Libres opinions Que savez-vous de la sociologie sportive? par Benjamin Lowe, directeur des recherches sociologiques de l’Académie américaine des sports à la “Governors State-University ” (USA) Qu’est-ce que la sociologie sportive ? A-telle une quelconque signification pratique pour l’athlète, l’entraîneur ou ceux par qui le sport parvient dans la société ? Les athlètes et les entraîneurs ont dû se pencher quelque peu sur chacune de ces interrogations. Le fait est, toutefois, qu’ils ne s’y sont pas arrêtés longtemps en raison de la nature « active » de la performance sportive. Pourtant, de nos jours, la plupart des entraîneurs et des athlètes, afin d’atteindre des performances optimales, ont conscience de l’existence de la médecine sportive, étroitement liée à la fonction et à l’entraînement du muscle ainsi qu’aux blessures et à leur prévention. La plupart des entraîneurs et des athlètes ont également quelques notions de psychologie sportive, car les facteurs psychologiques ont été reconnus pour avoir de l’importance dans le fait de parvenir à une performance optimum. Mais la sociologie sportive ? Elle semble ne revêtir qu’une importance particulièrement infime pour la véritable performance sportive. En est-il vraiment ainsi ? Prenons tout d’abord un cas extrême. Puis, venons-en à certaines considérations plus prosaïques. Pour la majeure partie des entraîneurs et des athlètes sud-africains, le poids des facteurs sociologiques est certainement aussi élevé que celui des facteurs conditionnant la performance physique ou les facteurs psychologiques. Quelle est la raison de cette situation ? Elle se résume en un seul mot : « apartheid ». Des équipes formées sur la base de la ségrégation, des vestiaires propres à chaque race, etc, telle est la devise politique actuelle. Les choses évoluent certes. En effet, au cours des deux dernières années environ, le gouvernement a autorisé la rencontre d’équipes composées uniquement d’athlètes de groupes ethniques différents avec d’autres équipes du même style. II ne s’agit pas, il est vrai, d’équipes mixtes. Quelle est la relation de tout cela avec la performance sportive ? En termes simples, cela revient à dire que les athlètes sud-africains de haut niveau ne peuvent pas affronter leurs homologues du reste du monde. Politiquement, on les boycotte. Lorsque la fédération nationale d’un sport et d’un pays détermines boycotte l’Afrique du Sud, les athlètes des deux pays concernés — à la fois ceux du pays représenté par la fédération nationale et ceux d’Afrique du Sud — s’en trouvent lésés. Ainsi, les facteurs sociologiques s’immiscent-ils dans la vie des athlètes et des entraîneurs en empruntant des voies étranges. Le rôle du sport dans la société n’est donc pas uniquement de refléter la performance sportive. Ce point étant acquis, nous pouvons affirmer que l’étude du rôle joué par le sport dans la société évoque quelque chose de concret pour I’athlète et I’entraîneur. Pas seulement pour ces derniers d’ailleurs, mais également. pour tous ceux qui sont fortement intéressés par le sport. II arrive très souvent que le rôle tenu par le les commentateur sportif, représentant moyens d’information, soit aussi important pour l’entraîneur et l’athlète que le soigneur, d’une façon bien entendu radicalement différente. Attachons-nous à cette idée pour l’instant. La couverture des événements sportifs assurée par la presse locale fait état de ce qui se déroule au niveau interscolaire. Les rubriques sportives des journaux régionaux rendent compte des épreuves au niveau universitaire et professionnel et englobent des articles sur des sujets d’intérêt national. L’entraîneur et l’athlète, chacun à sa façon, sont amenés à connaître les journalistes. Ainsi, de bonnes et honnêtes relations s’instaurent entre eux. Dans le cas contraire, il en résulte un reportage de mauvaise qualité (qui à son tour peut venir se répercuter, d’une façon ou d’une autre, sur la performance de l’équipe). C’est quelque part dans cette relation que le sélectionneur commence à avoir sa place. Athlète, entraîneur, journaliste, sélectionneur, telles sont les bases d’une matrice sociale qui, soudain, commencent à nous apparaître et que l’observateur profane a de la peine à appréhender. 