22 l
le kaléidoscope de la physique les couleurs de la mer et du ciel
l 23
durée t une distance R de l’ordre de ct,
c est la vitesse moyenne du son dans
l’eau, disons 1500m/s. Même si l’on sup-
pose que les pertes sont nulles, l’énergie
de l’onde sonore doit être également
répartie sur toute une surface grossière-
ment cylindrique d’aire 2πRh,h, qui
est la diérence de profondeur entre la
paroi supérieure et inférieure du chenal,
peut être de l’ordre de la profondeur de
l’océan. L’intensité du son décroît donc
comme 1/R au fur et à mesure que l’on
s’éloigne de la source. Cette décrois-
sance est moins rapide que la décrois-
sance en 1/R2 du son émis dans l’air
(Figure 2), mais ne laisse guère d’espoir
au son émis en Australie d’être perçu
dans les îles Bermudes. Cependant, si
ces dernières se trouvent sur un foyer
où les rayons sonores se concentrent
(Figure 9), la hauteur h reste faible.
D’autre part, il n’est pas interdit de
penser que les variations horizontales
de salinité et de température créent des
9 Un exemple de mirage
dans le désert. Au fur et à
mesure qu’ils se rapprochent
du sol, les rayons lumineux
issus du ciel rencontrent un
air de plus en plus chaud (et
donc d’indice de réfraction de
plus en plus faible): ils sont
ainsi progressivement déviés,
comme les rayons sonores
de la Figure 7, jusqu’à être
rééchis. Un observateur
croira alors apercevoir, dans
le prolongement de ces rayons
rééchis, une aque d’eau.
parois rééchissantes verticales. Il reste
surprenant que le son parvienne à se
fauler jusqu’aux Bermudes en contour-
nant le cap de Bonne Espérance, compte
tenu de l’absorption d’énergie due, par
exemple, à la présence de bulles d’air et
du plancton.
La propagation du son dans des canaux
sous-marins naturels n’est pas le seul
cas de guidage d’onde aménagé par la
Nature. Les ondes électromagnétiques
en orent plusieurs exemples. Le plus
spectaculaire est celui des mirages : ils
résultent d’une propagation non recti-
ligne de la lumière dans une atmosphère
chauée de façon très inégale (Figure
11). Citons également les ondes radio de
courte longueur d’onde, qui atteignent de
longues distances grâce à leur réexion
sur l’ionosphère, une région de la haute
atmosphère entre 60 et 800 km d’alti-
tude. Dans certaines conditions, un poste
de radio captera aisément des émissions
diusées dans d’autres pays.
La mer et le ciel orent une variété de
couleurs qui ont inspiré nombre d’ar-
tistes. Le peintre russe Arkadii Rylov
les a reproduites sur un tableau exposé
à Moscou à la galerie Tretyakov (Figure
1). Des nuages blancs ou sombres s’éta-
lent dans le ciel entre diverses nuances
de bleu. La surface de la mer est d’un
bleu plus foncé ; le revers des vagues
est presque noir, tandis que la crête est
blanche par endroits, formant quelques
«moutons».
La couleur de la mer
et la force du vent
Le nombre de moutons blancs et la
hauteur des vagues dépendent de la
vitesse du vent. Cette information est
importante pour les marins : pour la
déterminer, ils disposent d’un tableau
de correspondance empirique élaboré
par l’amiral anglais Sir Francis Beau-
fort (1774-1857) (ci-dessous). Sur la toile
de Rylov, la présence d’un petit nombre
de moutons blancs indique ainsi un
vent souant entre 12 et 19km/h, soit
7 à 10nœuds marins. Cela s’appelle une
«petite brise» et correspond à la force3
sur l’échelle de Beaufort.
La luminosité de la surface de la mer
dépend aussi de l’angle d’observation.
En eet, un rayon lumineux qui frappe
la surface de la mer est en partie réfracté
Les couleurs
de la mer et du ciel
Le ciel est bleu quand il fait beau, et rouge au crépuscule.
Après quelques heures, il fait nuit noire, alors que le ciel est constellé
de très nombreuses étoiles. De jour les nuages sont blancs, ou d’un gris
plus ou moins sombre. S’il pleut, avec un peu de chance, un arc-en-ciel
apparaît… Quels principes physiques expliquent toutes ces couleurs?
