Le paradoxe de la révolution tunisienne : renforcement démocratique et ralentissement économique Le sous thème : la gouvernance démocratique en vue du développement socio-économique M. Ben Aissa Mohamed Saleh1 Dallali Rana2 Version préliminaire Résumé La Tunisie est en train de vivre une situation paradoxale qui décrit la persistance de la crise économique depuis une année et 5 mois, malgré les changements observés au niveau des institutions politiques et l'évolution constitutionnelle depuis la Révolution du 14 Janvier 2011. En effet, cette évolution démocratique et politique ne s'est pas traduite par une amélioration de la croissance et du développement économique et social. De ce fait, la transition en Tunisie pourrait avoir un effet contraire à celui prévu en raison de la montée des revendications sociales et de la forte dépendance vis-à-vis du budget de l’Etat et de la dette publique. La situation actuelle de la Tunisie montre que le processus de transition économique en Tunisie sera compliqué et porteur de risques et il est certain que ce mouvement influencera la situation politique et en sera influencé à son tour. Ce papier examine les étapes et les caractéristiques de la transition politique et économique en Tunisie tout en évoquant les principales questions permettant d’instaurer un système politique démocratique capable de relever les défis économiques sur le court et le moyen terme. 1 Professeur de droit public ; Ancien doyen de la Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis Email : [email protected] 2 Enseignante à l’ISAEG Email [email protected] 1 Introduction : Nombreux sont les observateurs de la révolution tunisienne du 14 janvier 2011 qui s’accordent à dire, en pensant aux autres soulèvements populaires arabes, que la Tunisie « est le pays où tout a commencé »3. Cette observation, même si elle est exacte dans une très large mesure, mérite d’être complétée en lui ajoutant, peut être, que c’est aussi le pays où tout reste encore à faire, s’agissant notamment de son avenir constitutionnel et politique, postrévolutionnaire. La Tunisie est aujourd’hui sans Constitution. Elle attend sa nouvelle Constitution, la deuxième depuis son indépendance, qui est actuellement en cours de préparation par l’Assemblée constituante élue le 23Octobre 2011, date initialement fixée pour le 24juillet 2011. Le pays est donc en pleine phase de transition politique et constitutionnelle, dont nous savons qu’elle a commencé réellement avec la chute de Ben Ali le 14 janvier 2011, et la mise en application de l’article 56 de la constitution tunisienne du 1er juin 1959, puis de son article 57. Il reste que, l’observation de l’évolution du processus de transition politique et constitutionnelle, montre que si, au départ, ce processus s’est inscrit dans la continuité constitutionnelle, il a fini par prendre la voie d’une rupture d’avec la constitution. L’on peut considérer, en effet, que c’est autour de ces deux temps forts que s’est articulée la transition qui a conduit à l’option finale pour l’élection d’une Assemblée constituante : Transition et continuité constitutionnelle (I), d’abord, transition et rupture constitutionnelle (II), ensuite. Le tout, se faisant sur fond de ralentissement économique et de troubles sociaux. I - Gouvernance révolutionnaire et éclatement de « l’image miracle » du modèle de développement économique et social (14 janvier 2011 - 23 octobre 2011) 3 Cf. .Par exemple : International crisis group :’’Soulèvements populaires en Afrique du nord et au moyen- orient (IV) : la voie tunisienne ‘’ Rapport Moyen orient / Afrique du Nord n°106-28avril 2011, page i. (www. Crisis group. Org). 2 Période (14 Janvier-3Mars) « Gouvernance révolutionnaire et transition constitutionnelle » : Cela couvre la période allant du 14janvier 2011, date à laquelle le Dictateur (Président de la République) a quitté le pays jusqu’au discours prononcé le 3 Mars 2011 par le Président de la République « provisoire » (qui l’a remplacé) et dans lequel il a annoncé officiellement qu’une Assemblée constituante sera élue le 24juillet 2011. 1- Transition et continuité constitutionnelle : La phase de la transition constitutionnelle aura duré moins de deux mois : du 14 Janvier au 3 Mars exactement ; cette dernière date est celle à laquelle le Président de la République par intérim, annonça ce que l’on a pu appeler : la « feuille de route constitutionnelle », qui devait conduire à l’élection de l’Assemblée constituante. Rétrospectivement, on peut dire que cette période fût marquée par trois traits caractéristiques : D’abord, l’ancrage constitutionnel de la suprématie de l’exécutif (I.1), ensuite, l’éviction constitutionnelle du Parlement de l’exercice du pouvoir législatif (I.2) et, enfin, l’institution de trois structures d’accompagnement de la transition, sous la forme d’autorités publiques indépendantes appelées à préparer les réformes politiques nécessaires, faire la lumière sur les malversations et la corruption, ainsi que sur les actes de répression et les exactions commis depuis le 17 Décembre 2010 (I.3). 1-1 L’ancrage constitutionnel de la suprématie de l’exécutif : Cet ancrage constitutionnel s’est fait en deux étapes successives : la première, fondée sur l’ancien article 56 de la constitution-, très courte, n’ayant duré que le temps qui a séparé la fuite de l’ancien Président de la République, le14janvier au soir, du début de la deuxième étape, entamée sur le fondement de l’article 57 de la constitution. Celle-ci débuta le lendemain du 14Janvier, et s’est prolongée jusqu’au 3Mars 2011. 3 1-1-1 L’invocation de l’empêchement provisoire et la convocation malencontreuse de l’article 56 de la constitution : Cette première étape fut marquée par l’annonce du Premier ministre en exercice, Mohamed Ghannouchi, qu’il va exercer provisoirement les attributions du Président de la République sur la base de l’article 56 de la Constitution qui dispose : «...En cas d’empêchement provisoire, le Président de la République peut déléguer, par décret, ses attributions au Premier ministre, à l’exclusion du pouvoir de dissolution de la chambre des députés. Au cours de l’empêchement provisoire du Président de la République, le Gouvernement s’il fait l’objet d’une motion de censure, reste en place jusqu’à la fin de cet empêchement. Le Président de la République informe le Président de la chambre des députés et le Président de la chambre des conseillers de la délégation provisoire de ses pouvoirs ». En sollicitant l’article 56, sous la contrainte ou dans la précipitation, le Premier ministre a fini par laisser croire que le départ de Ben Ali n’était que provisoire ! Ce n’était pas sans soulever des craintes et des critiques, le recours à l’article 56 laissant –théoriquement , tout au moins ouverte la perspective d’un retour éventuel du Président en fuite. De plus, cela a permis de nourrir une polémique sur l’irrégularité du recours à l’article 56. Il a été notamment soutenu, sur ce point, que l’absence de délégation d’attributions au Premier Ministre par Le Président en fuite, privait la sollicitation de l’article 56 d’un fondement constitutionnel solide. Contrairement à ce qu’on a pu soutenir, cet argument ne nous semble pas décisif. Car, même si, avant de quitter le territoire, l’ancien Président n’avait pris aucun décret de délégation de ses attributions – ce qui a été établi par le conseil constitutionnel, dans sa déclaration du 15 janvier - l’absence d’un décret de délégation n’était pas contraire à l’article 56. Car, l’article 56 n’impose au Président aucune obligation de déléguer. La délégation d’attributions n’était que facultative. Ben Ali pouvait donc quitter le territoire sans déléguer ses attributions. Il n’y avait pas lieu non plus, et par voie de conséquence, à informer les 4 présidents des deux chambres, puisque la délégation n’a pas été faite. Donc, le défaut de délégation ne pouvait, à notre sens, être utilement invoqué pour contester la régularité du recours à l’article 56. En revanche, ce qui rendait irrégulier le recours à l’article 56, c’était l’impossibilité juridique de soutenir que le Président de la République était dans un état d’empêchement provisoire, tel que prévu par l’article 56.En effet, quand un Président de la République quitte le territoire national, qui plus est, dans un contexte de révolution populaire, il se met ipso facto dans un état d’empêchement absolu d’exercer ses attributions. La catégorie juridique de l’empêchement absolu s’impose d’elle-même. Car, la nature de la Révolution du 14 janvier, sa profondeur sociale et son impact sur la vie politique étaient d’une intensité telle qu’on pouvait bien voir dans le contexte créé par la fuite du Président , une illustration , certes inédite mais réelle, d’empêchement absolu. C’est ce que devait confirmer, d’ailleurs, le Conseil constitutionnel, le lendemain du 14. Si bien que si le recours à l’article 56 pouvait être constitutionnellement contesté, il ne pouvait l’être sur la base du défaut de délégation d’attributions, mais plutôt sur la considération que les circonstances de fait n’étaient pas au nombre de celles qui pouvaient constituer un cas de simple empêchement provisoire ; elles étaient, au contraire, de celles qui constituaient un véritable empêchement absolu et définitif. Ceci étant, et au-delà des aspects purement juridiques, on peut dire que le recours à l’article 56, si limité dans le temps qu’il l’ait été, est resté aussi mystérieux que le sont restées jusqu’à nos jours, les conditions réelles dans lesquelles l’ancien Président de la République s’est trouvé contraint de quitter le territoire national. Sans oublier d’ajouter que sous un angle strictement politique, l’invocation de l’article 56 venait braver la volonté de tout un peuple en révolution qui réclamait le départ définitif du Dictateur. S’inscrire dans le cadre d’un empêchement provisoire, heurtait de front la revendication principale du peuple qui était la chute irréversible de Ben Ali et de son régime. C’est, vraisemblablement, pour toutes ses raisons réunies que, très rapidement, dès le 5 lendemain du 14janvier, l’article56 fut abandonné au profit de l’article 57. Aussi, la transition va-t-elle encore continuer à se mouvoir dans le cadre de la constitution du 1er juin 1959. 1-1-2 Le recentrage de la transition sur l’article 57 de la constitution : Dès le15janvier, le processus de la transition constitutionnelle a été fondé sur l’article 57, qui, lui, se rapporte à l’hypothèse d’empêchement absolu à l’exercice des fonctions de Président de la République. Appelé à constater la concrétisation de cette hypothèse, le conseil constitutionnel tunisien, après avoir relevé, notamment, que l’ancien Président a quitté le pays sans déléguer ses pouvoirs au Premier ministre ni présenter sa démission, que son départ s’est déroulé dans les circonstances qui ont prévalu dans le pays et que l’absence du Président de la République de cette façon l’empêche d’exercer ses fonctions, a confirmé la vacance définitive au poste de Président de la République. Il ne restait plus qu’à tirer les conséquences de cet état de vacance définitive, lesquelles découlent du même article 57. Les dispositions de cet article prévoient, en effet, qu’en cas de décès, de démission ou d’empêchement absolu dûment constaté par le Conseil constitutionnel, qui en informe le Président de la chambre des conseillers et le Président de la Chambre des représentants,ce dernier exerce alors provisoirement les fonctions de chef d’Etat pour une durée de quarante cinq jours, au moins, et de soixante jours, au plus. Les mêmes dispositions prévoient qu’au cours de cette période, des élections présidentielles sont organisées pour élire un nouveau Président de la République pour un mandat de cinq ans, lequel, à son tour, une fois élu, doit dissoudre la chambre des représentants et convoquer le corps électoral pour des élections législatives anticipées. C’est en application de ces dispositions que Monsieur Foued M’BAZÂÂ, Président de la chambre des représentants, a pris ses fonctions de Président de la République par intérim. Sitôt investi, le Président de la République devait résoudre la question de la formation du gouvernement. Sur avis du Conseil constitutionnel, sollicité sur la base de l’alinéa 3 de l’article 72, le Président de la République 6 par intérim a chargé Monsieur Mohamed Ghannouchi , sur la base des articles 50 et 57 ( alinéa 4) de la constitution, de former un gouvernement d’unité nationale ; ce qui a été fait. Le premier gouvernement