La réforme territoriale induit-elle de nouveaux rapports entre l’Etat et les régions…et est-ce qu’elle suggère ou tend à une évolution de la République une et indivisible et décentralisée Eric Perez Ce titre traduit, me semble-t-il, certains de nos questionnements. Il suggère une possible évolution dans les rapports futurs entre l’Etat et les régions, sauf que, pour le moment, les compétences de celles-ci ne devraient pas augmenter sensiblement : le gouvernement n’a pas annoncé de nouveaux transferts de compétences et les départements devraient conserver l’essentiel de celles qu’il détient. On serait tenté alors, de dire que rien de fondamental ne devrait modifier les rapports futurs entre l’Etat et les régions. Mais on peut aussi penser qu’avec la réforme engagée, l’autonomie locale qui se développe depuis plusieurs décennies devrait se poursuivre et se fortifier. C’est l’hypothèse retenue. Tenter d’exposer ici, d’une manière laconique, une possible évolution, n’est pas très aisé. Après un « état des lieux » et un rappel du rôle de l’Etat dans notre société, il s’agira d’esquisser les pistes que la réforme territoriale induit. La spécificité française Apparu en Europe occidentale au sortir de la féodalité, en accord avec les valeurs de la modernité, l’Etat a été progressivement érigé en figure imposée de l’organisation politique, et l’adoption de la forme étatique est devenue un passeport nécessaire pour l’entrée dans la société internationale. Les formes et les degrés « d’étatisation » ont différé selon les pays. Ainsi, en France, au fil du temps, un modèle étatique spécifique s’est construit, doté d’une forte autonomie par rapport au reste de la société et investi de fonctions étendues et garant de l’identité collective. La « tradition jacobine » fondée sur le rejet des corps intermédiaires sera infléchie à la fin du XIXème siècle et tout au long du XXème, aboutissant à un « jacobinisme amendé ». Néanmoins, cette « culture politique de la généralité » (P. Rosanvallon) serait toujours présente au tréfonds de l’imaginaire collectif. N’est-il pas à l’origine de grandes transformations du pays, l’école primaire obligatoire, la laïcité, l’aménagement du territoire, la protection sociale… Ailleurs, et notamment dans les pays anglo-saxons un modèle plus souple a prévalu. Par le jeu de deux dynamiques, interne et externe qui se sont conjuguées, le mouvement d’expansion étatique a été remis en cause à partir du dernier quart du XXème siècle. Si l’Etat reste garant de la cohésion sociale et de la sécurité, ses fonctions sont en cours de redéfinition Les systèmes de protection mis en place avec l’avènement de l’Etat providence sont entrés en crise même si, en France, les mesures de limitation des dépenses restent encore d’ampleur limitée. Mais en dépit de la modification du « protectorat » exercé sur la vie sociale, notamment sous la pression de la mondialisation, l’Etat reste encore doté d’une place 1 essentielle, comme en témoigne, notamment, dans les pays libéraux le montant encore élevé des dépenses publiques. Néanmoins, si l’Etat reste fortement présent dans la vie sociale, avec le principe de subsidiarité, son intervention n’est devenu légitime qu’en cas d’insuffisance ou de défaillance des mécanismes d’auto- régulation sociale (suppléance) ; qu’il convient alors de privilégier les dispositifs les plus proches des problèmes à résoudre (proximité), et de faire appel à la collaboration des acteurs sociaux (partenariat). Par ailleurs, au cours du XXème siècle, tout en assumant ses prérogatives régaliennes (et républicaines), l’Etat a progressivement investi la sphère de l’économie pour en devenir un des principaux acteurs, évolution à laquelle le développement des idées Keynésienne a contribué. Et s’il reste aujourd’hui présent dans l’économie, c’est à la manière d’un « stratège » et non plus d’un « pilote » (J. Chevallier) qui s’efforce d’accompagner ou d’amortir l’effet de mouvements sur lequel il n’a plus réellement prise. Il apparaît comme un régulateur chargé d’assurer le maintien des grands équilibres. Ajoutons aussi, que la notion d’intérêt général, à la fois mythe et réalité, fait de plus en plus place à celle d’efficacité, étant entendu que ce « glissement » concerne tant l’Etat que les collectivités territoriales. L’Etat territorial Le quadrillage du territoire par l’Etat a été historiquement conçu selon deux modèles : celui de l’Etat unitaire et celui de l’Etat fédéral. Dans tous les cas cependant, la fonction de l’Etat protecteur a conduit à un mouvement de centralisation qui s’est traduit, soit par la réduction progressive de l’autonomie locale, soit par le passage à un fédéralisme « coopératif ». Mais dans les années quatre-vingt, la nécessité d’administrer au plus près des habitants et en tenant compte des particularismes locaux conduit à un nouveau modèle de relations entre l’Etat et le territoire. La déconcentration Avec la déconcentration la responsabilité des tâches de