Vous trouverez la réponse dans ce chapitre. Et puisqu’il est question du
ciel, vous parlerons aussi de ses habitants: les oiseaux et les inseces.
chapitre 3
1 Dans l’espace bleu, tableau
du peintre symboliste Arkadii
Rylov (1870-1939).
24 l
le kaléidoscope de la physique les couleurs de la mer et du ciel
l 25
Force Terminologie
Vitesse du vent
à 10m de hauteur Apparence de la mer
en nœuds
marins en km/h
0 Mer calme < 1 < 1 La mer est comme un miroir.
1 Très légère brise 1 à 3 1 à 5 Quelques rides sans écume.
2 Légère brise 4 à 6 6 à 11 Vaguelettes ne déferlant pas.
3 Petite brise 7 à 10 12 à 19 Très petites vagues (< 60cm) et quelques petits moutons.
4 Jolie brise 11 à 15 20 à 28 Petites vagues (< 1,50m) et nombreux moutons.
5 Bonne brise 16 à 20 29 à 38 Vagues modérées (2m) et faibles embruns.
6 Vent frais 21 à 26 39 à 49 Lames (4m), crêtes d’écume et embruns.
7 Grand vent frais 27 à 33 50 à 61 Traînées d’écumes et lames de 5,5m au plus, qui commencent à déferler.
8 Coup de vent 34 à 40 62 à 74 Tourbillons d’écume à la crête des lames et traînées d’écume. Vagues
jusqu’à 7,5m de hauteur.
9Fort coup de vent 41 à 47 75 à 88 Les lames déferlent et les embruns limitent la visibilité. Les vagues
atteignent 10m de hauteur.
10 Tempête 48 à 55 89 à 102 Vagues jusqu’à 12,5m de hauteur aux crêtes couvertes d’écume.
11 Violente tempête 56 à 64 103 à 117 La mer est recouverte d’écume souée par le vent. Vagues jusqu’à 16m.
12 Ouragan > 65 > 118 Mer blanche d’écume, air rempli d’embrun, visibilité presque nulle.
et en partie rééchi (voir chapitre 2 p.
XX). La proportion de lumière rééchie
dépend, entre autres, de l’indice de
réfraction de l’eau et de l’angle d’inci-
dence. Plus l’incidence est oblique, plus
la réexion est forte. Aussi la surface de
la mer est-elle plus lumineuse vers l’ho-
rizon qu’au premier plan.
Qu’en est-il de sa couleur? La couleur de
la mer en surface n’est guère prévisible,
car elle dépend de nombreux facteurs
tels que sa profondeur, la position du
Soleil, la couleur du ciel, la présence de
Contraste
0,1
0,2
0,3
0,4
0,5
Vitesse du vent
0 1
3,6 7,2 10,8 14,4 18
2 3 4 5 m/s
km/h
2 Contraste entre la
luminosité de la mer et
celle du ciel en fonction de
la vitesse du vent v. Les
croix correspondent aux
mesures eectuées à bord du
navire, et le trait épais à une
courbe théorique. D’après
des résultats publiés par A.
V. Byalko et V. N. Pelevin
(Izvestiya: Atmospheric and
oceanic physics, 1976, vol. 11,
p. 473).
e L’échelle de Beaufort.
On peut se faire une idée
de la vitesse du vent, non
seulement en utilisant l’échelle
de Beaufort, mais aussi à
partir du contraste entre la
luminosité de la mer et celle
du ciel. Elles sont les mêmes si
la mer est totalement calme,
et l’horizon est alors à peine
discernable. D’ordinaire, le
vent le plus léger sut à agiter
la surface de l’eau, et à faire
apparaître un contraste: le ciel
est alors plus lumineux que
la mer et l’horizon se dessine
comme une ligne bien nette.
Ce contraste a été étudié il
y a plusieurs décennies par
des savants russes, à bord du
navire de recherche Dmitrii
Mendeleev (Figure 2).
particules et d’algues en suspension, etc.