Ghannouchi fut formé le 17Janvier. Et la transition continuait à se faire sur le fondement des dispositions constitutionnelles en vigueur. Nous sommes en présence d’une continuité institutionnelle adossée à la légitimité constitutionnelle. Restait en suspens la question, de plus en plus lancinante, de savoir si les dispositions, constitutionnelles, notamment celles de l’article 57 de la constitution sur l’organisation des élections présidentielles dans les délais prévus à cet effet, vont recevoir application .Les réponses proposées variaient d’un extrême à un autre : il y a eu celles qui admettaient la possibilité d’organiser pareilles élections moyennant prorogation du délai maximum de soixante jours prévu par l’article 57 en invoquant à l’appui de cette prorogation les théories de la force majeure ou des circonstances exceptionnelles ; à l’opposé , il y a eu celles, plus radicales, qui prônaient la rupture totale avec l’ordre constitutionnel.4 Tel était l’ancrage constitutionnel initial du pouvoir exécutif ; ancrage qui lui assurait une prééminence par rapport au législatif incarné encore, durant cette première période, par les deux chambres du parlement tunisien qui, totalement discréditées, étaient condamnées à être marginalisées en attendant que la décision de leur dissolution soit prise (cf. Infra. II) 1-2 L’éviction « constitutionnelle » du Parlement de l’exercice du pouvoir législatif Cette exclusion découla de la mise à l’écart des deux chambres du Parlement en les dessaisissant de leur pouvoir législatif (1-2-1). Sa nature constitutionnelle vient de ce qu’elle a été opérée sur le fondement de la constitution. Par ailleurs, dans le prolongement logique de cette exclusion, il a été décidé, suite à un jugement en référé du Tribunal administratif, de suspendre le paiement de l’indemnité parlementaire perçue par les membres desdites chambres (1-2-2). 4 Nous verrons que le cours des évènements conduira à faire prévaloir cette dernière option qui devait conduire à l’élection d’une Assemblée constituante à l’effet d’établir une nouvelle constitution.( cf. infra, II ème partie ). 7 1-2-1 S’agissant de l’exercice du Pouvoir législatif dont le Parlement fut exclu, cela résultait de la loi n°2011-5 du 9 février 20115 portant délégation au profit du Président provisoire de la République, et jusqu’à la fin de ses fonctions, de pendre des décrets-lois sur la base de l’article 28 de la constitution du 1er juin1959, encore en vigueur, dans des matières couvrant quasiment tout le domaine de la loi : amnistie générale, droits de l’homme et libertés fondamentales, régime électoral, presse, partis politiques, associations et organisations non gouvernementales, lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent, développement économique, progrès social, budget et fiscalité, propriété, éducation et culture, lutte contre les catastrophes naturelles, conventions internationales relatives aux engagements financiers de l’Etat, conventions internationales à caractère commercial, fiscal, économique et conventions d’investissements, conventions internationales relatives aux droits de l’homme et les libertés fondamentales. On notera, à propos du régime de ces décrets-lois que le Président est ainsi habilité à prendre, que la loi n°2011-5précitée a prévu dans son article 2qu’ils seront ratifiés conformément à l’article 28 de la constitution. Pareille disposition nous semble être révélatrice de l’incertitude politique qui persistait encore, à la date de cette loi, quant à l’évolution future du processus constitutionnel de la transition. Prévoir la ratification législative des décrets-lois, c’est, en effet, laisser entendre implicitement que le Parlement de l’ancien régime pourrait continuer à siéger et à exercer son pouvoir législatif ; même s’il était difficile de définir les conditions dans lesquelles il serait appelé à le faire ni la durée d’exercice de ce pouvoir. Nous verrons que cette incertitude ne tardera pas à être levée, suite à la dissolution des deux chambres du Parlement tunisien, consécutive à l’organisation provisoire des pouvoirs publics qui va être décidée le 23mars 2011(cf. Infra II). 5 Loi promulguée par le Président provisoire de la République et prise, comme cela découle des visas, avec l’approbation des deux chambres ; Cf. .Journal officiel de la République tunisienne (en langue arabe) n°10 du 10 février2011, p.174. 8 1-2-2 cette première mesure par laquelle le Parlement fut dessaisi de son pouvoir législatif, s’ajoutait celle de la suspension de l’indemnité parlementaire servie aux membres des deux chambres. Sur une action en référé intentée par un groupe d’avocats devant le Tribunal administratif, la suspension du paiement des indemnités parlementaires et des avantages qui lui sont liés fut prononcée par un jugement en référé du Tribunal administratif du 10 Mars 2011(affaire n°711506), motivé essentiellement par la considération que, suite à la dissolution des deux chambres résultant de la nouvelle organisation provisoire des pouvoirs publics, la règle du service fait ne pouvait plus être respectée et qu’en conséquence, continuer à servir les indemnités parlementaires aux députés constituerait une violation grave de cette règle fondamentale de la comptabilité publique. Parallèlement à cette mise à l’écart de l’ancien Parlement, totalement disqualifié dans cette phase de transition, il convient de signaler la création de trois instances nationales dont on peut penser qu’elles constituaient des structures d’accompagnement du processus de cette première phase de transition, bien que leurs activités se soient poursuivies bien au-delà de cette phase.6 1-3 Les structures d’accompagnement : Il s’agit respectivement de la « Haute instance indépendante pour la réalisation des objectifs de la Révolution, des réformes politiques et de la transition démocratique » (décretloi n°2011-6 du 18 février2011), de la « commission nationale d’investigation sur la corruption et les malversations » (décret-loi n°2011-7 du 18février2011) et de commission nationale sur les abus et les exactions commises depuis « la le 17 décembre.. »(décret-loi n°8-2011 du 18février 2011). Indéniablement, c’est la première 6 Ces structures sont étudiées, ici, - c'est-à-dire dans le cadre de cette première phase que nous avons placée dans le cadre de la continuité constitutionnelle, en raison de leur date de création : le 18Février 2011, date à laquelle le processus de transition continue à se faire dans le cadre des dispositions constitutionnelles. Mais nous concédons que leurs activités se poursuivront bien au-delà de cette phase, tout au long de la période où la transition continuera à se faire en rupture avec l’ancienne constitution (V .infra II) 9 instance qui va avoir un rôle de premier plan dans la poursuite du processus de transition politique au cours de cette phase et même après l’expiration de celle-ci. Initialement dénommée ‘’Commission des Réformes politiques’’, sa composition fut limitée à l’origine à des experts juristes, ce qui lui a valu d’être fortement critiquée7en raison, notamment, de son caractère technique. Elle devait, alors, être élargie à diverses catégories socio-politiques. Devenue de nature mixte, la structure de cette commission évolua pour comprendre, à côté d’un comité d’experts, un conseil représentant les partis politiques, les personnalités nationales, les organisations nationales et les autres composantes de la société civile issues de la capitale et des régions, ayant pris part à la révolution et l’ayant soutenue (.article3 du décret-loi n°2011-6, précité). D’où le changement de son appellation destiné à refléter sa vocation désormais représentative et à la mettre en harmonie avec les objectifs de la Révolution et de la transition démocratique. Suprématie de l’exécutif et éviction du législatif, avec, en parallèle des institutions indépendantes destinées à accompagner le processus de transition à des niveaux différents. Telles ont été les traits caractéristiques de cette première phase de la transition qui s’est déroulée sur la base de la constitution du 1 er juin 1959. Mais ce rattachement constitutionnel ne pouvait plus durer longtemps. La pression populaire sur un gouvernement comprenant un nombre important d’anciens ministres de Ben Ali devenait de plus en plus forte. Sa contestation ouverte par le peuple le rendait de plus en plus fragile. Audelà du Gouvernement lui-même, c’est toute la légitimité constitutionnelle qui était remise en cause. Désormais, la Transition devait se faire en dehors de toute référence à l’ancienne constitution. Si la révolution a pu constater que la transition s’est effectuée dans la continuité constitutionnelle il importe de souligner que le déclenchement de la révolution du 14-1-2011 a aussi montré les limites du modèle antérieur de développement souvent associé à l’image miracle du modèle économique. 7 V. infra II.1la position du Conseil de protection de la Révolution. 10 2- Le dévoilement du modèle miracle de développement économique et social tunisien Depuis 1990 et jusqu’à le 14 Janvier, les autorités tunisiennes ont réussi à faire croire à l’image d’un miracle économique qui se produit au sein du régime de Ben Ali. C’est un modèle de développement qui décrit une performance économique, une croissance, une capacité de création d’emploi, une amélioration du niveau de vie. Le modèle de développement se présente ainsi comme un mélange de performances passées, des décisions prises, des évolutions anticipées et des projections futures faisant du modèle tunisien un modèle de succès incontestable. Par ailleurs, les autorités tunisiennes ont réussi à présenter aux bailleurs de fonds une analyse largement surévaluée sur les plans économiques, sociaux et politiques faisant de la Tunisie l’exemple d’une économie émergente susceptible d’être comparée aux nouveaux pays asiatiques et même avantageuse par rapport aux autres pays du Maghreb Arabe et du Moyen Orient. En se basant sur la centralité de la stabilité dans le discours de ben Ali, le modèle erroné a réussi à mettre en place une stratégie qui a facilité l’attraction des flux de financement étrangers et des aides à l’économie tunisienne étant donné la reconnaissance internationale du modèle tunisien durant plusieurs années. Néanmoins, étant sensibilisés par le discours de Ben Ali, l’Europe n’a pas accordé une grande importance aux défaillances économiques et institutionnelles du pays. 2-1 Les principales techniques d’occultation des données : Les autorités tunisiennes se sont servies de plusieurs procédés et techniques de falsification des données pour faire réussir cette image «miracle» du modèle de développement économique et social. Les procédures les plus répondues sont la technique de glissement qui est fondée sur des modifications cachées dans la construction de l’indicateur ainsi que dans les modalités de mesure qui n’a cessé de décrire une amélioration économique continue. A titre d’exemple, faire croire à une augmentation de l’investissement, on confond entre les projets d’investissement réellement réalisés et les projets qui sont en cours d’étude 11 ou seulement acceptés. Une deuxième technique consiste à sélectionner les informations de façon à occulter celles qui ne vont pas dans le même sens du discours officiel ou au contraire mettre en scène les informations qui sont en sa faveur. Les autorités ont également procédé à la technique de réévaluation des principaux agrégats économiques (inflation, déficit budgétaire …) en fonction de la situation économique et de la conjoncture politique et pour faire montrer la primauté du social sur l’économique ce qui est contredit par la réalité des politiques économiques qui ne sont pas conformes aux objectifs sociaux. La base de données est souvent soumise à la technique de désagrégation pour pouvoir faciliter sa manipulation dans le but de donner à la réalité économique une image erronée touchant les secteurs les plus sensibles comme le secteur touristique, celui du textile et de l’industrie. Cette technique a abouti à des résultats contreversés concernant l’industrie tunisienne du tourisme. En effet, en 2006 le bilan global a mentionné la réalisation d’un nombre de touristes record (6,5 millions) et des recettes en devises très élevées. Néanmoins, selon l’agence de notation de Fitch, ces chiffres ont masqué d’autres réalités (chute de la durée moyenne de séjour des touristes de 6,6 à 5,2 jours durant la période (2002-2006), la baisse du taux d’occupation de 50,6% à 43,5%.8 D’un autre côté, l’adoption des recettes unitaires en monnaie locale pourrait renseigner sur une augmentation alors que la réalité renseigne sur une chute des recettes qui a été occultée par l’impact positif exercé par la dépréciation du dinar. Par ailleurs, les autorités avaient recours à la technique de la non publication des données étant donné qu’elles ne tracent pas une amélioration et ne se trouvent pas en harmonie avec le discours officiel. Les chiffres qui dévoilent les inégalités et les déséquilibres observés étaient souvent occultés par la plupart des ministères et par la Banque Centrale de 8 Ces observations sont développées dans un rapport intitulé ‘L’Industrie Touristique Tunisienne, un modèle économique à rénover’ librement accessible sur le site web de l’agence www.fitchratings.com.tn dans la section ‘Rapports sectoriels et commentaires » 12 décembre 2007 12 Tunisie9 afin de tracer cette image erronée de la performance de l’économie tunisienne. Cette technique a abouti à la création d’une base de données désordonnée incohérente et inadéquate qui est incapable d’assurer l’évaluation correcte de la situation de l’économie. Nous ajoutons à ces mauvaises techniques la non actualisation des données qui trompe de plus en plus la situation réelle de l’économie. Prenons à titre d’exemple, le taux de chômage qui est considéré parmi les principaux éléments ayant déclenché la révolution, ce taux n’a pas été soumis à l’actualisation. Il a été pour longtemps affiché à un taux stable égal à 15% comme étant insensible au changement de la conjoncture économique aussi bien nationale qu’internationale. 