ECONOMIE : «Malgré la guerre, les Libanais ont confiance dans leur système
bancaire»
Le Temps , Samedi 12 août 2006
Georges Corm, ancien ministre des Finances du Liban (1998-2000).
L'économie libanaise plie sous la guerre, mais ne rompt pas. Au Pays du Cèdre, les
citoyens redoublent d'efforts pour que la vie économique poursuive son cours. Georges
Corm porte un regard historique sur cette remarquable résilience. Cet ancien ministre des
Finances du Liban, consultant économique et financier et auteur de divers ouvrages sur
l'histoire et l'économie du Proche-Orient*, explique surtout comment ce conflit peut
constituer une chance du point de vue économique. Une occasion à ne pas rater pour
donner une nouvelle orientation au pays, au-delà de ses deux piliers actuels, à savoir
l'immobilier et le secteur bancaire. Le Temps: Pour mieux comprendre l'économie
libanaise, que faut-il savoir du passé?
Georges Corm: Jusqu'à la moitié du XXe siècle, le Liban était encore largement un pays
rural. Il se rapprochait par exemple de la Suisse. Puis, avant la première guerre (ndlr:
1975-1990), le secteur des services commerciaux s'était fortement développé, au
détriment de l'agriculture. Le pays a alors connu un fort problème de concentration des
activités économiques dans le grand Beyrouth. L'économie libanaise était déséquilibrée.
Le gouvernement a-t-il alors tenté de rétablir un meilleur équilibre?
- Le président Fouad Chéhab (1958-1964) a entrepris des réformes importantes afin de
redynamiser l'industrie et l'agriculture et de doter le pays d'institutions sociales et
financières modernes. C'est à cette époque-là qu'ont été mises sur pied la Banque centrale
libanaise, l'Office de développement social, la Sécurité sociale, etc. Dans les années 60 et
70, le Liban pouvait alors être comparé à l'Espagne, avec des taux de croissance de 5-6%,
ce qui était soutenu. Mais l'image qui collait d'abord au Liban était celle d'une place
bancaire arabe et d'un pays spécialisé dans les services.
Pourrait-on dire qu'il constituait un modèle de libéralisme?
- Oui, il était à l'avant-garde. Par exemple, son système de changes était complètement
libre, avec un taux flottant de la livre libanaise à une époque où le régime international
était celui des taux fixes. Il n'y avait aucune restriction aux échanges. D'ailleurs, ce
libéralisme a favorisé l'afflux d'argent des Arabes au Liban, d'autant que le secret
bancaire a été institué dès 1954. Si la banque commerciale existait, en revanche, les
activités de marchés financiers commençaient, elles, à peine à émerger au début des
années 70. Et puis il y a eu la guerre...
Comment l'économie a-t-elle traversé cette période de troubles?
- La guerre qui débute en 1975 va alors saper tous les fondements de l'économie
libanaise. Après 1982, c'est la descente aux enfers de la livre et la paupérisation de toute
une catégorie de la population qui n'avait pas converti son épargne en dollars. Les
Libanais voient leurs revenus fortement chuter. Pourtant, tous se sont efforcés de faire
tourner l'économie locale au milieu des pires violences. L'approvisionnement était assuré,