Tous ces facteurs aectent la réexion
à la surface, la diusion de la lumière
dans la mer et son absorption. Toutefois,
la mer est souvent bleue. La raison est
que l’eau absorbe moins la lumière entre
400 et 500nm, dans le bleu, que sur le
reste du domaine visible (voir encadré
ci-contre). Oh, elle ne l’absorbe pas non
plus beaucoup! Un verre d’eau semble
parfaitement transparent. À partir d’une
épaisseur de quelques mètres, l’eau com-
mence à les absorber appréciablement.
La couleur du ciel
par un jour de beau temps
Si la couleur de la mer n’est guère facile
à prévoir, celle du ciel par beau temps
s’explique à partir de principes physiques
révélés par le physicien anglais Lord Ray-
leigh (1842-1919). En l’absence de nuages,
la couleur du ciel résulte de l’interaction
entre la lumière solaire et les constituants
de l’atmosphère, principalement les
molécules d’azote et d’oxygène.
Comment se comportent ces molécules
lorsqu’elles reçoivent de la lumière ?
Considérons une lumière incidente
« monochromatique », c’est-à-dire de
longueur d’onde λ donnée, donc de
fréquence n et de couleur données.
La lumière est constituée dun champ
magnétique et dun champ électrique,
oscillant à la fréquence n perpendicu-
lairement à la direction de propaga-
tion. Sous leet du champ électrique
oscillant, les électrons de la molécule
oscillent également à la fréquence n. Par
suite, la molécule réémet de la lumière
Lœil humain est sensible aux rayonnements
électromagnétiques de longueurs d’onde
comprises entre 400 nm et 800 nm (voir
gure). Les objets apparaissent colorés à
cause de la lumière qu’ils émettent, soit
parce qu’ils sont chauds (comme un morceau
de fer rouge) soit parce qu’ils sont éclairés
et qu’il « diusent» (c’est-à-dire renvoient)
une partie de la lumière reçue. La lumière
qui parvient jusqu’à l’œil est en général poly-
chromatique, c’est-à-dire qu’elle contient
des radiations de diverses longueurs d’onde
en proportions diérentes. Cette composi-
tion détermine la couleur perçue. Un objet qui
absorbe toutes les radiations lumineuses
apparaît ainsi noir ; un objet qui émet des
radiations électromagnétiques de toutes les
longueurs d’onde entre 400nm et 800nm
avec une intensité comparable apparaît
blanc.
Dans l’œil, la perception des couleurs est
assurée par des cellules appelées cônes
qui tapissent l’arrière de la rétine. Il existe
trois types de cônes (voir gure) qui trans-
mettent au cerveau des signaux que celui-
ci interprète pour aboutir à une sensation
visuelle de couleur. Les couleurs perçues ne
se limitent pas aux couleurs de l’arc-en-ciel,
ou «couleurs spectrales», que l’on obtient en
U La vision des couleurs
q Les diérents domaines du rayonnement électromagnétique et leurs applications. La zone étroite
qui s’étend entre 400 et 800nm (soit à des fréquences comprises entre 400 et 800THz environ)
correspond au domaine visible. Chaque radiation ou «couleur spectrale» est repérée par sa longueur
d’onde λ, qui est reliée à la fréquence υ par la relation λ =c/υ où c est la vitesse de la lumière dans
le vide.
q Sensibilité des trois
types de cônes en fonction
de la longueur d’onde.
Fréquence (Hz)
Rayons X UV Infrarouge
Visible
Micro-ondes Ondes radio
(hertziennes)
3.10 21 3.10 19
10–14 1012 10–10 10–8
400 nm 700 nm
106 104 10 2 102
1
3.10 15 3.10 11 3.10 81 05
8.10 14 4.10 14
Longueur
d’onde (m)
Rayons gamma
0,2
0,4
0,6
1,0
0,8
0400 450 500 550 600 650 700
Longueur d’onde (nm)
Absorption relative
décomposant la lumière blanche. Le magenta,
par exemple, s’obtient en combinant une lumière
rouge, autour de 680nm, et une lumière bleue,
autour de 480 nm. En outre, une même cou-
leur perçue peut correspondre à des lumières
de compositions très diérentes. Par exemple,
un objet peut nous apparaître jaune parce qu’il
émet une lumière monochromatique de lon-
gueur d’onde proche de 580 nm, ou encore une
lumière blanche privée des radiations de courte
longueur d’onde, ou même une lumière rouge et
une lumière verte superposées. XXX
26 l
le kaléidoscope de la physique les couleurs de la mer et du ciel
l 27
à la même fréquence dans toutes les
directions (quoique de façon inégale
dans les diverses directions). Cest par un
mécanisme similaire que lantenne dun
émetteur de télévision ou de radiocom-
munication émet des ondes radio. Dans
le cas des molécules et de la lumière
solaire, la longueur donde est grande
par rapport à la taille des molécules :
on parle de « diusion Rayleigh ». Le
calcul montre alors que, pour une onde
incidente donnée, lintensité lumineuse
diusée est proportionnelle à n4 (ou à 1/
λ4): c’est la loi de Rayleigh (Figure 3).
