Traitement de l`information sensorielle dans les troubles du spectre

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www.sciencedirect.com
Neuropsychiatrie
de
l’enfance
et
de
l’adolescence
64
(2016)
155–162
Revue
de
littérature
Traitement
de
l’information
sensorielle
dans
les
troubles
du
spectre
autistique
Sensory
processing
in
autism
spectrum
disorders
R.
Stanciua,,b,
V.
Delvennea,b
aHôpital
universitaire
des
enfants
Reine-Fabiola,
avenue
Jean-Joseph-Crocq,
15,
1020
Bruxelles,
Belgique
bUniversité
libre
de
Bruxelles,
avenue
Franklin-Roosevelt,
50,
1050
Bruxelles,
Belgique
Résumé
Les
anomalies
sensorielles
sont
désormais
reconnues
comme
des
symptômes-clés
dans
les
troubles
du
spectre
autistique
(TSA),
et
sont
reprises
pour
la
première
fois
dans
les
critères
diagnostiques
internationaux
du
DSM-5.
Leur
importance
clinique
est
illustrée
par
les
témoignages
des
parents
et
des
personnes
présentant
un
TSA,
ainsi
que
par
les
nombreuses
études
qui
se
sont
intéressées
au
cours
des
dernières
années
à
cette
question
sous
différents
angles.
Plusieurs
modèles
explicatifs
de
l’autisme
se
sont
développés
à
partir
des
atypies
de
la
perception
sensorielle
relevées
dans
les
TSA.
Dans
cet
article,
nous
parcourons
les
données
épidémiologiques,
cliniques
et
neurophysiologiques
sur
ce
sujet
dans
le
but
de
donner
une
image
d’ensemble
des
connaissances
actuelles.
Nous
relevons
la
grande
variabilité
qui
caractérise
ces
symptômes,
tant
d’un
individu
à
l’autre
qu’au
fil
du
temps.
Les
mécanismes
physiologiques
et
biologiques
sous-jacents
n’en
sont
pas
encore
élucidés.
Dans
un
deuxième
temps,
nous
discutons
l’articulation
de
ces
données
avec
les
principaux
modèles
explicatifs
des
TSA
basés
sur
la
perception.
Certains
de
ces
modèles
nous
paraissent
prometteurs
:
ils
prennent
en
compte
la
complexité
et
la
variabilité
des
présentations
cliniques
des
TSA
tout
en
proposant
des
hypothèses
concernant
les
processus
neurobiologiques
sous-jacents.
Enfin,
nous
abordons
les
pistes
d’explorations
futures,
notamment
avec
la
recherche
translationnelle.
©
2016
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Masson
SAS.
Tous
droits
réservés.
Mots
clés
:
Autisme
;
Information
sensorielle
;
Modèles
explicatifs
;
Anomalies
sensorielles
;
Perception
Abstract
Background.
Since
the
publication
of
the
Diagnostic
and
Statistical
Manual
of
mental
disorders:
DSM-5,
sensory
processing
anomalies
have
for
the
first
time
been
identified
as
diagnostic
criteria
in
the
international
classification
and
thus
been
recognized
as
part
of
the
core
symptoms
in
autism
spectrum
disorders
(ASDs).
Their
clinical
relevance
and
their
critical
importance
for
the
patients
is
underlined
by
numerous
first-person
accounts,
and
many
recent
studies
have
investigated
their
epidemiology
as
well
as
their
behavioral
and
neurophysiological
links
with
the
other
core
symptoms
of
ASDs.
In
the
past
years,
several
explanatory
models
of
autism
have
been
developed
in
relation
with
the
atypical
sensory
processing
features
found
in
these
disorders.
Methods.
In
this
article,
we
summarize
the
research
data
about
sensory
anomalies
in
ASDs
with
regard
to
epidemiology,
clinical
presentations,
and
neurophysiology.
We
then
summarize
the
latest
explanatory
theories
based
on
perception
in
autism,
and
discuss
the
implications
of
the
recent
data
in
relation
with
them,
as
well
as
the
latest
research
directions.
Findings.
Sensory
anomalies
in
ASDs
are
characterized
by
the
variability
of
their
presentation
and
of
their
clinical
impact,
not
only
between
individuals
but
also
in
time.
At
present
the
underlying
physiological
mechanisms
and
their
relation
with
the
other
core
symptoms
in
autism
are
not
fully
understood,
but
much
progress
has
been
made
in
the
last
years,
as
research
focus
on
these
anomalies
has
been
increasing.