2-2 Une inégalité entre les régions: La révolution tunisienne était un évènement majeur que personne n’a prévu bien que tous les tunisiens l’espéraient. Le discours officiel qui n’a cessé de décrire la bonne image de la Tunisie cache une réalité sociale qui est plus complexe. La fuite de Ben Ali en Janvier 2011 a fait apparaître les failles du modèle de développement miracle poursuivi pendant des années. Une réalité qui s’est dévoilée marquant des difficultés économiques, sociales, des inégalités remarquables entre les régions, un chômage élevé, une exclusion des jeunes, une corruption répandue dans la plupart des secteurs, un interventionnisme croissant des alliés du pouvoir dans les affaires de l’économie. Le début de l’année 2011 a été marqué par une conjoncture inédite dans l’histoire de l’économie tunisienne qui devrait affecter la trajectoire de l’économie à court terme ainsi que sa stratégie à long terme. Le problème des inégalités régionales était au coeur des troubles sociaux connus dans la région du Centre-Est du pays. Globalement, la côte orientale est mieux lotie que les régions de l’Ouest et du Sud. La population et l’activité économique sont principalement concentrées dans le Nord-Est (gouvernorat de Tunis) et dans le Centre-Est (gouvernorat de Sfax), 75 % 9 Communiqué du conseil d’administration de la BCT (réuni le 21 Mars), la BCT s’est engagée à ce que les informations communiquées au public soient plus conformes aux critères d’objectivité et de transparence. 13 d’emplois non agricoles se trouvant dans la région côtière. Il s’ensuit une importante variabilité de la consommation moyenne et de la pauvreté d’une région à l’autre. Les régions les plus pauvres ont par ailleurs souffert d’une négligence de la part des autorités, par contre les régions côtières bénéficiant de 65 % de l’investissement public. En conséquence, le Centre-Ouest est la région la plus pauvre du point de vue de la prestation des services publics (santé et éducation). Les inégalités entre les régions sont remarquables sur plusieurs plans. Pendant des années, le développement du littoral a été favorisé au détriment de l’Ouest qui est resté spécialisé en agriculture, les chances de création d’emploi sont restées réduites dans ces régions. L’inégalité pourrait être touchée au niveau même de la vision de la politique de développement. En effet avant la révolution, le budget de l’Etat a orienté 18 % des investissements vers les régions de l’intérieur contre 82% vers les régions côtières10. Après la révolution, le gouvernement transitoire a élaboré un plan complémentaire au profit des régions défavorisées (80 % du budget complémentaire a été orienté vers l’intérieur ce qui traduit un redéploiement du budget de l’Etat en 2011 en faveur des régions de l’ouest pour assurer un meilleur développement régional). Les inégalités entre les régions apparaissent également en matière de prestation des services publics (accès à l’eau, à l’électricité, au réseau routier, à la santé, à l’éducation et au tissu entrepreneurial). Toutefois, Etant donné l’insuffisance des données permettant d’évaluer la situation économique et sociale de chaque région, le taux de chômage est le critère de comparaison entre régions qui est souvent retenu. La lutte contre le chômage a certes été la plus grande priorité de la politique économique de la Tunisie pendant plusieurs années, mais le gouvernement n’est pas parvenu à créer un nombre suffisant d’emplois destinés aux jeunes diplômés. La situation économique du pays est caractérisée par la montée du chômage, les régions les plus touchées sont celles du Sud et du 10 De Tunis, Anouk Ledran (2011) «La Tunisie, 49 idées pour réduire la fracture entre la zone côtière et l’intérieur », 15 (11) : p. 4 14 Centre et Nord Ouest. Le gouvernorat de Gafsa arrive en tête avec un taux de 28,3% (plus de 30 mille chômeurs), suivi de Tataouine (23,6%), Kasserine (20,7%), Gabès (18,1%) et Jendouba (17,7%)11. Tunis enregistre quand même 14,2%. De même pour La Manouba avec 15,3%. Zaghouan, Monastir et Sfax enregistrent les plus faibles de chômage en Tunisie, avec respectivement 4,9%, 6,1% et 7,4%. Cependant, on note un certain changement de configuration s'agissant des diplômés chômeurs. En effet, si Gafsa occupe la première place avec 47,7%, soit plus de 9 mille chômeurs, c'est Kébili avec 42,8% qui arrive en deuxième position, suivis par Sidi Bouzid (41,0%), Jendouba (40,1%) et Gabès (39,4%). Les autres gouvernorats enregistrent des taux variables se situant au dessus de 10% (18,5% pour Sfax, 19,6% pour Sousse et 18,7% pour Monastir, régions côtières connues pour leur aptitude à attirer et absorber les investissements. Quant aux régions du sud, nord-ouest et centre, elles enregistrent des taux assez élevés. A Béja, il est de 31,3%; 27,9% au Kef, 39,9% pour Tataouine et 37,9% à Kairouan. Le taux le moins important est enregistré à Ariana (10,9%) et à Zaghouan (11,5%). La tendance à la hausse du chômage des diplômés d’université est la conséquence de l’explosion de la population active, du rendement élevé des universités, de l’inadéquation entre la demande et l’offre de main d’œuvre qualifiée et de la mauvaise qualité de la formation reçue par beaucoup de diplômés il semble par ailleurs exister une inadéquation entre le domaine de spécialisation choisi et les réalités du marché du travail. Le taux de chômage qui atteignait 47,1 % en moyenne chez les jeunes détenteurs d’une maîtrise en économie, en gestion ou en droit et 43,2 % pour les titulaires d’une maîtrise en sciences sociales, témoigne de cette situation. En 2011, une perte d’emploi a été enregistrée en raison de la paralysie économique notamment dans les entreprises publiques, la fragilité des industries qui remonte même à la période de l’avant révolution. La crise touristique et le retour des émigrés de la Lybie pour s’insérer sur le marché du travail tunisien ont largement 11 Webmanagercenter.com (2011) « Tunisie : chômage, d’importantes disparités régionales » 16 (6) 15 participé à la montée du chômage. De ce fait, la création de l’emploi décent pour les jeunes diplômés en chômage constitue l’un des principaux défis que doit relever le gouvernement. 2-3 Une corruption répandue dans le système politique et économique: La corruption étendue au sein des plus hautes instances décisionnelles de la Tunisie a été un facteur déterminant du soulèvement populaire qui a conduit à la chute de l’ex-président Ben Ali. Toutefois, dans le cadre de l’image erronée de la Tunisie, les principaux organismes internationaux ont souvent classé le pays à niveau de corruption moyen faisant croire à sa « bonne gouvernance » mais la réalité fait que l'ancien président et ses proches s'étaient appropriés tous les secteurs de l'économie tunisienne. La famille élargie du président Ben Ali est généralement présentée comme le carrefour de la corruption en Tunisie. Ainsi, comme l’a déclaré Mr Néji Baccouche, membre de la Commission et professeur de droit à l'Université de Sfax « Tous les secteurs juteux de l'économie tunisienne étaient réservés à l'ancien président et à sa famille et que les entreprises étrangères ne sont pas des anges en la matière. Certaines ont été complices de pratiques injustifiables autrement que par l'argent. Malheureusement, rien n'a échappé à la corruption» Le système financier était parmi les secteurs les plus affectés par de graves pratiques de corruption et de mauvaise gestion financier. En effet, en créant de bonnes relations avec les banquiers, les riches hommes d’affaire tunisiens se procurent du meilleur financement permettant la validité de leurs projets commerciaux qui ne sont pas forcément rentables. Ils utilisent également leurs liens personnels avec le pouvoir pour ne pas rembourser leurs emprunts. Cette activité bancaire fondée sur les liens personnels a abouti à un accroissement de la part créances douteuses qui a atteint un taux égal à 19% 12 qui demeure élevé bien qu’il soit inférieur à 25% enregistré en 2001. En présence d’une mauvaise gouvernance, le secteur bancaire a échappé au contrôle pour devenir un réservoir inépuisable de bonnes affaires. 12 En 2010, le ratio des créances douteuses a atteint 13%, le ratio (provisions/créances douteuses) est de l’ordre de 58,5% 16 Selon Wikileaks13 le gendre de Ben Ali, Marouen Mabrouk a acheté 17% des parts de l’ancienne Banque du Sud (Tijari Bank aujourd’hui) juste avant sa privatisation pour avoir une position de contrôle qui lui a permis par la suite de revendre ses parts à des banques étrangères et se procurer des bénéfices élevés. De ce fait, durant les 20 dernières années, il s’est développé un empire financier fondé sur des biens mal acquis sans précédent en Tunisie, notamment dans les secteurs des médias, des transports, des télécommunications, du tourisme et même de l’éducation.14 Ces acquisitions douteuses se sont accélérées pendant le programme de privatisation au début de 2000, tout comme l’octroi de prêts bancaires à de très faibles taux d’intérêt qui ont permis la dégradation des actifs. Les autorités ont profité de leur pouvoir pour créer un monopole dans le secteur privé, dans le secteur Export-Import et dans l’accès à l’information alors que la population fait face à une montée de l'inflation et à un fort taux de chômage. La Global Financial Integrity Foundation a estimé le coût de la corruption dans le pays à environ 1 milliard de dollars par an15. Cela étant, Freedom House16 fournit des données probantes montrant que la Tunisie accuse d’importantes lacunes en matière de droits politiques et de libertés civiles. Les indicateurs de Freedom House tendent en outre à indiquer que la Tunisie avait l’un des pires environnements médiatiques du monde arabe en 2010, le gouvernement recourant à tout un arsenal juridique, pénal et économique pour réduire au silence les voix dissidentes. Le manque de transparence au sein du système politique tunisien 13 Le monde.fr (2011) « publication d’une traduction en français d’un télégramme diplomatique américain dévoilé par Wikileaks et décrivant la corruption au sein du plus haut niveau du régime du président de ben Ali. » 15 (1) 14 En 2007, Leila ben Ali a reçu gratuitement du gouvernement tunisien un terrain bien situé pour construire une institution à but lucratif « Carthage International school » accompagné par un don de la part du gouvernement de l’ordre de 1,8 million de dinars (1,5 million de dollar) 15 Verdier.C, Audrey.O et Castel.V (2011) « Révolution tunisienne, enjeux et perspectives économiques » Note économique AFDB, 11 (3), p. 4 16 www.freedomhouse.org 17 s’est répercuté négativement sur l’économie en dégradant les conditions de l’investissement dans la mesure où, en 23 ans de règne, Ben Ali avait installé et répandu la corruption dans tout le système. Période (3Mars – 23 Octobre) « Gouvernance révolutionnaire sans constitution » Cela couvre la phase qui va du 3Mars 2011, et, de la formation, quelques jours après, du Gouvernement présidé par Monsieur El Béji CAÏD ESSEBSI, jusqu’à l’élection, le 23 Octobre, de l’Assemblée constituante. 