Simplicité des groupes de transformations de surfaces

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SOCIEDADE BRASILEIRA DE MATEMÁTICA
ENSAIOS MATEMÁTICOS
2008, Volume 14, 1–143
Simplicité des groupes de
transformations de surfaces
Abed Bounemoura
Abstract. The study of algebraic properties of groups of transformations
of a manifold gives rise to an interplay between different areas of mathematics such as topology, geometry, dynamical systems and foliation theory.
This volume is devoted to the question of simplicity of such groups, and
we will mainly restrict our attention to the case where the manifold is
a surface. In the first chapter, we will show that the identity component
of the group of homeomorphisms of a closed surface is simple. This will
lead us to the case of diffeomorphisms, and in the second chapter, we will
give the complete proof of the Epstein-Herman-Mather-Thurston theorem
stating that the group of C ∞ -diffeomorphisms isotopic to the identity is
also simple. We will also review the link with classifying spaces for foliations, and a result of Mather showing that the theorem remains true for
C k -diffeomorphisms, provided that k is different from n + 1, where n is
the dimension of the manifold. The last two chapters deal with conservative homeomorphisms and diffeomorphisms, by which we mean preserving
a measure or a smooth volume or symplectic form. In those cases, there is
a generalized rotation number showing that the associated groups cannot
be simple. For conservative diffeomorphisms, the situation is well understood thanks to the work of Banyaga, but this is definitely not the case for
conservative homeomorphisms of surfaces, and we will present some open
problems in this direction as well as different attempts to solve them.
2000 Mathematics Subject Classification: 58D05, 37E30.
Remerciements
Ce texte est issu d’un stage effectué sous la direction de Frédéric Le
Roux à l’université d’Orsay. Je le remercie très profondément de m’avoir
fait confiance en acceptant de me guider sur ce travail, ainsi que de la gentillesse et de la disponibilité dont il a fait preuve. Sans ses explications,
ses nombreuses améliorations et ses multiples relectures approfondies, la
rédaction de ce manuscrit n’aurait tout simplement pas été possible. Il m’a
également beaucoup aidé à la fin pour terminer la rédaction de l’introduction alors que j’étais en panne. Je me permets encore de lui exprimer toute
ma gratitude.
Je remercie également Étienne Ghys pour l’intérêt qu’il a porté à ce
travail, François Béguin, Sylvain Crovisier, Pierre Py et Jérôme Buzzi pour
leurs relectures et leurs commentaires sur certaines parties de ce texte, ainsi
que tous mes amis doctorants d’Orsay et de Chevaleret.
Table des matières
Introduction
7
1 Homéomorphismes de surfaces
1.1 Simplicité du groupe Homeo0 (M ) . . . . . . . . . . . . . .
1.2 Simplicité du groupe Homeo0 (M ) . . . . . . . . . . . . . .
11
11
15
2 Difféomorphismes de surfaces
2.1 Simplicité du groupe Dif f0∞ (T2 ) . .
2.2 Simplicité du groupe Dif f0∞ (M ) . .
2.3 Feuilletages et espaces classifiants . .
2.4 Simplicité de Dif f0r (M ) pour r 6= 3
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3 Difféomorphismes conservatifs
3.1 Premier invariant de Calabi . . . .
3.2 Difféomorphismes hamiltoniens . .
3.3 Second invariant de Calabi . . . . .
3.4 Théorème de simplicité de Banyaga
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4 Homéomorphismes conservatifs
4.1 Approche de Fathi . . . . . . . .
4.2 Approche de Gambaudo et Ghys
4.3 Distance de Hofer . . . . . . . . .
4.4 Approche de Oh . . . . . . . . .
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A Théorème de Schoenflies
125
B Théorème d’Epstein
128
C Théorème de Nash-Moser-Hamilton
133
Bibliographie
139
Introduction
Ce mémoire est consacré à la simplicité des groupes d’homéomorphismes
et de difféomorphismes d’une variété compacte, ainsi que de leurs analogues
conservatifs, c’est-à-dire préservant une mesure, une forme volume ou une
forme symplectique. On rappelle qu’un groupe est dit simple s’il ne contient
pas de sous-groupe normal autre que lui-même et le sous-groupe trivial.
Puisqu’un sous-groupe normal est invariant par conjugaison, on peut s’attendre à ce qu’un tel sous-groupe dans un groupe de transformations ait
un sens dynamique intéressant. Ceci arrive par exemple dans le groupe des
difféomorphismes symplectiques d’une variété compacte isotopes à l’identité, dont on verra que le sous-groupe engendré par les commutateurs, qui
est toujours normal, est le noyau d’un morphisme de groupes non trivial qui
possède une interprétation dynamique. A l’opposé, les résultats de simplicité, autrement dit de non-existence de sous-groupes normaux, s’obtiennent
souvent en étudiant la dynamique des éléments du groupe. Donnons deux
illustrations de ce fait. La première, abstraite, consiste à remarquer que
tous les résultats de simplicité pour les difféomorphismes C ∞ utilisent de
manière essentielle le théorème de conjugaison locale des difféomorphismes
du tore à des translations, qui est un avatar de la théorie K.A.M. La seconde, plus concrète, est une preuve dynamique du fait que le groupe G
des homéomorphismes croissants de R à support compact est simple. Un
argument général, sur lequel nous reviendrons, permet de ramener la simplicité à la perfection, c’est-à-dire à montrer que tout élément de G est un
produit de commutateurs. Maintenant si l’on prend un élément f de G, sa
dynamique est alors entièrement décrite par son ensemble de points fixes
F ix(f ) et par le sens dans lequel f pousse les points sur chaque composante
connexe du complémentaire de F ix(f ). Cette remarque permet de montrer
facilement que f 2 est conjugué à f , i.e. il existe un autre élément g de G
tel que f 2 = gf g −1 ce qui peut s’écrire f = f −1 gf g −1 = [f −1 , g] et donc f
est un commutateur.
Dans ce texte, on décide d’énoncer tous les résultats lorsque la variété
en question est une surface, bien qu’ils soient valables, mais avec parfois
des preuves différentes, en dimension plus grande. La raison de ce choix
est qu’en dimension deux, tout est plus “visuel” mais aussi parce que c’est
dans ce contexte que certains problèmes de simplicité subsistent pour les
7
8
Introduction
homéomorphismes conservatifs. On désignera donc par M , sauf mention
contraire, une surface compacte orientable. En pratique, ce sera la sphère
S2 , le tore T2 et les surfaces de genre supérieur Σg si M est fermée ou le
disque D2 , l’anneau A et les surfaces hyperboliques à bord si M est non
fermée. Expliquons maintenant les hypothèses que l’on sera amené à faire
sur les groupes que l’on va étudier. Pour obtenir des résultats de simplicité,
il est évident qu’il faut commencer par se limiter à la composante connexe
de l’identité, qui se trouve être exactement l’ensemble des transformations
isotopes à l’identité. Dans le cas à bord, on demandera également aux
transformations de fixer un voisinage du bord. Enfin, on rencontrera naturellement des surfaces non compactes, et pour les mêmes raisons, il faudra
se restreindre aux transformations à support compact.
Les groupes non conservatifs sont en général simples. Mentionnons deux
arguments qui seront récurrents dans les preuves. Le premier est une propriété de fragmentation, c’est-à-dire étant donné un recouvrement ouvert
de notre surface, la possibilité de décomposer tout élément du groupe en un
produit d’éléments à support dans ces ouverts. Le second est une propriété
de transitivité de l’action du groupe, sur des points ou sur des disques.
Une utilisation typique de ces arguments est donnée par un théorème très
utile d’Epstein (1970) qui nous garantit que si un groupe possède essentiellement ces deux propriétés, il suffit alors de montrer que ce groupe est
parfait pour en déduire sa simplicité. Dans le premier chapitre, on étudie
les groupes d’homéomorphismes de surface. Le premier résultat obtenu est
un théorème non publié de Ulam et Von Neumann (1947) qui affirme que
le groupe des homéomorphismes de la sphère préservant l’orientation est
simple (ce théorème est également cité dans le ”Scottish Book” dans les
années 30 où il est attribué à Schreier et Ulam). Mais il faut attendre
un théorème général d’Anderson (1958) ainsi que les travaux de Fisher
(1960) pour obtenir la simplicité du groupe des homéomorphismes isotopes
à l’identité d’une surface M quelconque. C’est alors que Smale posa la
question de ce qu’il en était pour les difféomorphismes, et ce sera le thème
du second chapitre. Dans le cas particulier des difféomorphismes C ∞ du
tore isotopes à l’identité, Herman (1973) parvint à prouver la simplicité
de ce groupe grâce à un théorème d’inversion locale dans des espaces de
Fréchet dû à Sergeraert (1972) et à l’utilisation du théorème d’Epstein.
Par des arguments issus de la théorie des espaces classifiants de feuilletages, Thurston (1974, non publié) arriva à en déduire la simplicité dans le
cas général. Pour les difféomorphismes de classe C r avec r fini, le théorème
d’Herman tombe en défaut mais grâce à des techniques très astucieuses,
Mather (1974-1975) réussit à obtenir directement un résultat de simplicité
sous la condition que r soit différent de n+1, n étant la dimension de M . Le
cas où r = n + 1 reste l’un des grands problèmes ouverts. En revanche, Herman (1975) montre par un procédé d’approximation que son théorème reste
valable pour les difféomorphismes analytiques réels. Cependant il semble
bien difficile d’étendre ce résultat à d’autres variétés, le souci majeur étant
Abed Bounemoura
9
l’impossibilité de fragmenter les difféomorphismes analytiques.
Pour les groupes conservatifs, la situation est complètement différente.
En effet, sous la condition que le premier groupe d’homologie de la surface soit non trivial, il existe une notion de vecteur de rotation, que l’on
peut considérer comme une généralisation du nombre de rotation pour les
transformations du cercle, qui donne naissance à un sous-groupe normal
propre. La première construction de ce vecteur de rotation remonte probablement à Schwartzman (1957). Dans un troisième chapitre, on étudiera
le groupe des difféomorphismes conservatifs, c’est-à-dire préservant un volume, ou ce qui revient au même ici, une forme symplectique. On donnera
plusieurs interprétations de cet invariant, en particulier celle du morphisme
de flux de Calabi (1970). De ce point de vue, il apparaı̂t que le noyau de
ce morphisme coı̈ncide avec les difféomorphismes qui sont associés aux solutions des équations différentielles (non autonomes) de Hamilton, et que
l’on appelle groupe des difféomorphismes hamiltoniens. La question naturelle qui se pose est alors la simplicité de ce groupe. Il faut faire ici une
distinction selon que M est fermée ou non fermée. Dans le premier cas, le
groupe est simple d’après un théorème de Banyaga (1978). On verra que
la preuve de ce résultat consiste à adapter les idées de Herman et Thurston. Dans le second cas, on peut définir sur ce groupe un second invariant
non trivial, toujours d’après Calabi, mais dont la signification géométrique
est, en général, moins évidente. Le théorème de Banyaga s’applique encore à ce noyau et on en déduit qu’il est simple. Enfin, dans le dernier
chapitre, on se tournera vers le groupe des homéomorphismes préservant
une mesure de Lebesgue. La construction générale du vecteur de rotation
dans ce contexte est due à Fathi (1980) mais en revanche la question de
la simplicité du noyau demeure ouverte. Cela inclut le cas du groupe des
homéomorphismes de la sphère isotopes à l’identité et préservant l’aire ainsi
que celui du groupe des homéomorphismes du disque préservant l’aire et
fixant un voisinage du bord. Deux approches ont alors été proposées. La
première, que l’on doit indépendamment à Fathi (1980) et à Gambaudo et
Ghys (1997), consiste à obtenir une interprétation plus visuelle du second
invariant de Calabi sur le disque. Malheureusement, cela ne permet pas
de l’étendre aux homéomorphismes. On peut néanmoins définir un sousgroupe normal d’après Ghys mais on n’est pas en mesure de décider si c’est
un sous-groupe propre. La seconde, que l’on doit à Müller et Oh (2007)
et qui est motivée par des questions de dynamique symplectique, consiste
à définir un sous-groupe normal d’“homéomorphismes hamiltoniens” qui
serait un candidat idéal pour montrer que ces groupes ne sont pas simples.
Mais le verdict est le même qu’avant puisque la question de sa propreté
reste hors de portée pour le moment.
Chapitre 1
Homéomorphismes de
surfaces
Soit M une surface compacte orientable. On désigne par Homeo(M ) le
groupe des homéomorphismes de M , et dans le cas à bord, Homeo(M, ∂M )
le groupe des homéomorphismes qui sont l’identité sur un voisinage du
bord. On dit qu’un homéomorphisme h est isotope à l’identité si on peut
le relier à l’identité par un chemin continu d’homéomorphismes (pour la
topologie de la convergence uniforme). Ces homéomorphismes forment un
sous-groupe, que l’on note Homeo0 (M ), et qui de plus est normal dans
Homeo(M ). On admet que ce sous-groupe coı̈ncide avec la composante
connexe de l’identité de Homeo(M ) (ce dernier point est une conséquence
de la contractibilité locale de Homeo0 (M ), voir [HD58]). On définit de
même le sous-groupe Homeo0 (M, ∂M ), avec la condition que toute l’isotopie soit l’identité sur un voisinage du bord.
Le but de ce chapitre est de prouver la simplicité des groupes Homeo0 (M )
et Homeo0 (M, ∂M ). Les méthodes étant les mêmes dans les deux cas, on
ne décrit que le cas sans bord, autrement dit on suppose dorénavant que
notre surface M est fermée. Le plan de la preuve est le suivant : on va
dans un premier temps caractériser le plus petit sous-groupe normal non
trivial de Homeo(M ), que l’on baptise Homeo0 (M ), et montrer sa simplicité puis dans un second temps, on va prouver que ce sous-groupe coı̈ncide
avec Homeo0 (M ).
1.1
Simplicité du groupe Homeo0 (M )
On se donne une surface fermée M . Le disque unité plan fermé sera noté
D2 . Rappelons qu’un disque fermé (resp. ouvert) dans M est une partie
homéomorphe à D2 (resp. à l’intérieur de D2 ). On définit le support d’un
11
12
Chapitre 1. Homéomorphismes de surfaces
homéomorphisme g par
supp(g) = {x ∈ M |gx 6= x}.
C’est le plus grand fermé sur lequel g agit effectivement. Notons que la
propriété d’être à support dans un disque est invariante par conjugaison,
puisque pour tout couple d’homéomorphisme g et h, le support de hgh−1
est l’image par h du support de g, i.e. supp(hgh−1 ) = h(supp(g)). On
en déduit que l’ensemble des homéomorphismes à support dans un disque
engendre un sous-groupe normal de Homeo(M ).
Dans tout le chapitre, on fera l’hypothèse que nos disques fermés sont
plats au sens suivant : ce sont des images de disques euclidiens fermés inclus
dans l’intérieur de D2 par un plongement ϕ : D2 ,→ M . Notons Homeo0 (M )
le sous-groupe engendré par les homéomorphismes à support dans de tels
disques : ce sera le plus petit sous-groupe normal non trivial de Homeo(M ),
dans le sens où il est contenu dans tout sous-groupe normal non trivial de
Homeo(M ), et ce groupe sera simple.
Remarque 1.1.1. Le théorème de Schoenflies (annexe A) nous assure que
tous les disques fermés en dimension deux vérifient cette condition de platitude.
On aura besoin du lemme suivant, qui énonce une propriété de transitivité (faible) des disques fermés de M sous l’action de Homeo0 (M ).
Lemme 1.1.2. Si F et G sont deux disques fermés, alors il existe un
élément f dans Homeo0 (M ) tel que f (F ) soit inclus dans G.
Fig. 1.1 – Choix des disques Di0 ⊆ Di et hi (Di ) = Di0
Abed Bounemoura
13
Démonstration. M étant connexe, on peut trouver une suite de disques
ouverts V1 , . . . , Vk telle que V1 soit l’intérieur de F , Vi intersecte son voisin
Vi+1 pour 1 ≤ i ≤ k − 1 et Vk est inclus dans l’intérieur de G. Pour un
indice i dans {1, . . . , k−1}, on va construire un homéomorphisme à support
dans un disque qui envoie Vi dans Vi+1 . On écrit Vi = ϕi (Di ), où Di est un
disque euclidien fermé inclus dans l’intérieur de D2 et ϕi un plongement de
D2 dans M . Puisque l’intérieur de Vi ∩Vi+1 est non vide, on choisit un petit
disque euclidien fermé Di0 inclus dans Di tel que ϕi (Di0 ) soit contenu dans
l’intérieur Vi ∩ Vi+1 . Soit hi un homéomorphisme de D2 , qui est l’identité
sur le bord et qui envoie Di sur Di0 (voir la figure 1.1). L’avantage que
l’on a à utiliser des disques euclidiens est que l’on peut construire explicitement un tel homéomorphisme. Soit alors fi l’homéomorphisme défini
par ϕi hi ϕ−1
sur ϕi (D2 ) et qui est l’identité ailleurs. Il est clair que fi api
partient à Homeo0 (M ) et envoie Vi dans Vi+1 . Ainsi f = fk−1 . . . f1 est
l’homéomorphisme voulu (voir la figure 1.2).
