Laboratoire de Psychologie des Pays de la Loire Unité de Neuropsychologie – CHU d’Angers Centre Régional de Rééducation et Réadaptation Fonctionnelles Sémiologie neurocognitive des tumeurs cérébrales et évaluation Didier LE GALL, Ghislaine AUBIN Introduction L’approche neuropsychologique est largement défendue dans le champs de la neurochirurgie. La littérature montre qu’elle est très négligée dans les travaux de recherche et les pratiques cliniques s’intéressant aux tumeurs cérébrales (par exemple Taphoorn et Klein, 2004 ; Talachi et al., 2011) Introduction L’étude des perturbations neuropsychologiques (qualité de vie) des patients porteurs de tumeurs cérébrales est importante : 1. Les données de l’imagerie cérébrale ne nous informent pas sur la situation clinique du malade. 2. Les capacités physiques du patient et ses réalisations des activités de vie quotidienne ne reflètent pas son statut cognitif et sa qualité de vie. Effets significatifs sur la Qualité de vie Troubles cognitifs > déficits physiques Prédicteurs de la survie des patients (Meyers et al. 2000 ; Sherman et al., 2004 ; Olson et al., 2010) 3. Le choix du traitement peut dépendre de son effet neurotoxique (cognitif) et son impact sur la qualité de vie Introduction Peu d’intérêt porté à l’évaluation neuropsychologique : A la phase pré-opératoire En post-opératoire A plus long terme Le travail n’est pas aisé Les déficits cognitifs peuvent être causés par : La tumeur elle-même L’épilepsie en lien avec la tumeur Le traitement (chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie, corticostéroïdes, antiépileptiques) Il n’existe pas d’outils d’évaluation cognitive sensibles et faciles à utiliser Introduction Quelques travaux ont été réalisés (fonctions cognitives, qualité de vie) Une cinquantaine de papiers chez l’adulte depuis 1995 Évaluation, souvent globale, en pré-opératoire Effets de la rééducation Qualité de vie Évaluation post-opératoire Évaluation de fonctions cognitives précises, en particulier en chirurgie éveillée Introduction les Français sont peu représentés dans la littérature internationale : o 2 équipes ont publié au moins un article (Lille, Montpellier), o Une autre 1 abstratct. Objectif de la présentation Montrer qu’il est probablement possible de faire mieux et que c’est sans doute dans l’intérêt des malades. Trois points seront abordés : Les modalités de l’évaluation Les résultats de ces travaux Les problèmes posés à/par l’évaluation I. Quelle évaluation pour les tumeurs cérébrales ? On peut repérer 3 types d’évaluation, finalement classiques en neuropsychologie clinique : i. A l’aide d’échelles cognitives globales ii. Sur la base d’une batterie exhaustive d’épreuves cognitives iii. D’une fonction cognitive, voire d’une composante d’une fonction cognitive. I. 1. Échelles cognitives globales Ce sont des épreuves dites de screening, assez souvent utilisées en neurologie. Utilisation également très répandue dans la clinique des tumeurs cérébrales (Olson et al., 2011a). L’outil le plus utilisé est le MMSE qui vise l’objectivation de troubles cognitifs assez importants. Coté sur 30 points, il teste : L’orientation La mémoire épisodique Le calcul Le langage Le dessin I. 1. Échelles cognitives globales Un des inconvénients de l’application de cet outil dans les tumeurs cérébrales c’est qu’il manque de sensibilité. Olson, 2011 : 40% des malades présentent des métastases, 43,6% des tumeurs de haut grade et 15, 4% des tumeurs de bas grade. 12,8% des malades un score déficitaire au MMSE (< 26/30). La plupart avaient un score de 29 ou 30 (35,9% ont 30). • • Bilan neuropsychologiques plus exhaustif • • MMSE vs NAB (Neuropsychological Assessment Battery) MMSE vs RIST (Reynolds Intellectual Screening Test). Le tiers des patients performants au MMSE est considéré déficitaire à ce bilan exhaustif I. 1. Échelles cognitives globales Pas de convergence entre les scores au MMSE et les échelles de qualité de vie (FACT-Br : Assessment of Cancer Therapy-Brain ; CIQ : Community Integration Questionnaire). Travaux de l’équipe de Howard Chertkow (l’université de Montréal) Proposition d’un nouvel outil de screening : MoCA (pour Montréal Cognitive Assessment). Outil adapté pour isoler les troubles cognitifs modérés (MCI) Plus sensible que le MMSE (Gauthier et al., 2006 ; Smith et al., 2007) Olson et al. (2011a) : MMSE vs MoCA o MoCA plus sensible dans la détection des troubles cognitifs des tumeurs cérébrales o corrélations avec le CIQ et le FACT-Br (domaine visuo-spatial et exécutif/productivité