Several
models
show
interesting
perspectives
for
explaining
atypical
sensory
processing
as
well
as
other
core
symptoms
in
ASDs.
Some
could
account
for
the
complexity
and
clinical
features
variability
of
the
autism
spectrum,
as
well
as
provide
indications
for
underlying
neurological
processes
and
even
treatment
possibilities.
Auteur
correspondant.
Adresse
e-mail
:
rstanciu@ulb.ac.be
(R.
Stanciu).
http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2016.02.002
0222-9617/©
2016
Elsevier
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droits
réservés.
156
R.
Stanciu,
V.
Delvenne
/
Neuropsychiatrie
de
l’enfance
et
de
l’adolescence
64
(2016)
155–162
Perspective.
More
research
is
needed
in
order
to
verify
the
validity
of
these
models
and
hopefully
to
unify
the
perception
of
the
underlying
mechanisms
leading
to
ASDs.
Translational
approaches
are
especially
of
a
great
interest,
as
we
will
need
to
understand
the
links
between
the
behavioral
clinical
aspects,
the
neurological
functioning,
the
molecular
processes
and
the
genetical
substratum.
But
it
will
also
be
necessary
to
continue
reflecting
on
the
very
definition
of
what
we
call
ASDs
with
every
new
step
in
our
knowledge
about
these
complex
disorders.
©
2016
Elsevier
Masson
SAS.
All
rights
reserved.
Keywords:
Autism;
Explanatory
models;
Sensory
processing;
Perception;
Sensory
anomalies
1.
Introduction
Les
troubles
du
spectre
autistique
(TSA)
sont
des
troubles
du
développement
classiquement
définis
comme
des
entités
syndromiques,
comportant
une
altération
qualitative
des
interac-
tions
sociales,
une
altération
qualitative
de
la
communication
et
un
caractère
restreint,
répétitif
et
stéréotypé
des
comportements,
des
intérêts
et
des
activités
[1].
La
prévalence
des
TSA
est
actuel-
lement
estimée
à
approximativement
1
%
dans
la
population
générale
selon
les
études
globales
[2],
et
rapportée
à
33
pour
10
000
en
France
[3].
La
définition
des
TSA
a
été
récemment
revue
dans
le
DSM-
5
et,
entre
autres
modifications,
a
été
enrichie
d’une
série
de
précisions
concernant
la
troisième
catégorie
des
symptômes.
Les
particularités
comportementales
incluent
désormais
des
sté-
réotypies
motrices,
des
intérêts
restreints,
une
intolérance
au
changement
et
enfin
un
traitement
atypique
de
l’information
sensorielle
[4].
Ce
dernier
aspect
n’était
pas
pris
en
compte
par
les
anciennes
classifications
du
DSM.
Son
apparition
offi-
cielle
parmi
les
critères
diagnostiques
internationaux
est
le
signe
de
l’intérêt
croissant
qui
lui
a
été
porté
au
cours
des
dernières
années.
L’accumulation
des
données
de
recherche
a
permis
l’inscription
des
symptômes
sensoriels
au
tableau
des
symptômes-clés
dans
les
TSA,
alors
qu’ils
avaient
été
long-
temps
considérés
comme
périphériques,
voire
de
l’ordre
de
la
comorbidité.
Des
anomalies
comportementales
reflétant
un
traitement
atypique
des
informations
sensorielles
apparaissent
dès
les
pre-
mières
descriptions
de
l’autisme.
Dans
les
témoignages
écrits
de
personnes
diagnostiquées
autistes,
on
constate
que
les
troubles
des
perceptions
sensorielles
occupent
une
place
importante
comme
source
de
différences,
de
souffrances
ou
au
contraire
de
talents
et
d’intérêts
particuliers.
Les
observations
des
parents
font
aussi
état
de
ces
particularités
sensorielles,
qui
constituent
souvent
pour
ces
derniers
des
préoccupations
majeures.
C’est
pourquoi
au
fil
du
temps
l’intérêt
des
professionnels
a
été
croissant
pour
cet
aspect
des
TSA.
De
nombreux
moyens
ont
été
mis
en
oeuvre
au
cours
des
dernières
années
pour
étudier
ces
aspects
atypiques
:
observations
cliniques
quantifiées
à
l’aide
d’outils
standardisés,
neurophysiologie
(EEG,
MEG,
potentiels
évoqués),
imagerie
fonctionnelle,
tâches
de
neuropsychologie
expérimentale.
Plusieurs
modèles
explicatifs
de
l’autisme
pos-
tulent
que
les
différences
dans
la
perception
seraient
à
l’origine
des
TSA,
tandis
que
les
troubles
de
la
socialisation
en
seraient
les
conséquences.