Fig. 1.2 – Construction de f qui envoie F dans G
La preuve du lemme précédent est clairement valide en toute dimension.
Pour une surface M , on peut donner une preuve plus rapide en utilisant le
théorème de Schoenflies à support compact (on renvoie à l’annexe A pour
un énoncé).
En effet, montrons que l’action de Homeo0 (M ) est transitive sur les
disques fermés. Soient D et D 0 deux disques fermés de M , il faut donc
trouver un élément f appartenant à Homeo0 (M ) tel que f (D) = D 0 . En
prenant des points x dans D et x0 dans D 0 , on peut trouver un disque U
contenant x et x0 (par exemple, en prenant un chemin entre x et x0 et en
l’épaississant). En utilisant une première fois le théorème de Schoenflies
à support compact (ou une construction explicite), on peut envoyer nos
14
Chapitre 1. Homéomorphismes de surfaces
disques D et D 0 sur des disques autour de x et x0 , suffisamment petits
pour qu’ils soient inclus dans U . On se ramène ainsi au cas où D et D 0
sont inclus dans un même disque ouvert. Il nous reste alors à construire
un homéomorphisme du plan, à support compact, et qui envoie un disque
fermé (non euclidien) sur un autre : c’est exactement ce que fait le théorème
de Schoenflies à support compact.
Le résultat principal de cette section est le suivant. On en déduira facilement les propriétés du groupe Homeo0 (M ).
Théorème 1.1.3 (Anderson). Soit h un homéomorphisme de M différent
de l’identité. Pour tout f appartenant à Homeo0 (M ), f est un produit de
conjugués de h et h−1 par des éléments de Homeo0 (M ).
Remarque 1.1.4. Dans la preuve originale de Anderson ([And58]), on trouve
que f est un produit d’au plus quatre conjuguées. La présentation suivante
est due à Frédéric Le Roux.
Démonstration. Notons N (h) le sous-groupe normal engendré par h dans
Homeo0 (M ), il faut donc montrer que N (h) contient Homeo0 (M ). L’idée
est de prouver que N (h) contient des homéomorphismes de plus en plus
généraux.
On commence par montrer que N (h) contient un homéomorphisme g
particulier. Puisque h est différent de l’identité, on choisit un point x dans
M non fixé par h et un petit disque D centré en x et disjoint de h(D).
Écrivons D = ϕ(D(0, 2)) où D(0, 2) est le disque euclidien du plan centré
en 0 et de rayon 2 et ϕ un plongement tel que ϕ(0) = x. Pour n ≥ 0,
définissons une suite de disques emboı̂tés Dn = ϕ(D(0, 2−n )). Il est facile
de construire explicitement un homéomorphisme ψ à support dans D tel
que ψ(Dn ) = Dn+1 pour n ∈ N (on fait la construction dans le plan et on
la transporte par ϕ). Alors l’homéomorphisme
g = [ψ, h] ∈ N (h)
vérifie g(Dn ) = Dn+1 pour n ≥ 0 et g est à support dans D ∪ h(D) (g est le
produit des homéomorphismes ψ et hψ −1 h−1 qui sont à support disjoints).
Notons An = Dn \ Dn+1 , pour n ≥ 0. On montre maintenant que N (h)
contient tous les homéomorphismes à support dans l’anneau A1 . En effet,
si φ est un tel homéomorphisme, alors φ conjugue g à φg sur A0 , i.e.
g = φ−1 (φg)φ sur A0
ainsi que sur les itérés négatifs g n (A0 ), n < 0, puisque φ est alors l’identité.
Maintenant, puisque g n (A0 ) converge vers x lorsque n tend vers +∞, il y
a une unique manière d’étendre la conjugaison sur
D0 = (∪n∈N An ) ∪ {x}.
15
Abed Bounemoura
Ainsi g et φg sont conjugués, donc φg ∈ N (g) ⊆ N (h) puis φ ∈ N (h).
Enfin, si on se donne un homéomorphisme f à support dans un disque
fermé quelconque F , par le lemme 1.1.2 on le conjugue à un homéomorphisme
dont le support est dans l’anneau A1 , avec une conjugante appartenant à
Homeo0 (M ). On obtient bien que N (h) contient Homeo0 (M ).
Le corollaire suivant est alors immédiat.
Corollaire 1.1.5. Le groupe Homeo0 (M ) est simple. De plus, c’est le plus
petit sous-groupe normal de Homeo(M ).
Démonstration. Soit H un sous-groupe normal non trivial de Homeo0 (M ),
et h un élément appartenant à H différent de l’identité. Il suffit de prendre
un élément arbitraire f ∈ Homeo0 (M ) et de l’écrire comme un produit de
conjugués de h et h−1 par des éléments de Homeo0 (M ) pour obtenir que
le groupe Homeo0 (M ) est inclus dans H. Ainsi Homeo0 (M ) est un groupe
simple. Pour obtenir la seconde partie de l’énoncé, il suffit d’appliquer le
raisonnement précédent avec cette fois-ci H un sous-groupe normal non
trivial de Homeo(M ).
Exemple 1.1.6 (Le disque D2 ). Le corollaire précédent nous donne déjà
la simplicité du groupe
Homeo(D2 , ∂D2 ) = Homeo0 (D2 , ∂D2 ).
On en déduit facilement la simplicité du groupe Homeo0 (D2 , ∂D2 ). En effet,
il suffit de prouver que Homeo(D2 , ∂D2 ) est connexe par arcs, et ceci est
une conséquence de l’ “astuce d’Alexander” : si ϕ ∈ Homeo(D2 , ∂D2 ), alors
( ³x´
si d(0, x) ≤ t
tϕ
t
ϕt (x) =
x
si d(0, x) ≥ t
est un chemin continu dans Homeo(D2 , ∂D2 ) reliant ϕ0 = 1 à ϕ1 = ϕ.
Puisque Homeo0 (M ) est aussi un sous-groupe normal de Homeo(M ),
on a l’inclusion
Homeo0 (M ) ⊆ Homeo0 (M )
(qui peut également s’obtenir directement par l’astuce d’Alexander). Dans
la section suivante, on va montrer que c’est en fait une égalité.
1.2
Simplicité du groupe Homeo0 (M )
Passons maintenant à l’étude du groupe des homéomorphismes de M isotopes à l’identité, et démontrons sa simplicité. D’après la section précédente,
il suffit de montrer que tout élément de Homeo0 (M ) s’écrit comme produit d’homéomorphismes à support dans des disques. Commençons par un
exemple simple.
16
Chapitre 1. Homéomorphismes de surfaces
Exemple 1.2.1 (La sphère S2 ). On peut décomposer tout homéomorphisme de la sphère préservant l’orientation (qui est équivalent ici à être isotope
à l’identité) en un produit de deux homéomorphismes à support dans des
disques. L’argument utilise (encore une fois) le théorème de Schoenflies à
support compact. Prenons f ∈ Homeo0 (S2 ) différent de l’identité, et x dans
S2 un point qui ne soit pas fixe par f . On se donne un disque fermé D de
S2 contenant x et f (x), et un petit disque ouvert D 0 contenant x, disjoint
de son image et tel que l’union D 0 ∪ f (D 0 ) soit dans D (voir la figure 1.3).
Par le théorème de Schoenflies à support compact, la restriction de f à
D0 s’étend en un homéomorphisme g à support dans D qui envoie D 0 sur
f (D0 ). On écrit alors f = g(g −1 f ), avec g à support dans D et g −1 f à
support dans S2 \ D0 .
S2
x
.
f (x)
.
D0
f (D0 )
D
Fig. 1.3 – Simplicité de Homeo0 (S2 )
Dans le cas général, on va en fait obtenir une telle décomposition pour
des disques arbitrairement petits, ce qui va nous donner la propriété de
fragmentation. Commençons par définir cette notion de manière formelle,
car on l’utilisera à de nombreuses reprises dans ce texte.
Définition 1.2.2. On dit qu’un sous-groupe G de Homeo(M ) a la propriété
de fragmentation si pour tout recouvrement ouvert U = (Ui )i∈I de M et
pour tout élément g appartenant à G, il existe des éléments g 1 , . . . gn ∈ G
tels que
g = g 1 . . . gn
et pour 1 ≤ i ≤ n, gi est à support dans un des éléments de U.
On munit Homeo(M ) de la topologie de la convergence uniforme, i.e. de
la topologie définie par la distance (complète)
dC 0 (f, g) = sup d(f (x), g(x)) + sup d(f −1 (x), g −1 (x))
x∈M
x∈M
17
Abed Bounemoura
où d est une distance quelconque compatible avec la topologie sur M . Avec
cette topologie, Homeo(M ) est un groupe topologique.
Le résultat suivant est dû à Fisher ([Fis60]). Il repose essentiellement
sur le théorème de Schoenflies ainsi que ses variantes, que l’on expose
brièvement dans l’annexe A.
Théorème 1.2.3 (Fisher). Si M est une surface compacte, alors le groupe
Homeo0 (M ) possède la propriété de fragmentation.
Démonstration. Soit U = {U1 , . . . , Um } un recouvrement ouvert de M .
Par connexité du groupe Homeo0 (M ), tout élément s’écrit comme un produit d’éléments arbitrairement proches de l’identité. Il est alors suffisant de
fragmenter un élément f voisin de l’identité.
La surface M étant triangulable, on peut supposer que c’est la réalisation
géométrique d’un 2-complexe simplicial fini T . Quitte à subdiviser T , on
peut supposer que chaque triangle est contenu dans l’un des ouverts de U
et qu’il a un diamètre petit devant δ, où δ est le minimum des diamètres
des éléments de U.
La preuve se décompose alors en deux étapes détaillées ci-dessous. On
commence par rectifier f par un élément u ∈ Homeo0 (M ) au voisinage
des sommets pour obtenir g = u−1 f qui soit l’identité au voisinage des
sommets. Puis on modifie de même g par un élément v ∈ Homeo0 (M ) au
voisinage des arêtes. On se retrouve alors avec h = v −1 g qui est l’identité au voisinage du bord de chaque triangle et qui par conséquent les
préserve : il est alors évident que h ∈ Homeo0 (M ) et donc que f appartient à Homeo0 (M ). De plus, on obtient une écriture
f = uvh = u1 . . . un v1 . . . vt h1 . . . ht
avec chaque homéomorphisme à support dans l’un des disques de U (si l’on
a choisi une triangulation suffisamment fine).
(a) Rectification de f le long du 0-squelette.
On se donne un réel positif r (que l’on choisira dans la seconde étape) et
on cherche s > 0 tel que si dC 0 (f, 1) < s, il existe un homéomorphisme g =
u−1 f avec u ∈ Homeo0 (M ), qui soit l’identité au voisinage des sommets
et tel que dC 0 (g, 1) < r/2.
Précisons quelques notations. On considère T 1 et T 2 les première et seconde subdivisions barycentriques de T (voir la figure 1.4). Notons a1 , . . . , an
les sommets de T et, pour 1 ≤ i ≤ n, Di0 et Di00 les étoiles fermées de ai
dans T 1 et T 2 respectivement (rappelons que l’étoile fermé d’un sommet
est la réunion de tous les simplexes contenant ce sommet, voir la figure 1.5).
On peut voir les Di00 et Di0 comme des voisinages fermés de ai , et on a les
propriétés suivantes : les Di0 forment un recouvrement de M et ils ne s’intersectent que le long de leurs bords, Di00 est inclus dans l’intérieur de Di0 et les
18
Chapitre 1. Homéomorphismes de surfaces
T1
T2
Fig. 1.4 – Subdivisions T 1 et T 2
Di0
Di00
Fig. 1.5 – Étoiles Di0 et Di00
19
Abed Bounemoura
Di00 sont deux à deux disjoints. Fixons un indice 1 ≤ i ≤ n. On choisit des
disques D2 ⊆ D1 dans R2 centrés à l’origine et des homéomorphismes ϕi
de D1 sur Di0 envoyant D2 dans Di00 . Voici plusieurs remarques (rappelons
que l’on s’est donné un réel r positif).
(i) Par continuité uniforme des ϕi , il existe r 0 > 0 tel que
d(x, y) < r 0 =⇒ d(ϕi (x), ϕi (y)) < r/4.
(ii) La version “à paramètres” du théorème de Schoenflies donne s0 > 0
tel que si f : D2 ,→ D1 est un plongement avec dC 0 (f, 1D2 ) < s0 , alors f
admet une extension f¯ : D1 → D1 avec f¯|∂D1 = 1 et dC 0 (f¯, 1D1 ) < r 0 .
(iii) Par continuité uniforme des ϕ−1
i , il existe s ∈]0, r/4[ tel que
−1 0
0
0
d(x0 , y 0 ) < s =⇒ d(ϕ−1
i (x ), ϕi (y )) < s .
Prenons donc f un élément de Homeo(M ) vérifiant dC 0 (f, 1) < s. Pour x
appartenant à D2 , on a
d(f ϕi (x), ϕi (x)) < s
donc par (iii),
d(ϕi−1 f ϕi|D2 , 1D2 ) < s0 .
On applique alors (ii) à ϕ−1
i f ϕi|D2 pour obtenir une extension à D1 qu’on
note fi . Ainsi fi|∂D1 = 1 et dC 0 (fi , 1D1 ) < r 0 . Pour x0 appartenant à
ϕi (D1 ) = Di0 , on a
−1 0
0
0
d(fi ϕ−1
i (x ), ϕi (x )) < r
et (i) nous donne
0
0
d(ϕi fi ϕ−1
i (x ), x ) < r/4.
Définissons ui par ϕi fi ϕ−1
sur Di0 et l’identité ailleurs (ce qui est cohérent
i
−1
car les ϕi fi ϕi sont l’identité sur ∂Di0 ). On a ainsi dC 0 (ui , 1) < r/4, ui|Di00 =
f|Di00 et ui ∈ Homeo0 (M ). Posons enfin u = u1 . . . un ∈ Homeo0 (M ) et
g = u−1 f . Alors u est un élément de Homeo0 (M ) qui va modifier f en le g
voulu. Pour x ∈ M , ou bien x est dans l’intérieur d’un unique Di0 et dans
ce cas u(x) = ui (x), ou bien x est sur le bord d’un des Di0 et alors u(x) = x.
On en déduit que dC 0 (u, 1) < r/4. L’inégalité triangulaire donne aussitôt
dC 0 (g, 1) ≤ dC 0 (u−1 , 1) + dC 0 (f, 1) = dC 0 (u, 1) + dC 0 (f, 1) < r/4 + s < r/2.
Sn
Enfin u|Di00 = ui|Di00 = f|Di00 et donc g est l’identité sur V = i=1 Di00 . Ceci
termine la première étape : il suffit maintenant de vérifier que g, qui est
l’identité au voisinage du 0-squelette de T , appartient à Homeo0 (M ).
20
Chapitre 1. Homéomorphismes de surfaces
(b) Rectification de g le long du 1-squelette.
T0
Fig. 1.6 – Subdivision T 0
U (t)
Fig. 1.7 – Ensemble U (t)
On introduit maintenant une nouvelle subdivision T 0 de T , que l’on obtient en mettant une arête entre le barycentre de chaque triangle de T
et ses trois sommets (voir la figure 1.6). On note T10 le 1-squelette de T 0
(c’est-à-dire le complexe simplicial formé des sommets et des arêtes de T 0 )
et |T10 | sa réalisation géométrique. Pour chaque arête t de T , notons U (t)
l’union des deux triangles de T 0 ayant t comme arête commune (on peut
voir les U (t) comme des voisinages des arêtes de T , voir la figure 1.7). Pour
chaque triangle S de T 0 , notons tS son arête dans T . Définissons sur ∂S une
application vS qui coı̈ncide avec g sur tS et qui est l’identité sur les 2 autres
arêtes. Alors vS est continue (car g|V = 1) et vS envoie ∂S dans U (tS ) : en
Abed Bounemoura
21
effet, on sait que dC 0 (g, 1) < r/2, il suffit alors de choisir r dans la première
étape comme étant la distance minimale entre 2 composantes connexes de
|T10 | \ V . Donc vS est un homéomorphisme de ∂S sur son image, par le
théorème de Schoenflies (classique) il s’étend en un homéomorphisme de S
sur son image. Ces homéomorphismes se recollent de manière évidente en
un homéomorphisme v tel que v|∂U (t) = 1, car les U (t) forment un recouvrement fini de T . Cela permet de définir vt par valant v sur U (t) et l’identité
ailleurs. Les vt sont dans Homeo0 (M ), donc v appartient à Homeo0 (M ).