pour le CIQ et domain Function pour le FACTBr). ≠ MMSE Travaux de l’équipe de Howard Chertkow (l’université de Montréal) o Le MoCA > MMSE dans l’évaluation de : l’attention des fonctions exécutives de la mémoire différée Utilisation des « cut-off scores » (<26) : le MMSE et le MoCA ont un rendement diagnostic décevant pour la détection des troubles cognitifs dans les tumeurs cérébrales MoCA 53,8% contre 12,8% au MMSE Le MoCA serait donc un outil utile d’autant que Olson et al. (2011b) montrent la supériorité de l’épreuve pour les métastases cérébrales. I. 2. Batterie exhaustive d’épreuves cognitives Deux tendance se dégagent : Utilisation de batteries composites constituées de plusieurs épreuves neuropsychologiques bien validées (Taphoorn et Klein, 2004 ; Talacchi et al., 2011) Utilisation de batteries dédiées (Papagno et al., 2012) I. 2. Batterie exhaustive d’épreuves cognitives Taphoorn et Klein (2004) : Étude effectuée avec des malades porteurs de gliomes de bas et haut grades Protocole assez complet d’une durée de 60’ : Épreuves perceptives et visuo-spatiales (bissection de lignes, test de reconnaissance faciale de Benton, test de jugement d’orientation de lignes, épreuve de code). Épreuves de mémoire (15 mots de Rey, mémoire de travail), Épreuves exécutives et attentionnelles (Stroop test, fluence verbale catégorielle, Trail Making Test), Épreuve d’efficience intellectuelle (NART). I. 2. Batterie exhaustive d’épreuves cognitives Protocole proposé par Talacchi et al. (2011) : Dominance manuelle (Inventaire d’Edinburg) Processus intellectuels (PM 47) Fonctions exécutives (Fluence verbale FAS, TMT) Mémoire (empans de chiffres, 15 mots de Rey rappel immédiat et différé, supraspan spatial, restitution de mémoire de la figure de Rey) Langage (dénomination d’objets) Praxies (copie de dessins, praxies gestuelles, praxies faciales) Gnosies (dénomination des parties du corps, dénomination des doigts) Questionnaires évaluant l’humeur (BDI) et l’anxiété (STAI). I. 2. Batterie exhaustive d’épreuves cognitives Milano Biococca Battery (MIBIB) proposée par Papagno et al. (2012) : o Batterie d’évaluation spécifiquement dédiée à l’étude des tumeurs cérébrales : Forme réduite (45’) rassemblant les épreuves possédant une sensibilité aux atteintes cérébrales globales et spécifiques o Fluence verbale phonémique et catégorielle Dénomination de personnes et d’objets Apprentissage d’une liste de mots Trail making test (TMT) ou Weigl test Un suivi de 3 mois est recommandé pour détecter les modifications qui pourraient survenir. I. 3. Évaluation cognitive spécifique a. La mémoire o o Salander et al. (1995) Étude portant sur les troubles de la mémoire chez des malades porteurs de gliomes. 11 patients évalués o Épreuves neuropsychologiques (PM 47, WCST, fluence verbale, cubes de Kohs, etc.) o Épreuves de mémoire prospective, de travail et à long terme (apprentissage selon la technique du selective reminding de mots imageables ou pas) I. 3. Évaluation cognitive spécifique a. La mémoire −o +o Salander et al. (1995) Les malades avec des tumeurs frontales et temporales présentent un déficit sévère de la mémoire à long terme, La mémoire prospective, procédurale et à court terme est préservée. I. 3. Évaluation cognitive spécifique a. La mémoire Salander et al. (1995) I. 3. Évaluation cognitive spécifique a. La mémoire o Carlesimo (2012) : Le déficit de mémoire épisodique/déclarative est probablement le désordre cognitif le plus fréquent même si la lésion n’affecte pas directement les structures du circuit de Papez. o Ces troubles sont liés à une atteinte du lobe frontal, ou de ses connections, qui joue un rôle dans le fonctionnement de la mémoire déclarative, Talacchi et al. (2011) : 50% des malades ont des troubles de mémoire I. 3. Évaluation cognitive spécifique a. La mémoire Le lobe frontal intervient à 2 niveaux : 1. En mettant à disposition les ressources attentionnelles et exécutives pour procéder à l’encodage des informations à mémoriser 2. En mobilisant les stratégies de recherche les plus efficaces pour la récupération des informations spécifiques à une expérience personnelle Carlesimo (2012, voir aussi Miotto, 2012 ; Miotto et al., 2012) : 2 grands tableaux de perturbations mnésiques : Amnésie hippocampique Amnésie frontale I. 3. Évaluation cognitive spécifique b. Le langage Travail de l’équipe de Duffau (Moritz-Gasser et al., 2012) : o Étude de la vitesse d’accès lexical à l’aide des temps de dénomination au DO 80 et au BDAE. 12 malades avec gliomes de