1- Transition et rupture constitutionnelle : Cela peut être analysé à un double niveau : le premier est celui de la chute des deux premiers gouvernements présidés par monsieur Ghannouchi (II.1), le second est la formation d’un troisième gouvernement dirigé par monsieur Béji Caiid Essebsi (II.2) et l’abandon définitif du cheminement suivi jusque-là rattaché à la constitution du 1er juin 1959. 1-1 Légitimité révolutionnaire et chute des deux gouvernements Ghannouchi : Comme nous l’avons déjà indiqué, par la formation du premier gouvernement formé le 17 Janvier, le cap choisi était clair : assurer la continuité de l’Etat par une transition fondée sur la légitimité constitutionnelle, l’objectif à terme étant de conduire la transition vers une élection présidentielle, conformément aux dispositions de l’article 57 de la constitution pour éviter un vide politique.17 C’était sans compter avec ceux qui, se réclamant de la légitimité révolutionnaire, voyaient dans le premier gouvernement l’image fidèle d’un passé supposé révolu et définitivement condamné. Il suffit, en effet, de rappeler ici que sur les trente neuf (39) membres de ce premier gouvernement, quinze (15) étaient issus du ‘Rassemblement 17 C’est ainsi que Mme Jeribi Maya, secrétaire générale du PDP, soulignant cette démarche, fit observer : ‘’la phase de transition doit se faire sur la base de l’actuel, c'est-à-dire dans la continuité constitutionnelle, avec une transition au niveau des institutions…car cette révolution n’a pas donné de direction politique. Il faut limiter les dégâts et coupler la rupture politique avec les institutions existantes’’ (in : Entretiens de Crisis group, Maya Jeribi, Tunis le 6/2/2011, op.cit.p.15) 18 constitutionnel démocratique’’(RCD),18 l’ancien parti de Ben Ali. Ce qui écornait sérieusement la crédibilité, voir la légitimité, de ce Gouvernement, bien qu’il associât, à sa composition des ministres représentant certains partis de l’opposition légale : le parti’’Ettajdid’’, le’’ Parti Démocratique progressiste’’(PDP), le parti ‘’Ettakattol’’ et trois ministres de l’Union générale tunisienne du Travail(UGTT). A peine composé, ce gouvernement a connu rapidement sa première fissure. Dès le 18 Janvier, l’UGTT et le parti ‘’Ettakattol’’ se retirent du gouvernement, protestant, selon eux, contre la procédure autoritaire de sa formation. A cette fissure, s’ajouta une opposition qui, en dehors du gouvernement et s’affirmant ouvertement sur la place publique, afficha une résistance farouche à ce premier gouvernement. De cette opposition, on notera particulièrement, à cet égard, la formation du ‘’ front du 14 Janvier ‘’, formé le 20 Janvier, regroupant plusieurs forces politiques d’obédiences diverses : nationalistes démocrates (‘’watad de Chokri Belaiid), unionistes, nassériens, courant bath, gauche ouvrière marxiste (‘’parti ouvrier communiste tunisien : POCT de Hamma Hammami), et d’autres formations, ainsi que le Syndicat ouvrier, L’Union générale des travailleurs tunisiens(UGTT). Les revendications du front du 14 janvier, se cristallisant dans une opposition farouche au Gouvernement de Ghannouchi, portaient notamment sur la dissolution du Parlement et du Conseil supérieur de la Magistrature ainsi que sur l’élection d’une Assemblée constituante.19 L’action du front du 14 Janvier était d’autant plus incisive qu’elle s’accompagnait d’un sit-in impressionnant à la Place du gouvernement, Place de la Kasba (‘’baptisé Kasba1) formé de centaines d’occupants issus, notamment, de plusieurs gouvernorats du centre et du sud.L’exacerbation de l’hostilité au Gouvernement Ghannouchi devait inévitablement conduire à la chute de ce dernier, et, à la formation d’un deuxième Gouvernement le 27janvier 18 Dont, particulièrement, trois des plus significatifs ; il s’agit de : Kamel Morjane (affaires étrangères),Ahmed Friââ(Intérieur, nommé déjà par Ben Ali, dès le12janvier !) et Mohamed Jegham. 19 V. déclaration constitutive de ce front, in : http://front du 14janvier. Net/déclaration-constitutive-du-front.html 19 2011.Ce fut, à notre sens, la première grande épreuve à laquelle fut confrontée la légitimité constitutionnelle dont le Gouvernement Ghannouchi croyait encore pouvoir se parer. Malgré la formation du deuxième Gouvernement Ghannouchi , rattaché encore à une légitimité constitutionnelle chancelante, l’hostilité des’’Sit-ineurs’’ continuait à croître. Leur nombre aussi. De nombreux occupants venant des gouvernorats de Sidi bouzid,tala, kasserine, siliana,tozeur ,nafta, tataouine, kebili, nabeul,mahdia… sont venus renforcer les rangs des ‘’sit-ineurs’’ de la’’Kasba1’’. Cette hostilité - faut-il le noter- était aussi soutenue par une partie non négligeable de l’opinion publique. C’est l’épreuve de la ‘’Kasba 2’’ que devait subir ce deuxième Gouvernement où le nombre des ministres de l’ère Ben Ali a été réduit et où on a pu noter une entrée remarquée de technocrates dont certains étaient recrutés parmi des compétences tunisiennes travaillant à l’étranger. Aussi, cette nouvelle configuration du deuxième Gouvernement ne répondait-elle que très partiellement aux revendications radicales de la Rue. Et, la nomination, début février, de dix neuf gouverneurs sur vingt quatre, considérés comme appartenant à l’ancien parti au pouvoir sous Ben Ali (le ‘’Rassemblement constitutionnel démocratique’’) n’a fait qu’accréditer davantage l’idée que le Gouvernement Ghannouchi continuait à incarner le régime déchu. En même temps, il était manifeste que la légitimité constitutionnelle qui était la sienne devenait, au fil des jours, de plus en plus incompatible avec la nouvelle légitimité révolutionnaire. 20 Non seulement, c’est le départ du premier ministre Ghannouchi qui est scandé, mais l’exigence de l’élection d’une « Assemblée constituante » devenait, désormais, le mot d’ordre capital qui allait aiguiller l’évolution politique et constitutionnelle future de la Tunisie. La fragilisation de ce deuxième gouvernement va s’accentuer avec la création d’un ‘’Conseil national pour la protection de la révolution,’’ dont l’acte fondateur a été signé le 20 On notera que l’hostilité à ce deuxième gouvernement s’est accentuée avec les bavures policières commises à l’occasion de l’évacuation violente de la place du Gouvernement (place de la ‘’Kasba’’). 20 11 Février 2011 par 28 organisations21 ; ses membres réclament que le Conseil national de la protection de la révolution soit consacré par décret-loi et revendiquent l’exercice d’un pouvoir de décision et de contrôle du gouvernement, ce qui ne fut jamais accepté par ce dernier. Dans ce Conseil, l’ordre des avocats et l’UGTT ont été les acteurs principaux auxquels s’ajoute le ‘’front démocratique pour le travail et les libertés ‘’, rejoint plus tard par le parti islamiste Ennahdha, le 15 Février. 22 Ce Conseil contestait également les instances indépendantes d’accompagnement (‘’la Haute instance indépendante des réformes politiques…’’..,’’ la commission nationale d’investigation sur la corruption..’’, ‘’ la commission nationale d’investigation sur les exactions et les abus…’’ (cf. Supra I.3). Et comme nous l’avons déjà relevé (supra I. 3), c’est particulièrement la première commission des réformes politiques qui a été la cible privilégiée des critiques du conseil national de protection de la Révolution., en ce qu’elle n’est pas représentative des différentes forces politiques et qu’elle ne saurait constituer le cadre institutionnel approprié pour suivre et contrôler le gouvernement et garantir la réalisation des objectifs de la Révolution. C’est ce qui explique que, pour répondre à cette critique, et après de longues et laborieuses négociations, la composition initiale 23 de cette haute instance indépendante des réformes politiques (v. supra I.3) a été sensiblement élargie de façon à y intégrer, notamment, la majorité des composantes du Conseil national de protection de la 21 V. Soulèvements populaires en Afrique du nord…… (International Crisis Goup..), op.cit. p.13 22 On notera qu’à l’origine de ce Conseil, se trouve l’initiative de trois anciens figures marquantes de l’ère de Bourguiba : M .A. Ben Salah, M. Filali etA. Mestiri, , qui préconisaient la désignation d’un Président de la République à titre provisoire tout en gardant la Constitution moyennant quelques modifications ; mais le Conseil national pour la protection de la révolution ne rassemble pas toute l’opposition au gouvernement Ghannouchi et il était même contesté par plusieurs composantes de la société civile, tel, le conseil national des libertés , l’Association des femmes démocrates,…. (V.international crisis group..ibid. ) 23 V.arrêté du Premier ministre du 14Mars 2011relatif à la désignation des membres de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la Révolution, des réformes politiques et de la transition démocratique ( JORT N°17/15MARS2011,,p.305307) 21 Révolution et du front du 14 Janvier. Aussi, force est d’admettre que ni la refonte de la commission des réformes politiques, désormais baptisée la Haute Instance de réalisation des objectifs de la Révolution, des réformes politiques et de la Transition démocratique, ni la dissolution judiciaire de l’ancien parti du Rassemblement constitutionnel démocratique ,n’allaient suffire à sauver le deuxième Gouvernement Ghannouchi, incarnant toujours une légitimité constitutionnelle trop étroitement liée au régime déchu pour être acceptée. Tous ces facteurs, conjugués à la radicalisation du deuxième sit-in (Kasba2) et sa polarisation sur la revendication d’une Assemblée constituante rendaient l’ancrage de la Transition dans la constitution du 1er juin 1959 de plus en plus problématique. Cette situation trouva son aboutissement dans la démission du Premier ministre Ghannouchi, acceptée formellement par le décret N°186 du 27 février 2011, pris sur la base des articles 50,51 et 57 de la constitution du 1er juin 1959, encore en vigueur. Et, par le décret N°187 du 27février 2011, monsieur Béji Caid ESSEBSI est nommé Premier Ministre. La transition va continuer à se faire sur la base de la constitution du 1 er juin 1959, mais pour une très courte période au terme de laquelle elle va évoluer en dehors de la constitution. 1-2 Le gouvernement BEJI CAÏD ESSEBSI (27février 2011) : la rupture définitive avec l’ancienne légitimité constitutionnelle Avec le nouveau Gouvernement, l’on va assister à une rupture totale avec l’ordre constitutionnel antérieur (A) qui va se traduire par une nouvelle organisation provisoire des pouvoirs publics : la première depuis le 14 janvier 2011. Cette rupture tient à ce que, désormais, le processus de transition politique se poursuivra en dehors de la constitution du 1 er juin 1959 et autour d’un objectif qui n’est autre que l’élection d’une Assemblée constituante (B) chargée d’établir, à plus ou moins court terme 24, une nouvelle constitution. En attendant cette échéance (l’adoption de la nouvelle constitution) l’Assemblée constituante adoptera une nouvelle et deuxième organisation provisoire des pouvoirs publics (C). 24 La date à laquelle sera achevée l’élaboration de la constitution n’a pas encore été fixée avec précision. 22 1-2-1 Une transition en rupture avec la légitimité constitutionnelle : l’adoption d’une nouvelle organisation des pouvoirs publics (le décret-loi n°2011-14 du 23-3-2011) Cette deuxième phase de la Transition -qui se poursuivra jusqu’à l’élection d’une Assemblée nationale constituante le 23Octobre 2011 - va être marquée par la « feuille de route » annoncée par le Président de la République dans son discours du 3 mars 2011. La composante essentielle de cette feuille de route est évidemment l’objectif à terme qui est l’élection d’une Assemblée constituante annoncée d’abord pour le 24juillet 2011, mais qui sera, par la suite, reportée au 23 Octobre 2011.Cette décision signifie que le processus de la transition ne peut plus se poursuivre dans le cadre des dispositions de l’article 57 de la constitution du 1er Juin 1959. Ainsi, le discours du 3Mars 2011 marque une volonté claire de rupture avec l’ordre constitutionnel ancien. Juridiquement, cette rupture ne sera, toutefois, consacrée qu’avec la publication du décret-loi sur l’organisation provisoire des pouvoirs publics du 23 Mars 201125. En effet, il est significatif de relever que dans le préambule introductif des articles de ce décret-loi , il est clairement énoncé que l’Etat tunisien, dans sa situation actuelle telle qu’elle se présente après la vacance définitive de la Présidence de la République constatée par le conseil constitutionnel dans sa déclaration du 15Janvier 2011, ne permet plus un fonctionnement normal des pouvoirs publics ,et, que l’application totale26 des dispositions constitutionnelles 25 Décret-loi N°14 du 23Mars 2011 relatif à l’organisation provisoire des pouvoirs publics (JORT N°20 du 25 Mars 2011 ; pp367-369. 