Arithmétique des entiers
Alix Deleporte
22 janvier 2016
1 Fonctions arithmétiques élémentaires
1.1 Introduction : compter les nombres premiers
1.1.1 Définition
L’un des principaux problèmes en arithmétique est la méconnaissance de la ré-
partition des nombres premiers. Ceux-ci semblent ne suivre aucune répartition
connue, et il est algorithmiquement très dicile de déterminer si un nombre est
premier ou pas.
Plutôt que d’essayer d’estimer si un nombre est premier, on peut espérer compter
les nombres premiers inférieurs à un entier donné.
Définition 1. Pour nN, on note π(n) le nombre d’entiers plus petits que
n, et premier.
Comment se comporte la fonction πquand ngrandit ? Une conjecture établie par
Gaußet Legendre au début du XIX-ième siècle établit que π(n)ln(n)/n 1 quand
n+(un résultat qu’on abrègera dorénavant en π(n)n
ln(n)).
Cette conjecture a été démontrée un siècle plus tard par Hadamard et de La
Vallée-Poussin, en utilisant des techniques récentes (à l’époque !) et qui dépassent
grandement le cadre mathématique dont dispose le lycéen, en particulier, ces tech-
niques reposent sur des connaissances sur la fonction ζde Riemann. Puis, en 1949,
Erdős et Selberg ont donné chacun une démonstration n’utilisant que des tech-
niques « élémentaires ».
1
Nous ne démontrerons pas le théorème des nombres premiers dans ce cours. Pré-
cisons qu’une meilleure approximation de π(n) est la fonction li(x) = Rx
0
dt
ln(t), qui
est elle-même, bien sûr, équivalente à x
ln(x)quand x+. L’hypothèse de Rie-
mann, selon laquelle les zéros de la fonction zêta sont « au bon endroit », apparaît
dans de nombreux domaines des mathématiques, en probabilités, en théorie des
graphes, et en géométrie par exemple. Elle est équivalente au ranement suivant
du théorème : il existe une constante C telle que pour tout n,
|π(n)li(n)| ≤ Cnln(n).
A l’heure actuelle, les connaissances sur la fonction zêta permettent de démontrer
qu’il existe deux constantes K et R explicites, telles que
|π(n)li(n)| ≤ Kn
(lnn)3/4ev
tlnn
R.
Ce cours va consister en un exposé de quelques techniques purement arithmé-
tiques (donc ne faisant pas rentrer en jeu des connaissances sur la fonction zêta).
On démontrera par exemple les résultats suivants :
1. Pour tout n, il existe un nombre premier pvérifiant np2n.
2. La probabilité que deux nombres soient premiers entre eux est π2
6.
1.1.2 Inégalités élémentaires
Lexercice 5 du TD, qu’on va corriger maintenant, est une inégalité élémentaire
sur π. Une autre est évidemment π(n)n.
On se propose de démontrer qu’en fait :
Théorème 1. Pour tout entier n > 1, on a
ln2
6
n
lnnπ(n)4n
lnn.
Ce résultat est assez technique et repose sur quatre lemmes :
2
Lemme 2. Soit m1. On a :
Y
m+1p2m+1
ppremier
p 2m+ 1
m!4m
Démonstration. L’inégalité de droite ne repose pas sur l’arithmétique. On a 22m+1
2m+1
m+2m+1
m+1 .
Pour l’inégalité de gauche, on constate que m!2m+1
m=Q2m+1
k=m+1 k. Chaque nombre
premier entre m+1 et 2m+1 divise m!2m+1
m, et ne divise pas m!, donc divise 2m+1
m,
d’où le résultat.
Lemme 3. Soit m1. On a :
Y
pn
ppremier
p < 4n.
Démonstration. Par récurrence. C’est clairement vrai si n= 1 et n= 2. Supposons le
résultat vrai jusqu’au rang n1. Alors, si nest pair, Qpnp premier p=Qpn1ppremier p
4n14n. Et si nest impair, on utilise le lemme précédent, et on majore par 4(n1)/2+
4(n1)/2<4n.