Posons alors h = v −1 g. Puisque h|∂S = 1 pour tout triangle S de T et que
h envoie S dans lui-même, le raisonnement précédent montre alors que h
appartient à Homeo0 (M ). On achève ainsi la seconde étape : on a modifié
g en un h qui est l’identité sur le 1-squelette de T et qui par conséquent
est dans Homeo0 (M ). Pour conclure, f = ug = uvh ∈ Homeo0 (M ), ce qui
prouve le théorème.
Comme corollaire des théorèmes 1.1.3 et 1.2.3, on a immédiatement le
résultat de ce chapitre.
Théorème 1.2.4. Le groupe des homéomorphismes d’une surface compacte isotopes à l’identité est simple.
Pour conclure, expliquons comment généraliser les théorèmes précédents
en dimension supérieure.
Les résultats sur le groupe Homeo0 (M ) sont valables en dimension plus
grande, avec les mêmes preuves. On peut également utiliser les arguments
liés au théorème de Schoenflies (version classique et version à support compact) même si dans ce second cas, les résultats que l’on utilise sont notoirement plus difficiles à prouver (voir l’annexe A pour des remarques sur le
théorème de Schoenflies en dimension plus grande que deux).
En ce qui concerne la simplicité de Homeo0 (M ), on a utilisé de manière
essentielle une triangulation de la surface ce qui ne permet pas d’étendre
la preuve à toutes les dimensions (cela marche encore pour dim(M ) =
3, voir [Fis60], mais rappelons que les variétés topologiques de dimension
plus grande n’admettent pas nécessairement de triangulation). Néanmoins,
la propriété de fragmentation est encore valide, mais cela est bien plus
compliqué (voir [EK71]).
Enfin, en termes homologiques, on obtient ici que le premier groupe d’homologie de Homeo0 (M ) est trivial. En utilisant les techniques
d’Anderson, Mather ([Mat74b]) a aussi démontré que l’homologie du groupe
Homeo0 (M ) est triviale.
Chapitre 2
Difféomorphismes de
surfaces
Dans ce chapitre, on va s’intéresser aux groupes de difféomorphismes
Dif f0r (M ) et Dif f0r (M, ∂M ) d’une surface compacte M , pour 1 ≤ r ≤ ∞.
Les isotopies seront de classe C r , et dans le cas à bord, on demande qu’elles
soient à support dans l’intérieur de M . Comme précédemment, on énoncera
les résultats seulement lorsque M est fermée (le cas à bord s’obtient par de
légères modifications).
Pour r = ∞, on va montrer que ce groupe est simple, mais les arguments
seront plus délicats que ceux du chapitre précédent. La preuve se découpe
essentiellement en deux parties : une partie analytique que l’on doit principalement à Herman où l’on démontre le résultat pour M = T2 et une partie
“géométrique” due à Thurston et Mather qui permet d’obtenir le résultat
général à partir du cas particulier du tore. Pour r fini, on expliquera un
résultat de Mather sur la simplicité de Dif f0r (M ) sous la restriction que r
soit différent de 3. Le cas où r = 3 est encore non résolu.
Notons enfin que tous les résultats et les méthodes présentés dans ce
chapitre n’ont absolument rien de spécifique à la dimension deux, et qu’ils
s’étendent à toutes les dimensions.
2.1
Simplicité du groupe Dif f0∞ (T2 )
On rappelle qu’un groupe G est parfait si tout élément s’écrit comme
un produit de commutateurs. Dans cette section, on souhaite démontrer le
théorème suivant ([Her73]).
Théorème 2.1.1 (Herman). Le groupe Dif f0∞ (T2 ) est parfait.
Par un argument général d’Epstein (voir l’annexe B pour plus de détails),
on obtient le corollaire suivant.
22
23
Abed Bounemoura
Corollaire 2.1.2. Le groupe Dif f0∞ (T2 ) est simple.
Commençons par quelques préliminaires. Pour k = (k1 , k2 ) appartenant
à Z2 , notons |k| = |k1 | + |k2 | et si γ = (γ1 , γ2 ) est dans T2 , on pose
k.γ = k1 γ1 + k2 γ2 ∈ T.
On définit une norme sur T par
|||α||| = d(α̃, Z)
où α̃ ∈ R est un relevé de α ∈ T (la définition est clairement indépendante
du choix du relevé).
Définition 2.1.3. Un vecteur γ ∈ T2 vérifie une condition diophantienne
de type (c, τ ) s’il existe c > 0, τ ≥ 0 tels que pour tout k ∈ Z2 \ {0} on ait
|||k.γ||| ≥ c|k|−2−τ .
Remarque 2.1.4. Dans la définition précédente, certains auteurs utilisent
max(|k1 |, |k2 |) au lieu de |k| = |k1 | + |k2 |.
Cette condition arithmétique est une hypothèse classique dans la théorie
K.A.M. (Kolmogorov, Arnold et Moser) pour les difféomorphismes, elle
nous assure que les vecteurs vérifiant une telle condition diophantienne sont
“mal approchés” par les vecteurs dont les coordonnées sont rationnelles et
de même dénominateur.
Notons CD(c, τ ) l’ensemble des vecteurs diophantiens de type (c, τ ) et
[
[
CD(τ ).
CD(c, τ ) ; CD =
CD(τ ) =
c>0
τ ≥0
On peut donner des exemples explicites de tels vecteurs. Cependant, pour
s’assurer que cette notion n’est pas vide, il est plus agréable de passer par
la proposition suivante.
Proposition 2.1.5. L’ensemble CD est de mesure totale pour la mesure
de Haar sur T2 . En particulier, il existe des vecteurs diophantiens.
Cela résulte du fait que CD∩[0, 1]2 est de mesure totale pour la mesure de
Lebesgue sur le carré. En effet, à τ > 0 fixé, on peut majorer la mesure du
complémentaire de CD(c, τ ) dans [0, 1] par une constante proportionnelle à
c, ce qui implique que [0, 1]2 \CD(c, τ ) est de mesure arbitrairement petite si
c est arbitrairement petit et donc CD(τ ) est de mesure totale (voir [Lan95]
pour plus de détails).
Remarque 2.1.6. Bien que génériques pour la mesure, les vecteurs diophantiens ne le sont pas du tout pour la topologie : on montre facilement qu’ils
forment un ensemble maigre au sens de Baire, i.e. qu’ils sont contenus dans
une réunion dénombrable de fermés d’intérieurs vides.
24
Chapitre 2. Difféomorphismes de surfaces
Pour γ appartenant à T2 , on note Rγ la translation de vecteur γ. Les
translations forment un sous-groupe de Dif f0∞ (T2 ) qui s’identifie à T2 .
Dans la suite, Dif f0∞ (T2 ) sera muni de la topologie C ∞ .
Commençons par expliquer les idées de la preuve du théorème d’Herman. On souhaite décomposer tout élément de Dif f0∞ (T2 ) en un produit
de commutateurs. Par des arguments de connexité, il suffit de le faire pour
un élément arbitrairement proche de l’identité. Il n’est pas très dur de
vérifier qu’une translation du tore Rγ est un produit de commutateurs :
on commence par la décomposer en un produit de deux rotations du cercle
(formellement, deux translations du tore dont le vecteur a une coordonnée
nulle), puis on utilise le fait que les rotations sont des homographies particulières de la droite projective réelle et que P SL(2, R) est parfait pour
aboutir au résultat. Cependant, il est plus dur d’obtenir une telle écriture si
l’on perturbe légèrement Rγ . Si tel était le cas, la différence entre Rγ et sa
perturbation nous donnerait un élément arbitrairement proche de l’identité
qui s’écrit comme un produit de commutateurs. Par chance, pour un vecteur γ diophantien, on peut décrire assez explicitement les perturbations
de Rγ .
La preuve du théorème repose donc entièrement sur le résultat K.A.M.
suivant, qui affirme que si un difféomorphisme du tore est suffisamment
proche d’une translation diophantienne Rγ , alors quitte à le rectifier par
une petite translation, il lui est C ∞ -conjuguée. Un tel difféomorphisme
s’écrit donc sous une forme normale
Rλ ψ −1 Rγ ψ = Rλ+γ (Rγ−1 ψ −1 Rγ ψ)
pour λ ∈ T2 et ψ ∈ Dif f0∞ (T2 ), ce qui montre bien qu’il est un produit
de commutateurs. Voici l’énoncé précis, dont la preuve originale est due à
Sergeraert et Herman ([Ser72],[Her73]).
Théorème 2.1.7 (Sergeraert-Herman). Soit Rγ une translation de vecteur diophantien γ et soit l’application
Φγ
:
Dif f0∞ (T2 ) × T2
(ψ, λ)
−→ Dif f0∞ (T2 )
7−→ Rλ ψ −1 Rγ ψ.
Alors il existe un voisinage V de Rγ dans Dif f0∞ (T2 ) et une application
lisse
s : V −→ Dif f0∞ (T2 ) × T2
telle que s(Rγ ) = (1T2 , 0) et Φγ s = 1V .
Démonstration. On souhaite résoudre une équation non linéaire. Il est
beaucoup plus simple, lorsque cela est possible, de résoudre l’équation
linéarisée et de conclure par un théorème d’inversion locale. Cependant,
en admettant la structure différentiable de l’espace Dif f0∞ (T2 ) (que l’on
suppose implicitement dans l’énoncé et qui sera précisée plus loin), l’espace
25
Abed Bounemoura
linéaire associé n’est pas un espace de Banach ce qui empêche l’utilisation
du théorème d’inversion locale classique. Pour remédier à ce problème,
on va utiliser un autre théorème d’inversion, le théorème de Nash-MoserHamilton, valable dans une certaine catégorie d’espaces de Fréchet (les
bons espaces de Fréchet et les bonnes applications entre bons espaces de
Fréchet) mais sous des hypothèses plus restrictives. On renvoie à l’annexe
C pour ces notions.
Remarquons que Φγ (1T2 , 0) = Rγ . Pour pouvoir appliquer le théorème
de Nash-Moser-Hamilton, on doit donc prouver que la différentielle dΦγ est
inversible en tout point d’un voisinage de (1T2 , 0) dans Dif f0∞ (T2 ) × T2 , et
que son inverse est une bonne application linéaire continue. Selon Herman,
on procède en quatre étapes.
(a) On exprime Φγ dans une carte exponentielle.
Fixons une métrique riemannienne (nécessairement complète) sur T2 et
considérons l’application exponentielle associée
exp
:
TT2
(x, v)
−→
T2 × T2
7−→ (x, expv (x))
où expv (x) est le temps 1 de l’unique géodésique de conditions initiales
(x, v). Il est bien connu que l’exponentielle se restreint en un difféomorphisme d’un voisinage V de la section nulle de TT2 sur un voisinage W de la
diagonale de T2 × T2 . Pour un difféomorphisme f , posons
Wf = {g ∈ Dif f0∞ (T2 ) | ∀x ∈ T2 , (f (x), g(x)) ∈ W }
et
2
2
Vf = {ξ ∈ Γ∞
f (T ) | ∀x ∈ T , ξ(x) ∈ V }
2
où Γ∞
f (T ) est l’espace vectoriel des champs de vecteurs au-dessus de f , i.e.
l’espace des sections du fibré induit f ∗ (TT2 ) (c’est l’espace qui joue le rôle
d’espace tangent au dessus de f ). On peut alors définir un difféomorphisme
φf : Vf −→ Wf
à l’aide de l’application exponentielle : on obtient ainsi une collection de
2
∞
cartes (Wf , φ−1
f ) permettant de munir Dif f0 (T ) d’une structure lisse
modelée sur Γ∞ (T2 ) (la vérification que l’on obtient bien un atlas est loin
d’être immédiate, voir [Mil84] par exemple).
Sur R2 muni de sa métrique canonique, on a plus simplement
exp(x, v) = (x, x + v)
donc quitte à relever les difféomorphismes du tore en des difféomorphismes
du plan R2 (en relevant une isotopie à l’identité), on peut écrire
φf (ξ)(x) = f (x) + ξ(x)
26
Chapitre 2. Difféomorphismes de surfaces
φ−1
f (g)(x) = g(x) − f (x).
L’application Φγ lue dans ces cartes s’écrit :
Γ∞ (T2 ) × R2
(ξ, λ)
2
−→
Γ∞
Rγ (T )
7−→ (1 + ξ)−1 Rγ (1 + ξ) + λ − γ.
En effet, en notant 1 l’identité de R2 , on commence par appliquer φ1 pour
obtenir φ1 (ξ, λ) = (1 + ξ, λ), puis on applique Φγ et on a
Φγ φ1 (ξ, λ) = (1 + ξ)−1 Rγ (1 + ξ) + λ
et enfin φ−1
Rγ Φγ ψ1 (ξ, λ) nous donne l’expression voulue. Bien entendu, ceci
n’est valable que pour ξ suffisamment petit et dans la suite, c’est cette
expression de Φγ que l’on considère. On vérifie que c’est une bonne application de classe C ∞ entre bons espaces de Fréchet (essentiellement parce
que la composition et l’inverse sont de bonnes applications de classe C ∞ ,
voir l’annexe C).
(b) On calcule la différentielle de Φγ .
ˆ λ̂) appartenant à Γ∞ (T2 ) × R2 . En
Posons (1 + µ) = (1 + ξ)−1 . Soit (ξ,
appliquant soigneusement la règle de chaı̂ne il vient
ˆ λ̂)(x)
dΦγ (ξ, λ).(ξ,
=
ˆ
d(1 + µ)(Rγ (1 + ξ)(x)).ξ(x)
ˆ + µ)Rγ (1 + ξ)(x))
−d(1 + µ)(Rγ (1 + ξ)(x)).ξ((1
+λ̂.
ˆ λ̂) = ξˆ − ξR
ˆ γ + λ̂.
En particulier, on a dΦγ (0, 0).(ξ,
(c) On réduit l’inversion de dΦγ à la résolution d’une équation cohomologique.
Rappelons que l’on cherche à inverser dΦγ au voisinage de (0, 0), i.e. on
veut résoudre l’équation
ˆ λ̂) = η
dΦγ (ξ, λ).(ξ,
ˆ λ̂ sont inconnues. On va alors transformer cette
où ξ, λ, η sont données et ξ,
équation de telle sorte qu’elle soit “proche” de l’équation obtenue au point
(ξ, λ) = (0, 0). On introduit alors les variables
ˆ + µ)
ξ˜ = ξ(1
η̃ = d(1 + µ)((1 + µ)Rγ ).(η(1 + µ))
et
χ(ξ) = d(1 + µ)((1 + µ)Rγ ).
27
Abed Bounemoura
Il n’est pas difficile de vérifier que l’équation précédente devient
˜ γ = η̃ − χ(ξ).λ̂
ξ˜ − ξR
où les inconnues sont ξ˜ et λ̂.
(d) On résout l’équation cohomologique.
Pour un élément x = (x1 , x2 ) dans T2 , l’équation à résoudre s’écrit
˜ − ξ(x
˜ + γ) = η̃(x) − χ(ξ)(x).λ̂.
ξ(x)
R
Si ξ est suffisamment petit, la matrice M = T2 χ(ξ)(x)dx est proche
de l’identité donc inversible. Le terme de gauche a clairement une
moyenne nulle
pour la mesure de Haar sur le tore, ceci détermine donc
R
˜ Notons (ak )k∈Z2 ses
λ̂ = M −1 T2 η̃(x)dx. On veut maintenant trouver ξ.
coefficients de Fourier vis-à-vis de la mesure de Haar du tore, i.e.
Z
X
−2πik.x
2πik.x
˜
˜
ξ(x) =
ξ(x)e
dµ(x)
ak e
avec ak =
T2
k∈Z2
et (bk )k∈Z2 ceux de η̃ − χ(ξ).λ̂. Le choix de λ̂ nous donne b0 = a0 = 0. Pour
k 6= 0, on a par identification
ak =
bk
.
1 − e2πik.γ
C’est ici qu’intervient la condition diophantienne sur γ. Elle nous donne
une estimation du type
|ak | ≤ C|bk ||k|2+τ
∀k ∈ Z2
pour une constante C qui ne dépend que de γ. Puisque la fonction η̃−χ(ξ). λ̂
est C ∞ , ses coefficients (bk )k∈Z2 sont à décroissance rapide à l’infini, il en
est alors de même pour les coefficients (ak )k∈Z2 . Il en résulte alors que la
fonction ξ˜ est bien déterminée et C ∞ , et que l’application
C ∞ (T2 )
Σk∈Z2 bk e2πik.
−→
7−→
C ∞ (T2 )
Σk∈Z2 ak e2πik.
est une bonne application linéaire continue (avec une perte de différentiabilité r = 2 + τ ).
ˆ λ̂) qui
On a donc réussi à construire une application (ξ, λ, η) 7−→ (ξ,
est bien une section de dΦγ (ξ, λ) au voisinage de (0, 0). Cette application est bonne car elle est composée de bonnes applications : c’est clair
pour (ξ, λ, η) 7−→ λ̂ et cela résulte du caractère diophantien de γ pour
ˆ On conclut alors la preuve en utilisant le théorème d’inver(ξ, λ, η) 7−→ ξ.
sion locale de Nash-Moser-Hamilton.
