Fructose et fibrose dans la NASH : une liaison dangereuse ?

Fructose et fibrose
dans la NASH :
une liaison dangereuse ?
Increased fructose consumption is
association with fibrosis severity in
patients with nonalcoholic fatty liver
disease
Alexandre Pariente
Unité dhépatogastroentérologie
Centre hospitalier
64046 Pau cedex
France
e-mail : <alexandre.pariente@ch-pau.fr>
Référence
Increased fructose consumption is
associated with fibrosis severity in patients
with nonalcoholic fatty liver disease.
Abdelmalek MF, Suzuki A, Guy C,
Unalp-Arida A, Colvin R, Johnson RJ, et al.
Hepatology 2010 (epub).
Lépidémie dobésité continue
de sétendre, et avec elle
lépidémie de diabète, de maladies
cardiovasculaires, de cancers mais
aussi de foie gras, de stéatohépatite,
de cirrhose et de carcinome
hépatocellulaire.
Aux États-Unis, laugmentation de la
prévalence de lobésité a été parallèle
àlaugmentation de la consommation
de fructose (figure 1), notamment
après lintroduction, dans lindustrie
alimentaire, du sirop de fructose tiré
du maïs après hydrolyse de lamidon
dans les années 1970 [1]. Lutilisation
massive de sirop riche en fructose issu
du maïs (HFCS-55, qui contient
55 % de fructose et 45 % de glucose,
contre moitié-moitié pour le saccha-
rose) est expliquée par son fort
pouvoir sucrant (le fructose a un
pouvoir sucrant égal à 1,6 fois celui
du glucose), et par son coût très bas
(un centime par cannette de soda).
La consommation de boissons sucrées
a violemment augmenté au cours des
60 dernières années, et plus de la
moitié des enfants dâge préscolaire
consomment régulièrement ce type
de boissons [2]. La consommation
moyenne de fructose aux États-Unis
est actuellement denviron 50 g/j [3].
Le fructose est un intermédiaire dans
le métabolisme du glucose, sans
nécessité vitale. Il est assez mal
absorbé par lintestin (et peut donc
être utilisé par les bactéries), et est
presque totalement extrait et catabo-
lisé par le foie au premier passage.
Le fructose ne stimule pas la sécrétion
dinsuline par le pancréas isolé.
Dans lhépatocyte, le fructose est
phosphorylé (fructokinase) puis clivé
par laldolase (figure 2) ; la vitesse de
métabolisation du fructose est plus
grande que celle du glucose et nest
pas régulée. Un niveau élevé de
fructose dans le régime augmente
considérablement la vitesse de
production de lacétyl-Coa et donc la
lipogenèse [3], ainsi que la production
de lactates ; parallèlement, le fructose
diminue la lipo-oxydation.
Chez lanimal, un régime riche en
fructose peut induire un syndrome
métabolique, une stéatose et une
stéatohépatite. Il y avait là une bonne
base pour une étude transversale
visant à relier consommation de fruc-
tose et sévérité des lésions hépatiques.
Malades
Le réseau américain de recherche
clinique sur la NASH a inclus prospec-
tivement des malades diagnostiqués
entre 2004 et 2007 soit dans une
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.concepts et pratique
doi: 10.1684/hpg.2010.0429
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grande base de données, soit dans un essai thérapeutique.
Le travail ici analyséconcerneles 427 malades âgés de18 ans
au moins, ayant eu une biopsie hépatique (relue et évaluée
par un comité indépendant), consommant moins de 14 ver-
res dalcool par semaine en moyenne pour les hommes, et
sept pour les femmes, nayant pas dautre cause de maladie
du foie, et ayant complété un questionnaire diététique
détaillé dans les trois mois précédant la biopsie.
Dans lanalyse diététique, seul le fructose contenu dans les
boissons a été évalué, et finalement la consommation
hebdomadaire a été considérée comme nulle, minime à
moyenne (une à six boissons par semaine), ou quotidienne
(supérieure à six boissons par semaine).
