Argumentaire final

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Ah bé tè ! Deuxièmes rencontres anthro-Pau-logiques
11-12 février 2016 à l'Université de Pau et des Pays de l'Adour
Regarder – écouter – s'engager !
Cette deuxième édition des rencontres « anthro-Pau-logiques » poursuit l'analyse du
regard que portent des anthropologues, des collègues des autres sciences humaines et sociales
ainsi que la société civile sur les problèmes du monde contemporain. Ainsi, nous souhaitons
associer dans nos réflexions la vision de l'historien, du sociologue, du géographe, du juriste,
du plasticien, mais aussi de l'ouvrier, du militant syndical, ou du politique… En effet, au-delà
des différences disciplinaires ou des divergences politiques, chacun porte un certain regard sur
la façon dont les cultures se (re)dessinent, les stratégies sociales se (re)déploient ; en résumé,
sur les mutations sociétales.
Cependant, si le regard suffit pour voir, il ne permet pas à lui seul de comprendre ces
sociétés puisque les mobiles qui les transportent en les transformant échappent parfois au
regard et appellent l’écoute. Les sociétés sont discursives et mélodiques ; elles sont dans la
mise en scène, il faut donc les écouter au-delà du regard.
En outre, l’intérêt accordé aux mutations de nos sociétés conduit, en sciences sociales
et humaines, à des rencontres avec « le terrain ». C’est ainsi que, par exemple, l'engagement
ethnographique demeure une question omniprésente puisque l'ethnographe est
personnellement et fortement impliqué dans l'enquête (Favret-Saada 1977). Cette implication
peut se traduire sous la forme d'un engagement, que Jean-Pierre Olivier de Sardan (2000)
classifie sous trois idéal-types : l'engagement ambigu (intégration forte au milieu), la
conversion et le dédoublement statutaire (implication directe sur la scène sociale). Didier
Fassin relève également l'ambiguïté épistémologique de la position du chercheur sur la scène
sociale, entre engagement et distanciation puisque « le chercheur est engagé par rapport au
monde qu’il étudie à la fois comme sujet connaissant et comme sujet citoyen » (Fassin, 1999 :
43). Au-delà de ces modèles scientifiques, nous retrouvons un panel de positionnements dans
la société civile : cette dernière s’empare de la notion d'« engagement » à différents niveaux,
allant du domaine artistique au champ politique ou écologique. Mais que signifie ce terme
« engagement » et en quoi « l’engagement » de l’artiste, du politique, du chercheur en
sciences humaines et/ou sociales, etc., renseigne-t-il, par exemple, sur les crises des sociétés
actuelles ?
Ces journées s'articuleront autour de ces pistes de réflexion et questions en soulignant
dans un premier temps l’engagement, notamment à travers l'image comme média subjectif et
la musique engagée. La deuxième journée sera consacrée à la question de la gouvernance en
évoquant d'une part le militantisme syndical, politique ou culturel et, d'autre part, les
dissidences économiques et alternatives à la mondialisation.
Jeudi 11 février : Le pouvoir dans les arts
1.1) L'image : un média comme un autre ?
La multiplication des caméras de surveillance en ville, des panneaux publicitaires à
l'entrée des villes marquant le passage d'un monde (rural) à un autre (r-urbain), ou bien
l'image du corps de la femme exposée dans les publicités interrogent la société actuelle à
travers ses photographies, vidéos ou iconographies (Le Breton 2008). Se pose alors la
question de la représentation de l'individu et de la société à travers ces images – parfois
numériques, qui sont de plus en plus véhiculées par les réseaux sociaux : miroir artificiel ou
reflet d'un monde dont les codes sociaux (éthique, moral, pudeur, etc.) ont évolué ? Ce regard,
déjà porté par les historiens de l'art et les plasticiens, réinterroge le rôle de l'image comme
action de communication ou comme lecture de transformations sociétales. L'image crée alors
de « nouvelles façons de voir » pourrait-on dire, puisant son inspiration entre un imaginaire
collectif et une réelle subjectivé.
L'étude critique des médias ou dans les médias (Bourdieu, 1996) analyse ainsi le
champ de la production culturelle, les œuvres produites et leur réception auprès du public ;
mais elle met également en lumière les formes de domination symbolique véhiculées par les
médias et, en premier lieu, l'image. Pour autant celle-ci s'adresse-t-elle à un récepteur passif et
aliéné ? Quel(s) pouvoir(s) et quel(s) statut(s) possède-t-elle, entre fabrication de l'image
(Belting 2004), sélection de l'information et symboles utilisés pour faire passer un « message
» à travers une photographie, un portrait, un film, ou bien de nombreux autres supports
iconographiques.
1.2) La musique engagée
Qu’est-ce qu’une musique engagée ? Quel discours est véhiculé par cette musique ?
Ou autrement, en quoi consiste un engagement en musique ? Ces questions se (re)posent à
nous lorsque l'on considère les liens tissés entre des musiques actuelles et des identités
territoriales, à l'image de groupes de rock basques (Bidart 2001 et 2003), du rap occitan ou
d'autres musiques considérées « à la marge ». Des groupes tels les Fabulous Trobadors ou Les
Motivés illustrent ces métissages musico-politiques dits engagés dans la société actuelle. Ils
peuvent aussi dénoncer par ailleurs : un groupe de métal basque. « Su Ta Gar », a ainsi
intitulé une de ses chansons Jo Ta Ke (littéralement « coup et fumée »), slogan qui fut repris
par la suite dans des manifestations de la gauche patriote basque.
Nous invitons ici, au-delà de l’exemple du rap, à interroger propriétés et formes
d’engagement au travers des cultures musicales des sociétés actuelles ; qu’elles relèvent du
seul registre de la chanson, de l’instrument musical ou de l’expression du corps dansant …
Vendredi 12 février : Qui gouverne ?
