tion de posologie ne s’est pas accompagnée d’une régression
des effets indésirables. L’amélioration clinique, alors que les trois
immunosuppresseurs n’ont pas été arrêtés, n’est pas en faveur
du rôle de ces médicaments, dans la genèse des troubles.
articles originaux
Néphrologie Vol. 25 n° 3 2004
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jZelitrex® – GlaxoSmithKline.
kSeptivon® – Chefaro-Ardeval.
lEludril® – Pierre Fabre Médicament.
mZinc Oligosol® – Laboratoire Labcatal.
Tableau I : Points convergents et divergents des cas répertoriés sous antagonistes de l’angiotensine II.
Molécule Référence Traitement Agueusie Délai Goût Sensation Ulcérations Inflammation Délai Réintroduction
bibliographique antérieur ou dysgueusie d’apparition métallique de brûlure buccales de la muqueuse de disparition
par IEC des troubles buccale buccale des troubles*
Losartan Goffin1Lisinopril Dysgueusie 3 semaines ND Oui Oui Oui 2 semaines Non
Losartan Heeringa2Enalapril Dysgueusie 1 semaine Oui ND ND ND ND ND
Losartan Heeringa2Perindopril Agueusie 3 mois ND Oui ND ND 1 semaine ND
Losartan Malnick3Captopril Dysgueusie Quelques Oui ND ND ND ND Oui: positive
jours
Losartan Ohkoshi4Non Agueusie 2-3 semaines ND ND Non ND Quelques ND
jours
Losartan Schlienger5Non Agueusie 3-7 semaines ND Oui ND ND 2-3 semaines ND
Valsartan Stroeder6ND Dysgueusie ND ND ND ND ND ND ND
Eprosartan Castells7Non Dysgueusie 3 semaines Oui Oui Non ND 1 semaine Oui: positive
Candésartan
Perindopril Agueusie 6 mois Non Oui Oui Oui 2-3 semaines Non
ND : Non documenté; * après arrêt de traitement.
L’infection locale par le virus de l’herpès a pu participer à la
gingivostomatite,12 mais n’explique pas les troubles importants
gustatifs chez ce patient. Les dysgueusies sont peu ou pas signa-
lées lors d’infections herpétiques et le traitement antiviral n’a pas
amélioré les symptômes. De surcroît, la chronologie des événe-
ments est plus en faveur du rôle du candésartan.
Le tabagisme du patient a pu favoriser la survenue d’anorexie
et de troubles du goût, mais n’induit pas de gingivostomatite. Le
patient n’a pas eu d’affection buccale pendant les seize pre-
mières années de dépendance à la nicotine. La rechute taba-
gique pendant plus de six mois, n’a pas été suivie d’une récidive
de l’agueusie.
Conclusion
La méthode française d’imputabilité attribue au candésartan
une imputabilité plausible dans l’apparition de ces différents
troubles. En effet, le bilan étiologique réalisé s’est avéré négatif.
De plus, la chronologie des événements est évocatrice d’une
relation causale entre la prise de candésartan et la survenue des
effets indésirables: l’arrêt du candésartan coïncide avec une dis-
parition totale en deux à trois semaines et surtout définitive de
l’agueusie et de la stomatite. Le patient a ainsi pu retrouver une
vie normale. On ne peut cependant exclure la participation de
facteurs associés tels que tacrolimus, mycophénolate mofétil,
herpès virus, tabagisme dans la genèse des troubles.
Les troubles du goût associés ou non à une stomatite sont
très invalidants. Devant une dysgueusie et une stomatite ne
régressant pas lors d’un traitement symptomatique, une étiolo-
gie médicamenteuse doit toujours être recherchée. Si l’arrêt du
médicament est possible médicalement et s’il est suivi d’une
guérison rapide, cette hypothèse diagnostique sera confirmée.
Adresse de correspondance:
Mme Carole Chen
Service pharmaceutique
Hôpital neuro-cardiologique
BP Lyon Montchat
F-69394 Lyon Cedex 03
i
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12. Berkow R. Manuel Merck de diagnostic et de thérapeutique. 2eéd. Paris:
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Date de soumission : août 2003 Date d’acceptation : novembre 2003
articles originaux
Néphrologie Vol. 25 n° 3 2004 99
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