Le paradoxe de la révolution tunisienne :
renforcement démocratique et ralentissement économique
Le sous thème : la gouvernance démocratique en vue du développement socio-économique
M. Ben Aissa Mohamed Saleh1
Dallali Rana2
Version préliminaire
Résumé
La Tunisie est en train de vivre une situation paradoxale qui décrit la persistance de la crise
économique depuis une année et 5 mois, malgré les changements observés au niveau des
institutions politiques et l'évolution constitutionnelle depuis la Révolution du 14 Janvier 2011.
En effet, cette évolution démocratique et politique ne s'est pas traduite par une amélioration
de la croissance et du développement économique et social. De ce fait, la transition en Tunisie
pourrait avoir un effet contraire à celui prévu en raison de la montée des revendications
sociales et de la forte dépendance vis-à-vis du budget de l’Etat et de la dette publique. La
situation actuelle de la Tunisie montre que le processus de transition économique en Tunisie
sera compliqué et porteur de risques et il est certain que ce mouvement influencera la situation
politique et en sera influencé à son tour. Ce papier examine les étapes et les caractéristiques
de la transition politique et économique en Tunisie tout en évoquant les principales questions
permettant d’instaurer un système politique démocratique capable de relever les défis
économiques sur le court et le moyen terme.
1 Professeur de droit public ; Ancien doyen de la Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis
2 Enseignante à l’ISAEG Email [email protected]
1
Introduction :
Nombreux sont les observateurs de la révolution tunisienne du 14 janvier 2011 qui
s’accordent à dire, en pensant aux autres soulèvements populaires arabes, que la Tunisie « est
le pays tout a commencé »3. Cette observation, même si elle est exacte dans une très large
mesure, mérite d’être complétée en lui ajoutant, peut être, que c’est aussi le pays où tout reste
encore à faire, s’agissant notamment de son avenir constitutionnel et politique, post-
révolutionnaire. La Tunisie est aujourd’hui sans Constitution. Elle attend sa nouvelle
Constitution, la deuxième depuis son indépendance, qui est actuellement en cours de
préparation par l’Assemblée constituante élue le 23Octobre 2011, date initialement fixée
pour le 24juillet 2011.
Le pays est donc en pleine phase de transition politique et constitutionnelle, dont nous
savons qu’elle a commencé réellement avec la chute de Ben Ali le 14 janvier 2011, et la mise
en application de l’article 56 de la constitution tunisienne du 1er juin 1959, puis de son article
57. Il reste que, l’observation de l’évolution du processus de transition politique et
constitutionnelle, montre que si, au départ, ce processus s’est inscrit dans la continuité
constitutionnelle, il a fini par prendre la voie d’une rupture d’avec la constitution. L’on peut
considérer, en effet, que c’est autour de ces deux temps forts que s’est articulée la transition
qui a conduit à l’option finale pour l’élection d’une Assemblée constituante : Transition et
continuité constitutionnelle (I), d’abord, transition et rupture constitutionnelle (II), ensuite. Le
tout, se faisant sur fond de ralentissement économique et de troubles sociaux.
I - Gouvernance révolutionnaire et éclatement de « l’image miracle » du modèle de
développement économique et social (14 janvier 2011 - 23 octobre 2011)
3 Cf. .Par exemple : International crisis group :’’Soulèvements populaires en Afrique du nord et au moyen- orient (IV) : la
voie tunisienne ‘’ Rapport Moyen orient / Afrique du Nord n°106-28avril 2011, page i. (www. Crisis group. Org).
2
Période (14 Janvier-3Mars) « Gouvernance révolutionnaire et transition
constitutionnelle » :
Cela couvre la période allant du 14janvier 2011, date à laquelle le Dictateur (Président
de la République) a quitté le pays jusqu’au discours prononcé le 3 Mars 2011 par le Président
de la République « provisoire » (qui l’a remplacé) et dans lequel il a annoncé officiellement
qu’une Assemblée constituante sera élue le 24juillet 2011.
1- Transition et continuité constitutionnelle :
La phase de la transition constitutionnelle aura duré moins de deux mois : du 14
Janvier au 3 Mars exactement ; cette dernière date est celle à laquelle le Président de la
République par intérim, annonça ce que l’on a pu appeler : la « feuille de route
constitutionnelle », qui devait conduire à l’élection de l’Assemblée constituante.
Rétrospectivement, on peut dire que cette période fût marquée par trois traits caractéristiques :
D’abord, l’ancrage constitutionnel de la suprématie de l’exécutif (I.1), ensuite, l’éviction
constitutionnelle du Parlement de l’exercice du pouvoir législatif (I.2) et, enfin, l’institution
de trois structures d’accompagnement de la transition, sous la forme d’autorités publiques
indépendantes appelées à préparer les réformes politiques nécessaires, faire la lumière sur les
malversations et la corruption, ainsi que sur les actes de répression et les exactions commis
depuis le 17 Décembre 2010 (I.3).