26 Cela signifie, a contrario, que la constitution n’est désormais appliquée que partiellement. Cela est confirmé par plusieurs dispositions du décret-loi N°14 précité, telles que celles qui maintiennent le Tribunal administratif, la cour des comptes, les collectivités locales, l’autorité judiciaire, sous l’empire des lois et règlements en vigueur. Or, nous savons que ces lois et règlements, relatifs à des organes constitués, puisent leur fondement constitutionnel dans la constitution du 1er juin 1959. Pour toutes ces considérations, l’effet du décret n°14 s’analyse, à notre avis, en une abrogation(les dispositions relatives à l’organisation provisoire des pouvoirs publics sont inconciliables avec la constitution) partielle (l’application totale étant devenue impossible) et implicite( aucune disposition n’abroge expressément la constitution) de la constitution du 1er juin 1959.Le tribunal administratif, lui, a estimé qu’il s’agit d’une suspension de la constitution (cf.sa décision précitée sur la 23 est devenue impossible . Il est, en plus, énoncé dans ce même préambule que le décret-loi du 23Mars 2011(sur l’organisation provisoire des pouvoirs publics) est édicté par le Président de la République intérimaire et provisoire en tant que garant de l’indépendance de la nation, de l’intégrité de son territoire, du respect de la loi et de l’exécution des traités. C’est dire que l’ancienne légitimité constitutionnelle tirée de la constitution du 1er juin 1959 ne peut plus servir de fondement à la poursuite du processus transitionnel. L’article 1er de ce décret-loi le confirme implicitement en disposant que « jusqu’à la date à laquelle une Assemblée nationale constituante élue au suffrage universel, libre, direct et secret ………. entamera l’exercice de ses attributions, les Pouvoirs publics de la République tunisienne seront organisés à titre provisoire conformément aux dispositions du présent décret-loi ». L’abandon de la constitution de 1959 connaîtra son prolongement par la dissolution des deux chambres du Parlement (la chambre des représentants et la chambre des conseillers), du conseil économique et social et du conseil constitutionnel, toutes dissolutions qui découlent de l’article 2 du décret-loi du 23 Mars 2011. A cela s’ajoute, en vertu de l’article 4 de ce même décret-loi, le transfert de tout le pouvoir législatif au profit de l’Exécutif, puisque les textes de nature législative sont édictés sous forme de décrets-lois promulgués par le Président de la République après délibération en conseil des ministres. Ces décrets-lois, de valeur législative, sont pris dans les mêmes matières qui, traditionnellement, relèvent du domaine de la loi tel que délimité dans les dispositions de l’ancienne constitution ( notamment celles de l’article 34 ) :amnistie , libertés publiques, régime électoral, législation du travail et de la sécurité sociale, droit de propriété , droits réels, éducation , culture, procédures devant les tribunaux, crimes et délits et les peines qui leur sont applicables, contraventions assorties de peines privatives de liberté, nationalité, obligations, statut personnel, , modalités générales d’application du décret-loi du suspension des indemnités perçues par les parlementaires) 24 23Mars 2011, et ‘toutes matières qui , par nature, relèvent du domaine de la loi ‘’(article 4, précité , dernier alinéa ). S’agissant du Président de la République, il veille à l’exécution des décrets-lois et exerce le pouvoir réglementaire général qu’il peut déléguer totalement ou partiellement au Premier ministre (article 7). Le Président de la République est, en outre, chargé expressément d’assumer les charges de chef de l’Etat jusqu’à ce que l’Assemblée nationale constituante entame l’exercice de ses missions (article 8). Ces charges sont énumérées par l’article 9, comme suit : direction suprême des forces armées, ratification des traités, le droit de grâce , déclarer la guerre et conclure la paix après délibération du conseil des ministres, désigner le Premier Ministre et les membres du Gouvernement sur proposition du Premier ministre, présider le conseil des Ministres , nommer aux emplois supérieurs civils et militaires sur proposition du Gouvernement en étant habilité à déléguer ce pouvoir au profit du Premier ministre pour une partie de ces emplois ,accréditer les représentants diplomatiques des Etas étrangers,….Les conditions de suppléance en cas d’empêchements provisoire ou définitif du Président de la République ont été définies par l’article 10 en désignant le Premier Ministre en tant qu’autorité habilitée à remplacer le P.R. Mérite d’être soulignée les dispositions particulières du décret-loi n°2011-14, précité, en vertu desquelles ni le Président de la République (article 11), ni le Premier Ministre ni aucun membre du Gouvernement (article15) n’ont le droit de se porter candidats aux élections de l’Assemblée nationale constituante. A cette interdiction, s’ajoute pour le Président de la République, celle de se porter candidat à toute autre élection postérieure à l’adoption de la nouvelle constitution .Ce qui n’est pas dénué de toute signification, dans la mesure où ces interdictions visent à sauvegarder la sérénité du travail de ce gouvernement transitoire et provisoire et à mettre son fonctionnement à l’abri des considérations électoralistes. 25 Quant au Gouvernement, le décret-loi n°2011-14 s’est limité à disposer que le Gouvernement provisoire veille à la gestion des affaires de l’Etat et au fonctionnement normal des services publics et qu’il est dirigé par le Premier Ministre qui coordonne ses travaux , dispose de l’Administration et de la force publique et remplace , le cas échéant, le Président de la République, dans la présidence du conseil des ministres ou de tout autre conseil.(article 13) ; les Ministres restent chargés , chacun, suivant le secteur qui relève de leur autorité, de la gestion de l’Administration centrale et de la tutelle des établissements et entreprises publics conformément aux lois et règlements en vigueur (article 14). Les Administrations régionales et locales (article 14), les collectivités locales et leurs organes collégiaux (conseils municipaux et conseils régionaux) continuent à gérer les intérêts locaux et régionaux conformément à la loi (article 16). Le Pouvoir judiciaire avec toutes ses composantes, reste, lui aussi, régi par les textes en vigueur y afférents. Au total, on peut conclure, sur cette première organisation provisoire des pouvoirs publics qu’elle a reconduit, au profit du Gouvernement, et dans une large mesure, les mêmes attributions qui étaient les siennes avant la Révolution. Ce n’est pas le cas, évidemment, du Président de la République qui a concentré entre ses mains le pouvoir législatif (dissolution du Parlement oblige !) et une grande partie du Pouvoir exécutif, partagé avec le Gouvernement. Il importe de souligner, enfin, que les dispositions finales du décret-loi n°2011-14 prévoient que les effets de ce texte prennent fin le jour où l’Assemblée nationale constituante exercera ses fonctions et fixera une nouvelle organisation provisoire des pouvoirs publics (article 18). Tel fut le cadre juridique sur la base duquel le Gouvernement provisoire dirigé par le Premier Ministre, monsieur BEJI CAID ESSEBSI , a poursuivi la gestion des affaires de l’Etat dans un contexte économique et social marqué par une sécurité précaire, une forte récession économique se traduisant par un taux de croissance négatif et par un climat social alourdi par les grèves , les sit-in et les revendications salariales. Sans oublier que le 26 déclenchement de la Révolution libyenne a subitement met le Gouvernement en présence d’une nouvelle urgence : le contrôle de la sécurité des frontières terrestres du pays et la lutte contre la recrudescence du trafic frontalier des biens de consommation qui quittaient illicitement le territoire national ; ce qui n’était pas sans rendre la tâche du gouvernement encore plus ardue.Nonobstant ce contexte national et international défavorable, le Gouvernement n’a jamais perdu de vue l’objectif politique majeur de cette étape : mettre en place les conditions nécessaires pour l’organisation des élections le 23Octobre 2011. 1-2-2 L’élection d’une Assemblée nationale constituante : Un exercice démocratique réussi. La première grande décision qui a été prise en matière électorale aura été, incontestablement la création de l’Instance supérieure indépendante des élections (ISIE). Cette décision était sous tendue par une très forte symbolique politique. Elle traduisait une volonté unanime chez tous les acteurs politiques d’écarter totalement le Ministère de l’Intérieur de l’opération électorale. Ce Ministère, instrumentalisant son administration centrale et régionale, a joué, durant les décennies écoulées, un rôle capital dans la falsification des élections organisées jusque là. Ayant trempé dans la Fraude électorale, il a perdu tout crédit aux yeux de toute la classe politique et de l’opinion publique. C’est la raison pour laquelle, à notre avis, le premier texte important préparé par la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la Révolution, des réformes politiques et de la Transition démocratique (cf. supra I. 3) et adopté par le Gouvernement est le décret-loi n°2011-27 du 18 Avril 2011 portant création de l’ISIE.Qualifiée d’instance publique indépendante, dotée de la personnalité morale et de l’autonomie financière et administrative, elle est chargée de superviser les élections de la future Assemblée constituante (article 1er et 3 ) , en veillant à ce qu’elles soient des élections démocratiques, pluralistes, sincères et transparentes(article 2). Plusieurs tâches lui sont confiées, notamment :« Proposer la répartition des circonscriptions 27 électorales qui sera fixée par décret après avis de l’instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la Révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique ; préparer le calendrier électoral ; arrêter les listes des électeurs ; garantir le droit de vote à tous les citoyens et citoyennes ; garantir le droit d’éligibilité selon les conditions légales y afférentes ;recevoir les demandes de candidatures aux élections ;assurer le suivi des campagnes électorales… ;contrôler le processus électoral le jour du déroulement des élections et suivre les opérations de vote et de dépouillement ;annoncer et déclarer les résultats préliminaires des élections et publier les résultats définitifs…. ». Dans la composition de l’Instance supérieure indépendante pour les élections qui comprend seize membres, il est significatif de noter qu’on a écarté ceux qui ont assumé des responsabilités au sein de l’ancien parti de BEN ALI : le ‘’ Rassemblement constitutionnel démocratique ‘’( R.C.D.) durant les dix dernières années ou ont été impliqués dans l’appel adressé à l’ancien Président de la République afin de présenter sa candidature pour les élections présidentielles de 2014. (Article 6). On peut voir dans cette mesure autant une sanction qu’un indice de méfiance à l’égard des anciens membres du R.C.D. A cette interdiction, s’ajoutent des incompatibilités avec les qualités suivantes : membre du gouvernement, gouverneur, secrétaire général de gouvernorat ou premier délégué ou chef de secteur, chargé d’une mission exécutive au sein d’un établissement public ou une entreprise publique, candidat à l’élection de l’assemblée constituante, membre d’un parti politique,.. L’ISIE se compose de seize membres désignés par décret après avoir été choisis par L’Instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la Révolution, des réformes politiques et de la transition démocratique (article 8 du décret-loi n°2011-27, précité ).Dans cette composition , on a cherché à associer des compétences techniques avec des membres représentant , d’une certaine manière , la société civile. Aux termes de cet article 8, cette configuration comportait les catégories suivantes : - 3magistrats parmi six candidats dont la 28 moitié est proposée respectivement par l’association des magistrats tunisiens