Ces
modèles
se
positionnent
en
cela
à
l’opposé
de
ceux
qui
supposent
que
l’anomalie
primaire
est
un
défaut
des
cognitions
sociales.
Dans
cet
article,
nous
proposons
une
réflexion
sur
les
données
objectives
actuelles
concernant
le
traitement
de
l’information
sensorielle
dans
les
TSA,
en
lien
avec
les
principaux
modèles
explicatifs
de
l’autisme
qui
postulent
que
la
perception
est
au
centre
du
problème
dans
ces
troubles.
2.
Description
des
particularités
sensorielles
Dès
les
premières
descriptions
des
TSA,
on
retrouve
la
présence
de
trois
types
de
symptômes
liés
à
la
modulation
sen-
sorielle
:
l’hypersensibilité,
l’hyposensibilité
et
la
recherche
de
sensations.
Voici
quelques
exemples.
Kanner
décrivait
au
sujet
du
jeune
Donald
:
«
Il
n’arrêtait
pas
de
jeter
les
choses
par
terre,
et
paraissait
se
réjouir
du
bruit
qu’elles
faisaient.
».
À
propos
du
cas
de
Richard
:
«
Son
premier
geste
en
entrant
dans
le
bureau
était
d’allumer
et
d’éteindre
les
lumières.
».
À
propos
d’Herbert
:
«
Une
fois,
alors
qu’il
était
hospitalisé,
il
est
resté
3
jours
sans
boire
parce
qu’on
lui
donnait
des
tasses
en
métal
[.
.
.]
».
Ou
encore
à
propos
d’Alfred
:
«
Il
a
eu
de
nombreuses
peurs,
toujours
liées
à
des
bruits
mécaniques
;
en
général
il
finit
par
développer
un
intérêt
obsédant
pour
les
objets
dont
il
a
peur
;
actuelle-
ment
il
est
effrayé
par
le
ton
aigu
de
l’aboiement
d’un
chien.
»
[5].
Parmi
les
témoignages
les
plus
connus
de
personnes
présen-
tant
un
autisme
de
haut
niveau,
citons
Temple
Grandin
:
«
J’ai
un
système
auditif
qui
fonctionne
comme
un
amplificateur
au
maximum
de
sa
puissance.
Mes
oreilles
se
comportent
comme
un
microphone
qui
ramasse
et
amplifie
le
son.
».
Ou
encore
:
«
Je
me
sauvais
quand
les
gens
tentaient
de
m’étreindre,
parce
que
l’étreinte
provoquait
une
énorme
vague
de
stimulation
à
travers
tout
mon
corps.
»
[6].
Ce
type
d’expérience
est
rapporté
par
de
nombreuses
personnes
avec
autisme,
dans
toutes
les
modalités
sensorielles
[7].
Les
études
qui
s’intéressent
au
recensement
des
atypies
sen-
sorielles
dans
l’autisme
révèlent
que
jusqu’à
95
%
des
personnes
avec
un
trouble
du
spectre
autistique
présentent
au
moins
un
type
d’anomalie
sensorielle.
Ces
atypies
concernent
toutes
les
moda-
lités
sensorielles
ainsi
que
l’intégration
multisensorielle
[8].
Le
Tableau
1
reprend
les
principaux
symptômes
sensoriels,
sans
toutefois
être
exhaustif.
Un
premier
élément
caractéristique
de
ces
anomalies
sen-
sorielles
est
la
variabilité
de
leur
présentation
:
les
réponses
sensorielles
retrouvées
vont
souvent
vers
les
extrêmes,
marquées
par
de
l’hypersensibilité
ou
de
l’hyposensibilité
aux
stimulations
sensorielles
de
la
vie
courante.
Ces
deux
extrêmes
se
retrouvent
fréquemment
chez
un
même
patient,
quelquefois
dans
la
même
modalité
sensorielle
[9].
R.
Stanciu,
V.
Delvenne
/
Neuropsychiatrie
de
l’enfance
et
de
l’adolescence
64
(2016)
155–162
157
Tableau
1
Exemples
de
comportements
liés
aux
atypies
sensorielles.