28
Chapitre 2. Difféomorphismes de surfaces
Démonstration du théorème 2.1.1. Notons N (T2 ) le sous-groupe normal
engendré par les translations T2 . D’après le lemme, il est ouvert au voisinage d’une translation diophantienne dans Dif f0∞ (T2 ), donc c’est un sousgroupe ouvert. En particulier, il est fermé et par connexité de Dif f0∞ (T2 ),
on a l’égalité N (T2 ) = Dif f0∞ (T2 ). On a les inclusions
T ⊆ H ⊆ Dif f0∞ (T)
où T agit sur le cercle par rotations et H ∼
= P SL(2, R) agit sur le cercle
par homographies, après identification du cercle avec la droite projective
réelle RP1 . Ainsi on a
T2 ⊆ H 2 ⊆ Dif f0∞ (T2 ).
Cependant le groupe H est parfait (même simple, c’est un résultat bien
connu, voir [Lan02] par exemple) d’où
Dif f0∞ (T2 ) = N (T2 ) ⊆ N (H 2 ) = N ([H 2 , H 2 ])
⊆ [Dif f0∞ (T2 ), Dif f0∞ (T2 )].
Le groupe Dif f0∞ (T2 ) est donc parfait.
Remarque 2.1.8. A cause du phénomène de pertes de dérivées, l’argument
de Sergeraert-Herman tombe en défaut si l’on cherche la simplicité du
groupe Dif f0r (T2 ) pour r fini. Cependant, par approximation des difféomorphismes de classe C r (r fini) par des difféomorphismes de classe C ∞ dans
la topologie C r , il résulte que les commutateurs de Dif f0r (T2 ) sont denses
dans Dif f0r (T2 ) pour la topologie C r . Par le théorème d’Epstein, on en
déduit que le groupe Dif f0r (T2 ) est topologiquement simple, i.e. il ne contient
pas de sous-groupe normal non trivial qui soit fermé.
Toujours par un argument de densité (cette fois-ci plus compliqué), on
peut démontrer la simplicité du groupe des difféomorphismes analytiques
du tore isotopes à l’identité ([Her75]).
Expliquons maintenant comment un raisonnement analogue nous donne
le résultat un peu plus fort suivant : le groupe Dif^
f0∞ (T2 ), revêtement
universel de Dif f0∞ (T2 ), est parfait.
Il est bon de commencer par donner quelques précisions sur le revêtement
e d’un groupe topologique connexe G. Pour peu que G soit louniversel G
e s’identifie aux classes d’homotopies (à extrémités
calement contractile, G
fixes) d’isotopies dans G, où une isotopie dans G est un chemin continu
émanant de l’identité. Si G possède une structure différentiable, on suppose
e est muni d’une structure de groupe
que le chemin est lisse. L’ensemble G
que l’on peut décrire de deux manières équivalentes : pour g = (g t )t∈[0,1]
29
Abed Bounemoura
et h = (ht )t∈[0,1] deux isotopies dans G, on définit leur produit soit en
concaténant les chemins, i.e.
(
h2t
si 0 ≤ t ≤ 1/2
g ∗ h : t ∈ [0, 1] 7−→
2t−1 1
g
h si 1/2 ≤ t ≤ 1
(et éventuellement on reparamètre ce dernier pour qu’il soit lisse), soit en
utilisant la structure de groupe de G, i.e.
g.h : t ∈ [0, 1] 7−→ g t ht .
e et que cela définit bien
On peut alors vérifier que [g ∗ h] = [g.h] dans G,
une loi de groupe.
De part sa structure différentiable, le groupe Dif f ∞ (T2 ) est localement
contractile. Ainsi, un élément de Dif^
f0∞ (T2 ) est une classe d’homotopie à
extrémités fixes [Φ] où
Φ : t ∈ [0, 1] 7−→ ϕt ∈ Dif f0∞ (T2 )
est un chemin (lisse) de difféomorphismes du tore qui part de l’identité.
Proposition 2.1.9. Le groupe Dif^
f0∞ (T2 ) est parfait.
Démonstration. Prenons γ un vecteur diophantien dans T2 et soit
s : V −→ Dif f0∞ (T2 ) × T2
l’inverse local de l’application Φγ définie dans le théorème 2.1.7, V étant
un voisinage ouvert de la translation de vecteur γ. Par connexité, il suffit de montrer que toute isotopie Φ appartenant à Dif^
f0∞ (T2 ) suffisamment proche de l’identité est un produit de commutateurs de Dif^
f ∞ (T2 ).
0
Choisissons alors Φ = (ϕt )t∈[0,1] dans Dif^
f0∞ (T2 ) tel que Rγ ϕt ∈ V ⊆
∞
2
Dif f0 (T ) pour tout t ∈ [0, 1]. On applique le théorème de SergeraertHerman à Rγ ϕt pour obtenir
Rγ ϕt = Rλt (ψ t )−1 Rγ ψ t
avec s(ϕt ) = (ψ t , λt ), pour tout t ∈ [0, 1]. Puisque l’on peut, à t fixé, passer
continûment de Rγ à Rtγ , notre isotopie Φ est homotope (à extrémités
fixes) à l’isotopie
−1
−1
, (ψ t )−1 ]
t ∈ [0, 1] 7−→ Rtγ
Rλt (ψ t )−1 Rtγ ψ t = Rλt [Rtγ
et cette dernière est certainement un produit de commutateurs.
30
Chapitre 2. Difféomorphismes de surfaces
2.2
Simplicité du groupe Dif f0∞ (M )
On considère maintenant une surface fermée M quelconque. La tâche
difficile qui nous attend est d’étendre le théorème de simplicité d’Herman
au groupe Dif f0∞ (M ). La preuve de ce résultat est essentiellement due
à Thurston et Mather, mais elle ne semble pas avoir été publiée par ces
auteurs (voir [Thu74a] pour le papier original qui ne contient aucune preuve
et [Mat79] pour une rédaction des idées de Thurston sur un résultat bien
plus général, qui sera expliqué plus loin). Dans cette section, on suit le plan
de [Ban97], tout en simplifiant certains arguments.
Dans un premier temps, on utilise des propriétés générales du groupe
Dif f0∞ (M ) pour se ramener à l’étude du groupe des difféomorphismes à
support dans U , U étant un ouvert de M . Précisément, en notant
Dif fU∞ (M ) ce dernier, on va montrer que s’il est parfait, alors le groupe
Dif f0∞ (M ) est simple. Il faut cependant commencer par vérifier la propriété de fragmentation pour le groupe Dif f0∞ (M ). La preuve est beaucoup plus facile que pour les homéomorphismes (voir [PS70]).
Théorème 2.2.1. Dif f0∞ (M ) a la propriété de fragmentation.
Démonstration. Soit U = {U1 , . . . , Um } un recouvrement ouvert de M et
λ1 , . . . , λm une partition de l’unité lisse associée à ce recouvrement.
Soit g un élément de Dif f0∞ (M ). Pour démontrer la propriété, on peut
le choisir arbitrairement proche de l’identité. A l’aide d’une carte exponentielle au voisinage de l’identité, on peut même choisir une isotopie
(g t = exp(t exp−1 g))t∈[0,1]
qui soit proche de l’identité. Définissons, pour 0 ≤ k ≤ m, des fonctions
µk = Σi≤k λi et des difféomorphismes
gk (x) = g µk (x) (x).
Il est clair que gk est une application lisse. De plus, puisque gk dépend
de manière continue de g (et de l’isotopie (g t )t∈[0,1] ), on peut toujours
choisir g suffisamment petit pour que gk reste proche de l’identité. Ainsi,
gk est un difféomorphisme par le théorème d’inversion locale. Par définition
des µk , il est clair que gk (x) = gk−1 (x) si x n’appartient pas à Uk . Donc
hk = gk (gk−1 )−1 est un difféomorphisme à support dans Uk , et on a
g = gm = (gm (gm−1 )−1 )(gm−1 (gm−2 )−1 ) . . . (g1 (g0 )−1 ) = hm . . . h1 .
Remarque 2.2.2. La preuve précédente nous donne en fait un résultat plus
fort, à savoir la propriété de fragmentation pour les isotopies. En effet, avec
31
Abed Bounemoura
les notations précédentes, on définit une isotopie (gkt )t∈[0,1] pour 0 ≤ k ≤ m
en posant
gkt (x) = g tµk (x) (x) ∀t ∈ [0, 1], ∀x ∈ M
et l’on vérifie que
(g t ) = (htm ) . . . (ht1 )
t
avec htk = gkt (gk−1
)−1 pour 1 ≤ k ≤ m.
Remarque 2.2.3. La propriété de fragmentation est également valable, avec
la même preuve, pour le groupe des difféomorphismes de classe C r (r fini)
d’une variété compacte.
En fait, ce résultat combiné au théorème d’Epstein (voir l’annexe B)
suffit à prouver que si le groupe Dif fU∞ (M ) est parfait, alors le groupe
Dif f0∞ (M ) est simple. En effet, par le théorème de fragmentation 2.2.1,
la perfection de Dif fU∞ (M ) implique celle de Dif f0∞ (M ) et le théorème
d’Epstein nous assure donc que ce dernier est simple.
Il existe cependant une preuve beaucoup plus directe, due à Thurston,
qui permet d’obtenir le même résultat sans utiliser le théorème d’Epstein.
L’intérêt principal de cet argument est que, contrairement à celui d’Epstein,
il est encore valable (sans aucune modification) dans le cas conservatif (voir
la section 3.4). On aura besoin de la transitivité de l’action de Dif f0∞ (M )
sur M (voir [Ban97]).
Lemme 2.2.4. Dif f0∞ (M ) agit transitivement sur M . En particulier, ses
orbites sont denses.
X = λ∂x1
.
x
.
y
Fig. 2.1 – Transitivité de Dif f0∞ (M )
32
Chapitre 2. Difféomorphismes de surfaces
Démonstration. Soient x et y deux points distincts de M , on cherche un
élément g appartenant à Dif f0∞ (M ) tel que g(x) = y. Si x et y sont
proches, on peut trouver une carte ϕ : U → R2 telle que ϕ(x) = (0, 0) et
ϕ(y) = (0, ε) pour ε > 0. Si λ est une fonction plateau convenablement
choisie, alors le temps 1 du flot de X = λ∂x1 est un difféomorphisme du
plan qui envoie ϕ(x) sur ϕ(y), et en le conjuguant par ϕ, on obtient g
dans Dif f0∞ (M ) tel que g(x) = y (voir la figure 2.1). Si maintenant x et
y sont arbitraires, on prend un chemin c les reliant que l’on découpe par
compacité en un nombre fini de chemins suffisamment petits pour que l’on
puisse appliquer l’argument précédent.
On utilisera souvent dans la suite le corollaire immédiat suivant.
Corollaire 2.2.5. Soit U un ouvert dans M . Alors pour tout ouvert V
suffisamment petit, il existe un difféomorphisme ϕV dans Dif f0∞ (M ) qui
envoie V dans U .
Théorème 2.2.6 (Thurston). Si Dif fU∞ (M ) est parfait, alors Dif f0∞ (M )
est simple.
Démonstration. Notons G = Dif f0∞ (M ) et GU = Dif fU∞ (M ). La simplicité de Dif f0∞ (M ) va alors résulter uniquement des propriétés de fragmentation et de transitivité.
Soit g un élément de G différent de l’identité, et notons N (g) le sousgroupe normal engendré par g. Il s’agit de prouver que N (g) = G. Soit
x un point non fixé par g. Puisque G agit transitivement sur M , on peut
trouver h dans G tel que h(x) soit distinct de x et g(x). On se donne alors
un ouvert U , qui est un voisinage de x assez petit pour que U , g(U ) et
h(U ) soient disjoints. Il est clair que pour tout u, v ∈ GU , on a


sur U
u
[u, g] = gu−1 g −1 sur g(U)


1
ailleurs


sur U
v
[v, h] = hv −1 h−1 sur h(U)


1
ailleurs
et une simple vérification donne [u, v] = [[u, g], [v, h]]. On a alors
GU ⊆ [GU , GU ] ⊆ [[GU , g], [GU , h]] ⊆ [N (g), G] ⊆ N (g)
où la première inclusion vient de l’hypothèse de perfection sur GU . Pour x
appartenant à M , on trouve par transitivité un petit ouvert Ux contenant
x et un élément αx appartenant à G tels que αx (Ux ) soit inclus dans U .
On a alors, pour tout x dans M ,
GUx ⊆ αx−1 GU αx ⊆ N (g).
33
Abed Bounemoura
Ces ouverts Ux recouvrent M et ainsi par fragmentation
gendre G, ce qui donne G ⊆ N (g).
S
x∈M
GUx en-
En vue d’une utilisation ultérieure, énonçons le résultat précédent de
manière plus synthétique, comme cela est fait dans [Hal98].
Théorème 2.2.7. Soient X un espace topologique paracompact, O une
base d’ouverts de X un sous-groupe de Homeo(X). Pour chaque ouvert U
dans O, soit GU un sous-groupe de HomeoU (X), où HomeoU (X) est le
sous-groupe des homéomorphismes à support dans U . Supposons que
(i) G possède la
S propriété de fragmentation : si U ⊆ O est un recouvrement de X, U ∈U GU engendre G ;
(ii) G agit transitivement sur les points de X ;
(iii) pour tous U, V ∈ O et g ∈ G tels que g(U ) ⊆ V , gGU g −1 ⊆ GV .
Si GU est parfait pour tout U ∈ O, alors G est simple.
Remarque 2.2.8. Dans la preuve précédente, on avait GU = G∩HomeoU (X)
et dans ce cas l’hypothèse (iii) est trivialement vérifiée.
Lorsqu’on le compare au théorème d’Epstein, les hypothèses du théorème
précédent ont l’avantage d’être plus claires (on n’a pas besoin de la condition supplémentaire qu’impose Epstein dans son axiome de fragmentation
(E3)) et plus faciles à vérifier (on a seulement besoin d’une action transitive
sur les points et non sur les disques, voir l’annexe B). De plus, comme on
l’a déjà précisé, ce résultat est beaucoup plus flexible et il sera utilisé dans
le prochain chapitre pour des groupes de difféomorphismes conservatifs.
Il nous reste à prouver que le groupe des difféomorphismes de M à
support dans un disque U est parfait. Il suffit bien sûr de le faire pour
une seule variété, car ce groupe est toujours isomorphe au groupe des
difféomorphismes du plan à support compact. Si l’on prend M = T2
et g un difféomorphisme du tore dont le support est dans U , on sait
d’après le théorème de Herman que g est un produit de commutateurs dans
Dif f0∞ (M ), mais il faut alors montrer que c’est un produit de commutateurs dans Dif fU∞ (M ). Il est peut-être possible d’écrire une preuve directe
de ce fait, mais pour des raisons techniques on va se placer sur l’abélianisé
du revêtement universel de ce groupe, i.e. on va considérer le groupe des
isotopies (à homotopies près) quotienté par les isotopies de commutateurs.
Comme on va le voir dans la suite, ce groupe abélien peut se décrire comme
le premier groupe d’homologie d’un certain complexe de chaı̂nes, et il sera
alors possible d’utiliser le formalisme de l’homologie.
Commençons par quelques préliminaires. Notons G = Dif f0∞ (M ). On
va utiliser des notions d’homologie cubique dont on peut trouver une exposition détaillée dans [Mas80]. On désigne par K n = [0, 1]n le n-cube
unité, et on ordonne ses sommets selon l’ordre lexicographique. Un n-cube
singulier est une application continue
c : K n −→ G.
34
Chapitre 2. Difféomorphismes de surfaces
On dit que le n-cube singulier est normalisé lorsque c envoie le premier
sommet v0 de Kn sur l’identité de G, et qu’il est dégénérée lorsque l’application c ne dépend que d’au plus n − 1 variables. On définit alors BGn
comme le Z-module libre engendré par les n-cubes singuliers normalisés,
quotienté par le sous-module des n-cubes singuliers normalisés dégénérés.
Lorsque c est un n-cube singulier non normalisé, on note ĉ sa normalisation, i.e. ĉ = c(v0 )−1 c. Dans la suite, on utilisera plus simplement le terme
n-cube pour désigner un n-cube singulier normalisé.
On définit un opérateur de bord ∂ : BGn → BGn−1 en prenant la
restriction aux (n − 1)-faces et en normalisant : précisément, si c est un
n-cube, on définit pour 1 ≤ i ≤ n et pour ε = 0, 1, les côtés
(Fiε c)(t1 , . . . , tn−1 ) = c(t1 , . . . , ti−1 , ε, ti , . . . , tn−1 )
puis la i-ème face de c
et enfin le bord de c est
d
d
1
0
∂i c = F
i c − Fi c
∂c =
n
X
(−1)i ∂i c.
i=1
On peut alors vérifier que ∂ 2 = 0.