Quel est le lien avec la couleur du ciel?
D’après cette loi, l’intensité lumineuse
diusée est bien plus forte pour les
hautes fréquences que pour les basses
fréquences. Ainsi, les molécules de l’at-
mosphère vont diuser plus fortement
le bleu que le rouge, le vert ou le jaune.
Ce sont donc les rayons lumineux de
couleur bleue qui vont parvenir majori-
tairement jusqu’à l’œil. Voilà pourquoi
longueur d’onde (nm)
Intensité diusée relative
700600500400
0
3 Diusion de la lumière
par des molécules et loi de
Rayleigh. Sous l’eet d’une
lumière monochromatique
incidente (a), les molécules
renvoient une lumière de
même longueur d’onde dans
toutes les directions. Le
bleu se situe à une longueur
d’onde autour de 450nm et
le rouge autour de 650nm.
D’après la loi de Rayleigh (b),
la quatrième puissance du
rapport 650/450 étant égale
à 4,3, l’intensité diusée dans
le bleu est environ 4 fois plus
élevée que dans le rouge.
4 a. En journée, un ciel
dégagé apparaît bleu, car les
molécules de l’atmosphère
diusent fortement le bleu.
b. Au coucher du soleil, la
lumière solaire qui nous
parvient a traversé une
épaisseur d’atmosphère bien
plus grande, et le ciel est
rougeoyant.
a b
le ciel est bleu ! On peut objecter que,
d’après ce raisonnement, le ciel devrait
être violet, puisque le violet se situe à
plus haute fréquence que le bleu. En fait,
l’œil reçoit en eet plus de violet que de
bleu, mais il reçoit aussi de la lumière
d’autres couleurs, notamment du vert
en quantité moindre: l’impression que
nous en retirons est une aaire de phy-
siologie (voir encadré p.XX).
Le ciel au coucher du Soleil…
et après
Au coucher du Soleil, le ciel prend au-
dessus de l’horizon une belle teinte rou-
geoyante (Figure 4). Cette couleur est
due, une fois encore, à la diusion de
la lumière solaire dans l’atmosphère. La
lumière étant diusée dans toutes les
directions, nous en recevons une partie,
mais une autre partie est renvoyée dans
l’espace. Cette partie est faible, mais non
négligeable (Figure5). Dans le visible, la
diérence entre l’énergie reçue par les
couches supérieures de l’atmosphère et
celle reçue au sol est due, surtout, à la dif-
fusion. On voit que celle-ci, en plein jour,
réduit l’énergie reçue par le sol d’environ
25% dans le bleu, et 10% dans le rouge.
Au coucher du Soleil, ces proportions
sont modiées car la lumière traverse
alors une épaisseur d’atmosphère bien
plus grande (Figure6). La lumière bleue
est ainsi presque totalement diusée, et
un observateur terrestre ne reçoit prati-
quement plus que de la lumière rouge.
Une fois le Soleil disparu derrière la
ligne d’horizon, la nuit tombe progres-
sivement. La couleur du ciel pendant
la nuit est un tout autre problème (voir
encadré ci-contre).
La couleur des nuages
Comme le montre le tableau de Rylov (p.