gestion incombe désormais aux services déconcentrés qui n’entrent plus dans le champ de compétences des administrations centrales, et qui, parallèlement, se voient reconnaître une plus grande autonomie de gestion, notamment financière (globalisation des crédits). Ajoutons à ce processus la multiplication d’organismes combinant des fonctions de régulation et de gestion portant notamment le vocable d’agence (ADEME, ARS…) qui se caractérisent par des modalités d’organisation spécifiques (injection de compétences techniques, présence des intéressés au sein des instances délibérantes). La déconcentration, sans doute, se heurte encore à des résistances qui justifient les observations renouvelées de la Cour des comptes, et si elle répond, certes, à la décentralisation, elle répond aussi à la nécessaire proximité et efficacité qu’exige l’action publique aujourd’hui. La décentralisation 2 La décentralisation engagée en 1982, et poursuivie ensuite a transformé radicalement le modèle centralisé français. Suppression de la tutelle de l’Etat, transferts de compétences, qui ont participé au développement économique local pour faire court. Ainsi, l’article 72 de la Constitution, relatif à la libre administration des collectivités est à présent une réalité qui se concrétise aujourd’hui par la réforme territoriale en cours. Dans ces conditions, est-ce que la réforme territoriale, avec notamment la diminution du nombre de régions, apparaît susceptible de favoriser voire renforcer l’autonomie locale et conjointement d’accélérer la mutation des services de l’Etat ? La mutation engagée des services de l’Etat, doit être poursuivie Les mutations rapides de l’économie et de la société appellent à une transformation de l’Etat. Son organisation territoriale suppose d’abord de prendre en compte la décentralisation en supprimant les doublons de compétence. De mettre en cohérence ses circonscriptions administratives avec l’échelon de référence qu’est la région. De mettre en œuvre une véritable réorganisation des services déconcentrés que la RGPP, axée sur la réduction des effectifs, n’a pas réalisé. Il faut aussi ajouter que les règles budgétaires mises en œuvre par la LOLF ne permettent pas d’apprécier réellement l’efficience et l’efficacité des services déconcentrés. A cet égard, un rapport thématique de la Cour des comptes de 2013, plutôt sévère et très détaillé, relève une absence de cohérence dans l’organisation territoriale de l’Etat. Les compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales doivent être clarifiées En mettant fin aux chevauchements de compétences dans les domaines ayant fait l’objet de lois de décentralisation : enfance, personnes âgées dépendantes, handicap… En précisant au mieux leur rôle respectif dans trois domaines à compétence partagée : action culturelle, sport, tourisme. En distinguant clairement leur rôle dans la gestion des politiques de cohésion sociale et de la ville… Vers une nouvelle étape La réduction du nombre de régions élève leur poids démographique, économique et politique, éléments qui, certes avec d’autres considérations, dans le passé, depuis les premiers textes de 1955 sur les plans d’action régionale, et la création en 1960-1962 des circonscriptions d’action régionale, ont été au cœur des projets et des enjeux politiques. On peut penser que l’Etat devra davantage composer avec les treize régions. On peut aussi imaginer que dans un contexte modifié, l’Etat accentuera la déconcentration de certains services centraux, et peut-être opèrera-t-il de nouveaux transferts de compétences au bénéfice des régions, avec les ressources financières qui vont avec. Cependant, l’absence de hiérarchie 3 (de droit) entre la région, le département, les structures intercommunales et les communes ne devrait pas être modifiée. Sur les relations Etat / Régions, je renvoie à la contribution de Jean-Claude Albert et au paragraphe relatif aux relations contractuelles Région / entités suprarégionales, soit aux contrats de plan Etat / Régions, et au Fonds Européen dont les régions ont aujourd’hui la charge. A terme, cette étape ne pourra pas faire l’économie de la question fiscale Les lois de décentralisation ont accru l’autonomie des collectivités territoriales. Mais on constate que les dotations de l’Etat (DGF et autres) qui y étaient attachés, ont augmenté très sensiblement les transferts financiers (101 milliards d’euros en 2013) de l’Etat aux collectivités territoriales, ce qui paraît à priori paradoxal. Rappelons que la fiscalité des communes était déjà une question politique dès le début de la 3ème République (tutelle de l’Etat, centimes additionnels). Que dans un contexte nouveau, la question fiscale est toujours un sujet récurent, une sorte de jeu de rôle entre l’Etat central et les représentants des collectivités. Sans rentrer dans une étude comparative, il n’est pas inutile de donner des éléments de comparaisons avec des pays comme l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni, dont