Exemple 2.2.9. Un 1-cube n’est rien d’autre qu’une isotopie c dans G, et
on a
−1
d
d
0
1
∂c = F
)c(1) = 0
1 c − F1 c = c(0) − (c(1)
donc les 1-cubes sont automatiquement des 1-cycles. Pour un 2-cube c, on
a (voir la figure 2.2)
(∂c)(t)
=
=
d
d
d
d
1
0
0
1
F
1 c(t) − F1 c(t) + F2 c(t) − F2 c(t)
(c(0, 1)−1 )c(t, 1) − c(t, 0) + c(0, t) − (c(1, 0)−1 )c(1, t).
Soit BG la réunion des BGn , on obtient ainsi un complexe de chaı̂ne
(BG,∂) dont on note H∗ (BG, Z) l’homologie à coefficients entiers. C’est ce
qu’on appelle l’homologie locale du groupe G.
Remarque 2.2.10. Le terme “homologie locale” provient du fait que l’homologie du complexe BG peut se calculer avec des petits cubes, i.e. des cubes
contenus dans un voisinage de l’identité. Par exemple, si G est un groupe
de Lie, on a H1 (BG) ∼
= g/[g, g] où g est son algèbre de Lie de G (voir
[Hae78] par exemple).
En ce qui nous concerne, l’intérêt de cette notion réside dans la proposition suivante.
35
Abed Bounemoura
d
1
−F
2c
v2
v3
d
1
F
1c
d
0
−F
1c
v0
v1
d
0
F
2c
Fig. 2.2 – Bord d’un 2-cube
Proposition 2.2.11. On a un isomorphisme de groupes
e G,
e G]
e ∼
G/[
= H1 (BG, Z).
e est parfait si et seulement si H1 (BG, Z) est trivial.
En particulier, G
On va se contenter de décrire l’isomorphisme en question, qui est analogue à l’isomorphisme de Hurewicz entre le premier groupe d’homologie
singulière et l’abélianisé du groupe fondamental d’un espace topologique.
Soit c une isotopie dans G, i.e. c : [0, 1] → G est un chemin tel que c(0) =
e et [[c]] sa classe d’homologie
e. On note [c] sa classe d’homotopie dans G
dans H1 (BG, Z). Remarquons que cette dernière définition est correcte
puisque c, en tant qu’élément de BG1 , est un 1-cycle. Définissons alors
Φ
:
e
G
[c]
−→
7−→
H1 (BG, Z)
[[c]]
et montrons que cette application a un sens. Soit c0 tel que [c0 ] = [c],
alors c0 et c sont des isotopies homotopes à extrémités fixes, et on note
H : [0, 1]2 → G une telle homotopie. Alors H est un 2-cube, qui est constant
sur {0} × [0, 1] et {1} × [0, 1], donc ∂1 H = 0 (voir la figure 2.3). On a donc
∂H = ∂2 H = c − c0
dans BG1 , i.e. [[c0 ]] = [[c]]. Ainsi Φ est bien définie.
On peut maintenant vérifier que c’est un morphisme de groupes. Prenons
e et c ∗ c0 leur produit. On définit alors un 2-cube
c et c0 deux éléments de G,
singulier
σ : K(v0 , v1 , v2 , v3 ) −→ G
36
Chapitre 2. Difféomorphismes de surfaces
c0
v2
c(0)
-
v3
6
6
c(1)
v0
c
v1
Fig. 2.3 – [c] = [c0 ] ⇒ [[c]] = [[c0 ]]
de la manière suivante : on pose σ|[v0 ,v1 ] = c, σ|[v1 ,v2 ] = c(1), σ|[v2 ,v3 ] =
c(1)c0 et on étend de manière continue σ à l’intérieur de K(v0 , v1 , v2 , v3 )
pour que σ|[v0 ,v3 ] = c∗c0 (voir la figure 2.4, on demande que σ soit constante
sur chaque segment oblique et que σ soit constante égale à c(1) ailleurs).
On obtient ainsi
∂σ = c ∗ c0 − c0 − c
dans BG1 et on a bien [[c ∗ c0 ]] = [[c]] + [[c0 ]]. On se retrouve donc avec un
morphisme de groupes
e −→ H1 (BG, Z).
Φ:G
e sur l’élément
Puisque H1 (BG, Z) est abélien, Φ envoie les commutateurs de G
neutre de H1 (BG, Z), donc elle passe au quotient
e G,
e G]
e −→ H1 (BG, Z).
Φ : G/[
On peut alors montrer que Φ est un isomorphisme, et cela se fait de la même
manière que dans le théorème de Hurewicz (voir par exemple [May92]).
Remarque 2.2.12. Dans la section suivante, on donnera une interprétation
plus abstraite de l’homologie locale d’un groupe.
Étant données c et c0 deux isotopies dans G, on peut désormais soit les
concaténer, soit les composer ou bien encore considérer leur somme en hoe G,
e G]
e ∼
mologie. D’après ce qui précède, ces opérations coı̈ncident dans G/[
=
H1 (BG, Z). Le lemme suivant est alors évident.
Lemme 2.2.13. Soient τ une isotopie dans G et g un élément de G. Alors
τ et gτ g −1 sont égaux dans H1 (BG, Z).
37
Abed Bounemoura
Fig. 2.4 – [[c ∗ c0 ]] = [[c]] + [[c0 ]]
On aura également besoin du résultat suivant, dont on peut trouver une
preuve dans [Hir76].
Lemme 2.2.14. Soient V, U deux disques de M et f, g deux plongements
préservant l’orientation de V dans U . Alors il existe une isotopie (ϕ t )t∈[0,1]
à support dans U telle que f ϕ1 = g.
On est maintenant en mesure d’énoncer et de prouver le théorème de
“déformation” de Thurston-Mather.
Théorème 2.2.15 (Thurston-Mather). Soit U un ouvert de M . Alors
l’inclusion GU ⊆ G induit un isomorphisme
H1 (BGU , Z) ∼
= H1 (BG, Z).
Expliquons tout d’abord comment ce théorème implique la simplicité du
groupe Dif f0∞ (M ). D’après ce qui précède, H1 (BG, Z) = 0 si et seulement
e est parfait. En appliquant le résultat de Thurston-Mather à M = T2 ,
si G
on a un isomorphisme de groupes
H1 (BDif fU∞ (T2 ), Z) ∼
= H1 (BDif f0∞ (T2 ), Z)
puis par le théorème d’Herman, on obtient
H1 (BDif fU∞ (T2 ), Z) ∼
= 0.
^
Donc Dif
fU∞ (T2 ) est parfait, ce qui nous donne aussitôt la perfection de
∞
2
Dif fU (T ), puis celle de Dif fU∞ (M ) pour une surface M quelconque. On
obtient ainsi la simplicité de Dif f0∞ (M ) dans le cas général en appliquant
l’astuce de Thurston 2.2.7.
Démonstration du théorème 2.2.15. Notons
ρ : BGU −→ BG
38
Chapitre 2. Difféomorphismes de surfaces
l’application induite par l’inclusion GU ⊆ G et
ρ∗ : H1 (BGU , Z) −→ H1 (BG, Z)
le morphisme induit en homologie. On note [[.]] les classes d’homologie de
H1 (BG, Z) et [[.]]U celles de H1 (BGU , Z). La surjectivité de ce morphisme
sera une conséquence facile du lemme de fragmentation 2.2.1 pour les isotopies, mais c’est de l’injectivité dont on a vraiment besoin. Pour cela, il
faudra établir un lemme de fragmentation pour les 2-cubes dans G, i.e.
pour les familles de difféomorphismes à deux paramètres.
(a) Surjectivité de ρ∗ .
e G,
e G],
e et soit g = (g t )t∈[0,1] une
Soit α appartenant à H1 (BG, Z) = G/[
isotopie représentant α. On va alors découper g en une somme finie d’isotopies à support dans U pour trouver un antécédent β ∈ H1 (BGU , Z). Soit
U = {U1 , . . . , Um } un recouvrement ouvert suffisamment fin pour que l’on
puisse trouver, par transitivité, des hi appartenant à G qui envoient Ui
dans U pour 1 ≤ i ≤ m. On fragmente alors l’isotopie g pour obtenir
(g t ) = (g1t ) . . . (gnt )
avec, pour 1 ≤ j ≤ n, (gjt )t∈[0,1] une isotopie à support dans l’un des Ui
(voir la remarque 2.2.2). Si on note αj la classe d’homologie de (gjt )t∈[0,1]
dans H1 (BG, Z), on a l’égalité
α = α1 + · · · + α n .
Maintenant l’isotopie (hi gjt h−1
i )t∈[0,1] est à support dans U , notons βj sa
classe d’homologie dans H1 (BGU , Z). Il est alors clair que
α = ρ∗ (β1 + · · · + βn ).
En effet, il suffit de remarquer que par le lemme 2.2.13, les isotopies (gjt )t∈[0,1]
et (hi gjt h−1
i )t∈[0,1] coı̈ncident dans H1 (BG, Z), i.e. αj = ρ∗ βj pour 1 ≤ j ≤
n. On en déduit ainsi la surjectivité.
(b) Un lemme de fragmentation.
Commençons par quelques notations. Si on se donne un entier m, on
peut subdiviser le n-cube unité [0, 1]n en mn cubes
Kk1 ,...,kn = {(t1 , . . . , tn ) ∈ [0, 1]n | ki /m ≤ ti ≤ (ki + 1)/m , 1 ≤ i ≤ n}.
On dispose d’une identification canonique
hk1 ,...,kn : [0, 1]n −→ Kk1 ,...,kn
39
Abed Bounemoura
qui envoie le sommet (0, . . . , 0) sur (k1 /m, . . . , kn /m). Ainsi, si on se donne
un n-cube c : [0, 1]n → G, on peut lui associer par composition un n-cube
◦ hk1 ,...,kn : [0, 1]n −→ G.
ck1 ,...,kn = c|Kk1 ,...,k\
n
P
Il est alors clair que c est homologue à la n-chaı̂ne
ck1 ,...,kn , et en
choisissant l’entier m suffisamment grand, on montre ainsi que le groupe
Hn (BG, Z) est engendré par les n-cubes C 1 -proches de l’identité. Remarquons que le lemme de fragmentation 2.2.1 peut s’interpréter de la manière
suivante : si U = {U1 , . . . , Um } est un recouvrement ouvert de M et
c : [0, 1] → G un 1-cube C 1 -proche de l’identité, alors il existe un 1-cube c̃
qui vérifie les deux conditions suivantes :
(i) on a [[c̃]] = [[c]] ;
(ii) le 1-cube c̃k est à support dans Uk , pour 0 ≤ k ≤ m.
Pour prouver l’injectivité, on aura besoin du lemme suivant, qui est une
version “à deux paramètres” du lemme de fragmentation 2.2.1.
Lemme 2.2.16. Soient U = {U1 , . . . , Um } un recouvrement ouvert de M
et c : [0, 1]2 → G un 2-cube C 1 -proche de l’identité. Alors il existe un 2-cube
c̃ qui vérifie les trois conditions suivantes :
(i) si ∂c est à support dans U , alors ∂c̃ aussi et [[∂c̃]]U = [[∂c]]U ;
(ii) chaque 2-cube c̃k1 ,k2 est à support dans Uk1 +1 ∪ Uk2 +1 ;
(iii) si Uk1 +1 ∩ Uk2 +1 = ∅, alors ∂c̃k1 ,k2 = 0.
v2
v3
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
. k m+1
2
Kk1 ,k2
.
.
.
.
v0
.
.
k1
m
.
.
.
v1
k1 +1
m
k2
m
.
Fig. 2.5 – Décomposition de [0, 1]2
Démonstration. On se donne une partition de l’unité {λ1 , . . . , λm } associée
au recouvrement {U1 , . . . , Um } et on introduit, pour 0 ≤ k1 , k2 ≤ m, des
40
Chapitre 2. Difféomorphismes de surfaces
fonctions µk1 = Σi≤k1 λi et µk2 = Σi≤k2 λi . Subdivisons notre carré [0, 1]2
en m2 carrés Kk1 ,k2 (voir la figure 2.5) et définissons une application lisse
f
:
[0, 1]2 × M
(t, s, x)
−→ [0, 1]2
7−→ fx (t, s)
de la manière suivante : en chaque sommet (k1 /m, k2 /m) de la subdivision,
on pose
fx (k1 /m, k2 /m) = (µk1 (x), µk2 (x))
puis on étend fx à [0, 1]2 de manière affine sur chaque carré Kk1 ,k2 de la
subdivision (il faut penser à cette application comme à un reparamétrage
qui dépend du point). Remarquons que notre application fx fixe les quatre
sommets de [0, 1]2 . Considérons c un 2-cube C 1 -proche de l’identité, au
sens où c(t, s) est C 1 -proche de l’application identité de M pour tout (t, s)
dans [0, 1]2 . Alors la formule
c̃(t, s).(x) = c(fx (t, s)).(x)
définit un 2-cube c̃. En effet, c̃(s, t) est un difféomorphisme car c’est une
application lisse C 1 -proche de l’identité pour tout (t, s) dans [0, 1]2 , et on
a c̃(0, 0) = e.
Il nous reste à démontrer que c̃ a bien les propriétés requises. Par définition
de c̃, si ∂c est à support dans un disque U , il en est de même pour ∂c̃.
Écrivons
d
d
d
d
1
0
0
1
∂c̃ = F
1 c̃ − F1 c̃ + F2 c̃ − F2 c̃.
Pour i = 1, 2, ε = 0, 1 et x ∈ M , remarquons que la restriction de fx aux
côtés de [0, 1]2 fixe les sommets et est homotope à l’identité, ainsi l’isotopie
ε
ε
d
d
F
i c̃ est homotope à extrémités fixes à Fi c par une homotopie à support
dans U , ce qui nous donne l’égalité
[[∂c̃]]U = [[∂c]]U .
Vérifions maintenant que le support de c̃k1 ,k2 est inclus dans l’union Uk1 +1 ∪
Uk2 +1 . Si x n’est pas dans Uk1 +1 ∪ Uk2 +1 , on obtient facilement que la restriction de fx à Kk1 ,k2 est constante (car constante sur les quatre sommets
de Kk1 ,k2 ), donc par normalisation c̃k1 ,k2 (x) = x, ce qui signifie bien que
x n’appartient pas au support de c̃k1 ,k2 . Enfin, si Uk1 +1 ∩ Uk2 +1 = ∅, on
obtient que pour tout x dans M , l’application fx est constante sur au moins
deux côtés opposés de Kk1 ,k2 , et puisque elle est affine sur chaque côté de
0
1
1
0 c̃
\
\
\
Kk ,k , on en déduit que F\
k ,k = F c̃k ,k et F c̃k ,k = F c̃k ,k et
1
2
2
1
2
2
1
2
1
1
2
1
1
2
donc ∂c̃k1 ,k2 = 0. Ceci achève la preuve du lemme.
Remarque 2.2.17. De manière un peu plus générale, si on considère dans
le lemme précédent une 2-chaı̂ne
X
c=
cj
j∈J
41
Abed Bounemoura
avec des 2-cubes cj C 1 -proches de l’identité et telle que ∂c soit à support
dans U , bien que chaque élément ∂cj ne le soit pas nécessairement
P (c’est
ce qui se produit lorsqu’il y a des compensations dans la somme j∈J ∂cj ),
alors en notant
X
c̃j
c̃ =
j∈J
on montre de même que ∂c̃ est à support dans U et que [[∂c̃]]U = [[∂c]]U .
Dans la suite, il faudra faire attention au fait que
X
X
[[
∂cj ]]U 6=
[[∂cj ]]U
j∈J
j∈J
puisque le terme de droite peut ne pas avoir de sens.
(c) Injectivité de ρ∗ .
Soit z un 1-cycle dans BGU bordant une 2-chaı̂ne dans BG (i.e. [[z]] =
ρ∗ [[z]]U = 0), on veut donc prouver que z borde une 2-chaı̂ne dans BGU
(i.e. [[z]]U =P
0).
j
Soit c =
j∈J c une 2-chaı̂ne dans BG telle que ∂c = z. Quitte à
subdiviser, on suppose que cj est C 1 -proche de l’identité, pour tout j dans
J. Étant donné un recouvrement ouvert {U1 , . . . , Um } (que l’on choisira
dans la suite), soit c̃j le 2-cube construit dans le lemme précédent à partir
du 2-cube cj . Définissons une 2-chaı̂ne
XX j
c̃ =
c̃k1 ,k2
j∈J k1 ,k2
et posons z̃ = ∂c̃. D’après le lemme 2.2.16 et la remarque 2.2.17, on sait
que ∂c̃ est à support dans U et que
[[z̃]]U = [[∂c̃]]U = [[∂c]]U = [[z]]U .
Il est donc suffisant de prouver que [[z̃]]U = 0. On sait de plus que c̃jk1 ,k2
est à support dans Uk1 +1 ∪ Uk2 +1 et ∂c̃jk1 ,k2 = 0 si cette union est disjointe.