Modalité
sensorielle Type
d’anomalie
sensorielle
Comportements
observés
Tactile Hypersensibilité
Intolérance
à
certaines
textures
(vêtements
ou
parties
de
vêtements,
aliments),
intolérance
au
toucher
Hyposensibilité
Insensibilité
à
la
douleur
ou
à
la
température,
automutilation
Recherche
sensorielle Besoin
de
pression
forte,
attirance
pour
les
surfaces
de
diverses
textures
et
besoin
de
les
toucher
longuement
Auditive Hypersensibilité
Hypersensibilité
aux
bruits
forts
ou
à
certaines
fréquences
(pleurs
d’un
bébé,
le
bruit
du
réfrigérateur)
Hyposensibilité
Pas
de
réponse
à
la
voix,
faible
conscience
de
l’intonation
ou
de
la
prosodie
Recherche
sensorielle
Recherche
d’activités
sonores,
intérêt
prononcé
pour
certaines
musiques,
jeux
de
pression
sur
les
oreilles
Visuelle Hypersensibilité
Perception
extrême
des
détails,
évitement
ou
difficultés
d’habituation
aux
lumières
fortes
Hyposensibilité
Défaut
de
perception
des
obstacles,
problèmes
de
reconnaissance
faciale
Recherche
sensorielle
Regard
proximal
(regardent
les
objets
de
très
près)
et
périphérique
(regardent
en
tournant
la
tête
de
côté),
attirance
vers
les
lumières
et
jeux
de
lumières
Vestibulaire Hypersensibilité
Mal
des
transports,
intolérance
aux
changements
de
position
(tête
en
bas,
mouvements
brusques,
marche
arrière)
Hyposensibilité
Tolérance
augmentée
à
la
position
tête
en
bas
Recherche
sensorielle Tours
sur
eux-mêmes,
recherche
de
mouvements
forts,
de
la
sensation
de
chute
Olfactive/Gustative Hypersensibilité
Sélectivité
alimentaire,
sensation
nauséeuse
à
l’approche
des
aliments
Hyposensibilité
Tolérance
augmentée
aux
goûts
(piquant)
et
odeurs
forts
Recherche
sensorielle
Pica,
reniflent
et
lèchent
des
objets
non
comestibles
Un
autre
élément
important
est
que
ces
symptômes
font
partie
des
signes
les
plus
précoces
de
l’autisme
[10].
Leur
description
et
leur
compréhension
pourraient
donc
en
outre
constituer
une
aide
précieuse
au
diagnostic
précoce
de
ce
trouble.
3.
Revue
des
données
actuelles
dans
la
littérature
scientifique
3.1.
Données
d’observation
clinique
Les
anomalies
de
traitement
de
l’information
sensorielle
ont
été
retrouvées
dans
l’ensemble
du
spectre
de
l’autisme,
incluant
les
TED-NOS
et
le
syndrome
d’Asperger
[8].
Les
outils
standardisés
utilisés
dans
l’étude
des
anomalies
de
la
modulation
sensorielle
sont
principalement
des
questionnaires
adressés
aux
parents
(Sensory
Profile,
Sensory
Experiences
Questionnaire)
[11,12].
Des
épreuves
structurées
permettant
une
observation
directe
existent
mais
sont
moins
utilisées,
proba-
blement
en
raison
de
leurs
limitations
:
soit
elles
s’adressent
à
une
seule
modalité
sensorielle,
soit
leur
passation
ne
permet
pas
de
relever
de
manière
suffisamment
efficace
la
présence
de
ces
symptômes,
dont
la
variabilité
interindividuelle
est
telle
que
l’on
ne
pourrait
en
éliciter
toute
la
palette
dans
une
seule
épreuve
maniable
[13–15].
Plusieurs
études
ont
comparé
la
prévalence
des
troubles
sensoriels
dans
les
TSA,
avec
d’autres
problèmes
développe-
mentaux
(un
retard
mental
d’origine
indéterminée
ou
dans
un
cadre
de
syndrome
génétique)
et
dans
une
population
d’enfants
à
développement
typique.
Ces
symptômes
apparaissent
avec
une
plus
grande
fréquence
dans
les
TSA
que
dans
les
deux
autres
groupes.
Les
enfants
avec
d’autres
types
de
problèmes
de
déve-
loppement
présentent
quant
à
eux
une
plus
grande
prévalence
de
ces
symptômes
que
ceux
à
développement
typique
[16,17].
Une
méta-analyse
réalisée
en
2009
met
en
évidence
plusieurs
caractéristiques
informatives.
Les
anomalies
sensorielles
sont
plus
marquées
dans
les
études
qui
s’intéressent
à
l’autisme
dit
typique,
que
dans
celles
qui
incluent
une
plus
grande
partie
du
spectre
autistique
(Asperger,
trouble
envahissants
du
dévelop-
pement
non
spécifié).