Résultats
La consommation de fructose moyenne était dune boisson
par semaine. Quatre-vingt-quatre malades ne consom-
maient pas de fructose, 224 une à six boissons au fructose
par semaine et 119 plus dune par jour. Les patients
consommant le plus de fructose étaient plus jeunes, plus
souvent des hommes, avaient un IMC plus élevé, des
triglycérides plus élevés, un HDL-cholestérol (HDL-c) plus
bas, une uricémie plus élevée. En revanche, leur glycémie
à jeun tendait à être plus basse, leur insulinémie identique
et donc leur HOMA-IR (homeostasis model assessment of
insulin resistance) tendait à être plutôt plus bas (mais
encore bien élevé, entre 5,8 et 6,5). La consommation
calorique totale était beaucoup plus élevée (2 600 kcal/j
dont 1 310 glucidiques dans le groupe à consommation
élevée de fructose). Lintensité de la stéatose, de linflam-
mation lobulaire, de la ballonnisation et de la fibrose nétait
globalement pas différente dans les trois groupes.
Après ajustement sur lâge, le sexe et lIMC, la consomma-
tion quotidienne de fructose était significativement liée à
un HDL-c plus bas, une uricémie plus élevée par rapport aux
non-consommateurs. En revanche, les consommateurs
« minimes-modérés » avaient une glycémie, des triglycé-
rides et un HDL-c plus bas que les abstinents. Lajustement
sur la ration calorique totale faisait disparaître les différen-
ces concernant luricémie, mais pas celles concernant la
glycémie et les lipides.
En régression logistique, la consommation de fructose
nétait pas associée à la sévérité de la stéatose (elle
diminuait plutôt le risque pour les consommations élevées),
mais était significativement associée à un degré de fibrose
plus sévère si le modèle était ajusté pour lâge, le sexe,
lIMC, lorigine hispanique et la ration calorique totale, et
encore plus si on ajustait aussi sur les triglycérides, lHDL-c,
le LDL-c, luricémie et le score HOMA-IR. Les différences
étaient plus marquées dans le groupe des malades de plus
de 48 ans (lâge médian), où les consommateurs quotidiens
de fructose avaient cinq fois moins de chances davoir une
stéatose sévère, mais deux fois et demi plus de chances
davoir une inflammation ou une ballonnisation sévères.
Quant à la fibrose, le risque était triplé, aussi bien chez les
jeunes que chez les moins jeunes.
Interprétation
Globalement, le régime des malades ayant une stéatose
non alcoolique est plus riche en glucides simples et en
graisses insaturées (reproduit caricaturalement dans un
modèle de souris fast-food [4]).
Dans les études épidémiologiques disponibles, la ration de
fructose est associée à lobésité, au syndrome métabolique
et au foie gras, mais pas jusquici à la progression des
1961
0
10
Prévalence du surpoids et de l’obésité (%)
20
30
40
1970 1975 1980 1985 1990 1995
Fructose total
Prévalence de l'obésité Fructose libre
Sirop de maïs
enrichi en fructose (HFCS)
2000
0
25
50
75
Disponibilité du fructose, du HFCS
et du fructose libre (g/personne/jour)
100
Figure 1. Évolution comparée de la disponibilité du fructose et du pourcentage de personnes en surpoids ou obèses aux États-Unis
entre 1961 et 2000 [1].
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lésions vers la cirrhose. Si cette liaison est réelle, une
modification précoce du régime (enfance, adolescence)
pourrait donc à la fois prévenir les lésions hépatiques et
empêcher leur aggravation.
Une modification précoce du régime
(enfance, adolescence) pourrait à la fois
prévenir les lésions hépatiques et empêcher
leur aggravation
Dans ce travail, la consommation de fructose des bois-
sons (la consommation basale de fructose nétait pas
mesurée) était associée à un âge plus jeune, au sexe
masculin, à un IMC plus élevé, à laugmentation des
triglycérides et de luricémie et à une baisse du HDL-c
chez des malades ayant une stéatopathie métabolique
établie. Pour dire les choses autrement, les malades
consommant plus de fructose consultaient plus tôt dans
la vie pour un syndrome métabolique avec atteinte hépa-
tique plus sévère ; lexception, a priori difficile à expliquer,
concerne linsulinorésistance (au moins celle évaluée par
la glycémie à jeun, linsulinémie, et le score HOMA-IR) pas
plus marquée chez les malades consommant du fructose.