Lemme 4. Pour tout n1, on a
4n
2n< 2n
n!<4n
Démonstration. La deuxième inégalité est immédiate. Pour la première, on écrit :
22n1=
2n1
X
k=0 2n1
k!
2n 2n1
n!
n 2n
n!.
3
Lemme 5. Soit ppremier, et supposons que pα|2n
n. Alors pα2n.
Démonstration. On va bien sûr utiliser la formule de Legendre. On a
νp( 2n
n!) = νp(2n!) 2νp(n!)
=X
k$2n
pk%2$n
pk%.
Cette somme court sur les ktels que pk2n, autrement dit, pour les kln2n
lnp. Par
ailleurs chaque terme vaut 0 ou 1, et en particulier est plus petit que 1. Donc
αln2n
lnp,
ce qui permet de conclure.
On est maintenant prêt à montrer le théorème. Montrons d’abord l’inégalité de
droite. On a Qpnp > Qnpnpnπ(n)π(n).
En utilisant le deuxième lemme, on obtient nπ(n)π(n)<4n, donc en passant
au logarithme, π(n)π(n)2ln4 n
ln(n)3n
lnn. Puis π(n)nln(n)
n, ce qui
permet de conclure.
Montrons maintenant l’inégalité de droite. En utilisant le lemme 4, on a
2n
n!=Y
p2n
pνp((2n
n))(2n)π(2n).
Par ailleurs, d’après le lemme 3, on a 2n
n22n
2n.
En concaténant ces deux inégalités, et en passant au logarithme, on obtient π(2n)
2nln(2)
ln(2n)1nln(2)
ln(2n). Naturellement π(2n+ 1) π(2n), ce qui permet de conclure.
1.2 Compter les nombres premiers avec quelqu’un
1.2.1 Définition
Si n > 1, combien existe-t-il d’entiers premiers avec n? Une infinité, bien sûr, car
tous les kn + 1 sont premiers avec n. Il est plus intéressant de compter les nombres
4
premiers avec n, à nprès, autrement dit, compter les éléments de Z/nZqui cor-
respondent à des nombres premiers avec n. Par Bézout, ce sont exactement les élé-
ments inversibles de Z/nZ.
Définition 6. On note φn, et on appelle fonction indicatrice d’Euler, le
nombre d’éléments inversibles de Z/nZ.
Contrairement à la fonction π, la fonction φse calcule explicitement. On com-
mence par remarquer que si pest premier, alors φ(p) = p1 (il y a même équiva-
lence), puis que φ(pk) = pkpk1.
Pour le cas général, on commence par rappeler le théorème chinois :
Théorème 2. Si n=ab et que a,b sont premiers entre eux, alors pour tout
kZ/nZ, il existe un unique couple (k0,k00)Z/aZ×Z/bZtel que k
k0mod aet kk00 mod b.
Comme le nombre d’éléments de Z/aZ×Z/bZest n, on peut formuler la réci-
proque : à chaque (k0,k00) correspond un unique k.
Comment cette bijection se comporte-t-elle vis-à-vis les éléments inversibles ? Si
kest inversible, il existe ltel que kl 1 mod n. Ainsi kl 1 mod a, donc k0l0
1 mod a, et de même k00 est inversible modulo b. Donc à un inversible correspond
un couple d’inversibles. Réciproquement, si ka un facteur commun avec n, alors il
a un facteur commun avec a, ou avec b. Donc au moins l’un des deux éléments k0
ou k00 nest pas inversible.
On peut donc conclure en :
Proposition 7. Si n=ab et si aet bsont premiers entre eux, alors φ(n) =
φ(a)φ(b).
En utilisant la décomposition d’un nombre en facteurs premiers, de la proposi-
tion précédente on déduit :
Proposition 8. Si n=pα1
1···pαk
kest la décomposition en facteurs premiers
de n, alors
φ(n) =
k
Y
i=1
pαi
ipαi1
i=n
k
Y
i=1 11
p!.
1.2.2 Estimations
Lexpression précédente a l’avantage d’être explicite, mais ne dit pas grand chose
sur la taille de φ(n). On aimerait encadrer φ(n) par des fonctions explicites. Mal-
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