Cette
méta-analyse
révèle
aussi
que
ces
anomalies
semblent
les
plus
observables
entre
6
et
9
ans,
puis
s’atténuent
progressivement
jusqu’à
l’âge
adulte.
On
ne
trouve
cependant
pas
encore
d’étude
longitudinale
qui
puisse
confirmer
cette
tendance.
Enfin,
il
apparaît
dans
cette
méta-analyse
que
les
problèmes
de
modulation
de
type
hyposensibilité
et
recherche
de
sensations
sont
les
plus
fréquents
et
les
plus
caractéristiques
des
TSA,
tandis
que
l’hypersensibilité
se
retrouve
aussi
dans
une
certaine
mesure
dans
d’autres
troubles
développementaux,
et
notamment
le
retard
mental
[18].
3.2.
Données
neuropsychologiques
et
neurophysiologiques
Ces
données
ont
été
obtenues
au
moyen
de
divers
types
d’examens
(EEG,
MEG,
potentiels
évoqués)
réalisés
au
repos
ou
en
lien
avec
une
tâche
spécifique
de
complexité
variable.
Nous
proposons
d’en
faire
un
bref
résumé
par
modalité
sensorielle.
3.2.1.
Traitement
de
l’information
auditive
Etant
donné
que
le
développement
du
langage
est
un
pro-
blème
central
dans
les
TSA,
la
modalité
auditive
a
bénéficié
de
l’intérêt
de
nombreuses
équipes.
Il
émerge
de
ces
études
qu’il
existe
très
probablement
des
différences
dans
le
traitement
de
l’information
au
niveau
du
tronc
cérébral
et
du
cortex
auditif
primaire,
en
particulier
lorsque
la
complexité
des
stimuli
auditifs
augmente
[19].
Certaines
études
ont
lié
la
présence
ou
non
de
ces
atypies
avec
la
sévérité
de
l’atteinte
du
langage
[20].
158
R.
Stanciu,
V.
Delvenne
/
Neuropsychiatrie
de
l’enfance
et
de
l’adolescence
64
(2016)
155–162
3.2.2.
Traitement
de
l’information
visuelle
Tout
comme
au
niveau
auditif
les
résultats
des
études
concer-
nant
la
modalité
visuelle
sont
souvent
contradictoires.
Plusieurs
études
mettent
en
évidence
des
capacités
de
perception
des
détails
supérieures
chez
des
sujets
avec
un
TSA
sans
retard
mental
associé,
avec
des
stimuli
simples,
mais
des
capacités
alté-
rées
lorsque
la
complexité
des
tâches
augmente
[21].
En
ce
qui
concerne
la
sensibilité
aux
contrastes
et
la
détection
de
mouve-
ment
les
résultats
sont
contradictoires
et
restent
donc
à
élucider
[19,22].
L’un
des
domaines
les
mieux
étudiés
est
la
reconnaissance
faciale,
étant
donné
son
importance
dans
les
interactions
et
les
cognitions
sociales.
Bien
qu’il
s’agît
d’un
domaine
d’étude
pas-
sionnant,
dans
l’ensemble
il
est
difficile
de
déterminer
si
les
différences
observées
sont
dues
à
un
traitement
atypique
de
l’information
visuelle
dans
les
aires
corticales
visuelles
pri-
maires
ou
associatives,
ou
s’il
s’agit
de
difficultés
acquises
liées
aux
défauts
de
cognition
sociale.
C’est
pourquoi
nous
ne
discu-
terons
pas
ces
données
dans
le
cadre
de
cet
article.
3.2.3.
Traitement
de
l’information
au
niveau
tactile
Dans
cette
modalité
les
études
se
sont
intéressées
tout
d’abord
aux
seuils
de
perception
de
stimuli
vibrotactiles
et
thermiques.
Des
différences
sont
trouvées
par
certaines
études,
dans
le
sens
de
seuils
abaissés
pour
certaines
fréquences
(résultant
donc
en
une
hypersensibilité).
À
nouveau
les
résultats
contradictoires
ne
permettent
pas
de
statuer
définitivement
sur
des
anomalies
objectives
à
ce
niveau.
Les
études
via
des
potentiels
évoqués
somesthésiques
et
via
la
MEG
suggèrent
également
des
anoma-
lies
du
traitement
de
l’information
somesthésique,
dont
la
nature
exacte
est
incertaine
à
ce
stade
[19].
3.2.4.
Traitement
de
l’information
au
niveau
du
gustatif
et
olfactif
Les
modalités
olfactive
et
gustative
ont
été
beaucoup
moins
étudiées
que
les
autres.
