sexes, avec maintenant un ratio de 1, ce qui est, là encore, assez
remarquable. Le fait, cependant, n’étonne pas d’avantage l’auteur
qui se contente de noter que la mortalité supérieure des hommes
dans cette période de leur vie est probablement liée à des accidents
de chasse, des noyades, des chutes d’arbres et des rixes au sein du
groupe. Au fond, ces données démographiques sont d’autant plus
facilement naturalisées qu’elles débouchent sur un bilan mathémati-
quement nul, puisqu’au bout du compte, on a bien le même
nombre d’hommes et de femmes pour assurer la bonne reproduc-
tion du groupe.
De cette brève évocation ethnographique, on peut tirer au moins
trois enseignements. En premier lieu, l’anthropologue ne porte
jamais, on le sait, un regard objectif sur ses objets et terrains d’en-
quêtes: il ne voit que ce qu’il est prêt à voir et, bien souvent, les
hommes anthropologues ont eu tendance à travailler avec des
lunettes masculines. En second lieu, l’inscription de l’inégalité de
genre dans les corps existe, même si elle y prend une forme particu-
lière, dans des sociétés très éloignées de la nôtre, y compris celles
que nous considérons comme les plus traditionnelles. En troisième
lieu enfin, toutes les morts et toutes les souffrances ne s’équivalent
pas: le bilan à somme nulle de cette population polynésienne où les
hommes sont aussi nombreux que les femmes, masque deux causes
de décès sexuellement différenciées, infanticide des petites filles et
mort accidentelle des hommes, qui même si elles sont identiques en
quantité, n’ont pas la même signification sociale, traduisant précisé-
ment, pour autant qu’on y prête attention, des disparités profondes
de statut.
Prolongeant ces remarques, j’aimerais, dans ce texte, esquisser une
réflexion sur les inégalités sociales de genre et sur leur inscription
dans les corps, en m’efforçant plus particulièrement de relier les
deux fils de l’anthropologie que sont la recherche de l’universel et
l’appréhension du culturel, ou encore, pour paraphraser Leach,
l’unité des relations entre les sexes et la diversité de leurs configura-
tions. Dans un premier temps, il sera question de ces disparités
incorporées entre hommes et femmes dans des sociétés différentes :
120 DIDIER FASSIN