Les auteurs ne fournissent pas dhypothèse convaincante.
Cependant, le fructose a un index glycémique
1
faible
Fructose
Fructose
Fructose-6-P
Fructose-1,6-diP
Fructose-1-P
ATP
ADP
AMP
Acide urique
Di-hydroxy-
acetone-P Di-hydroxy-
acetone-P
Pyruvate
AcetylCo-A
Acides gras
CO2
Glucose
Glucose-6-P
Glucose-1-P
Glycogen
Glyceraldehyde
Glyceraldehyde-3-P
ATP
Citrate
Glucose
GLUT2 GLUT2
Fructokinase
Aldolase
Figure 2. Métabolisme hépatocytaire du glucose (daprès [3]). Le métabolisme du fructose (flèches grises) diffère de celui du
glucose en raison (a) dune quasi complète extraction hépatique et (b) denzymes et de réactions différentes pour les premières
étapes métaboliques. Le fructose capté par le foie peut être oxydé en CO
2
puis converti en lactate et en glucose ; le glucose et le
lactate sont ensuite soit libérés dans la circulation, soit convertis en glycogène ou en graisse. La captation massive et la phospho-
rylation du fructose dans le foie peuvent provoquer une forte dégradation de lATP en AMP et en acide urique.
1
Lindex glycémique est défini comme 100 ×F/G, où F est la surface
supplémentaire sous la courbe produite par une alimentation test
contenant 50 g du glucide étudié, et G la surface sous la courbe
obtenue avec une dose 50 g de glucose ingérée par le même sujet.
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denviron 20 et suscite donc des réponses glycémiques et
insulinémiques seulement équivalentes à 20 % de celles
provoquées par le glucose [5] ; il a été un temps consi-
déré pour cette raison comme un sucre de choix pour les
diabétiques (lindex glycémique du saccharose
1
, le disac-
charide fructose-glucose est de 60, celui du glucose, par
définition, de 100) ; cependant, il provoque moins de
satiété que le glucose. De plus, le fructose stimule la lipo-
genèse intestinale et hépatique de novo chez lanimal et
lhomme, augmente les triglycérides et luricémie et
abaisse lHDL-c, un profil caractéristique du syndrome
métabolique.
Les malades consommant plus
de fructose consultent plus tôt dans
la vie pour un syndrome métabolique avec
atteinte hépatique plus sévère
Loriginalité principale de cette étude est que, dans
le groupe des malades consultant pour une stéatopathie
métabolique, ceux consommant plus de fructose
avaient plutôt moins de stéatose et plus de fibrose,
et que ces différences (ainsi quune augmentation de
linflammation) étaient plus marquées chez les malades
plus âgés.
Dans les modèles cellulaires et animaux, les régimes riches
en fructose, et notamment en sirop HFCS-55, induisent une
stéatose, mais aussi un stress oxydatif, une dysfonction
mitochondriale, une augmentation de lapoptose, de
lendotoxinémie dorigine intestinale (liée à une augmenta-
tion de la perméabilité intestinale et à une pullulation
favorisée par le fructose lui-même) activant les cellules
de Küpffer, du TNF-α, tous phénomènes inducteurs
dinflammation et de fibrose.
