Compte-rendu de la séance

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Groupe Décentralisation
Séminaires de recherche du GEMDEV
Compte rendu de la séance du 17 mars 2000
"Développement local, décentralisation et démocratie :
études de cas : Ouganda - Afrique du Sud"
Dans le cadre de ce séminaire qui place l'analyse de la décentralisation entre dynamiques locales et
processus de mondialisations, cette rencontre inaugure la série de trois réunions concernant des
études de cas en matière de décentralisation.
Le terme de décentralisation sera utilisé tout au long du séminaire dans son acception générique qui
englobe des notions aussi diverses que celles de déconcentration, de territorialisation, de
communalisation ou de municipalisation et qu'il faudra clarifier à l'issue du cycle de travail. Précisons
que les processus de décentralisation ne concernent pas seulement le domaine politico-administratif
mais aussi les domaines de la santé, de l'environnement, de l'approvisionnement en eau potable, des
crédits...Une question se profile alors : l'Etat assume-t-il ses prérogatives ou se décharge-t-il sur les
sociétés locales de ses missions de solidarité, dans le cadre de la décentralisation ?
Notre réflexion en matière de décentralisation s'organise autour des deux figures du citoyen: le citoyen
acteur qui agit dans le champ écononomique, décide , met en oeuvre, gère et le citoyen spectateur
qui participe à un public au titre duquel il analyse, critique, contrôle. Ces deux dimensions du citoyen
mettent en évidence la tension entre le rôle critique du citoyen spectateur qui se place dans un cadre
démocratique de distanciation d'avec le lieu du pouvoir et son rôle d'acteur direct, affaibli par cette
éloignement du centre de gravité des décisions.
Richard BANEGAS, Maître de conférence à l'université Paris I, membre du GEMDEV en tant que
responsable du CEJPMA (Centre d'études juridiques et politiques du monde africain), conduit sa
réflexion, à partir d'enquêtes menées en Ouganda en 1994, sur la mise en place d'un nouveau type
de pouvoirs locaux, les pratiques du pouvoir et les représentations de l'imaginaire du pouvoir.
Un bref rappel historique nous permet de mieux comprendre les raisons de ces modifications des
pouvoirs locaux. Alors qu'à l'indépendance de l'Ouganda, en 1962, le système politique est un
système fédéral, dirigé par le kabaka, celui-ci va s'enrayer pour aboutir au coup d'Etat de 1966 qui
porte Milton OBOTE au pouvoir. OBOTE abolit ce système centralisateur des pouvoirs. En 1971, Idi
Amin DADA prend à son tour le pouvoir et mènera une dictature sanglante jusqu'en 1979, année du
renversement du régime par l'armée tanzanienne. En 1980, un simulacre d'élections ramène OBOTE
au pouvoir ce qui provoque des contestations qui mènent à la guérilla jusqu'en 1986. A partir de 1986,
débute une ère nouvelle marquée à la fois par une pacification progressive du pays et le
redressement économique de cet "enfant chéri" du FMI et de la Banque Mondiale.
Se met ainsi en place un système politique de démocratie à la base en Ouganda, une "gracious
democracy" illustrée par 2 innovations institutionnelles:
- la Broad Base Politic qui intégre tous les partis de l'époque dans un parti unique et les oppositions
armées dans l'Armée Nationale,
- et le système pyramidal des comités de résistance du quartier (suffrage direct) au district (suffrage
indirect).
Le RC System ( Système des Comités de Résitance) a été conçu dans les années 80, par les chefs
de la National Resistance Army pendant la guérilla. Marqué par la guerre, le système tire aussi une
philosophie politique de l'idéologie progressiste tanzanienne. Chaque corps électoral de chaque
village élit un comité de résistance de 9 membres qui va élire ainsi un autre comité jusqu'au district.
Jusque dans les années 90, le Parlement est élu au suffrage indirect puis par suite le Parlement et le
comité de résistance du district sont élus au suffrage direct ce qui permet un lien de représentation
plus fort. Ce système des comités de résistance est ambigu dans le sens où il est à la fois un
instrument de contrôle sur l'Etat et une part intégrante de l'administration du pouvoir, les postes étant
de fait monopolisés par le régime Museveni.
Ainsi les limites du système tiennent à la fois à cette ambiguïté, à la composition politique des
comités de résistance, au mode de scrutin indirect qui affaiblit les liens de représentations, et aux
désillusions des citoyens qui participent de moins en moins aux réunions. Cependant, malgré la
désaffection, cette institution reste ancrée dans le paysage politique en ce qu'il permet aux ougandais
de vivre en paix et en sécurité, de régler les conflits et de développer leurs activités.
Ce système fait l'objet d'une réappropriation par le bas comme un instrument de revanche du citoyen.
Ainsi, s'agissant de cette innovation institutionnelle, les jeunes mobilisent le langage de la
participation, et les anciens le langage de la tradition. L'institutionnalisation de ce dispositif a contribué
à modifier les pratiques du pouvoir et les représentations du pouvoir légitime.