XX), les nuages sont blancs, gris ou noi-
râtres, selon leur épaisseur et l’endroit
d’où on les regarde. En tout cas ils sont
opaques: on ne voit pas le Soleil à travers
un nuage, mais on reçoit sa lumière, plus
ou moins intense suivant l’épaisseur du
nuage. Cette lumière nous est transmise
après diusion par les gouttes d’eau qui
constituent le nuage. Cette diusion est
très intense, plus intense que la diusion
par les molécules d’oxygène et d’azote que
nous avons décrite plus haut. Pourquoi?
a b
Énergie lumineuse (u.a.)
(mm)
250 500 750 1000 1250
UV Visible
H2O
H2O
H2O
H2OH2O
O2
O3
CO2
Infrarouge
Rayonnement d’un corps noir
à 5 250 °C (voir p.65)
1500 1750 2000 2250 2500
0
0,5
1
1,5
2
2,5
: énergie reçue au sommet de l’atmosphère
: énergie reçue au niveau de la mer
5 Énergie lumineuse reçue
par les couches supérieures de
l’atmosphère (en jaune) et au
niveau de la mer (en rouge), en
plein jour, en tenant compte de
la diusion et de l’absorption.
Les mentions «H
2
O» et «O
2
»
repèrent respectivement les
bandes d’absorption de l’eau
et de l’oxygène. Les abscisses
sont en nanomètres et les
ordonnées en watts par m
2
de
surface et par nm de longueur
d’onde.
6 Les radiations de grande
longueur d’onde émises par
le Soleil, autour du rouge,
sont moins diusées que les
radiations de courte longueur
d’onde, autour du bleu. Au
crépuscule, un rayon bleu
rasant est donc fortement
diusé par l’atmosphère et
parvient très atténué jusqu’à
la Terre, au contraire d’un
rayon rouge. Le jour, la lumière
atteint la Terre quelle que soit
sa couleur. (Les proportions ne
sont pas respectées.)
Jour
Crépuscule
Atmosphère
terrestre
La raison est que de gros objets diusent
bien mieux la lumière que de petits objets.
Par exemple, si une goutte d’eau contient
un million de molécules (ce qui corres-
pond à un diamètre d’environ 0,04 mm)
elle diuse presque un million de millions
de fois plus quun million de molécules iso-
lées! Doit-on en déduire que si une goutte
contient un milliard de molécules, elle
diuse la lumière un milliard de milliard
de fois plus quun milliard de molécules
isolées ? Eh non ! Le diamètre de cette
goutte est de lordre de 0,4 ¼m, non négli-
geable par rapport à la longueur donde
de la lumière visible. Les lois de la diu-
sion Rayleigh ne sappliquent plus dans ce
cas, car les rayonnements diusés par les
diverses molécules ne sont pas en phase
et donnent lieu à des interférences des-
tructives, dont nous reparlerons un peu
28 l
le kaléidoscope de la physique les couleurs de la mer et du ciel
l 29
plus loin. Le calcul de lintensité diusée
par une goutte sphérique de rayon R quel-
conque a été eectué par le physicien alle-
mand Gustav Mie en 1908. Son résultat est
une somme innie de termes qu’on peut
calculer numériquement. Pour une petite
goutte (R>λ est également simple. Dans ce
cas l’optique géométrique s’applique. Or
que dit la géométrie? Elle prévoit que le
nombre de rayons lumineux interceptés
par une sphère est proportionnel à la sec-
tion de cette sphère, donc à R2. Une grosse
goutte intercepte donc plus de rayons
qu’une petite goutte. En outre, le calcul
Par une nuit sans Lune, le ciel est
noir, à part quelques étoiles éparses.
Cela semble normal. Pourtant, il y a
énormément d’étoiles dans le ciel,
peut-être même une innité. Une
innité d’étoiles devrait produire une
luminosité innie. Le ciel noir est-il
l’indice d’un Univers ni? C’est ce que
pensait le savant allemand Johannes
Kepler au début du e siècle. Au
e siècle, un autre allemand, Hein-
rich Olbers, remarqua que les étoiles
les plus proches masquent proba-
blement les plus éloignées, de sorte
que, même si l’Univers est inni, la
luminosité ne doit pas être innie…
mais quand même très grande! L’expli-
cation actuelle est que l’Univers nest
pas inni dans le temps. Depuis le Big-
Bang, une période dense et chaude
il y a 13,8 milliards d’années, l’Uni-
vers est en expansion. Il en résulte
que la lumière émise par les galaxies
lointaines est décalée vers le rouge.