Les auteurs soulignent que le métabolisme du fructose est
très particulier, parce quil provoque une accumulation
dAMP (figure 3) ; cet AMP peut être soit recyclé pour refor-
AMP Activated Protein Kinase
Fructose
2 ATP
2 ADP
Fructose-1,6-Diphosphate
Glycerol-3 Phosphate
Acyl Co-A Acetyl Co-A Production accrue d'acides gras libres
Augmentation
des acides gras
libres toxiques
Augmentation
du stockage
des triglycérides
Excès d'ATP
Augmentation
de l'acide urique
Excès d'AMP
Résistance à l'insuline
Xanthine
Déshydrogénase
Glyceraldehyde-3 Phosphate
Hexokinase
Déplétion en ATP
Figure 3. Déplétion hépatocytaire en ATP induite par le fructose. Pour chaque molécule de fructose métabolisée, deux molécules
dATP sont consommées. LADP qui en résulte est dégradé en AMP. Le devenir de cet AMP est déterminé par lactivité relative de
deux enzymes concurrentes, lAMP kinase (AMPK) et la xanthine-oxydase (XO). Quand lAMPK est plus active que la XO, lAMP est
recyclé pour restaurer le stock hépatocytaire dATP. Inversement, quand la XO est la plus active, lAMP est transformé en acide
urique, retardant la normalisation des stocks dATP. La résistance à linsuline, qui diminue lactivité de lAMPK, augmente encore
cet effet délétère du métabolisme du fructose, entraînant une déplétion en ATP (daprès Abdelmalek MF, et al, op. cité).
TG : triglycérides.
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mer de lATP en cas dactivité prédominante de lAMP
kinase (diminuée dans linsulinorésistance), soit être trans-
formé par la xanthine-oxydase en acide urique, maintenant
la déplétion hépatique en ATP. La carence en ATP pourrait
empêcher les acides gras libres dêtre transformés en
triglycérides (atoxiques) et favoriser leur transformation
en métabolites lipotoxiques. LAMP kinase est activée
par lexercice physique, la metformine, les glitazones et
ladiponectine, toutes molécules qui améliorent les
lésions hépatiques. Si cette hypothèse est exacte, on peut
aussi se poser la question de lutilité éventuelle dinhibiteurs
de la xanthine-oxydase (allopurinol) ; enfin, lacide urique
pourrait avoir per se des effets cardiovasculaires délétères.
Il y en a donc suffisamment pour envisager une étude
dintervention évaluant leffet de la réduction de lapport
de fructose (surtout « industriel ») sur les stéatopathies
métaboliques ; cest plus difficile quil ny paraît, à cause
des compensations imprévues et fréquentes dans ce type
détude : la guerre contre le cholestérol des années 1970
na sans doute pas été pour rien dans laugmentation des
calories glucidiques et peut-être dans lépidémie dobésité.
Cest cependant faisable [6].
Attention également à ne pas condamner le fructose des
fruits : il est différent, mélangé à des fibres solubles, peu
concentré ; les fruits apportent des antioxydants et des
stérols végétaux ; une pomme apporte 60 kcal et 20 g de
glucides, alors quun biscuit à faible teneur en graisses
contient 20 g de glucides mais 120 kcal
Une pomme par jour éloigne le
médecin
Une pomme par jour éloigne le médecin, disent les Anglais ; il
faut cependant aussi séloigner du comptoir lorsquon y
trouve de lalcoolou des sodas sucrés au fructose.
À suivre.
Conflit dintérêt :aucun. n
Références
1. Bray GA, Nielsen SJ, Popkin BM. Consumption of high-fructose corn syrup
in beverages may play a role in the epidemic of obesity. Am J Clin Nutr 2004 ;
79 : 737-43.
2. Bray GA. How bad is fructose? Am J Clin Nutr 2007 ; 86 : 895-6.
3. Tappy L, Lê K. Metabolic effects of fructose and the worldwide increase in
obesity. Physiol Rev 2010 ; 90 : 23-46.
4. Tetri LH, Basaranoglu M, Brunt E, Yerian LM, Neuschwander-Tetri BA.
Severe NAFLD with hepatic necroinflammatory changes in mice fed trans fats
and a high-fructose corn syrup equivalent. Am J Physiol Gastrointest Liver Phy-
siol 2008 ; 295 : 987-95.
5. Wolever TMS. Lindice glycémique dans la prise en charge de lobésité.
Endocrinologie : conférences scientifiques, 2008. www.endocrinologieconfe-
rences.ca/crus/endo_02_08_Fr.pdf.
6. James J, Thomas P, Cavan D, Kerr D. Preventing childhood obesity by redu-
cing consumption of carbonated drinks: cluster randomised controlled trial.
BMJ 2004 ; 328 : 1237.
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