En effet, les comités de résistance sont devenus le premier lieu de socialisation politique avec une
libéralisation de la parole, l'apprentissage des règles de démocratie, la perception pacifique des
élections ce qui n'était pas le cas auparavant. Une nouvelle conception des rapports électeurs-élus
apparaît : une conception non oppositionnelle, intégrative à la base liée à la Broad Base Politic et une
conception procédurale qui permet de remonter de la base au plus haut niveau politique.
Le RC System a aussi contribué à l'émergence d'une culture politique de la responsabilité
(accountability) : les centres de décisions plus proches des citoyens doivent leur rendre des comptes.
Cela est d'autant plus vrai que les citoyens ont la possibilité d'un vote de défiance s'ils ne sont pas
satisfaits.
Cependant, si ce tableau est idéal, dans la réalité le pouvoir reste aux puissants et la transformation
des imaginaires reste marquée par les violences qu'a subies le pays.
Philippe GERVAIS LAMBONY, géographe à l'Université Paris X Nanterre, s'intéresse à la dimension
spatiale des pouvoirs locaux urbains en Afrique du Sud.
Il n'utilise pas le terme de décentralisation considérant que sous l'apartheid, il n'existait ni pouvoir
public centralisé ni espaces publics communs aux populations noires et aux populations blanches.
Dans un premier temps, il faut se pencher sur l'héritage de l'apartheid. Jusqu'en 1948, l'Afrique du
Sud est un Etat fédéral aux pouvoirs provinciaux et locaux importants. A l'arrivée du Parti National au
pouvoir en 1948, les pouvoirs locaux sont repris en main par le pouvoir central, malgré les tensions.
En échange, le pouvoir central se charge de la partie noire de la ville (logements, gestion de la main
d'œuvre) ce qui contribue à calmer les municipalités réticentes. Cette idéologie de développement
séparé des populations sous l'apartheid va ainsi prendre la forme d'une réorganisation spatiale des
municipalités: les populations de race différente n'ont pas besoin de se croiser pour aller d'un point à
un autre, les revenus de la ville blanche sont les impôts locaux, les taxes des entreprises, alors que
ceux de la ville noire proviennent uniquement des ventes d'alcools, des loyers et des dons
d'associations et des églises.
A partir des années 60, l'Etat central crée les bantoustans, territoires autonomes et indépendants où
les populations noires sont censées se développer séparément. Au milieu des années 60, on ne
construit plus que des dortoirs pour limiter l'affluence des populations noires vers la ville, mais des
camps de squatters illégaux viennent se greffer aux townships en place. Cependant la résistance se
développe (émeutes de Soweto en 1976), la lutte s'organise autour du boycott et du sabotage des
services de la ville, le refus de payer les loyers notamment. Des associations citoyennes locales, les
"Civics", qui soutiennent l'African National Congress, prennent alors une place importante aux dépens
du pouvoir central.
Dans les années 90, s'engagent des négociations politiques dans les villes concernant les types de
pouvoirs locaux. En 94, se développe une crise du logement, de l'emploi et une crise politique: les
espaces urbains ne sont plus contrôlés.
Dans les grandes villes sud-africaines, après 94, à la fin de l'apartheid, les pouvoirs urbains se
modifient. Ces changements se font en deux étapes:
De 1994 à 1996, des négociations de grande ampleur ont lieu dans le pays. D'une constitution
intérimaire en 94, découle un nouveau découpage, en 9 provinces, qui réintégrent les bantoustans et
n'ont pas de référence raciale. Le découpage de l'espace local obéit à la même logique d'intégration
des quartiers noirs. La victoire aux élections de 1995 de l'African National Congress (ANC) appuie sa
position. En 96, à la suite d'une nouvelle Constitution, l'African National Congress donnera de plus en
plus de pouvoir au local dans son propre intérêt puisque la densité importante des populations noires
dans chaque quartier permet au parti de remporter les élections. On demande aux villes un travail de
planification avec l'élaboration d'un plan de développement intégré au niveau national et local (livre
blanc).
Le nouveau système de gouvernement local apparaît comme une sphère autonome soumise à des
blocages que sont :
- la participation communautaire car les membres des anciennes associations de citoyens, les Civics,
se heurtent aux membres de l'ANC dans la conquête des postes, les premiers étant appelés à de
hautes fonctions et les seconds remportant majoritairement les postes au sein de leur propre
structure,
- les finances : l'ANC qui appelait au boycott dans les années 80, demande à la population de payer à
nouveau pour faire fonctionner la structure cependant les taux de paiement restent très faibles,
- les tensions élus-fonctionnaires, les élus noirs, techniquement peu aguerris aux pratiques du pouvoir
se confrontent à des fonctionnaires blancs, techniquement compétents qui leur opposent des
arguments techniques.
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