D’autre part, lorsque l’on regarde loin,
du fait de la vitesse nie de la lumière,
on «remonte le temps»: on voit les
galaxies dans l’état où elles étaient
lorsqu’elles ont émis leur lumière, il y
a des milliards d’années. À partir d’une
certaine distance, on remonte à une
époque très proche du Big-Bang, où
les premières galaxies n’étaient pas
encore nées et l’Univers était sombre:
on atteint «l’horizon cosmologique»,
les limites de l’Univers observable.
Nous ne pouvons donc pas observer
l’Univers entier, qu’il soit ni ou inni,
et le ciel nocturne apparaît noir.
En fait il nest pas tout à fait noir, mais
rempli d’un rayonnement électroma-
gnétique de longueur d’onde bien
plus grande que celle de la lumière
visible (de l’ordre du millimètre au
lieu du micromètre). Ce rayonnement
de faible amplitude, invisible pour nos
yeux, est mesurable par un radioté-
lescope susamment sensible (voir
gure). Sa découverte fortuite, en
1964, valut aux Américains Arno Pen-
zias et Robert Wilson le prix Nobel de
physique 1978. Il s’agit d’un «rayonne-
ment dius cosmologique » qui nest
pas émis par des étoiles. Il subit l’ex-
pansion comme le reste de l’Univers,
et il en résulte que sa longueur d’onde
augmente avec le temps.
U Les mystères d’une nuit sans Lune
montre que l’intensité totale lumineuse
diusée par une grosse goutte ne dépend
guère de la longueur d’onde de la lumière.
Ceci explique le fait que la lumière dif-
fusée soit également blanche lorsque la
lumière incidente est blanche. Comme la
lumière du Soleil est blanche, les nuages
nous apparaissent donc blancs!
Interérences et cohérence
Le phénomène d’interférence lumi-
neuse fut mis en évidence au début du
esiècle par une expérience historique
t La première «image» de l’Univers, ou rayonnement dius
cosmologique, il y a environ 14 milliards d’années. Elle
cartographie les uctuations de température
qui agitaient l’Univers, quelques 380
000 ans après sa naissance, et qui
correspondent aux germes des futures
galaxies. date d’environ 14 milliards
d’années. Depuis la découverte de
ce rayonnement radio en 1965, il a
été étudié par les télescopes au sol et
les instruments embarqués à bord de
satellites ou dans des nacelles attachées
sous des ballons. Ici, la première image
détaillée établie par le satellite Wilkinson –
Microwave Anisotropy Probe.
du physicien anglais Thomas Young.
Les physiciens de l’époque étaient alors
partagés sur la nature de la lumière: ils
l’interprétaient comme un phénomène
ondulatoire, ce que semblait conrmer
l’expérience de Young, ou bien comme
un ux de particules. Dans la quatrième
partie de ce livre (voir chapitre 22
p.XXX), nous verrons que tous avaient
raison.
Le dispositif de Young (Figure 7) com-
prend une source lumineuse ponctuelle
S monochromatique, placée derrière
une plaque opaque où sont percés deux
trous de très faible diamètre (de l’ordre
de 0,1 mm) et peu espacés (quelques
millimètres). La lumière qui passe par
les trous est reçue sur un écran. Et ce
qu’on voit sur l’écran, ô surprise, ce n’est
pas une tache lumineuse continue, mais
une tache montrant une alternance de
franges obscures et de franges claires.
Que s’est-il passé?
L’intensité lumineuse observée en un
point M de l’écran résulte de la superpo-
sition des ondes issues des trous A et B.
Ce phénomène d’addition algébrique des
ondes provenant de points diérents s’ap-
pelle «interférence». Il peut aboutir à une
intensité totale nulle ou faible: on parle
alors d’interférences destructives ; ou à
une intensité plus élevée: les interférences
sont alors dites constructives. Le caractère
constructif ou destructif des interférences
dépend du décalage des ondes entre elles,
ou déphasage, lorsqu’elles parviennent
sur l’écran (Figure 8).