Les
premières
études
s’intéressant
à
l’olfaction
ne
montrent
dans
l’ensemble
pas
de
différence
objec-
tive
avec
les
sujets
témoins
[23–25].
Des
anomalies
dans
la
perception
et
l’identification
des
goûts
se
retrouvent
chez
les
adolescents
et
les
adultes
avec
un
TSA
[26,27].
3.2.5.
Traitement
de
l’information
multisensorielle
Le
type
de
difficultés
sensorielles
et
les
expériences
rap-
portées
par
les
personnes
avec
un
TSA
ont
rapidement
fait
suspecter
un
défaut
d’intégration
des
stimuli
perc¸us
via
dif-
férentes
modalités
sensorielles
et
un
défaut
de
filtrage
des
informations
multisensorielles.
Ceci
est
notamment
mis
en
évi-
dence
par
l’étude
d’illusions,
qui
sont
issues
de
confusions
dues
à
notre
capacité
d’intégration
de
stimuli
multimodaux.
Chez
les
personnes
avec
un
TSA,
ces
illusions
soit
ne
sont
pas
perc¸ues
en
tant
que
telles,
soit
sont
perc¸ues
dans
des
conditions
différentes
de
celles
nécessaires
aux
sujets
témoins.
Les
études
par
EEG
ont
rapporté
un
timing
et
un
niveau
d’activité
différents
dans
les
processus
d’intégration
multisen-
sorielle
chez
les
personnes
avec
un
TSA.
Dans
les
processus
d’intégration
d’ordre
supérieur
des
différences
notables
sont
également
rapportées,
en
particulier
dans
la
compréhension
et
la
production
de
langage.
Lorsque
des
stimuli
d’ordre
verbal,
visuels
et
auditifs,
sont
présentés
de
manière
décalée
aux
sujets
présentant
un
TSA,
leur
performance
intégrative
s’effondre,
ce
qui
indique
en
partie
comment
les
anomalies
de
traitement
de
l’information
multimodale
chez
les
sujets
avec
un
TSA
contri-
buent
aux
problèmes
de
communication
[19].
4.
Principales
théories
explicatives
de
l’autisme
basées
sur
la
perception
Il
convient
tout
d’abord
de
dire
un
mot
sur
ce
choix
de
développer
les
principales
théories
liées
à
la
perception
uni-
quement.
La
première
raison
en
est
que
l’inventaire
complet
des
théories
explicatives
de
l’autisme
serait
en
lui-même
un
tra-
vail
de
grande
ampleur.
Certaines
de
ces
théories
ne
formulent
pas
d’hypothèse
quant
à
la
présence
des
anomalies
sensorielles
dans
les
TSA,
et
seraient
donc
bien
éloignées
du
sujet
qui
nous
occupe.
Par
ailleurs
le
débat
de
l’anomalie
primaire
mérite
en
soi
une
discussion
approfondie
et
une
présentation
équitable
des
différents
partis
en
présence.
Néanmoins
il
semble
que
les
dernières
années
nous
ont
apporté
quantité
de
données
objec-
tives
neuropsychologique,
neurophysiologiques
et
d’imagerie
qui
ne
peuvent
être
ignorées.
Les
théories
historiquement
et
cli-
niquement
fort
intéressantes
mais
formulées
en
l’absence
de
ces
données
ne
nous
ont
pas
parues
pertinentes
dans
la
discussion
qui
nous
occupe
aujourd’hui.
Nous
faisons
donc
le
choix
de
ne
pas
reprendre
ici
la
description
des
théories
au
départ
des
cognitions
sociales.
4.1.
Théorie
de
la
faible
cohérence
centrale
(weak
central
coherence
hypothesis
[WCC]
[28,29])
L’hypothèse
de
la
cohérence
centrale
faible
s’appuie
au
départ
sur
le
principe
que
les
personnes
atteintes
d’autisme
perc¸oivent
les
scènes
visuelles
comment
un
ensemble
de
détails
épars
plutôt
que
comme
une
unité
cohérente
et
significative,
ne
parvenant
pas
bien
à
en
extraire
la
configuration
globale.
Elle
se
base
sur
des
observations
issues
de
la
neuropsychologie
expérimentale
et
c’est
donc
au
niveau
des
processus
perceptifs
et
cognitifs
qu’elle
se
situe.
Suite
à
l’évolution
des
connais-
sances
dans
ce
domaine,
cette
théorie
a
été
modifiée
et
le
mécanisme
postulé
complexifié.