et le syndicat des magistrats à parts égales parmi les conseillers du tribunal administratif, les conseillers de la cour des comptes et les magistrats du troisième grade de l’ordre judiciaire ; - 3membres parmi six candidats proposés par l’ordre national des avocats ; - un membre parmi les notaires choisi parmi deux candidats proposés par la chambre nationale des notaires ; - un membre parmi les huissiers de justice choisi parmi deux candidats proposés par l’ordre national des huissiers de justice ; - un membre choisi parmi deux candidats proposés par l’ordre des experts comptables de Tunisie ; - un membre spécialiste en communication choisi parmi deux candidats proposés par le syndicat des journalistes tunisiens ; - deux membres représentant les organisations non gouvernementales spécialisés dans le domaine des droits de l’homme choisis parmi une liste de candidatures présentée par lesdites organisations à la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution…… ; -Un membre représentant les Tunisiens à l’étranger choisi parmi une liste de candidatures présentée à la haute instance… ; - un membre spécialiste en informatique choisi parmi une liste présentée à la Haute instance…. ; - deux membres parmi les professeurs universitaires choisis parmi une liste de candidatures présentée à la Haute instance…. Comme toute élection, celle des membres de l’ISIE n’a pas manqué d’être travaillée en profondeur par les différents courants qui traversaient la Haute Instance de réalisation des objectifs de la Révolution, des réformes politiques et de la transition démocratique. Aussi, faut-il rappeler, à cet égard, qu’au-delà des critiques dont elle a fait l’objet et qui provenaient de parties diverses et nombreuses (ceux qui ne partageaient pas le processus de transition tel qu’il a été engagé, ceux qui n’ayant pas été choisis ni parmi les experts juristes ni parmi les autres membres de cette Instance, se considéraient comme ayant été injustement écartés, les nostalgiques du régime déchu, etc.…) la composition de la Haute Instance…a fini par refléter, tant bien que mal, les différentes composantes de la société politique et civile. Il convient de 29 rappeler, en effet, que cette composition qui ne comptait au départ que 69 membres, selon le premier arrêté fixant sa composition ( arrêté du Premier ministre , daté du 14 mars 2011, JORT n°17) a fini par regrouper 155 membres ( cf.arrêté du 5Avril 2011, abrogeant l’arrêté du 14mars ) hors le comité des experts, répartis comme suit : - représentants des partis politiques :36 ; -représentants des organisations et associations de la société civile : 33 ; -Personnalités nationales :72 ; - représentants des régions : 12 ; - représentants des familles de martyrs :2. Les membres de l’ISIE étant élus par cette Assemblée - inévitablement hétérogène au regard du contexte post révolutionnaire qui a façonné sa configuration -, il était normal que leur élection se ressentît des effets de celle-ci. Chacune des forces présentes, en son sein, cherchait naturellement à voir ses représentants élus en tant que membres de l’ISIE. Tractations et tensions n’ont pas manqué de jalonner l’élection des membres de l’ISIE. Ce qui était facile à comprendre, étant donné l’importance de l’enjeu : veiller à ce que pour la première fois des élections pluralistes se déroulent dans la légalité, la transparence et la liberté pour choisir les membres de la future Assemblée constituante qui va doter la deuxième République tunisienne de sa nouvelle constitution. Sur le plan organisationnel, l’ISIE a été conçue comme une structure devant couvrir le territoire national, tout en assurant la coordination entre ses différentes ramifications. En effet, à côté de la structure centrale qui a son siège à Tunis, on a institué trente trois (33) structures régionales, correspondant au nombre des circonscriptions électorales du pays. Malgré les changements observés au niveau des institutions politiques et l'évolution constitutionnelle depuis la Révolution (14 Janvier 2011), la crise économique persiste. En effet, cette évolution démocratique et politique ne s'est pas traduite par une amélioration de la croissance et du développement économique et social. 30 2- Persistance de la crise en absence d’un modèle de relance économique et d’une nouvelle stratégie de développement 2-1 Une conjoncture économique dégradée : renforcement de la pauvreté et du chômage La Révolution Tunisienne a nuit à tous les secteurs d’activité, elle a même été la cause du renforcement de la pauvreté et du chômage. Les investisseurs de leur côté se méfient de s’installer en Tunisie vu l’absence de sécurité. Selon le conseil d’administration de la Banque Centrale de Tunisie, réuni le mercredi 27 avril 2011, la conjoncture économique nationale continue d’être affectée par les effets des évènements survenus dans le pays depuis le début de l’année. La baisse des recettes touristiques et des revenus du travail ainsi que la régression des investissements directs étrangers, ont aggravé le déficit de la balance des paiements et réduit le niveau des avoirs nets en devises, qui sont passés de 13.003 millions de dinars (MDT) ou 147 jours d’importations à fin 2010 à 11.060 MDT ou 125 jours d'importations à la date du 26 avril. Cette période a marqué une contraction des recettes fiscales expliquée par un recul de l’activité économique et une baisse éventuelle des dépenses publiques en raison de l’extension des revendications sociales qui ont creusé le déficit budgétaire au cours de l’année 2011. Dans ces conditions, une décision de création des emplois publics et d’augmentation des salaires sous la pression de l’urgence équivaut à creuser davantage le déficit public et déséquilibrer le marché de travail. Au niveau de la dette souveraine, l'agence de notation Moody's Investors Service a annoncé, mercredi 19 janvier 2011, qu'elle avait abaissé d'un cran la note souveraine de la Tunisie en raison des incertitudes économiques et politiques qui pèsent sur le pays27. L'agence a également abaissé la note de la Banque Centrale à "Baa3" avec une perspective négative. Avant Moody's, deux autres agences de notation, Standards and Poor's et Fitch, avaient indiqué de leur côté envisager d'abaisser la note de la Tunisie. Le déficit budgétaire 27 http://www.lemonde.fr/tunisie/article/2011/01/19/ 31 constitue la principale cause de la baisse de la note de Fitch Ratings (BBB- contre BBB auparavant)28. En effet, Fitch s’attend à une croissance de 1% ou de 2% en 2011, très inférieure au taux de 5% qui a été prévu en 2010 et ce en relation avec les évènements vécus et ses répercussions sur la production, l’investissement et le tourisme. Bien que la Tunisie a montré une résilience face aux chocs précédents. Le déficit budgétaire s’est creusé en 2011, ce creux sera prolongé jusqu’à 2012 étant donnée la baisse des recettes fiscales liée à la baisse des revenus des entreprises. Dans ces conditions, même si les revendications sociales sont légitimes et vont de pair avec la logique de changement qui a été l’élément déclencheur des mouvements de protestation, l’augmentation de la dette publique, de l’endettement à la fois interne et externe et du déficit budgétaire ne constitue pas la solution adéquate pour y parvenir surtout en présence d’un système financier tunisien dominé par un secteur bancaire qui est caractérisé par une faible concurrence, une absence d’innovation et une incertitude sur le recouvrement des créances. La situation de la Tunisie au cours de cette période montre que le processus de transition économique est compliqué et porteur de risques et il est certain que ce mouvement influencera la situation politique et en sera influencé à son tour. 2-2 La priorité à stabilité du pays au détriment d’une politique de relance : des mesures de court terme Le gouvernement transitoire mené par Béji Caîd Essebsi n’a pas offert des orientations claires ou des propositions concrètes en matière de politique de développement. En effet au cours de cette période, le programme du gouvernement s’est focalisé sur la restitution du prestige de l’Etat après sa détérioration, de rétablir l’ordre et la sécurité dans les régions et les institutions et surtout de rompre définitivement avec l’ancien régime. Le gouvernement a pris un certain nombre de mesures de court terme en recrutant 20000 personnes dans la fonction publique. En janvier 2011, le gouvernement intérimaire a 28 Business New.com.tn (2012) « Fitch confirme les notes BBB- de la Tunisie ; la perspective est négative » 28 (2). 32 établi un programme offrant aux jeunes diplômés en situation de chômage chronique des possibilités d’emploi à temps partiel dans le secteur public. Dans le cadre de ce programme, les employés travailleraient à temps partiel et percevraient un salaire mensuel de 150 dinars tunisiens (soit 55 % du salaire minimum), et ils bénéficieraient d’une couverture d’assurance maladie ainsi que de tarifs préférentiels de transport public. De telles interventions gouvernementales ne reflètent pas une stratégie de relance pouvant répondre à la montée croissante de demandes sociales, même les aides aux familles nécessiteuses, elles restent négligeables et ne modifient en rien la situation défavorisée des populations. Le développement régional et l’encouragement à l’investissement demeurent des slogans vides et des promesses portant sur une réallocation significative des dépenses en faveur des régions les plus démunies et défavorisées sans offrir un programme clair qui identifie les projets ou les régions qui vont profiter. Quant à la contribution étrangère en matière de relance économique, elle est restée contrainte et dépendante de l’évolution de la situation socio-politique de l’économie tunisienne. Outre ces mesures de court terme, le premier ministre Béji caied Sebsi a proposé au prochain gouvernement les grandes lignes d’une stratégie de développement pour la période 2012-2016 optant pour un nouveau modèle de développement qui favorise la prospérité et la justice sociale. Ces grandes lignes sont concentrées sur la construction de la confiance par la transparence, la responsabilité sociale et la participation citoyenne, la transformation de la structure de l’économie par la science et la technologie, la création d’une dynamique interne favorable à la productivité, la création et l’initiative libre, l’intégration mondiale approfondie et agissante, la formation des hautes compétences nationales,l’attraction des meilleures compétences internationales et le renforcement de l’employabilité, l’encouragement au financement adéquat et viable du développement, la réhabilitation du service public et l’action civile, l’optimisation de l’utilisation des ressources et la préservation de l’environnement. La 33 concrétisation de ces idées sont dépendantes de l’instauration d’une bonne gouvernance qui garantit l’efficacité de la coopération entre les trois principaux acteurs à savoir un Etat régulateur et catalyseur du développement qui respecte la liberté individuelle et l’égalité des chances, favorise la cohésion sociale, qui emploie tous les moyens à sa disposition pour réduire les contingences sociales limitant l’accès des personnes démunies à ces biens. Une société civile participative au processus de développement, qui doit assurer le bon usage des ressources, des moyens et des opportunités et qui bénéficie des biens sociaux indissociables du développement économique et social qui sont la bonne éducation, la santé et la protection sociale en tant qu’éléments constitutifs de la liberté des individus et garants de la cohésion sociale et enfin un secteur privé dynamique, promoteur et créateur de l’emploi. Cette stratégie projetée durant la période (2012-2016) a pour principal objectif l’atteinte d’un taux de croissance de 6,3%, la création de 500 mille emplois additionnels dont 300 pour les diplômés supérieurs. Le schéma de développement proposé est réparti en trois périodes, la première phase « d’urgence » accorde un intérêt à la priorité aux besoins des régions, de l’emploi, des aides sociales, du soutien des entreprises relatifs aux mois restants de l’année 2011 et de l’année 2012 et le rétablissement des équilibres macroéconomiques pour assurer le passage à la deuxième phase de « transition » caractérisée essentiellement par l’engagement des réformes politiques, économiques et sociales afin de pouvoir reprendre un rythme de croissance supérieur à 5 % durant les années 2013 et 2014 et préparer un environnement favorable permettant la poursuite de la phase de « l’émergence » orientée essentiellement à la convergence avec les pays développés à partir de l’année 2015. Les prévisions de ce schéma porteront sur un déficit du budget de l’Etat à 4% du PIB (3% en 2016), un déficit courant à 5% du PIB ( 3,1% en 2016), une dette publique maintenue inférieure à 40% du PIB et la dette extérieure en deçà de 40% du revenu national disponible brut. Sur le plan social, le schéma se propose d’améliorer l’indice du développement humain (IDH) pour atteindre 0.733 en 2016 34 contre 0.683 en 2010, en rapport avec l’objectif de contribuer au progrès social à l’ensemble de la population. II Gouvernance démocratique et recul de l’activité économique (du 23 Octobre 2011 à nos jours.......) 