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La guerre des générations n’aura pas lieu
L’anxiété des jeunes Français pourrait a priori sem-
bler infondée. Toutefois, cette assertion oublie deux
points centraux. Premièrement, les jeunes Français ne
semblent pas globalement malheureux. En revanche,
ils n’ont pas confiance dans l’avenir de leur pays, ce qui
semble paralyser au moins partiellement leur capacité à
prendre des risques. Ce manque de confiance, en retour,
est susceptible d’avoir des conséquences négatives sur
le potentiel de croissance de l’économie française. Deuxièmement, la confiance en
économie est peu liée à un simple niveau de revenu. Elle est moins une question de
niveau que de croissance, d’écart type et de volatilité. Depuis les années 1970 et les tra-
vaux de l’économiste américain Richard Easterlin, l’analyse économique du bonheur
a permis d’établir quelques résultats solides :
• la confiance dépend des variations anticipées du bien-être ;
• dans les pays pauvres, une variation positive des revenus engendre une forte
hausse du bien-être (1) ;
• dans les pays riches, la progression des revenus a peu d’impact sur le bien-être (2) ;
• dans les pays riches, ce sont les variations relatives des revenus qui importent.
Autrement dit, on perd confiance quand on a le sentiment de décrocher par
rapport au reste de la population, et non pas seulement dans l’absolu (3) ;
• le chômage crée une perte de bien-être durable. En conséquence, la peur du
chômage affecte fortement la confiance (4) ;
• les individus sont cognitivement adverses au risque. En matière de revenus, ils
ont une préférence pour la stabilité, d’où la réticence à évoluer dans un contexte
où les trajectoires de carrière peuvent être instables (5).
Le point (1) explique que les Chinois – y compris les jeunes – soient en moyenne
plus confiants que les Français, alors même que le revenu moyen d’un Chinois est
encore beaucoup plus faible que celui d’un Français. En outre, le revenu des Chinois
converge progressivement avec les revenus observés dans les pays de l’OCDE. Les
points (2) (3) (4) (5) permettent de saisir ce qui différencie la jeunesse d’aujourd’hui
avec, par exemple, la jeunesse des années 1950 et 1960, même si son niveau de vie
moyen est nettement plus élevé :
• la croissance de ses revenus est plus faible et le coût relatif de l’accès au loge-
ment – y compris le coût réel de l’endettement – s’est accru ;
• l’écart de revenu entre les jeunes et le reste de la population s’est creusé
ces dernières années – la France est même l’un des rares pays de l’OCDE
où le niveau de vie des retraités est supérieur à celui des actifs –, cet
La confiance en
économie est peu
liée à un simple
niveau de revenu.
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