621 Le modèle social existe à la fois au niveau local-interscolaire et sur le plan régional, national-universitaire, professionnel. Cette matrice sociale fonctionne au niveau international par l’intermédiaire des fédérations nationales sportives et atteint son point culminant lors des compétitions internationales qui représentent le niveau suprême dans la performance athlétique. La coupe du monde de football, la coupe Davis de tennis, les Jeux Olympiques illustrent ces degrés dans la performance de haut niveau. A ce stade, le modèle social représente une force politique potentielle, ce qui ne veut pas dire que les problèmes politiques n’interviennent pas au niveau Iocal/interscolaire ou à d’autres niveaux. Dans certains cas, ils exercent une influence réelle sur la vie des athlètes et leurs performances. La sociologie sportive devient alors l’étude du rôle du sport dans la société et de la façon dont les athlètes et les entraîneurs, groupes d’individus en fonction, se situent par rapport au reste de la société. Les sociologues estiment que le sport appartient à la catégorie des institutions telles que la religion, le service militaire, l’éducation, la loi, etc. Des secteurs de ces institutions sont souvent liés les uns aux autres. Tel est d’ailleurs le cas pour « Athletes for Action » et « Fellowship of Christian Athletes », par exemple, où l’on retrouve deux institutions mêlées : le « sport » et la « religion ». La foi d’un athlète ou d’un entraîneur se doit d’être prise au sérieux. Plus d’un de ceux-ci attribue sa force (le potentiel de performance sportive qui existe à l’état latent) à sa croyance dans le succès athlétique. La satisfaction athlétique ne relève pas uniquement de la victoire physique sur d’autres individus (gagner), mais peut également être une source de satisfaction personnelle provenant du simple fait « d’avoir pris part à la lutte ». L’étude des rapports du sport avec les institutions sociales représente une part essentielle de la sociologie sportive. Cela se justifie davantage sur une échelle macro-sociologique. Toutefois, les institutions n’étant rien sans les individus, le sociologue sportif se voit obligé de considérer à nouveau l’individu au sein de petits groupes. En pratique, cela s’appelle parfois de la micro-sociologie. Une allusion a déjà été faite ci-dessus à ce sujet avec l’exemple de I’athlète ou de l’entraîneur en Afrique du Sud. Ce point peut être souligné en insistant sur les efforts déployés par certains athlètes, tels qu’Arthur Ashe, en faveur d’actions sociales. 622 Que devient donc la « victoire », quelle est son importance d’un point de vue sociologique ? La victoire emplit les stades (dans la plupart des cas) car tout le monde aime voir les vainqueurs. Le mot se répand plus vite que la publicité. En fait, la meilleure publicité que la victoire puisse avoir, c’est elle-même. Le jour de ses vingt et un ans, Steve Carlton remporta son 21e match consécutif pour l’équipe des « Phillies ». D’un point de vue pragmatique, le côté « magique » ou le symbolisme de cet événement peut se traduire par un décompte de spectateurs. En début de saison, les « Phillies » attiraient 5000 personnes. Le jour de l’anniversaire de Steve, 50 000 spectateurs payants s’étaient déplacés. Les entraîneurs comme les athlètes connaissent bien le mécanisme du succès. Ils peuvent toutefois ne pas l’aborder en termes sociologiques. Bien évidemment, avec un public dix fois plus important qu’au préalable, les « Phillies » ont dû accroître le nombre des responsables de l’ordre (police, sécurité), des concessionnaires, du personnel du stade en général. Bien sûr, ce genre de préoccupations ne concerne directement ni l’entraîneur ni l’athlète. Ces derniers ont toutefois conscience du développement et du fonctionnement du mécanisme social. Une fois de plus, du point de vue des communications, il est plus facile de faire venir et repartir d’un stade 5000 personnes que 50 000. Le sport empiète alors sur l’organisation sociale de la ville, en appelle à d’autres institutions sociales, comme le contrôle de la circulation et leur demande de se mettre temporairement à son service. Ce bref essai n’est pas réellement parvenu à fournir une analyse de la discipline que représente la sociologie sportive. Au moins a-t-il montré la façon dont les problèmes à teneur sociologique relatifs au sport peuvent avoir une signification pour l’athlète et l’entraîneur. Le rôle de la famille dans la vie athlétique au niveau interscolaire pour le fils ou la fille (ou le parent d’un entraîneur) n’a pas été abordé. Le développement social de ces personnes est toutefois fort connu. La sociologie est une discipline familière à ceux qui travaillent dans le domaine du sport. Elle n’en demeure pas moins singulière, car récente. Depuis dix ans environ, la sociologie sportive constitue un domaine d’étude à part entière. B.L