Elle
se
centre
désormais
sur
une
dissociation
entre
le
traitement
local
et
le
traitement
glo-
bal
de
l’information,
hypothèse
qui
a
surtout
été
étudiée
dans
le
domaine
visuel.
Plus
spécifiquement,
les
anomalies
de
traite-
ment
de
l’information
visuelle
sont
décrites
comme
des
effets
«
d’avantage
local
»
et
«
d’interférence
locale
»,
qui
se
produi-
raient
dans
des
tâches
impliquant
une
attention
divisée,
alors
que
dans
les
tâches
nécessitant
une
attention
sélective
c’est
l’effet
«
de
précédence
globale
»
qui
primerait,
comme
chez
les
sujets
à
développement
typique.
Les
auteurs
de
la
théorie
expliquent
cette
différence
par
l’idée
que
le
traitement
global
de
l’information
serait
intact
mais
qu’il
y
aurait
un
biais
volon-
taire
d’attention
sélective
orientant
vers
un
traitement
local
de
l’information
en
l’absence
d’autres
instructions
explicites.
Ils
R.
Stanciu,
V.
Delvenne
/
Neuropsychiatrie
de
l’enfance
et
de
l’adolescence
64
(2016)
155–162
159
parlent
donc
d’un
«
style
cognitif
»
atypique,
orientant
par
défaut
l’attention
du
sujet
sur
les
détails
plutôt
que
sur
l’ensemble.
4.2.
Théorie
du
fonctionnement
perceptuel
accru
(enhanced
perceptual
functioning
[EPF]
[30])
Cette
théorie
rejoint
celle
de
la
cohérence
centrale
(WCC)
sur
certains
points,
et
s’en
écarte
sur
d’autres.
Elle
se
situe
éga-
lement
sur
le
plan
des
processus
perceptifs
et
cognitifs.
Elle
postule
globalement
que
la
perception
joue
un
rôle
différent
et
plus
important
dans
le
fonctionnement
cognitif
des
sujets
autistes
que
dans
le
fonctionnement
des
autres.
Elle
s’appuie
pour
ce
faire
principalement
sur
l’analyse
de
tâches
neuropsy-
chologiques
et
de
mesures
neurophysiologiques
concomitantes
réalisées
avec
des
personnes
autistes
de
haut
niveau.
Elle
développe
une
série
de
principes
décrivant
ce
fonction-
nement
perceptif
et
cognitif
particulier
:
la
«
programmation
par
défaut
»
de
la
perception
dans
l’autisme
est
plus
orientée
vers
le
traitement
local
de
l’information
que
chez
les
sujets
à
développement
typique.
Ceci
implique
que
le
traitement
global
de
l’information
n’est
pas
déficitaire
mais
que
le
traitement
local
lui
est
préféré
dans
certains
types
de
tâches,
contrairement
à
ce
qui
se
passe
chez
les
sujets
non
autistes
;
plus
la
complexité
des
tâches
est
grande
et
implique
une
activation
complexe
de
régions
neuronales
et
moins
la
per-
formance
des
sujets
autistes
est
bonne
(par
opposition
à
des
tâches
impliquant
une
moindre
complexité
d’activation
dans
les
réseaux
neuronaux,
dans
lesquelles
les
sujets
autistes
peuvent
même
se
montrer
plus
performants
que
les
sujets
à
développement
typique)
;
les
comportements
atypiques
précoces
des
enfants
autistes
(recherche
de
stimulations
sensorielles,
traitement
atypique
de
l’information
visuelle,
etc)
ont
une
fonction
régulatrice
de
l’information
entrante
au
niveau
perceptif
;
les
aires
cérébrales
liées
à
la
perception
(primaires
et
asso-
ciatives)
sont
activées
de
manière
atypique
durant
des
tâches
sociales
et
non
sociales
;
le
traitement
de
l’information
d’ordre
supérieur
(higher-order
processing)
est
optionnel
dans
l’autisme
et
obligatoire
dans
le
développement
typique
;
les
compétences
exceptionnelles
des
«
autistes
savants
»
(Savant
syndrome)
sont
basées
sur
une
expertise
perceptuelle
;
le
«
Savant
Syndrome
»
fournit
un
modèle
pour
caractériser
des
sous-types
de
troubles
envahissants
du
développement
;
le
fonctionnement
accru
des
régions
cérébrales
perceptuelles
primaires
peut
expliquer
les
atypies
de
la
perception
dans
l’autisme.