nous pourrions envier l’organisation politique, éloignée d’un « jacobinisme » à la française. En Italie et en Allemagne, l’Etat, central ou fédéral, conserve un pouvoir fiscal prépondérant. Au Royaume-Uni, l’autonomie fiscale des Gouvernements régionaux et des collectivités locales est très faible. Au Royaume-Uni, comme en Italie, le recours à l’emprunt des collectivités territoriales pour financer leurs investissements est soumis à des dispositions législatives contraignantes. Plus globalement, les budgets locaux de ces pays voisins sont sous surveillance, et parmi d’autres exemples, en Allemagne, la loi fondamentale affirme le principe d’une responsabilité conjointe face aux engagements européens en matière budgétaire, et instaure par ailleurs, entre l’Etat fédéral et les Länder, une clé de répartition d’éventuelles sanctions imposées par l’Union européenne. En dépit de ces considérations, les ressources des régions ne sont pas stabilisées. Elles ont été particulièrement affectées par la réforme de la fiscalité locale consécutive à la suppression de la taxe professionnelle. Pour l’essentiel, elles ne disposent plus que de ressources fiscales nationales non modulables ou très faiblement modulables, et d’impositions économiques locales dont elles ne fixent plus les taux. L’atonie de la ressource fiscale est de nature à réduire davantage encore leur marge de manœuvre budgétaire. Avec diverses compensations financières, elles bénéficieront d’une fraction supplémentaire de taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques (TICPE). Le renforcement attendu des compétences des régions en matière économique, nécessiterait alors une mise à plat de ses ressources fiscales. Pour finir, et pour répondre aux interrogations relatives à notre modèle d’organisation politique, on constate que la poussée décentralisatrice, particulièrement sensible dans les pays européens, est telle qu’elle semble remettre en cause la logique même de l’Etat unitaire. Le 4 concept « d’Etat régional » ou « d’Etat autonomique » a ainsi été avancé pour rendre compte de l’évolution d’Etats qui, par-delà le principe unitaire, ont accordé aux entités régionales qui les composent une réelle autonomie politique ainsi qu’un pouvoir normatif autonome. Ainsi, le Tribunal constitutionnel espagnol qualifie l’Etat espagnol d’ « Etat plural ». Entreraient dans cette catégorie des pays comme l’Espagne, le Portugal, l’Italie. S’agissant de l’Italie, au terme d’une série de réformes qui ont progressivement élargi les attributions des pouvoirs locaux (1970, 1972, 1977, 1997), la réforme constitutionnelle du 18 octobre 2001 a parachevé l’évolution. Certes, l’article 5 de la Constitution consacre toujours le principe d’unité et d’indivisibilité de l’Etat, mais la suppression du pouvoir de contrôle du Parlement sur le statut de régions, l’attribution aux régions d’une compétence législative de droit commun, et l’élimination de tout contrôle administratif sur les actes des régions excèdent la conception traditionnelle de la décentralisation…L’unité Italienne ou la réunification de l’Italie, faut-il le rappeler, a été réalisée en 1870. On pourrait rappeler aussi, que l’Allemagne qui ne figure pas dans les exemples cités, a réalisé son unité au XIXème siècle. Est-ce qu’avec le statut de la Nouvelle- Calédonie, le 19 mars 1999, la France serait entrée dans la logique exposée précédemment ? Ce statut, de mesure transitoire, se situe en marge de la décentralisation, notamment dans la mesure où il prévoit l’existence de « lois de pays », et il concerne un territoire dont le particularisme au sein de la République ne manque pas d’évidence. Mais on ne peut sous-estimer la force attractive qu’il est susceptible d’exercer sur les collectivités, départements et régions d’Outre-mer. Et on doit rappeler qu’avec la loi du 13 mai 1991, la Corse est une collectivité territoriale à statut particulier. La centralisation que le pays a connue a fait place à un modèle décentralisée, certes imparfait. On pourra toujours pointer les « erreurs » de l’Etat et c’est normal, comme on pourra aussi pointer celles des acteurs locaux. La décentralisation réalisée engendre aussi des dysfonctionnements, des irrégularités, des turpitudes, de l’efficacité et de l’inefficacité. En d’autres termes, la subsidiarité n’est pas vertueuse en soi. Et la démocratie nécessite d’être contrôlée comme exprimé dans un autre texte. La République une et indivisible…et décentralisée, est un modèle qui, certes, évoluera encore, qui connaîtra, je crois, toujours des soubresauts, des réajustements. Et je suis tenté de citer Albert Soboul : «… Il est dans ce flux continu des temps forts du régionalisme et des temps faibles, des assouplissements, et des renaissances ». Et il y a ceux qui pensent que l’Etat est davantage garant de l’intérêt général, et ceux qui envisagent, souhaitent, d’autres voies, un néo fédéralisme à la Française, à l’instar de divers pays européens. 5