Il est alors naturel de définir le sous-ensemble d’indices
K 0 = {(k1 , k2 ) | Uk1 +1 ∩ Uk2 +1 6= ∅}
et de poser
c̄ =
X
X
cjk1 ,k2 .
j∈J (k1 ,k2 )∈K 0
On obtient ainsi z̃ = ∂c̄, autrement dit z̃ borde une 2-chaı̂ne constituée
de 2-cubes, chacun ayant support dans une union de deux ouverts de U
d’intersection non vide.
42
Chapitre 2. Difféomorphismes de surfaces
Maintenant soit V une famille de disques ouverts recouvrant M , telle
que si Vi , Vj ∈ V, alors leur intersection Vi ∩ Vj , si elle est non vide, est
difféomorphe à un disque (de tels recouvrements existent, voir [KN63]). On
choisit alors notre recouvrement U de telle sorte que si l’intersection de
deux ouverts de U est non vide, alors leur réunion est contenue dans un
certain élément de V. Ainsi z̃ borde la 2-chaı̂ne
X
c̄ =
c̄j
j∈J 0
(on introduit un nouvel ensemble d’indice J 0 pour alléger les notations)
avec le support de c̄j inclus dans Vj ∈ V, après réindexation et pour j dans
J 0.
En notant τji les “côtés” orientés de c̄j , on a
X
X
τji .
∂c̄j =
z̃ = ∂c̄ =
i,j
j
Pour chaque 1-cube τji , définissons un élément hij ∈ G de la manière suivante : si le support de τji est dans U , on prend pour hij l’identité, sinon τji
est à support dans une intersection Vjj 0 = Vj ∩ Vj 0 (car dans ce cas τji est
un côté commun à des 2-cubes distincts c̄j et c̄j 0 ) et alors hij est un élément
de G qui envoie cette intersection dans U . Ainsi le 1-cube hij τji (hij )−1 est à
support dans U , et on a l’égalité
X
X
z̃ =
τji =
hij τji (hij )−1 .
i,j
i,j
En effet, puisque z̃ est à support dans U , ou bien τji est déjà à support dans
0
U et dans ce cas hij est l’identité, ou bien τji se compense avec un terme τji0
dans la somme de gauche pour (i, j) 6= (i0 , j 0 ), dans ce cas on a pu choisir
0
0
0
0
hij = hij 0 et les termes hij τji (hij )−1 et hij 0 τji0 (hij 0 )−1 se compensent dans la
somme de droite. Encore par transitivité, on trouve pourPtout indice j un
−1
est à
élément gj dans G qui envoie Vj dans U . La 2-chaı̂ne
j gj c̄j gj
support dans U , et son bord est


X
X
w =∂
gj c̄j gj−1  =
gj τji gj−1 .
j
i,j
Pour conclure, il suffit de prouver que pour tout i, j, les isotopies hij τji (hij )−1
et gj τji gj−1 sont homologues dans BGU , car on aurait alors [[z̃]]U = [[w]]U =
0. On note h̃ij et g̃j les restrictions de hij et de gj à Vjj 0 . Les isotopies
h̃ij τji (h̃ij )−1 et g̃j τji g̃j−1 sont défini respectivement sur hij (Vjj 0 ) et gj (Vjj 0 ),
et quitte à les étendre par l’identité ailleurs, on a
hij τji (hij )−1 = h̃ij τji (h̃ij )−1
;
gj τji gj−1 = g̃j τji g̃j−1 .
Abed Bounemoura
43
Maintenant h̃ij et g̃j sont des plongements préservant l’orientation du disque
Vjj 0 dans U , par le lemme 2.2.14 il existe une isotopie Φ = (ϕt )t∈[0,1] à
support dans U telle que
ϕ1 h̃ij = g̃j .
Ainsi on obtient
gj τji gj−1 = g̃j τji g̃j−1 = ϕ1 h̃ij τji (h̃ij )−1 (ϕ1 )−1 = ϕ1 hij τji (hij )−1 (ϕ1 )−1
et puisque ϕ1 hij τji (hij )−1 (ϕ1 )−1 est homologue dans BGU à hij τji (hij )−1 (par
le lemme 2.2.13), on en déduit finalement que gj τji gj−1 est homologue dans
BGU à hij τji (hij )−1 . Ceci achève la preuve du théorème.
Remarque 2.2.18. La preuve du théorème 2.2.15 repose principalement sur
la transitivité de l’action de G sur M (lemme 2.2.4), la fragmentation pour
les 1-cubes (lemme 2.2.1) et pour les 2-cubes (lemme 2.2.16) ainsi que sur
le lemme 2.2.14. Dans le prochain chapitre, on va étendre ces résultats au
cas symplectique.
Remarque 2.2.19. On peut même obtenir un résultat plus général, à savoir
un isomorphisme
Hk (BGU , Z) ∼
= Hk (BG, Z)
pour tout k ≥ 1 (voir la section suivante).
On a donc prouvé que le groupe des difféomorphismes C ∞ isotopes à
l’identité d’une surface fermée est simple. Il nous reste encore à examiner le
cas ou le degré de différentiabilité est fini, mais avant cela, on va s’autoriser
une petite digression dans la section suivante afin d’énoncer la théorie de
Thurston-Mather en toute généralité.
2.3
Feuilletages et espaces classifiants
Dans cette section, on souhaite mentionner un lien entre l’homologie
locale des groupes de difféomorphismes et l’étude des feuilletages. Cependant, la théorie étant difficile, on ne donnera aucune preuve (ni même des
idées de preuves), le but ici étant seulement d’informer le lecteur sur certaines questions qui ont motivé l’étude de la perfection des groupes de
difféomorphismes. On trouvera des démonstrations dans [Law77], [Mat79]
et [Ser78] et on pourra consulter [Hae] et [Tsu] pour des présentations plus
informelles.
Commençons par quelques rappels. Plusieurs définitions des feuilletages
sont possibles, en voici une adaptée à notre contexte.
44
Chapitre 2. Difféomorphismes de surfaces
Définition 2.3.1. Un feuilletage F sur une variété M , de classe C r et de
codimension q, est une famille maximale de C r -submersions
fi : Ui −→ Rq , i ∈ I
où (Ui )i∈I est un recouvrement ouvert de M , qui vérifie la condition de
compatibilité suivante : pour tout i, j dans I et x dans Ui ∩ Uj , il existe un
difféomorphisme local φxji de Rq tel que fj = φxji fi au voisinage de x.
Les feuilles du feuilletages sont définies localement par les composantes
connexes des fibres fi−1 (c), pour i dans I et c appartenant à Rq . Ce sont
des sous-variétés (immergées) de M . À un feuilletage F sur M on associe
son fibré tangent τ (F), le fibré vectoriel tangent aux feuilles du feuilletages
et son fibré normal ν(F) qui est défini par les fonctions de transitions
(dφxji )i,j∈I . On a évidemment
ν(F) ∼
= T M/τ (F).
Enfin, les difféomorphismes locaux φxji , pour x appartenant à M et i, j dans
I, définissent le pseudo-groupe d’holonomie du feuilletage.
Remarque 2.3.2. Il est intéressant de voir ce que ces définitions donnent
dans un cas extrême. Si F est de codimension maximale, cela revient à dire
que les (fi )i∈I sont des difféomorphismes locaux, les feuilles de F sont les
points de M , la structure de feuilletage n’est rien d’autre que la structure
de variété de M et son fibré normal est le fibré tangent T M .
En un sens trivial, il existe toujours des feuilletages sur les variétés. On
pourrait alors se demander si étant donné un sous-fibré vectoriel V de
T M , il existe un feuilletage F tangent à V . En dimension 1, la question est
évidente puisque tout champ de droites (de classe Lipschitz) est intégrable
par le théorème d’existence de solutions d’équations différentielles. De manière générale, la réponse est donnée par un théorème de Frobenius : V doit
être intégrable, i.e. stable par crochet de Lie. Cette condition se révèle être
trop restrictive, et la plupart des champs de plans ne sont pas intégrables.
La question intéressante concernant l’existence de feuilletages est en fait la
suivante.
Question 1. Soit V un sous-fibré vectoriel de T M . Est-ce que V est homotope au fibré tangent d’un feuilletage F ?
Dans le cas général, la réponse est négative puisque Bott a donné une
obstruction topologique, à travers des classes caractéristiques, au problème
d’existence précédent (voir [Bot70]). Cependant son argument ne marche
que pour des feuilletages de codimension strictement plus grande que 1.
En codimension 1, la réponse est toujours positive et c’est une conséquence
d’un théorème profond de Thurston que l’on va rencontrer dans la suite.
C’est cette question sur l’existence de feuilletages qui est liée à l’homologie
45
Abed Bounemoura
des groupes de difféomorphismes, mais avant d’y arriver, le chemin est
encore long.
Commençons par reformuler la notion de feuilletage. On note Γrq l’ensemble des germes de C r -difféomorphismes locaux de Rq . Rappelons qu’un
élément de Γrq est une classe d’équivalence [φ, x] où x appartient à M ,
φ est un C r -difféomorphisme local défini au voisinage de x et la relation
d’équivalence est [φ, x] ∼ [φ0 , x] si et seulement si φ et φ0 coı̈ncident au
voisinage de x. On notera plus simplement φx ou encore φ un représentant
de [φ, x]. Cet ensemble joue un rôle essentiel dans l’étude des feuilletages.
Il possède une structure de groupoı̈de topologique, ce qui signifie les choses
suivantes. On a des applications “source” et “cible”
s, t : Γrq −→ Rq
définies par s(φx ) = x et t(φx ) = φ(x) et une application identité
e : Rq −→ Γrq
donnée par e(x) = 1x . Ces applications sont continues si l’on munit Γrq
de sa topologie naturelle de faisceau, s et t sont des homéomorphismes
locaux et e un homéomorphisme sur son image. Pour φ, ψ appartenant à
Γrq , la composition est possible si t(φ) = s(ψ), elle est alors associative
et continue. Enfin, tout élément φ ∈ Γrq est inversible et φφ−1 = e(s(φ)),
φ−1 φ = e(t(φ)).
Remarque 2.3.3. De manière plus formelle, un groupoı̈de est une “petite
catégorie” dont tous les morphismes sont inversibles : on a comme dans
toute catégorie une collection d’objets Obj, un ensemble de morphismes
M or entre deux objets et des applications
s, t : M or −→ Obj
ainsi qu’une opération de composition entre morphismes si la source de l’un
coı̈ncide avec la cible de l’autre. Mais de plus, on a une application
e : Obj −→ M or
qui identifie Obj à une partie de l’ensemble des morphismes (et qui fait
donc de Obj un ensemble). C’est ainsi l’ensemble des morphismes Γ =
M or que l’on considère comme étant le groupoı̈de. Un morphisme entre
deux groupoı̈des n’est rien d’autre qu’un foncteur entre les deux catégories
associées. Enfin, remarquons qu’un groupe est un groupoı̈de avec un seul
objet.
Exemple 2.3.4 (Le groupoı̈de de recouvrement). Étant donné un recouvrement ouvert U = (Ui )i∈I d’un espace M , on peut définir un groupoı̈de
46
Chapitre 2. Difféomorphismes de surfaces
de la manière suivante : les objets sont par définition les ouverts du recouvrement et l’ensemble des morphismes est
ΓU = {(i, j, x) | i, j ∈ I, x ∈ Ui ∩ Uj }.
La composition est définie par (i, j, x)(j, k, x) = (i, k, x).
Voici comment on peut redéfinir les feuilletages en termes de cocycle à
valeurs dans le groupoı̈de Γrq . Soit F un feuilletage donné par une famille
(Ui , fi )i∈I . Regardons alors l’application
φji : Ui ∩ Uj −→ Γrq
qui à x associe [φxji , fi (x)], le germe de φxji au point fi (x). On vérifie alors
d’une part que φji est continue, et d’autre part qu’on a la condition de
cocycle suivante au voisinage de x ∈ Ui ∩ Uj ∩ Uk :
φxji = φxjk φxki
qui nous garantit que les feuilletages “locaux” définis par les submersions
(fi )i∈I se recollent en un feuilletage global. En d’autres termes, notre famille (Ui , fi )i∈I définit un morphisme de groupoı̈des topologiques ΓU → Γrq ,
avec U = (Ui )i∈I . Sous cette forme, un feuilletage sur M peut être considéré
comme l’espace total d’un fibré principal au dessus de M où la fibre, au
lieu d’être un groupe topologique, est un groupoı̈de topologique. On espère
pouvoir ainsi définir, par exemple, des espaces classifiants et des classes
caractéristiques afin de comprendre les obstructions à l’existence de feuilletages sur certaines variétés.
Pour faire marcher ces théories de nature homotopique, il faut d’abord
s’affranchir de toute hypothèse de différentiabilité et définir une notion de
feuilletage “singulier” valable sur des espaces topologiques, et qui généralise
la notion usuelle de feuilletage ainsi que celle de fibration principale. Dans
la suite, on note Γ = Γrq . On introduit alors naturellement la définition
suivante.
Définition 2.3.5. Soit X un espace topologique paracompact. Une structure
de Haefliger sur X à valeurs dans Γ est une famille maximale (Ui , φji ) où
U = (Ui )i∈I est un recouvrement ouvert de X et (φji )j,i∈I une famille
d’applications continues
φji : Ui ∩ Uj −→ Γ
qui vérifie la condition de cocycle
φxji = φxjk φxki
sur les intersections Ui ∩ Uj ∩ Uk , ∀i, j, k ∈ I.
47
Abed Bounemoura
Remarque 2.3.6. La définition précédente a un sens pour un groupoı̈de topologique quelconque. Une structure de Haefliger sur un espace X à valeurs
dans Γ est une classe d’équivalence de morphismes de groupoı̈des topologiques ΓU → Γ, où U est un recouvrement ouvert de X. Lorsque Γ = G
est un groupe, une structure de Haefliger sur X à valeurs dans G est une
G-fibration principale.
Si X est une variété lisse et si les applications
fi = sφii = tφii : Ui −→ Rq
sont des submersions pour tout i dans I, on retrouve la définition des
feuilletages. On note H 1 (X, Γ) l’ensemble des structures de Haefliger sur
X. L’avantage essentiel que l’on a à considérer les structures de Haefliger est
le suivant : si Y est un espace topologique et H ∈ H 1 (Y, Γ), une application
continue f : X → Y induit automatiquement une structure de Haefliger
f ∗ H ∈ H 1 (X, Γ), ce qui est bien sûr faux pour les feuilletages sans une
hypothèse de transversalité.
En vue de classifier les structures de Haefliger, il faut d’abord commencer
par définir une relation d’équivalence convenable.
Définition 2.3.7. Deux structures de Haefliger H0 et H1 sur un espace X
sont concordantes (ou homotopes) s’il existe une structure de Haefliger H
sur le produit X × [0, 1] tel que i∗t H = Ht , pour t = 0, 1, avec it : X ,→
X × {t} le plongement canonique.
Si Y est un espace topologique et H ∈ H 1 (Y, Γ), deux applications homotopes f0 , f1 : X → Y induisent sur X des structures de Haefliger concordantes. En fait, toute classe de concordance de structure de Haefliger sur
X s’obtient de la sorte : c’est le théorème de classification de Haefliger.
Théorème 2.3.8 (Haefliger). Il existe un espace topologique BΓ muni
d’une structure de Haefliger HΓ qui classifie toutes les structures de Haefliger au sens suivant : pour tout espace topologique X, l’ensemble des classes
de concordances de structures de Haefliger sur X est en bijection avec l’espace des classes d’homotopies d’applications de X dans BΓ.
La preuve originale de Haefliger ([Hae58]) repose sur le théorème de
représentabilité de Brown. Notons qu’on peut donner des constructions
explicites de l’espace BΓ : voir [Law77] pour une méthode analogue au
“joint infini” de Milnor ou [Tsu] pour une autre construction due à Segal.
Ainsi, toute structure de Haefliger sur un espace X est induite au moyen
d’une application classifiante f : X → BΓ, i.e. est de la forme f ∗ (HΓ ) où
HΓ est la structure de Haefliger universelle sur BΓ. Cependant, l’intérêt de
ce théorème de classification pour l’étude des feuilletages n’est pas clair.
Il faudrait en effet pouvoir associer à chaque classe de concordance de
structures de Haefliger une classe d’équivalence convenable de feuilletages.
Commençons alors par la définition suivante.
48
Chapitre 2. Difféomorphismes de surfaces
Définition 2.3.9. Deux feuilletages F0 et F1 sur une variété M sont concordants s’il existe un feuilletage F sur le produit M × [0, 1], transverse aux
sous-variétés M × {t} pour t = 0, 1 et qui se restreint en F0 sur M × {0}
et en F1 sur M × {1}.
Il est clair que deux feuilletages concordants sont également concordants
en tant que structures de Haefliger, mais la réciproque semble déraisonnable.