1- L’élection d’une Assemblée nationale constituante. (texte incomplet jusqu’à..) 1-1 La convocation du corps électoral 1-2- Le régime électoral de l’Assemblée constituante 1-3- Le mode de scrutin : le scrutin de liste à la proportionnelle avec le plus fort reste 1-4- Les résultats et la répartition des sièges. 2- La nouvelle organisation des pouvoirs publics ( loi constituante n°2011-6 du 16 décembre 2011 (texte incomplet jusqu’à…) 3 - Recul de l’activité économique et absence d’une vision claire du gouvernement (du 23 octobre 2011 à nos jours) (texte incomplet jusqu’à…) 3-1 Recul de l’activité économique L’évolution de l’économie nationale au cours de l’année 2012 reste marquée par la poursuite des pressions sociales et par les difficultés de l’environnement international, surtout dans les pays de la zone euro connaissant récemment une dégradation de la notation financière de plusieurs pays en relation avec la crise de la dette souveraine. Les pertes causées à l’économie de la Tunisie ne cessent de s’alourdir. En effet, l’année 2011 a été caractérisée par une conjoncture économique difficile et exceptionnelle en Tunisie aussi bien au niveau national en relation avec la montée des grèves et des revendications sociales ainsi que la baisse de l’activité dans les secteurs des mines, des hydrocarbures et de transformation des 35 phosphates qu’au niveau international expliqué en grande partie par le ralentissement du rythme de la croissance économique mondiale (3,8% en 2011 contre 5,2 % en 2010), la crise de la dette publique dans la zone euro et la révolution en Lybie qui ont affecté en premier lieu le secteur des exportations et surtout le tourisme qui a connu un fléchissement de 32,9%. 29 Ces effets ont participé à une baisse de la demande intérieure et extérieure venant des pays européens et un recul des investissements directs étrangers qui a fait baisser le niveau des avoirs en devises et augmenter le déficit de la balance des paiements. La baisse des réserves et la hausse des prix internationaux ont abouti à une montée de l’inflation et un creusement du déficit budgétaire qui a atteint 3,8% du PIB contre 1,3% en 2010. Selon le communiqué de la Banque Centrale30, le bilan économique de l’année 2011 a été caractérisé par une évolution négative de la production et des exportations pour la plupart des secteurs, de l’investissement tant intérieur qu’étranger et des créations d’emplois ainsi qu’une dégradation des équilibres financiers compte tenu de la conjoncture exceptionnelle qu’a connue le pays. Le déficit courant a augmenté pour atteindre 7,1% du PIB en 2011 étant donné la contraction des exportations des industries non manufacturières et des services, ce qui s’est traduit par une baisse du niveau des avoirs en devises à environ 10.582 MDT ou l’équivalent de 113 jours d’importation contre 147 jours une année auparavant. La baisse des réserves en devises étrangères31 et l’accroissement des prix ont contribué à la dévaluation du dinar tunisien. Cette dévaluation a fait baisser le volume des 29 Cet abaissement expose davantage les banques publiques à une augmentation de la part des créances non productives dans la mesure où elles ont joué un rôle primordial dans le développement de l’industrie touristique par comparaison aux banques privées (selon le FMI 2006, la part des créances non productives dans le secteur du tourisme est de 24,2% en 2003, 26,1% en 2004 et 21,9% en 2005). 30 Communiqué de la BCT 18 Janvier 2012. 31 La baisse des réserves étrangères est expliquée par le recul de trois facteurs principaux qui sont les recettes du secteur du tourisme, les exportations et les transferts reçus de l’extérieur au près des non résidents. 36 exportations en particulier celles des industries manufacturières (industries mécaniques et électriques et du textile et de l’habillement) et accroître celui des importations notamment celles des biens de consommation, ce qui a crée ce qu’on appelle « le phénomène de l’inflation importée ». Le résultat est certainement un creusement du déficit commercial et par la suite l’accumulation de deux déficits (courant et commercial). La dette souveraine a atteint 43,6% selon la loi des finances 2011, 46,2% selon la loi des finances 2012 et 45,9% selon la loi complémentaire 2012. Le ralentissement économique en Tunisie est également expliqué par l’évolution de la conjoncture internationale; en effet, la crise de l’union européenne qui est une crise d’inadéquation entre offre et demande a fait baisser le taux de croissance à 0,6% qui pourrait devenir négatif. Cette évolution exerce un effet négatif sur l’économie tunisienne via la baisse de nos exportations. Le prix du pétrole a augmenté pour atteindre 125 dollar le baril soit une augmentation de 11% à partir du premier janvier ce qui se répercute sur le prix du carburant en Tunisie. Néanmoins le ministre des finances a déclaré que l’élévation du prix du carburant sera compensée par une légère élévation des salaires. Toutefois, une augmentation des salaires sans accroissement de la production ne pourrait qu’aggraver davantage la situation de l’économie. La balance des paiements a connu une détérioration suite au recul des recettes touristiques, le reflux des investissements directs étrangers s’est poursuivi à un rythme accéléré (-37,6%) tout comme les investissements en portefeuille (-15,5 %). Ainsi, le déficit de la balance de paiement qui équivaut à une perte des réserves en devises du pays s’est établit à 241,8 MDT.32 La production industrielle a connu une décontraction. La hausse des prix internationaux risque de compromettre l’équilibre budgétaire et de booster l’inflation qui a atteint à la fin du mois de mars un taux égal à 5,4%. Les troubles et le dysfonctionnement qui ont touché l’activité économique depuis la révolution de Janvier ont aggravé le 32 Hachemi Alaya (2012) « Un budget obnubilé par le court terme, sans souci réel du long terme et qui annonce des lendemains douleureux », Tendances de l’Environnement Macroéconomique des Affaires, 5(3) n° 220 p.1 37 détournement du commerce extérieur du pays, déjà affecté par la crise économique et financière mondiale de 2007-2008 et ce en relation avec l’augmentation des prix internationaux des produits de base ainsi que la récession des partenaires commerciaux européens qui absorbent plus des trois quarts de ses ventes à l’extérieur. Par ailleurs, le communiqué de la Banque Centrale du 18 avril 201233 a relevé une baisse des dépôts à terme dans les banques qui a crée des pressions sur la liquidité des banques et sur leur capacité de financement de l’économie. La Banque Centrale a intervenu en injectant de la monnaie (déjà intervenue en 2011) ce qui risque d’augmenter davantage les prix en raison d’une inadéquation entre une variation positive de la masse monétaire et une quantité des biens et services limitée en raison du ralentissement de l’activité économique expliqué en grande partie par un blocage au niveau des trois principaux moteurs de la croissance qui sont l’investissement, la consommation et le commerce extérieur. 3-2 Les orientations générales du budget selon la loi de finance 2012 et la loi de finance complémentaire : absence d’une politique d’incitation et d’une vision claire La politique budgétaire énoncée par le budget 2012 a réduit le niveau de l’endettement extérieur d’un Milliard par rapport au budget initial sans creuser davantage le niveau initial du déficit. Cette politique s’est spécifiée par une restructuration interne du budget en ce qui concerne les recettes et les dépenses. Elle annonce une augmentation des dépenses publiques de 10% par rapport au budget initial de 2012 et de 21% par rapport au budget de 2011. Le budget 2012 traduit une lecture faite par le gouvernement de la réalité économique et sociale du pays, des solutions de courte période et des perspectives de la reprise à envisager. Le budget initial a espéré un taux de croissance de 0,2% durant l’année 2011. Toutefois, cette prévision n’a pas été concrétisée étant donné l’aggravation de la récession durant l’année 2012 ce qui a abouti à un taux de croissance négatif avoisinant -1,8% (révisé à 33 Communiqué de la BCT (18 Avril 2012) 38 la baisse par l’INS à -2,2 %) contre 3% en 201034.L’accroissement du prix du pétrole et la dépréciation du dinar par rapport au dollar devraient augmenter l’endettement du pays. Selon le scénario du projet de la loi de finances complémentaire 2012 35, le budget de l’Etat pour l’année 2012 est estimé à 25,401 MD (milliards de dinars) soit en hausse de 10,7% (+ 2,465 MD) en comparaison avec la loi de finances initiale et de 21,6% par rapport au budget de l’Etat. Cette prévision est fondée sur l’hypothèse d’une croissance du PIB de 3,5%, un prix du pétrole égal à 110 dollars le baril et un taux de change du dollar égal à 1,500 dinars au lieu de 1,240. Ce taux avoisinait le taux réalisé durant la période (2008-2010) qui est une période de crise mondiale. Cette augmentation est répartie entre accroissement des dépenses de gestion de 1247 MD et des dépenses de développement de 1218 MD. Concernant l’accroissement des dépenses de gestion, il est essentiellement expliqué par l’accroissement des dépenses de compensation de 13% par rapport au budget initial de 2012 et de 12% par rapport au budget de 2011 malgré une appréciation du dollar et un accroissement du prix du pétrole. L’accroissement des dépenses de compensation et celui des salaires des fonctionnaires de l’Etat qui représente 58,4% du total des dépenses de gestion et 34% du budget total de l’Etat sont de nature à renforcer le pouvoir d’achat, nous ajoutons la décision de rendre facultatif le prélèvement obligatoire des salaires de quatre jours de travail. Quant aux dépenses de développement, la loi de finances estime un accroissement de 1000MD de dépenses de développement complémentaires consacrées essentiellement aux projets d’infrastructure économique et sociale dans les régions intérieures afin de réactiver le circuit économique et créer de nouvelles opportunités d’emploi, une augmentation exceptionnelle (34% par rapport à 2011 et 23% par rapport à la loi des finances initiale 2012) des investissements. Une telle décision pourrait apparaître peu rassurante dans la mesure où elle renseigne sur une bonne volonté pour réduire les écarts entre les régions qui constituent l’une 34 Périodique de Conjoncture (Banque Centrale) Janvier 2012 n° 94 35 Projet de la loi de finance complémentaire 2012 39 des principales raisons de la révolution. Dans ce même cadre, il est lieu de rappeler que le programme économique et social lancé par le gouvernement provisoire en 2011 a intégré un certain nombre de mesures fiscales et financières incitatives à l’investissement dans les zones de développement régional36. Parmi ces mesures nous citons la non imposition des investissements dans ces zones jusqu’au 31 décembre 2012 selon le principe de l’accroissement du patrimoine, la prolongation de la période de la prise en charge par l'Etat de la contribution patronale au régime légal de la sécurité sociale pour les nouveaux projets et selon la zone d’implantation, relèvement des taux de la prise en charge par l’Etat des dépenses d’infrastructures pour les projets industriels qui sont implantés dans les zones de développement régional. Dans le but d’encourager l’investissement, le programme a mis en place des mesures de facilitation de l’acquisition des équipements importés en réduisant le taux de TVA de 12% à 6% et des équipements locaux via la suspension de la TVA pour les acquisitions jusqu’au 31 décembre 2011. Outre l’allocation de 100MD des dépenses allouées à l’emploi (411 à 511 MD) et un accroissement de 100 MD affecté à l’amélioration des « infrastructures sociales » dans les régions défavorisées, le programme d’action