bas grade Chirurgie éveillée o o I. 3. Évaluation cognitive spécifique b. Le langage Travail de l’équipe de Duffau (Moritz-Gasser et al., 2012) : o Élévation des temps de réponse Sans altération de la qualité de la dénomination. Lenteur de production impossibilité de retour au travail pour : 63% des malades porteurs d’une lésion TG 27% des malades avec tumeur FG o o • • Les auteurs préconisent d’inclure cette mesure dans l’évaluation neuropsychologique des patients Teixidor et al. (2007) : MDT verbale (BDAE) est altérée chez 91% des malades en phase préopératoire I. 3. Évaluation cognitive spécifique c. Les gnosies o o o o Gainotti (2012) : L’agnosie tactile est fréquente dans les tumeurs affectant les régions pariétales La prosopagnosie aperceptive liée à des gliomes postérieurs bilatéraux. Agnosie auditive Surdité verbale Rarement liées aux tumeurs cérébrales Campanella et al. (2010) : Troubles de la reconnaissance des outils Aucun problème pour les items appartenant à la catégorie du vivant. I. 3. Évaluation cognitive spécifique c. La prise de décision • • Mattavelli et al. (2012) : 22 malades porteurs de gliomes frontaux de bas grade Version informatisée de l’Iowa Gambling Task (IGT) ? Déficit spécifique pour les tumeurs frontales droites • • Les malades sont moins performants que les sujets de contrôle sains Pas d’effet de localisation (droite vs gauche) de la lésion II. Les résultats Plusieurs constats : Beaucoup de travaux portent sur l’évaluation pré-opératoire Quelques uns concernent l’évaluation en cours d’intervention Certains portent sur les compétences post-opératoires Des études comparent les données pré/post et le suivi à long terme. les déficits cognitifs affectent préférentiellement : o la mémoire o les fonctions exécutives o l’attention o dans certains cas le langage. Aggravation des performances sur ces différents registres au décours de l’intervention, en fonction du site lésionnel, pour se rétablir à distance. II. Les résultats Teixidor et al. (2007) : Malades porteurs de gliomes de bas grade situés dans les zones du langage. 91% des malades présentent des difficultés en MDT-V en pré-opératoire et 96% en post-opératoire. Le pourcentage de patients présentant des scores < à la norme augmente en post-opératoire immédiat. o o o Les résultats sont significativement différents pour La compréhension des consignes La répétition de phrases concrètes et abstraites L’épellation et la dictée de phrases. II. Les résultats L’aggravation semble transitoire : o A 3 mois, sur les 8 malades examinés : 5 retrouvent leur état pré-opératoire 3 se sont améliorés au-delà de cette évaluation. II. Les résultats II. Les résultats Papagno et al. (2012) : Malades porteurs de gliomes de bas grade Évalués en pré-opératoire et à 3 mois de l’intervention Les performances : o En pré-opératoire, sont dans les normes o Elles déclinent après la résection de la tumeur o S’améliorent ensuite II. Les résultats Papagno et al. (2012) : II. Les résultats • • • Talacchi et al. (2011) : Malades porteurs de gliomes de haut et bas grades Résultats proches de ceux de Papagno et al. (2012) 79% des malades présentent des déficits cognitifs : la mémoire visuo-spatiale (figure de Rey mémoire) la mémoire verbale (apprentissage 15 mots de Rey) fluence verbale Le domaine le plus touché est celui des fonctions exécutives En post-opératoire : 24% (7) malades s’améliorent 38% (11) ont un statut cognitif inchangé 38% (11) s’aggravent II. Les résultats • • Talacchi et al. (2011) : Les tumeurs importantes : Associées à un risque d’aggravation Aggravation concernant préférentiellement les fonctions exécutives (FAS, TMT B) Les tumeurs de hauts-grades associées à une amélioration (Fluence verbale, TMT B, mémoire verbale, mémoire visuo-spatiale). II. Les résultats Santini et al. (2012) : Gliomes affectant les aires du langage. Les épreuves les plus échouées en pré-opératoire sont strictement les mêmes que dans le travail de Talacchi et al. (2011). Pas de corrélations entre les caractéristiques de la tumeur et la présence ou l’absence d’un déficit cognitif Les comparaisons entre les scores pré, post-opératoires et de suivi (3 à 6 mois plus tard) : o Dégradation des performances dans les épreuves de : • Fluence verbale (FAS) • Attention (TMTb) • Mémoire verbale (15 mots de Rey) • Mémoire de travail II. Les résultats Le déclin cognitif Les fonctions exécutives La mémoire verbale Amélioration des tumeurs de hauts-grades > tumeurs de bas-grade Le suivi à 6 mois montre : Pas de différence