En effet, supposons maintenant que X = M est une variété lisse. À toute
structure de Haefliger H sur M on peut associer un certain fibré vectoriel
ν(H), que l’on appelle fibré normal à H. Si (Ui , φji )i,j∈I est un cocycle
définissant H, alors (Ui , dφji )i,j∈I est un cocycle à valeurs dans GL(q, R)
définissant ce fibré vectoriel ν(H). Si H est un feuilletage, il est immédiat
que ν(H) est un sous-fibré de codimension q du fibré vectoriel tangent T M
et de plus, si H et H0 sont concordants en tant que structures de Haefliger, alors les fibrés ν(H) et ν(H0 ) sont homotopes. Cela nous conduit à la
définition suivante.
Définition 2.3.10. Une classe de concordance tangentielle de structures
de Haefliger est la donnée d’une classe de concordance de structures de
Haefliger et d’une classe d’homotopie de plongements i : ν(H) ,→ T M .
On peut alors énoncer le théorème fondamental de Thurston (voir [Law77]
ou [Thu74b], [Thu76] pour les papiers originaux).
Théorème 2.3.11 (Thurston). Si M est une variété compacte, les classes
de concordances de feuilletages sur M sont en bijection avec les classes de
concordances tangentielles de structures de Haefliger.
Remarque 2.3.12. Dans le cas non compact, le théorème reste vrai sous une
équivalence plus stricte (c’est un résultat de Gromov-Phillips-Haefliger).
En d’autres termes, si une structure de Haefliger sur M a un fibré normal
isomorphe à un sous-fibré vectoriel de T M , alors c’est un feuilletage à
concordance près. La preuve de ce théorème (très difficile) repose sur la
remarque suivante : on peut représenter toute classe de concordance de
structure de Haefliger sur une variété M par une fibration au dessus de M ,
de fibre Rq , munie d’un feuilletage transverse aux fibres. Expliquons cette
construction.
Rappelons qu’un fibré feuilleté au dessus de M est une fibration dont
l’espace total est muni d’un feuilletage transverse aux fibres et dont la projection restreint aux feuilles est un revêtement. Ces feuilletages possèdent
alors un morphisme d’holonomie global
h : π1 (M ) −→ Dif f (F )
où F est la fibre type de la fibration (et réciproquement, tout fibré feuilleté
est la suspension de son morphisme d’holonomie). Les fibrés feuilletés sont
exactement les fibrés dont le groupe structural peut être réduit à un groupe
49
Abed Bounemoura
discret. On parle de micro-fibré feuilleté lorsque l’espace total admet un
feuilletage transverse aux fibres (ce qui est équivalent à l’existence d’une
connexion plate) et qu’il existe une section distinguée qui permet d’identifier la base de la fibration à une feuille. On va associer à chaque structure de
Haefliger sur M un micro-fibré feuilleté (germinalement bien défini). Soit
(Ui , φji ) un cocycle définissant la structure de Haefliger H. Par compacité,
on suppose que le recouvrement (Ui )i∈I est fini. Considérons les applications continues fi : Ui → Rq (fi = sφii ), et pour tout i ∈ I, soit Oi un
voisinage du graphe de fi dans Ui × Rq . On définit notre espace total
G
Oi / ∼
E=
i∈I
où la relation d’équivalence est donnée par (x, yi ) ∼ (x, yj ) si et seulement si yj = φxji (yi ) pour x ∈ Ui ∩ Uj . Quitte à choisir les voisinages Oi
suffisamment petits, la projection sur le premier facteur de E lui donne
une structure de fibré sur M , de fibre Rq ainsi qu’une section continue
s : M → E donné localement par les fi , i ∈ I. De plus, les feuilletages
horizontaux de Ui × Rq (de feuilles Ui × {c} pour c ∈ Rq ) se recollent en
un feuilletage FH transverse aux fibres qui, considéré comme structure de
Haefliger, vérifie s∗ (FH ) = H. Bien sûr, l’espace total E n’est pas canoniquement défini, mais si on fait un autre choix E 0 avec une section s0 , on
peut trouver un difféomorphisme d’un voisinage de s sur un voisinage de
s0 , qui envoie s sur s0 , préserve les feuilletages sur l’espace total et respecte
la projection sur la base (c’est ce qu’on entend par germinalement bien
défini). On retrouve le fibré normal ν(H) en prenant les espaces tangents
aux fibres le long de la section s.
Voici une illustration de la puissance du théorème précédent. Puisque
tout fibré en droites réelles L exhibe un feuilletage transverse aux fibres
(son groupe structural O(1) ∼
= Z/2Z étant discret), on peut voir L comme
le fibré normal d’une structure de Haefliger sur M et par le théorème de
Thurston, L est homotope au fibré normal d’un feuilletage de codimension
1. Le corollaire suivant est alors immédiat.
Corollaire 2.3.13. Une variété compacte M possède un feuilletage de
codimension 1 si et seulement si sa caractéristique d’Euler-Poincaré est
nulle.
On est maintenant en mesure d’utiliser l’espace classifiant BΓqr pour
étudier l’existence de feuilletages. En prenant la différentielle d’un élément
de Γqr , on obtient une application Γqr → GL(q, R) qui induit une application
sur les espaces classifiants
ν : BΓrq −→ BGL(q, R).
Une manière plus abstraite de voir cette application est de remarquer que
l’espace BΓqr a une structure de Haefliger (universelle), donc un fibré normal
50
Chapitre 2. Difféomorphismes de surfaces
(de dimension q) qui est classifié par BGL(q, R) : ν n’est alors rien d’autre
que l’application classifiante.
Le problème de l’existence de feuilletages sur M se ramène ainsi à un
problème de relèvement d’applications.
Question 2. Soit ν : BΓrq → BGL(q, R) l’application définie plus haut.
Étant donnée une application continue f : M → BGL(q, R), admet-elle un
relèvement f˜ : M → BΓrq tel que f = ν f˜ ?
f˜
u::
u
u
u
u
M
f
BΓrq
ν
²²
// BGL(q, r)
En effet, si l’on se donne un sous-fibré vectoriel V de T M de codimension
q, son fibré normal T M/V est classifié par une application continue f :
M → BGL(q, R), et le fait de pouvoir relever cette application à BΓrq
signifie que ce fibré normal est celui d’une certaine structure de Haefliger.
Le théorème de Thurston nous garantit alors que V est homotope au fibré
tangent d’un feuilletage. Il faut donc étudier ce problème de relèvement,
mais pour cela, on aura besoin de quelques notions de topologie algébrique.
Soit f : X → Y une application continue entre espaces topologiques, et
soit l’espace (le “mapping path space”)
X ×f Y I = {(x, c) ∈ X × Y I | c(0) = f (x)}
avec I = [0, 1] et Y I l’ensemble des chemins continus c : I → Y . On a alors
une application continue
f˜ :
X ×f Y I
(x, c)
−→ Y
7−→ c(1)
qui est une fibration (au sens où elle possède la propriété de relèvement des
homotopies). La fibre homotopique d’un point y appartenant à Y est par
définition l’ensemble f˜−1 (y). On a une équivalence d’homotopie h : X →
X ×f Y I qui consiste à envoyer x sur (x, cx ) où cx est le chemin constant
égale à f (x), et qui vérifie f = f˜h. Ainsi toute application continue peut
être considérée, à homotopie près, comme une fibration. Avec ce formalisme, on peut donner une manière plus abstraite de voir l’homologie locale
d’un groupe (voir [Mat79] pour plus de détails). On suppose notre groupe
G localement contractile (ce qui est vérifié par tous les groupes que l’on
considère dans ce texte). Soit Gδ le groupe G muni de la topologie discrète
et i : Gδ → G l’application identité. Puisqu’elle est continue, on peut voir
cette application comme une fibration, de fibre homotopique
G = {(g, c) ∈ Gδ × G[0,1] | c(0) = g, c(1) = e}.
51
Abed Bounemoura
Si l’on considère la topologie compacte-ouverte sur l’espace des chemins
et la topologie discrète sur les points de départs, G devient naturellement
un groupe topologique. On peut alors prouver que BG, l’espace classifiant
de G, est une réalisation du complexe de chaı̂nes que l’on a défini dans
la section précédente et que par conséquent l’homologie singulière de BG
n’est autre que l’homologie locale du groupe G.
Revenons maintenant à notre problème de relèvement, et notons BΓrq la
fibre homotopique de l’application ν : BΓrq → BGL(q, R). Par la théorie de
l’obstruction (voir [Bre93]), l’existence d’un tel relèvement dépend de la topologie de l’espace BΓrq , plus précisément des groupes H k (X, πk−1 (BΓrq ))
pour k ≥ 1. On est donc amené à regarder la topologie de cet espace,
qui comme on va le voir, est liée à l’homologie locale des groupes de
difféomorphismes.
On se donne G un sous-groupe de Dif f r (Rq ) (on pourrait tout aussi bien
prendre un sous-groupe de Dif f r (M ) où M est une variété de dimension
q). On a une fibration
G −→ Gδ −→ G
qui nous donne une fibration au niveau des espaces classifiants
BG −→ BGδ −→ BG.
De manière plus concrète, BG classifie les G-fibrations, BGδ classifie les
G-fibrations plates (existence d’un feuilletage transverse aux fibres) et BG
classifie les G-fibrations plates globalement triviales, i.e. les produits feuilletés N × Rq dont l’holonomie est dans G. Si G fixait un point (disons
l’origine de Rq ) il y aurait un moyen naturelle de définir un morphisme de
groupoı̈des injectif
Gδ −→ Γrq
en envoyant g ∈ Gδ sur son germe à l’origine, puis on aurait alors une tour
commutative
G
// Γrq
²²
Gδ
²²
// Γrq
²²
G
²²
// GL(q, R)
52
Chapitre 2. Difféomorphismes de surfaces
qui induirait au niveau des espaces classifiants
BG
// BΓrq
²²
BGδ
²²
// BΓrq
²²
BG
²²
// BGL(q, R).
Mais dans le cas général, on ne peut pas obtenir de telles applications.
L’astuce est alors de rajouter des paramètres, i.e. de considérer le produit
Gδ × Rq et de définir un morphisme de groupoı̈des
Gδ × Rq −→ Γrq
en envoyant un couple (g, x) ∈ Gδ × Rq sur le germe g x ∈ Γrq . On obtient
alors le diagramme suivant
B(G × Rq )
// BΓrq
²²
B(Gδ × Rq )
²²
// BΓrq
²²
B(G × Rq )
²²
// BGL(q, R).
On se spécialise maintenant au cas où G = Dif fUr (Rq ) est le groupe des
C r -difféomorphismes de Rq à support dans un disque U . L’application
B(G × Rq ) −→ BΓrq
peut s’interpréter de la manière suivante : l’espace B(G × Rq ) = BG ×
Rq possède un feuilletage de codimension q, transverse aux facteurs Rq
donc une structure de Haefliger (avec une trivialisation globale de son fibré
normal). L’application
BDif fUr (Rq ) × Rq −→ BΓrq
passe alors au quotient
Σq (BDif fUr (Rq )) −→ BΓrq
où Σ est le foncteur de suspension. Par adjonction, on obtient une application
BDif fUr (Rq ) −→ Ωq (BΓrq )
où Ω est le foncteur de lacets. Voici alors le théorème de Thurston-Mather.
53
Abed Bounemoura
Théorème 2.3.14 (Thurston-Mather). L’application
BDif fUr (Rq ) −→ Ωq (BΓrq )
induit un isomorphisme en homologie intégrale, i.e.
H∗ (BDif fUr (Rq ), Z) ∼
= H∗ (Ωq (BΓrq ), Z).
Le cas où q = 1 est dû à Mather ([Mat73]) et le cas général à Thurston.
Une rédaction des idées de Thurston se trouve dans [Mat79]. On peut
remplacer dans le théorème Rq par une variété quelconque M de dimension
q et obtenir un isomorphisme
H∗ (BDif fUr (Rq ), Z) ∼
= H∗ (BDif fcr (M ), Z)
qui inclut comme cas particulier le théorème 2.2.15 (avec ∗ = 1 et r =
∞). Une autre approche est de déduire directement le théorème 2.2.15 du
théorème 2.3.14 (comme cela est fait dans l’appendice de [Mat84]).
Pour conclure, donnons une application du théorème précédent. Rappelons qu’un espace topologique X est dit n-connexe si ses groupes d’homotopies jusqu’à l’ordre n sont triviaux. On sait depuis Haefliger (voir [Hae71])
que BΓrq est q-connexe pour tout r, il est alors facile de déduire des théorèmes 2.2.15 et 2.3.14 que BΓ∞
q est (q + 1)-connexe. Pour d’autres résultats
concernant la topologie des espaces BΓ, on renvoie le lecteur à la jolie
présentation de [Tsu].
2.4
Simplicité de Dif f0r (M ) pour r 6= 3
Dans les sections précédentes, on est parvenu à démontrer la simplicité du
groupe Dif f0∞ (M ) pour une surface compacte M . Une étape essentielle de
la preuve était le cas particulier M = T2 (le théorème d’Herman-Sergeraert)
où l’on a fait usage d’un théorème d’inversion locale adapté aux problèmes
de “petits diviseurs”. Dans le cas où le degré de différentiabilité r est fini,
ces techniques d’analyse ne sont plus applicables et il faut donc d’autres
méthodes pour étudier la simplicité du groupe Dif f0r (M ) pour r ∈ N∗ .
Le but de cette section est de donner quelques idées sur la preuve du
théorème suivant, dû à Mather ([Mat74a],[Mat75] et [Mat84], voir [Eps84]
et [Hal95] pour plus de détails).
Théorème 2.4.1 (Mather). Soit M une surface compacte. Si r 6= 3,
alors le groupe Dif f0r (M ) est simple.
Remarque 2.4.2. En fait, ce théorème est valable pour une variété compacte
M quelconque, sous la restriction r 6= dim(M ) + 1. La preuve est identique.
Commençons par deux simplifications immédiates. D’une part, au vu
du théorème d’Epstein (annexe B), il suffit de prouver que ce groupe est
54
Chapitre 2. Difféomorphismes de surfaces
parfait. D’autre part, il suffit de traiter le cas où M = R2 : en effet, par
le lemme de fragmentation 2.2.1 (et la remarque 2.2.3), tout élément de
Dif f0r (M ) est un produit de difféomorphismes à support dans des ouverts difféomorphes au plan R2 , que l’on peut donc considérer comme des
r
difféomorphismes de R2 à support compact. Notons Dif f0,c
(R2 ) le groupe
r
des difféomorphismes du plan compactement C -isotopes à l’identité. La
r
(R2 ), et on
perfection de Dif f0r (M ) est ainsi équivalente à celle de Dif f0,c
peut reformuler le théorème de Mather de la manière suivante.
r
Théorème 2.4.3 (Mather). Pour r 6= 3, le groupe Dif f0,c
(R2 ) est parfait.
La preuve de ce résultat va passer par un contrôle sur la dérivée d’ordre
r
r d’un élément de Dif f0,c
(R2 ). On appelle module de continuité une fonction à valeur réelles α, continue et strictement croissante, définie sur un
intervalle [0, ε] pour un certain ε > 0 et qui vérifie les propriétés suivantes :
(i) α(0) = 0 ;
(ii) α(tx) ≤ tα(x), pour x ∈ [0, ε], t ≥ 1 tels que tx ∈ [0, ε].
Un exemple classique de module de continuité est donné par la fonction
α(x) = xβ pour 0 < β ≤ 1. On dit alors qu’une application entre espaces
métriques f : X → Y est α-continue s’il existe des constantes C, ε0 avec
C > 0 et 0 < ε0 < ε telles que pour tous x et y dans X,
d(x, y) < ε0 =⇒ d(f (x), f (y)) < Cα(d(x, y)).
Pour α(x) = xβ , une fonction α-continue est une fonction Lipschitz pour
β = 1 et Hölder pour 0 < β < 1. On définit de manière évidente la notion
d’application localement α-continue, et on peut alors introduire la classe
de régularité C r,α .
Définition 2.4.4. Soient U ⊆ R2 un ouvert et f : U → R2 . On dit que f
est de classe C r,α si elle est de classe C r et que sa dérivée d’ordre r est
localement α-continue.
Les applications de classe C r,α disposent de propriétés dont on fera usage
dans la suite :
(i) une somme d’applications C r,α est C r,α ;
(ii) une composée d’applications C r,α est C r,α ;
(iii) l’inverse de classe C 1 d’une application C r,α est C r,α .
Pour les vérifications de ces propriétés, on peut consulter [Mat74a] ou
[Hal95].
Introduisons maintenant quelques quantités (semi-normes) mesurant la
taille des applications de classe C r,α . Pour une application f : U → R2 de
classe C r,α avec α défini sur [0, ε], on pose
¾
½
||Dr f (x) − D r f (y)||
| x, y ∈ U, x 6= y , ||x − y|| ≤ ε
||f ||r,α = sup
α(||x − y||)
55
Abed Bounemoura
et si f est un C r,α -difféomorphisme à support compact, on note
µr,α (f ) = ||f − 1||r,α
en notant 1 l’application identité. On aura besoin de l’estimation suivante,
qui résulte de la formule donnant la dérivée d’ordre r d’une composition.