du gouvernement a programmé l’aménagement de 30 nouvelles cités populaires et la construction de 30000 nouveaux logements sociaux avec la participation du financement extérieur et des associations,37 le recrutement de 25000 fonctionnaires additionnels durant 2012 et l’institution d’un nouveau programme « encouragement au travail » qui remplacera « amal ». Néanmoins, il faut noter que l’adoption de la stratégie de création d’emploi dans la fonction publique n’est pas la meilleure solution pour résorber le problème du chômage car elle n’est pas créatrice de la richesse. Au contraire, elle pourrait coûter davantage à l’Etat et aboutir à un accroissement de l’endettement au lieu de le faire baisser comme c’était le cas pour la Grèce qui est en situation de faillite en raison 36 http://www.bdo.com.tn/upload/Loi%20de%20finances%202012%20BDO%20Tunisie(2).pdf 37 Programme d’action du gouvernement Mars 2012 40 de l’accroissement de sa dette publique expliquée par l’augmentation des dépenses publiques dûe à l’accroissement important de l’emploi dans la fonction publique. Ainsi, la meilleure solution serait la création d’un partenariat « public – privé » en matière de création d’emploi car ce sont les entreprises qui génèrent de la richesse qui permet de créer de nouveaux emplois. Ainsi la priorité devrait être orientée vers l’amélioration du tissu industriel (petites et moyennes entreprises) et non à la fonction publique. Par ailleurs, l’emploi pourrait également stimulé d’une manière indirecte via l’accroissement des dépenses d’investissement qui ont été accrues de 23% par rapport au budget 2012 et de 34% par rapport à l’année 2011 dans le sens où ces dépenses constitueront un appel d’offre additionnel de l’emploi. Le budget amendé de 2012 est fondé sur une augmentation des recettes de l’Etat anticipée à un montant égal à 2,465 MD (10,7% par rapport à la loi de finance initiale. Cet accroissement est fondé sur la prévision d’une augmentation des recettes propres de l’Etat de 3,5 MD expliquée en grande partie par un accroissement des recettes fiscales de 1,252 MD et des recettes non fiscales de 2,248 MD dont 1,2 MD provenant des biens de corruption confisqués et 1MD qui constitue le volume des revenus non utilisés provenant de la privatisation de la Tunisie Telecom en 2006 et des dons venant de l’extérieur pour soutenir le pays après la révolution. La loi de finances pour la gestion de 2012 a retenu des mesures incitatives aux établissements de crédit afin de soutenir les entreprises sinistrées suite aux évènements de la révolution. La BCT a pris aussi des mesures conjoncturelles de soutien aux entreprises économiques affectées par les retombées de la révolution pour pouvoir poursuivre leurs 41 activités via le rééchelonnement des dettes des entreprises touchées par les évènements de la révolution en tenant compte d la capacité de remboursement de chacune d’entre elles. Sur la base de l’amélioration des recettes, la loi de finances complémentaire a proposé des mesures prévoyant un recours à l’endettement égal à 5,757 MD contre 6,791 MD prévu par la loi de finances initiale, soit une baisse de 1,034 MD. Le budget amendé a réussi à faire baisser le ratio de la dette à 45,9% au lieu de 46,2% une mesure bénéfique pour la phase de relance. Le budget amendé a également réussi à faire baisser le déficit budgétaire (en incluant les dons et la privatisation) à -4,3% au lieu de -5,6% selon le budget initial. Ce scénario est établi sur la base de plusieurs hypothèses dont les plus importantes sont une anticipation d’un taux de croissance du PIB de 3,5%, un prix de pétrole égal à 110 dollars le baril et un taux de change du dollar de 1,500 dinars au lieu de 1,420. Toutefois, bien que cette politique budgétaire souffre d’une vision claire et ciblée de ses orientations, elle dessine une politique de relance économique dans la mesure où elle ne se limite pas uniquement au niveau de la relance de consommation via l’accroissement au niveau des salaires mais aussi une relance de la production via l’augmentation du budget de l’investissement. Néanmoins, la réussite de cette politique est tributaire de sa concrétisation réelle qui dépend de plusieurs facteurs dont le plus importants sont la stabilité de l’environnement institutionnel et politique du pays, de l’amélioration et de l’efficacité de l’administration en matière d’assouplissement des procédures d’exécution, la politique monétaire en matière de ciblage de l’inflation qui pourrait exacerber davantage les revendications sociales en raison de la baisse continue du pouvoir d’achat. III vers un approfondissement de la gouvernance et perspectives de développement économique et social : 1- Éviter l'atomisation des forces politiques (le mouvement de regroupement des partis politiques) (texte incomplet jusqu’à) 42 2- Vers un régime semi-présidentiel et un Gouvernement responsable politiquement devant le Parlement (texte incomplet jusqu’à) 3- Vers une reprise de la croissance et un développement plus équilibré entre les régions La récession économique et le retournement de la conjoncture du pays observés lors de la période de transition devraient mettre en priorité une reconsidération du modèle de développement qui a crée durant des années des inégalités régionales, un taux de chômage élevé et un mode de gouvernance corrompu fondé essentiellement sur le clientélisme. Néanmoins, depuis la révolution du 14 Janvier, les autorités tunisiennes ont focalisé leur intérêt sur la stabilité du pays et sur les élections au détriment des demandes croissantes du peuple alors que les autorités sont appelées à repenser et reconsidérer le modèle de développement et les modes de gouvernement qui lui sont associés pour assurer une vraie transition permettant de répondre aux demandes du peuple. Il s’agit entre autres de rompre avec l’ancien modèle en favorisant l’investissement au détriment de la consommation. Le programme d’action du gouvernement (2012) a défini « une stratégie de décollage économique » portant essentiellement sur l’application de la politique « stop and go38 » qui consiste à assurer une alternance entre une politique de relance39 et une politique de rigueur dans le but de ramener progressivement le déficit au dessous de 3%, l’endettement à 40% d’ici 2016 et un taux d’inflation de 3,5% pour la même année. Toutefois, la réussite de cette politique nécessite une équipe gouvernementale bien resserrée et très efficace ainsi qu’une capacité de réactivité. Parmi les principales mesures entreprises dans cette stratégie nous citons la mise en place d’un modèle de développement visant la promotion des 38 Une telle politique a donné de bons résultats en Europe durant les années 80 en particulier en Allemagne et en France à l’époque de Pierre Mauroy (période 1981-84). 39 En effet, une politique de relance seulement est difficile à mener en raison du creusement du déficit budgétaire qui limite la marge de manœuvre de l’Etat notamment en matière d’accroissement des dépenses publiques 43 investissements intérieurs et extérieurs, le partenariat entre le secteur public et privé et le recyclage des demandeurs d’emplois dans le cadre d’un nouveau système de formation professionnelle. L’amélioration de la qualité des services est intégrée dans la nouvelle stratégie, elle touche aussi bien les services de l’administration via l’instauration de l’«OPEN GOV, OPEN DATA » et la révision de la stratégie de l’administration électronique, les services de transport à travers l’élargissement du réseau des différents moyens de transport et les services de la santé au profit des régions de l’intérieur et la classe défavorisée de la société. Le programme du gouvernement propose également la reconfiguration des structures gouvernementales en charge des affaires économiques et financières, la mise en place d’une structure véritablement autonome pour la diffusion de l’information statistique, la réforme des procédures administratives qui constituent des entraves pour la promotion de l’investissement, la mise en place d’un régime fiscal spécifique au financement islamique en intégrant quatre types de contrat « IJARA » ( équivalent du leasing conventionnel), « Mourabha » ( financement basé sur le principe du coût majoré) Vente Salam ( vente au comptant avec livraison à terme, « ISTISNAA » ( fabrication sur commande) afin de diversifier les modalités de la finance. Néanmoins les mesures entreprises dans le cadre de cette stratégie reflètent dans l’ensemble une vision qui reste théorique et comparable à celle proposée par le «modèle miracle» spécifique à l’ancien régime dans la mesure où elles souffrent d’un plan détaillé et une démarche de concrétisation effective. D’un autre côté, nous remarquons que c’est plutôt l’aspect social qui l’emporte sur l’aspect économique notamment au niveau du traitement du problème du chômage bien que les causes économiques soient identifiées. D’un autre côté, on est loin d’assister à une meilleure coordination entre la politique budgétaire et la politique monétaire malgré son importance notamment dans le contexte actuel. Une telle coordination ne doit pas nier à l’autonomie de la Banque Centrale conformément à l’article 33 de la loi n° 44 1958-9040 qui stipule que la BCT a la mission de veiller sur la politique monétaire en préservant la stabilité des prix et du système financier. Toutefois, la poursuite de la politique monétaire devrait être mieux adaptée à la cohésion sociale en fixant comme objectif principal la stabilité des prix étant donnée que c’est la classe sociale la plus démunie qui est la plus touchée par le problème de l’inflation41. Ce dernier participe également à la baisse de la compétitivité du pays, à la dégradation de ses performances et de l’investissement et par la suite à la baisse de la création d’emploi alors que l’une des principales fonctions du système financier est l’orientation des crédits vers les projets productifs créateurs d’emploi. Références : 1- Businessnew.com.tn (2012) « Fitch confirme les notes BBB- de la Tunisie ; la perspective est négative » 28 (2) 2- Communiqué de la BCT (18 Avril 2012) 3- Communiqué de la BCT (18 Janvier 2012) 4- De Tunis, Anouk Ledran (2011) «La Tunisie, 49 idées pour réduire la fracture entre la zone côtière et l’intérieur », 15 (11), p. 4 5- Hachemi Alaya (2012) « Le retour de l’inflation menace la transition démocratique et la cohésion sociale », Tendances de l’Environnement Macroéconomique des Affaires 13(2) n° 217, p.1 6- Hachemi Alaya (2012) « Un budget obnubilé par le court terme, sans souci réel du long terme et qui annonce des lendemains douleureux », Tendances de l’Environnement Macroéconomique des Affaires, 5(3) n° 220 p.1 7- http://front du 14janvier. Net/déclaration-constitutive-du-front.html 40 En se basant sur cette loi, le gouverneur de la BCT n’a pas accepté d’adopter une politique monétaire expansionniste à des taux d’intérêt bas dans le cadre du programme d’action du gouvernement de 2012. 41 Hachemi Alaya (2012) « Le retour de l’inflation menace la transition démocratique et la cohésion sociale », Tendances de l’Environnement Macroéconomique des Affaires 13(2) n° 217, p.1 45 8- http://www.bdo.com.tn/upload/Loi%20de%20finances%202012%20BDO %20Tunisie(2).pdf 9- http://www.lemonde.fr/tunisie/article/2011/01/19/ 10- JORT N°17/15MARS2011 , p.305-307 11- JORT N°20 du 25 Mars 2011 ; pp.367-369. 12- Le monde.fr (2011) « publication d’une traduction en français d’un télégramme diplomatique américain dévoilé par Wikileaks et décrivant la corruption au sein du plus haut niveau du régime du président de ben Ali. » 15 (1) 13- Loi promulguée par le Président provisoire de la République et prise, comme cela découle des visas, avec l’approbation des deux chambres ; Cf. .Journal officiel de la République tunisienne (en langue arabe) n°10 du 10 février2011, p.174 14- Périodique de Conjoncture (Banque Centrale) Janvier 2012 n° 94 15- Programme d’action du gouvernement Mars 2012 16- Projet de la loi de finance complémentaire 2012 17- Rapport «L’industrie Touristique Tunisienne, un modèle économique à rénover’ librement accessible sur le site web de l’agence www.fitchratings.com.tn dans la section ‘Rapports sectoriels et commentaires » 12 décembre 2007 18- Verdier.C, Audrey.O et Castel.V (2011) « Révolution tunisienne, enjeux et perspectives économiques » Note économique AFDB, 11 (3), p. 4 19- Webmanagercenter.com (2011) « Tunisie : chômage, d’importantes disparités régionales » 16 (6) 20- www.Crisis group.Org 21- www.freedomhouse.org 46 47