1-1 L’ancrage constitutionnel de la suprématie de l’exécutif :
Cet ancrage constitutionnel s’est fait en deux étapes successives : la première, fondée
sur l’ancien article 56 de la constitution-, très courte, n’ayant duré que le temps qui a séparé la
fuite de l’ancien Président de la République, le14janvier au soir, du début de la deuxième
étape, entamée sur le fondement de l’article 57 de la constitution. Celle-ci débuta le
lendemain du 14Janvier, et s’est prolongée jusqu’au 3Mars 2011.
3
1-1-1 L’invocation de l’empêchement provisoire et la convocation malencontreuse de
l’article 56 de la constitution :
Cette première étape fut marquée par l’annonce du Premier ministre en exercice,
Mohamed Ghannouchi, qu’il va exercer provisoirement les attributions du Président de la
République sur la base de l’article 56 de la Constitution qui dispose : «...En cas
d’empêchement provisoire, le Président de la République peut déléguer, par décret, ses
attributions au Premier ministre, à l’exclusion du pouvoir de dissolution de la chambre des
députés. Au cours de l’empêchement provisoire du Président de la République, le
Gouvernement s’il fait l’objet d’une motion de censure, reste en place jusqu’à la fin de cet
empêchement. Le Président de la République informe le Président de la chambre des députés
et le Président de la chambre des conseillers de la délégation provisoire de ses pouvoirs ».
En sollicitant l’article 56, sous la contrainte ou dans la précipitation, le Premier ministre a fini
par laisser croire que le départ de Ben Ali n’était que provisoire ! Ce n’était pas sans soulever
des craintes et des critiques, le recours à l’article 56 laissant –théoriquement , tout au moins -
ouverte la perspective d’un retour éventuel du Président en fuite. De plus, cela a permis de
nourrir une polémique sur l’irrégularité du recours à l’article 56. Il a été notamment soutenu,
sur ce point, que l’absence de délégation d’attributions au Premier Ministre par Le
Président en fuite, privait la sollicitation de l’article 56 d’un fondement constitutionnel
solide. Contrairement à ce qu’on a pu soutenir, cet argument ne nous semble pas décisif. Car,
même si, avant de quitter le territoire, l’ancien Président n’avait pris aucun décret de
délégation de ses attributions ce qui a été établi par le conseil constitutionnel, dans sa
déclaration du 15 janvier - l’absence d’un décret de délégation n’était pas contraire à l’article
56. Car, l’article 56 n’impose au Président aucune obligation de déléguer. La délégation
d’attributions n’était que facultative. Ben Ali pouvait donc quitter le territoire sans déléguer
ses attributions. Il n’y avait pas lieu non plus, et par voie de conséquence, à informer les
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présidents des deux chambres, puisque la délégation n’a pas été faite. Donc, le défaut de
délégation ne pouvait, à notre sens, être utilement invoqué pour contester la régularité du
recours à l’article 56. En revanche, ce qui rendait irrégulier le recours à l’article 56, c’était
l’impossibilité juridique de soutenir que le Président de la République était dans un état
d’empêchement provisoire, tel que prévu par l’article 56.En effet, quand un Président de la
République quitte le territoire national, qui plus est, dans un contexte de révolution populaire,
il se met ipso facto dans un état d’empêchement absolu d’exercer ses attributions. La
catégorie juridique de l’empêchement absolu s’impose d’elle-même. Car, la nature de la
Révolution du 14 janvier, sa profondeur sociale et son impact sur la vie politique étaient d’une
intensité telle qu’on pouvait bien voir dans le contexte créé par la fuite du Président , une
illustration , certes inédite mais réelle, d’empêchement absolu. C’est ce que devait
confirmer, d’ailleurs, le Conseil constitutionnel, le lendemain du 14.
Si bien que si le recours à l’article 56 pouvait être constitutionnellement contesté, il ne
pouvait l’être sur la base du défaut de délégation d’attributions, mais plutôt sur la
considération que les circonstances de fait n’étaient pas au nombre de celles qui pouvaient
constituer un cas de simple empêchement provisoire ; elles étaient, au contraire, de celles qui
constituaient un véritable empêchement absolu et définitif. Ceci étant, et au-delà des aspects
purement juridiques, on peut dire que le recours à l’article 56, si limité dans le temps qu’il
l’ait été, est resté aussi mystérieux que le sont restées jusqu’à nos jours, les conditions réelles
dans lesquelles l’ancien Président de la République s’est trouvé contraint de quitter le
territoire national. Sans oublier d’ajouter que sous un angle strictement politique, l’invocation
de l’article 56 venait braver la volonté de tout un peuple en révolution qui réclamait le départ
définitif du Dictateur. S’inscrire dans le cadre d’un empêchement provisoire, heurtait de front
la revendication principale du peuple qui était la chute irréversible de Ben Ali et de son
régime. C’est, vraisemblablement, pour toutes ses raisons réunies que, très rapidement, dès le
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