Cette politique a ainsi été jugée inefficace, ne tenant pas ses promesses, qu'elle servait à récompenser des
régimes alliés ou était détournée par des dictatures qui l'utilisent pour renforcer leur pouvoir. Bref que l'aide au
développement est en réalité une perte d'argent inutile.
Au lendemain des événements de janvier 2011, les pays rescapés du chaos du Printemps arabe s'estimaient en
droit d'affirmer que les pays riches d'Occident ont une obligation d'assistance pour accompagner leur transition
vers la démocratie, renforcer leur légitimité fragile afin de leur permettre de produire des sociétés libres
capables d'assurer leur intégration dans l'économie mondiale.
Considérée jusque-là comme une menace sérieuse pour les réformes politiques et économiques, l'aide servira
désormais de rempart en les mettant en capacité d'éloigner toute menace de retour aux régimes précédents.
Mais, pour tout cela, il faut de l'argent, beaucoup d'argent.
La croissance économique ne tombe pas du ciel
Gardons-nous d'imaginer que la Tunisie, comme l'Allemagne d'après-guerre, sera approvisionnée par des
couloirs aériens en denrées alimentaires, en médicaments et en équipements de toutes sortes. Que des centaines
d'avions cargos atterriraient sur nos aéroports jours et nuit pour accélérer la reconstruction du pays. Rien à voir
non plus avec l'économie de la RFA en 1945 : des villes à l'état de décombres, une économie inexistante et des
industries en majorité détruites. Mais l'acharnement des Allemands à reconstruire leur pays ruiné justifie que
ne soient pas complètement oubliés d'autres facteurs, tout aussi décisifs que les milliards de dollars et les
produits de survie : le sacrifice des ouvriers sur la baisse des salaires, l'excellente organisation héritée de III
Reich, le savoir technologique des ingénieurs allemands survivants, la croissance explosive des exportations et
le PNB qui a triplé de 1950 à 1967. C'est ainsi que les aides financières s'imposèrent en tant que corollaire de
l'effort qu'apporte chaque citoyen allemand à la collectivité.
La situation politique et économique qui règne actuellement en Tunisie est fort différente de celle qui fut jadis
celle de l'Occident de l'après-guerre. Après un court moment d'euphorie «démocratique», on s'est découvert
incapables de réinventer une nouvelle gouvernance. En chassant l'oppresseur, le peuple admettait difficilement
que la démocratie fut autre chose qu'une protection contre la tyrannie, un parlement et une nouvelle
constitution.
Certains aspiraient au travail et à de meilleures conditions d'existence, d'autres à la modernité, autrement dit le
processus de sortie de la religion et la mise en forme politique de l'autonomie humaine. Mais la croissance
économique et le bien-être social ne tombent pas du ciel. Ils ne se réalisent qu'à travers le dialogue constructif,
la liberté dans le façonnement du destin collectif, la mise en œuvre de toutes les capacités des citoyens pour
construire l'avenir, l'effort sur soi-même, le travail consciencieusement accompli, l'éloignement des mauvaises
habitudes, le bâillonnement des traditions éculées, la modification des comportements etc.
Faire du Ben Ali sans Ben Ali
De telles performances demeurent encore des vœux pieux. La rigidité des structures du passé s'est trouvée en
effet confrontée à la mondialisation et à l'émergence d'une société civile interconnectée, endossant des rôles
jusqu'ici dévolus à l'Etat désormais mis à rude épreuve.
De ce fait, les intérêts antagonistes, les espoirs déçus en plus du malentendu démocratique, continuent à
susciter un nombre infini de mouvements aux revendications diverses, contestant le discours dominant et
l'action des gouvernements successifs qui n'ont pas brillé par leur imagination. En l'absence d'une réelle
tentative de changement économique, social et culturel, on s'est remis à faire du Ben Ali sans Ben Ali avec en
sus les menaces terroristes. Alors on opte de guerre lasse pour les solutions de remplacement : l'aide financière
occidentale et mieux encore lorsqu'elle nous est octroyée sous forme de dons. Mais, nombreux que soient les