Figure visible sur l’écran
d
AB
O M
Écran
Cache percé de trous
Source
S
Dispositif
a
x
7 Expérience d’interférences
avec les trous d’Young. Une
source de lumière cohérente
vient éclairer les trous: on
observe, sur un écran, une
alternance de franges claires
et de franges sombres. Les
rayons issus de A et de B ont
«interféré». Avec un trou
unique, on observerait une
tache qui nest pas nette et
entourée d’un anneau, à cause
du phénomène de diraction.
8 a. Deux ondes présentant
un déphasage quelconque φ.
b. Deux ondes en opposition
de phase interfèrent de
façon destructive: un
maximum d’amplitude de
l’une correspond au minimum
d’amplitude de l’autre.
t
t
a
b
E
E
Dans l’axe SO, les ondes issues de A et
de B arrivent en phase: on observe une
frange claire. Lorsque l’on s’écarte de
cet axe, selon le point de l’écran consi-
déré, les ondes issues des deux trous ont
parcouru une distance diérente. Leurs
phases se décalent et on observe une suc-
cession périodique de franges claires et
sombres. Il y a interférence destructive
(frange sombre) lorsque la diérence de
parcours est égale à une demi-longueur
d’onde, à un multiple de la longueur
d’onde près. Il y a interférence construc-
tive (frange claire) lorsque la diérence
de parcours est un multiple de la lon-
gueur d’onde.
Dans le visible, la longueur d’onde λ
est de l’ordre du micromètre, ce qui est
environ dix fois moins que le diamètre
d’un cheveu. Toutefois, la distance entre
les franges sur l’écran est notablement
plus grande si cet écran se trouve à une
distance d susante. La position OM =x
des franges claires se déduit de la condi-
30 l
le kaléidoscope de la physique les couleurs de la mer et du ciel
l 31
tion AM–BM =nλ, où n est un nombre
entier. Si a=AB est la distance entre les
trous, on trouve que la distance entre
franges est égale à λd/a. Si λ= 0,5 m,
d =3m et a =0,5cm, alors les franges
sont séparées de 0,3mm. On voit donc
les franges d’interférence à l’œil nu,
même si ce n’est pas très facile. Les expé-
riences d’interférence sont redoutées par
les étudiants qui doivent les aronter en
travaux pratiques, et on peut admirer
Young d’avoir su les réaliser. Comme la
distance entre les franges dépend de la
longueur d’onde, en lumière blanche, les
gures d’interférences des diérentes
radiations sont décalées et se super-
posent: on observe alors l’apparition de
couleurs interférentielles.
Au lieu d’utiliser deux trous éclairés par
la même source lumineuse, une idée
qui vient à l’esprit est de prendre deux
sources lumineuses ponctuelles de même
couleur. Mais dans ce cas, l’expérience
échoue! Les interférences ne sont pos-
sibles que pour des sources cohérentes,
dont le déphasage est constant dans le
temps. De façon générale, si on ne prend
pas de précautions particulières, deux
sources prises au hasard ne le sont pas.
Cette diculté à observer des interfé-
rences lumineuses pourrait faire croire
qu’elles sont un phénomène exotique.
Pas vraiment! Les couleurs irisées d’une
bulle de savon en sont un bon exemple
(voir chapitre 6 p. XXX). L’interférence
se produit alors entre la lumière qui se
rééchit avant de pénétrer dans la pelli-
cule savonneuse, et celle qui se rééchit
avant d’en sortir. Comme l’observation
se fait d’habitude en lumière blanche,
les radiations se trouvant en opposition
de phase ne sont pas vues, et la lumière
résultante apparaît donc colorée. La
coloration dépend de la position de
l’observateur par rapport à la bulle et de
l’épaisseur de la pellicule. De telles cou-
leurs interférentielles parent les ailes de
papillons comme le Morpho, le plumage
d’oiseaux comme le colibri, ainsi que les
cuticules de certains insectes.