Les
principales
différences
de
cette
théorie
avec
la
WCC
résident
dans
la
manière
d’articuler
les
anomalies
primaires
et
secondaires
:
l’EPF
part
de
performances
supérieures
dans
les
processus
perceptuels
primaires,
résultant
entre
autres
en
ano-
malies
secondaires
d’ordre
plus
déficitaires
dans
les
processus
plus
complexes
(raisonnement
de
bas
en
haut
ou
«
bottom-up
»).
La
WCC
postule
une
faiblesse
des
processus
d’ordre
supérieur
qui
résulte
entre
autres
en
une
expansion
des
processus
d’ordre
inférieur
(raisonnement
de
haut
en
bas
ou
«
top-down
»).
L’EPF
souligne
que
ce
fonctionnement
perceptuel
accru
n’est
pas
optionnel
pour
les
personnes
atteintes
d’autisme,
mais
bien
obligatoire
et
pouvant
présenter
un
caractère
envahissant
par
rapport
à
d’autres
fonctions
cognitives.
Fait
très
intéressant,
les
auteurs
de
cette
théorie
ont
récem-
ment
reformulé
leur
réflexion
sous
une
nouvelle
forme,
incluant
cette
fois
des
hypothèses
neurobiologiques.
Il
s’agit
du
modèle
«
Gâchette-Seuil-Cible
»
(Trigger-Threshold-Target).
Tout
en
conservant
les
principes
ci-dessus,
ce
modèle
postule
que
le
fonctionnement
neurobiologique
sous-jacent
est
caractérisé
par
une
réallocation
de
ressources
cérébrales
au
cours
du
déve-
loppement
précoce
suite
à
des
anomalies
génétiques
qui
se
traduisent
par
une
hyperplasticité
cérébrale.
Cette
réallocation
de
ressources
expliquerait
les
hyper-fonctionnements
mention-
nés
ci-dessus,
de
même
que
les
déficits
sur
le
plan
de
la
cognition
sociale
et
de
la
communication,
qui
seraient
les
fonctions
au
détriment
desquelles
se
joue
la
réallocation
[31].
4.3.
Sous-connectivité
fronto-postérieure
(frontal-posterior
underconnectivity
[32])
Cette
théorie
a
émergé
récemment
des
études
de
résonance
magnétique
fonctionnelle.
Elle
attribue
l’origine
des
troubles
du
spectre
autistique
à
une
connectivité
anatomique
et
fonction-
nelle
supposée
moindre
entre
les
systèmes
frontal
et
cortical
plus
postérieur.
Ceci
implique
que
les
fonctions
cérébrales
dépendant
d’une
coordination
entre
ces
systèmes
seraient
déficitaires
dans
l’autisme
en
raison
d’une
«
bande
passante
»
moindre
dans
la
communication
entre
ces
régions.
Le
déficit
serait
donc
d’autant
plus
important
que
la
tâche
réalisée
est
complexe
(et
donc
nécessite
plus
d’intégration
entre
différents
sous-systèmes).
L’hétérogénéité
des
troubles
du
spectre
autistiques
est
ici
attri-
buée
à
l’hétérogénéité
des
perturbations
de
la
connectivité.
4.4.
La
théorie
du
«
Monde
Intense
»
(intense
world
theory
[33])
Cette
théorie
s’appuie
sur
des
observations
au
niveau
neu-
robiologique
à
partir
d’un
modèle
animal
de
l’autisme
:
des
souris
exposées
in
utero
à
l’acide
valproïque.
Elle
part
du
pos-
tulat
que
chez
les
personnes
atteintes
d’autisme
il
y
aurait
un
hyper-fonctionnement
de
microcircuits
neuronaux
locaux,
caractérisé
par
une
hyperréactivité
et
une
hyperplasticité
de
ces
circuits.
Ces
derniers
auraient
donc
tendance
à
devenir
auto-
nomes,
provoquant
des
phénomènes
locaux
d’emballement
et
menant
sur
le
plan
global
aux
symptômes
cognitifs
principaux
de
l’autisme
:
l’hyper-perception,
l’hyper-attention,
l’hyper-
mnésie
et
l’hyper-émotivité.
Les
premières
formulations
de
cette
théorie
se
centrent
sur
le
rôle
du
néocortex
et
de
l’amygdale,
mais
n’excluent
pas
l’existence
de
phénomènes
semblables
dans
d’autres
zones
cérébrales.
La
sévérité
et
la
topographie
par-
ticulière
de
la
symptomatologie
autistique
de
chaque
enfant
dépendrait
de
la
sévérité
du
syndrome
au
niveau
moléculaire
et
de
la
distribution
de
ces
anomalies
dans
les
différentes
régions
cérébrales,
ce
qui
expliquerait
le
spectre
des
troubles
autistiques
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