2.1) Du militantisme à la politique
La question des marges et des frontières, déjà en partie débattue lors des premières
rencontres anthro-Pau-logiques, invite à poursuivre l'investigation heuristique sur les lieux et
acteurs du pouvoir et ceux qui en sont exclus. En effet, des communautés ou associations
culturelles côtoient un système politique mais sont en constantes interactions avec lui. De
multiples engagements militants sont ainsi devenus des engagements en politique, à l'image
de certains présidents ou animateurs du Festival de Siros dans les Pyrénées-Atlantiques 1 qui
se sont engagés en politique tel le député Jean Lasalle (Castéret 2012), du militantisme
politico-culturel du conseiller régional d'Aquitaine David Grosclaude pour obtenir la création
de l'office public de la langue occitane, illustrant ainsi cette « société archipel » (Viard 2013),
ou encore du syndicalisme agricole de José Bové devenu depuis député européen. Comment
expliquer, dans un contexte où les formes d’engagements politiques évoluent (Nicourd 2007),
1 Festival de la chanson et de la culture béarnaise qui, à son apogée, a regroupé en 1977 plus de 14 000
personnes en deux jours. Il repose sur quatre piliers culturels que sont le chant, le théâtre, la danse et le conte
béarnais.
ce passage de la revendication syndicale, associative ou culturelle à une action politique, quels
en sont les processus et modes d'action ?
2.2) Dissidences économiques, démondialisation et alternatives au mondialisme
Face à l’agressivité du néolibéralisme économique et des processus d’intégration dans
le marché mondial, des voix dissidentes s’élèvent et s’organisent en divers mouvements et
pôles de résistance mais aussi comme forces de propositions. Le mouvement altermondialiste
concrétise « le passage d’une posture de simple refus de la mondialisation libérale à la mise
en avant de politiques alternatives. Une façon de démentir le fameux TINA (There is no
alternative) de Margaret Thatcher » (Cassen 2015) et donne toute sa place aux anticapitalistes et libertaires. C’est aussi dans ce contexte d’effervescence humaniste que
s’affirment les oppositions au « tout économique » du credo ultralibéral. Du point de vue de
l’environnement, l’ouverture du « marché carbone » qui s’appuie sur la vente de quotas ou
permis d’émissions polluantes connaît une forte opposition de part son caractère spéculatif et
son manque d'éthique, « il n’échappe pas à la spéculation, par le truchement des achats et
vente de permis par les intermédiaires financiers qui n’éprouvent pas eux-mêmes la nécessité
de réduire leurs émissions mais cherchent une profitabilité rapide » (Jacquemot 2015). À la
nécessité de s’opposer se juxtaposent les initiatives pour ré-inventer des économies localisées
(Moatti 2006) comme facteur d’innovation sociale (Colibris 2015) 2 alliant écologie et justice
sociale.
Proposant une vision critique de « la globalisation » l’économiste Jacques Sapir
argumente sur la « démondialisation » qu’il définit « comme la conjugaison d’un retour à de
fortes réglementations financières, pénalisant en particulier les mouvements de capitaux à
court et très court terme, et de règles assurant que la concurrence se produise non entre
systèmes sociaux différents mais entre systèmes sociaux comparables » (Sapir 2012). Dans ce
va-et-vient du global au local, Elinor Ostrom constatait l’inefficacité de la gestion des
ressources communes par l’État et les firmes et envisageait l’action durable collective
(Ostrom 2010). Concernées au plus près par les questions environnementales qui se posent
aux territoires, des communautés d’intérêts – qu’elles soient paysannes ou autres – entendent
reprendre en main la gestion de ce qu’elles considèrent comme étant leurs territoires.
Assisterons-nous alors à une dilution des pouvoirs des États ? Ou encore à l’émergence d’une
autre proposition citoyenne de gouvernance des territoires ?
2 Agir avec le mouvement : créer une monnaie locale. [en ligne] Colibris faire sa part. www.colibrislemouvement.org/agir/guide-tnt/creer-une-monnaie-locale [consulté le 08/09/2015]
Bibliographie :
-
-
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Gallimard, 2004.
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« Rock, basquité, ruralité et post-modernité » , Ruralia revue de l'Association des
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BOURDIEU Pierre, Sur la télévision. suivi de L’emprise du journalisme,
Paris, Éditions Raisons d’agir, 1996 [2008].
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Anthro-Pau-Logique. Regard sur les sociétés actuelles, Pau, Presses Universitaires de
Pau, à paraître (décembre 2015).
CASTÉRET Jean-Jacques, La polyphonie dans les Pyrénées gasconnes : tradition,
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FASSIN Didier, « L'anthropologie entre engagement et distanciation. Essai de
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Charles, DOZON Jean Pierre, OBBO Christian et TOURE Moriba, Vivre et penser le
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FAVRET SAADA Jeanne, Les Mots, la mort, les sorts. La sorcellerie dans le bocage,
Paris, Gallimard, 1977.
JACQUEMOT Pierre, Le dictionnaire du développement durable, Auxerre, Éd.
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LE BRETON David, Anthropologie du corps et modernité, Presses universitaires de
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MOATTI Sandra, « Monnaies sociales », dans Alternatives économiques, n°247, mai
2006.
NICOURD Sandrine, « Les engagements ont-ils vraiment changé ? », Sociologies
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OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre, a) Anthropologie et développement : essai en
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b) Le ''je'' méthodologique. Implication et explicitation dans l'enquête de terrain »,
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SAPIR Jacques, Qu’est ce que la démondialisation ? [en ligne] RussEurope, 2012.
http://russeurope.hypotheses.org/569 [consulté le 08/09/2015]
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