Les couleurs de l’arc-en-ciel
Un arc-en-ciel résulte de l’interaction de
la lumière solaire avec des gouttelettes
d’eau en suspension dans l’atmosphère
(Figure8). Ces gouttes d’eau ont une taille
de l’ordre de 0,1 mm, largement supé-
Arc primaire
Arc secondaire
42°
42°
50°
50°
Soleil
Arc primaire
Bande sombre
Arc secondaire
9 Arc-en-ciel principal (le
plus lumineux, à droite) et
arc-en-ciel secondaire. Leurs
couleurs sont inversées.
10 Trajet des rayons
lumineux dans l’arc-en-ciel
principal et dans l’arc-en-
ciel secondaire. Langle de
déviation moyen est de 42°
et de 51° respectivement. Par
suite, les rayons lumineux
qui constituent l’arc-en-ciel
principal forment un cône de
révolution dont l’axe est la
droite Soleil-observateur et
dont l’angle au sommet est 42°.
Extrait de B. Valeur, La couleur
dans tous ses éclats.
rieure à la longueur d’onde de la lumière.
Il en résulte que le trajet des rayons
lumineux dans chaque goutte peut être
décrit par l’optique géométrique, c’est-à-
dire une réfraction à l’entrée, une réfrac-
tion à la sortie, éventuellement séparées
par une ou plusieurs réexions. L’arc-en-
ciel principal, souvent le seul visible, cor-
respond à une réexion intermédiaire,
et l’arc-en-ciel secondaire, parfois appa-
rent, est dû à des rayons qui ont subi
deux réexions dans les gouttes d’eau
(Figure 9). Pour une longueur d’onde
donnée, la déviation par une goutte d’eau
d’un rayon lumineux dépend du point
où il frappe la goutte, et est déterminée
par les lois de la réfraction (voir encadré
p.XX). Toutefois, l’angle du rayon émer-
gent avec le rayon entrant ne peut pas
prendre n’importe quelle valeur. Dans
Revenons sur la loi appelée, en France,
loi de Snell-Descartes ou plus simple-
ment loi de Descartes, et ailleurs, loi
de Snell (voir p.XX). Descartes semble
en eet être le premier à l’avoir publiée
dans son traité de Dioptrique en 1637,
mais elle était déjà connue du mathé-
maticien néerlandais Willebrord Snell
(1580-1626).
Snell se fondait probablement sur
des travaux expérimentaux, alors que
Descartes prétendait démontrer sa
loi en assimilant le rayon lumineux
au trajet d’une balle. Cette démons-
tration, guère compréhensible, a été
critiquée par Pierre de Fermat dans
un mémoire publié en 1662, intitulé
Synthèse pour les réfractions. Le
«principe de Fermat», énoncé dans ce
texte, stipule que la lumière emprunte
le chemin qui lui permet d’aller le plus
vite possible d’un point A à un point
B (voir gure). Nous laissons le lec-
teur retrouver la loi de Snell à partir
du principe de Fermat, ce qui est facile
si on a quelques connaissances de
trigonométrie et de calcul diéren-
tiel. Il sut de chercher le point C qui
minimise le temps mis par la lumière à
parcourir le trajet ABC, ce temps étant
égal à (AC/c) + (BC/v), c étant la vitesse
de la lumière dans l’air et v = c/n sa
vitesse dans l’eau.
Si la démonstration de Descartes est
une curiosité d’intérêt épistémolo-
gique, le principe de Fermat garde un
certain intérêt même dans la physique
contemporaine. Par ailleurs, c’est bien
Descartes qui a, le premier, expliqué la
genèse des deux arcs de l’arc-en-ciel
et retrouvé, par le calcul, la valeur des
angles de déviation correspondants.
U Snell, Descartes et Fermat
Sauveteur
Nageur
(2)
(1)
Chemin
plus court
Chemin le
plus court
dans l’eau
Chemin le
plus rapide
C
B
A
q Analogie avec le problème du sauveteur. Le
sauveteur A court plus vite sur la plage qu’il ne nage
dans la mer, et doit secourir le nageur B en diculté
le plus vite possible. Le chemin le plus court, en
ligne droite (1), nest pas le plus rapide: le sauveteur
perd alors trop de temps dans la mer. S’il limite
au maximum le temps de nage (2), le trajet sur la
plage est alors considérablement allongé. Au nal,
le chemin le plus rapide (3), passant par C, est celui
prévu par la loi de Snell-Descartes.
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