entre les scores pré-opératoires et du suivi Pas de différence entre scores post-opératoires et résultats du suivi à 6 mois III. Les problèmes posés à/par l’évaluation 3.1 Les populations étudiés Les populations d’études sont souvent assez hétérogènes. Par ex. certaines études dédiées aux gliomes ne différencient pas les tumeurs de bas grade et de haut grade Pas de prise en compte des localisations spécifiques des lésions : Pourtant leur impact sur la cognition est connu Problème de construction des protocoles d’évaluation o o Exemple des lésions frontales : Ne provoquent pas que des troubles des fonctions exécutives Souvent, utilisation de 2 ou 3 tâches exécutives classiques dont la validité est discutable Pas d’étude de la cognition sociale et du comportement L’effet de l’âge n’est jamais évoqué III. Les problèmes posés à/par l’évaluation 3.2 Le rôle de la dépression Fréquente : de 10 à 50 voire 80% des patients avec tumeurs cérébrales (Lifotsky et Resnick, 2009). La dépression pré-opératoire pourrait impacter la survie des malades Impact sur les relations interpersonnelles et plus généralement la qualité de vie. Mais l’effet réel du traitement de la dépression sur la survie n’est pas clair Le choix du meilleur traitement se pose : Pharmacologique Psychothérapique voire les 2 Dans quel ordre ? Différence Homme/Femme • • • • • III. Les problèmes posés à/par l’évaluation 3.2 Le rôle de la dépression La fatigue n’est pratiquement jamais évaluée Pourtant rôle dans les performances cognitives et la qualité de vie. Réalisation d’évaluations courtes Struik et al. (2009) : 39% des malades avec gliome de bas grade présentent : . une fatigue sévère . des difficultés subjectives de concentration, de motivation, et de volume d’activité. . pas de lien avec les données démographiques ou d’ordre médical (latéralité de la tumeur, type d’intervention chirurgicale, radiothérapie, etc.) III. Les problèmes posés à/par l’évaluation 3.2 Le rôle de la dépression Santini et al. (2012, voir également Talacchi et al., 2011) : Comparaison pré et post-opératoire o o La dépression reste stable au BDI II L’anxiété est moins sévère au bilan post-opératoire III. Les problèmes posés à/par l’évaluation 3.3 Le rôle de la radiothérapie Relations entre radiothérapie et statut neuro-cognitif Une dizaine de publications s’intéressent aux gliomes Engagent de 17 à 203 malades avec ou sans radiothérapie, sur un suivi de 2 à 12 ans. Les bilans vont du MMSE (1 papier) à des batteries exhaustives 4/10 études montrent que la radiothérapie a un effet délétère sur les fonctions cognitives : QI performance, Mémoire visuelle, Fonctions exécutives, Attention, Fluence verbale, Vitesse de traitement de l’information et Vitesse grapho-motrice Humeur, Qualité de vie. III. Les problèmes posés à/par l’évaluation 3.3 Le rôle de la radiothérapie/chimiothérapie La chimiothérapie peut impacter la sphère cognitive Il y a peu de données pour les tumeurs cérébrales 1 étude prospective en cours incluant des gliomes de bas grade et un bilan cognitif exhaustif. 3 études déjà publiées n’intègrent pas de mesures cognitives mais de qualité de vie. Celle-ci est d’ailleurs variablement impactée. Hiverda et al. (2010) : Les patients sont cognitivement stables ou améliorés à la fin du traitement Pas de follow-up. III. Les problèmes posés à/par l’évaluation 3.3 Le rôle de la radiothérapie/chimiothérapie Combinaison thérapeutique préconisée chez les patients âgés Brandes et al. (2009) font état d’un risque accru de neuro-toxicité Abrey (2012): une évaluation précise et exhaustive des fonctions cognitives constitue ici un critère d’évaluation indispensable. MERCI I. 1. Échelles cognitives globales : MMSE I. 1. Échelles cognitives globales : MoCA I. 3. Évaluation cognitive spécifique a. La mémoire I. 3. Évaluation cognitive spécifique a. La mémoire Salander et al. (1995) o Étude portant sur les troubles de la mémoire chez des malades porteurs de gliomes. o 11 patients évalués o Épreuves neuropsychologiques (PM 47, WCST, fluence verbale, cubes de Kohs, etc.) o Épreuves de mémoire prospective, de travail et à long terme (apprentissage selon la technique du selective reminding de mots imageables ou pas) I. 3. Évaluation cognitive spécifique b. Le langage Travail de l’équipe de Duffau (Moritz-Gasser et al., 2012) : o o o Étude de la vitesse d’accès lexical à l’aide des temps de dénomination au DO 80 et au BDAE. 12 malades avec gliomes de bas grade Chirurgie éveillée en raison de la localisation de la tumeur II. Les résultats