Lemme 2.4.5. Soient r ≥ 1 et α un module de continuité. Il existe δ > 0
et C > 0 tels que si f, g sont deux C r,α -difféomorphismes à support compact
vérifiant µr,α (f ) < δ et µr,α (g) < δ, alors
µr,α (f g) ≤ µr,α (f ) + µr,α (g) + Cµr,α (f )µr,α (g).
r
Pour un module de continuité α, on convient de noter Dif f0,c
(R2 , α) l’enr,α
semble des difféomorphismes de classe C
qui sont compactement C r,α isotopes à l’identité (i.e. l’isotopie est à support compact et elle est de classe
r
C r,α ). D’après ce qui précède, l’ensemble Dif f0,c
(R2 , α) a une structure de
r,α
groupe topologique (pour la topologie C ). En raison de l’égalité
[
r
r
(R2 ) =
Dif f0,c
(R2 , α)
Dif f0,c
α
où l’union est prise sur tous les modules de continuité, il est suffisant
r
(R2 , α) pour tout module de continuité α.
d’établir la perfection de Dif f0,c
On suppose désormais r > 3 (le cas où 1 ≤ r < 3 est en quelque sorte
symétrique et se démontre de manière analogue, voir [Mat75]) et on fixe
un module de continuité α. Le problème est le suivant : étant donné un
r
élément f appartenant à Dif f0,c
(R2 , α) proche de l’identité, on cherche à
résoudre l’équation
f = [u1 , v1 ] . . . [un , vn ]
r
(R2 , α) pour 1 ≤ i ≤ n. En notant [f ]
avec des inconnues ui , vi ∈ Dif f0,c
r
(R2 , α), l’équation
la classe d’équivalence de f dans l’abélianisé de Dif f0,c
se lit plus simplement
[f ] = 0.
On va expliquer comment Mather parvient à résoudre cette équation par
un argument astucieux ayant recours au théorème de point fixe de LeraySchauder.
La construction fondamentale est la suivante. On se fixe un réel A >
1 (qui sera appelé à être grand) et on introduit une suite croissante de
rectangles (voir la figure 2.6)
D2 = [−2, 2]2 ⊆ D1 = [−2, 2] × [−2A, 2A] ⊆ D0 = [−2A, 2A]2 .
Pour i = 1, 2, il existe une application
1
(R2 )
Ψi : Ui −→ Dif f0,c
56
Chapitre 2. Difféomorphismes de surfaces
D1
D0
D2
Fig. 2.6 – D2 ⊆ D1 ⊆ D0
où
1
(R2 ) | supp(u) ⊆ Di−1 }
Ui = {u ∈ Dif f0,c
est un C 1 -voisinage de l’identité dans l’ensemble des C 1 -difféomorphismes
de R2 à support dans Di−1 , et telle que Ψi (Ui ) soit inclus dans Ui+1 . Cette
application Ψi vérifie les propriétés suivantes, pour tout u appartenant à
Ui :
(1) Ψi (1) = 1 ;
(2) si u est de classe C r,α , il en est de même pour Ψi (u) ;
(3) l’application Ψi restreinte aux C r -difféomorphismes est continue ;
r
(4) si u est de classe C r,α , alors [u] = [Ψi (u)] dans Dif f0,c
(R2 , α) ;
r,α
(5) il existe δ > 0, C > 0 tels que si u est de classe C , alors
µr,α (u) < δ =⇒ µr,α (Ψi (u)) ≤ CAµr,α (u).
Remarquons que par les propriétés (1) et (3), quitte à rétrécir Ui , on peut
supposer que u est isotope à l’identité par une isotopie à support dans
l’intérieur de Di−1 et que Ψi (u) est isotope à l’identité par une isotopie à
support dans l’intérieur de Di . En utilisant ceci ainsi que la propriété (2),
r
on obtient que si u est de classe C r,α , u et Ψi (u) sont dans Dif f0,c
(R2 , α),
ce qui nous assure que la propriété (4) a bien un sens. La propriété (4) et
l’estimation (5) seront cruciales.
Admettons pour le moment l’existence de ces applications Ψi et de leurs
propriétés et montrons dans ce paragraphe comment le théorème 2.4.3 s’en
déduit. On note (abusivement) A l’application de R2 qui est la multiplir
cation par le réel A. Prenons f dans Dif f0,c
(R2 , α) proche de l’identité
57
Abed Bounemoura
r
(R2 , α)
et à support dans l’intérieur de D2 . Pour u appartenant à Dif f0,c
également proche de l’identité et à support dans l’intérieur de D2 , on définit
le difféomorphisme
ũ = Ψ2 Ψ1 (Af uA−1 ).
r
Puisque [Af uA−1 ] = [f u] dans Dif f0,c
(R2 , α) (on peut facilement construire
r
(R2 , α) tel que Ã|D2 = A), on obtient
à ∈ Dif f0,c
[ũ] = [f u]
par la propriété (4). Ainsi, si l’on parvient à trouver un difféomorphisme u
tel que ũ = u, on obtient le résultat escompté, à savoir [f ] = 0. On note
alors RA,f (u) = ũ, et l’on part ainsi à la recherche d’un point fixe, dans un
espace convenable, pour RA,f . Pour ε > 0, on définit la boule
r
Bε = {u ∈ Dif f0,c
(R2 , α) | supp(u) ⊆ int(D2 ), µr,α (u) ≤ ε}.
Il n’est pas difficile de vérifier que, pour la C r -topologie, Bε est un compact
convexe. Par le théorème de point fixe de Leray-Schauder, toute application
continue de Bε dans lui-même possède un point fixe. On définit alors
r
(R2 , α).
RA,f : Bε −→ Dif f0,c
Par la propriété (3), RA,f est continue. Il suffit donc d’établir le lemme
suivant.
Lemme 2.4.6. Avec les notations précédentes, il existe un réel A et ε > 0
tels que si µr,α (f ) ≤ ε, alors
RA,f (Bε ) ⊆ Bε .
Démonstration. Soit u ∈ Bε , par le lemme 2.4.5, on obtient
µr,α (f u) ≤ 3ε
pour ε suffisamment petit. De l’inégalité
µr,α (Af uA−1 ) ≤ A1−r µr,α (f u)
il vient
µr,α (Af uA−1 ) ≤ 3A1−r ε.
On fixe maintenant ε suffisamment petit pour que l’on puisse appliquer la
propriété (5) à Af uA−1 et Ψ1 (Af uA−1 ) et obtenir
µr,α (RA,f (u)) ≤ 3C 2 A1−r+2 ε
où C est la constante (indépendante de A) apparaissant dans l’estimation
(5). On a 1 − r + 2 < 0 par hypothèse (c’est ici qu’intervient la condition
58
Chapitre 2. Difféomorphismes de surfaces
sur le degré r), donc en fixant A suffisamment grand, on a 3C 2 A1−r+2 < 1
ce qui donne
µr,α (RA,f (u)) ≤ ε.
De plus, on vérifie facilement que RA,f (u) est à support dans l’intérieur de
D2 , ce qui conclut la preuve du lemme.
D’après la discussion précédente, il nous reste donc à construire notre
application Ψi et de vérifier les propriétés de (1) à (5). Dans la suite, on ne
précise plus que i = 1, 2 pour ne pas alourdir le texte. Cette construction
étant longue et parfois technique, on va seulement en donner une idée et
l’on renvoie à [Mat74a] ou [Hal95] pour des arguments détaillés.
(a) Construction de transformations auxiliaires.
Dans ce paragraphe, on construit quelques transformations qui vont nous
être utile pour établir un critère de conjugaison. On se donne ρ une fonction lisse à valeurs réelles, à support dans [−2A − 1, 2A + 1] et qui vaut
identiquement 1 sur [−2A, 2A]. Par abus, on note encore ρ la fonction sur
R2 définie par
ρ(x1 , x2 ) = ρ(x1 )ρ(x2 )
et qui est à support dans [−2A − 1, 2A + 1]2 . On note ∂i le i-ème champ
de vecteurs coordonnées, et l’on définit
τi = exp(ρ∂i )
i.e. τi est le temps 1 du flot de ρ∂i . Notons que τi est un difféomorphisme
à support dans [−2A − 1, 2A + 1]2 . On définit également une application
ϕi , uniquement déterminée par les conditions suivantes :
(i) son domaine de définition est
Dom(ϕi ) = {x ∈ R2 | |xj | ≤ 2A + 1, j 6= i};
(ii) (ϕi )∗ (∂i ) = ρ∂i ;
(iii) ϕi|D0 = 1.
L’application ϕi est ainsi un difféomorphisme sur son image, elle préserve
les droites dont la coordonée xj , j 6= i, est constante et “contracte” la
bande Dom(ϕi ) sur le carré [−2A − 1, 2A + 1]2 (voir la figure 2.7). Une
manière équivalente de définir ϕi est de prendre (ψit )t∈R le flot de ρ∂i et de
poser
ϕ1 (x1 , x2 ) = ψ1x1 (0, x2 ) ; ϕ2 (x1 , x2 ) = ψ2x2 (x1 , 0).
Enfin, notons Ti la translation unitaire dans la i-ème direction. Ainsi
Ti = exp(∂i )
et puisque τi = exp(ρ∂i ) et (ϕi )∗ (∂i ) = ρ∂i , il est clair que ϕi conjugue Ti
à τi , i.e. τi = ϕi Ti (ϕi )−1 .
59
Abed Bounemoura
x2 = 2A + 1
ϕ1
Im(ϕ1 )
ϕ1
D0
Dom(ϕ1 )
Dom(ϕ1 )
x2 = −2A − 1
Fig. 2.7 – Action de ϕ1
(b) Un lemme de conjugaison.
Soient u et v des C r,α -difféomorphismes, tous deux à support dans D0
et C 1 -proches de l’identité. On donne dans ce paragraphe une condition
suffisante pour que les difféomorphismes τi u et τi v soient conjugués dans
r
Dif f0,c
(R2 , α), par un procédé d’ “enroulement” de u et v.
On introduit les cylindres C1 = T × R et C2 = R × T et πi : R2 → Ci
la projection canonique. On note pi : R2 → R l’application qui oublie la
i-ème coordonnée et, de manière abusive, on note également pi : Ci → R.
On définit alors une application
Γi (u) : Ci −→ Ci
de la manière suivante. Soient ζ appartenant à Ci et x un élément de R2
qui relève ζ (i.e. πi (x) = ζ) et qui vérifie xi < −2A. On se donne N
suffisamment grand pour que
((Ti u)N (x))i > 2A.
On pose alors
Γi (u)(ζ) = πi ((Ti u)N (x)).
On vérifie sans peine que Γi (u) ne dépend pas du choix de N et de x puisque
u est l’identité à l’extérieur de D0 . En faisant une construction similaire,
on montre que Γi (u) est inversible et que c’est donc un difféomorphisme
de classe C r,α (au sens où ses relevés à R2 sont des difféomorphismes de
classe C r,α ). Remarquons que Γi (1) = 1 et si ζ vérifie |ζj | < 2A pour j
différent de i, alors Γi (u)(ζ) = ζ. L’application Γi est définie sur un ensemble de difféomorphismes, à support dans D0 , et C 1 -proches de l’identité
r
r
dans Dif f0,c
(R2 , α) et elle est à valeurs dans l’espace Dif f0,c
(Ci , α) : pour
r
la C -topologie sur l’espace de départ et l’espace d’arrivée, Γi est continue.
60
Chapitre 2. Difféomorphismes de surfaces
De plus, on peut estimer explicitement µr,α (Γi (u)) en fonction de µr,α (u)
à l’aide du lemme 2.4.5 (voir [Eps84] ou [Hal95] pour ces vérifications).
On a une action évidente de T sur notre cylindre Ci . On note Gi le groupe
des difféomorphismes de Ci , de classe C r,α et équivariant sous l’action de
T. Voici le lemme de conjugaison de Mather.
Lemme 2.4.7 (Mather). Soient u et v des C r,α -difféomorphismes à support dans D0 et C 1 -proches de l’identité. Si Γi (v)Γi (u)−1 appartient à Gi ,
r
alors les difféomorphismes τi u et τi v sont conjugués dans Dif f0,c
(R2 , α).
En particulier, on a
r
[u] = [v] ∈ H1 (Dif f0,c
(R2 , α)).
La preuve de ce lemme est technique, on va seulement donner l’idée et
on renvoie aux références pour les détails. Il n’est pas difficile de voir que
pour N suffisamment grand, l’application
Λi (x) = (Ti v)N (Ti u)−N (x)
définit un difféomorphisme de R2 de classe C r,α qui conjugue Ti u et Ti v.
Maintenant, on dispose d’un difféomorphisme
ϕi : Dom(ϕi ) −→ [−2A − 1, 2A + 1]2
conjugue τi u à τi v mais
qui conjugue Ti et τi . Ceci implique que ϕi Λi ϕ−1
i
seulement sur son domaine de définition, à savoir [−2A − 1, 2A + 1]2 . Le
problème (technique) est donc de prolonger ϕi Λi ϕ−1
i en un difféomorphisme
de R2 de classe C r,α , et c’est ici qu’intervient l’hypothèse essentielle que
Γi (v)Γi (u)−1 commute à l’action de T.
(c) Construction des applications Ψi .
Passons maintenant à la construction des applications Ψi . Rappelons
que pour un élément u à support dans l’intérieur de Di−1 , de classe C 1
et C 1 -proche de l’identité, on souhaite définir v = Ψi (u) à support dans
l’intérieur de Di , de classe C 1 et C 1 -proche de l’identité.
Notons θi la coordonnée angulaire de Ci . Si u est suffisamment petit, il
existe un unique difféomorphisme hi de Ci tel que hi soit l’identité sur {θi =
−1
0} et qui vérifie hi Γ−1
i (u) ∈ Gi . De manière équivalente, gi = hi Γi (u) est
l’unique élément de Gi qui coı̈ncide avec Γi (u) sur {θi = 0}, on peut alors
donner une formule explicite, par exemple
g1 (θ, r) = Γ1 (u)(0, r) + (θ, 0)
;
g2 (r, θ) = Γ1 (u)(r, 0) + (0, θ).
De plus, hi est proche de l’identité car c’est le cas pour Γi (u). En utilisant une fonction plateau, on peut décomposer hi = h1i h0i avec h1i , h0i des
difféomorphismes de Ci tels que h1i soit l’identité au voisinage de {θi = 0}
61
Abed Bounemoura
et h0i soit l’identité au voisinage de {θi = 1/2}. Introduisons maintenant
les ensembles
Ei− = {x ∈ R2 | − 3/2 < xi < −1/2}
;
Ei+ = {x ∈ R2 | 0 < xi < 1}
et définissons un difféomorphisme v de R2 de la manière suivante : v est
l’identité sur R2 \ (Ei− ∪ Ei+ ), il est semi-conjugué à h0i sur Ei− , i.e.
(πi v)|E − = (h0i πi )|E −
i
et il est semi-conjugué à
h1i
sur
Ei+ ,
i
i.e.
(πi v)|E + = (h1i πi )|E + .
i
i
On pose finalement Ψi (u) = v. Le difféomorphisme u étant à support dans
Di−1 , il est clair que Ψi (u) est à support dans Di . Par construction, on a
Γi (v) = h1i h0i = hi
de telle sorte que Γi (v)Γ−1
i (u) appartienne à Gi . Les difféomorphismes τi u
r
et τi v sont donc conjugués dans Dif f0,c
(R2 , α) par le lemme 2.4.7, ce qui
permet de conclure que
r
[u] = [Ψi (u)] = [v] ∈ H1 (Dif f0,c
(R2 , α)).
On obtient ainsi la propriété (4). Les propriétés (1) et (2) sont évidentes
par construction. La propriété (3) provient du fait que l’application Γi est
continue pour les C r -topologies. Enfin la propriété (5) résulte essentiellement de l’estimation de µr,α (Γi (u)) en fonction de µr,α (u). Ceci termine
l’esquisse de la preuve du théorème de Mather 2.4.3.
Terminons ce chapitre par quelques remarques. Comme il a déjà été
mentionné, l’argument précédent montre de manière plus générale que le
groupe des C r -difféomorphismes d’une variété compacte M de dimension
n est parfait si r 6= n + 1. En termes d’espaces classifiants de feuilletages
(voir la section précédente), on obtient le corollaire suivant.
Corollaire 2.4.8. L’espace BΓrn est (n + 1)-connexe pour r 6= n + 1.
Pour r = +∞, ce schéma de démonstration a été adapté par Epstein
([Eps84]) pour redémontrer la simplicité du groupe Dif f0∞ (M ) pour une
variété compacte M .
Enfin pour r = n + 1, la question reste totalement ouverte. Pour illustrer
la subtilité de ce problème, mentionnons un très joli exemple dû à Mather
([Mat85]). En notant G le groupe des C 1 -difféomorphismes de R à support
compact et dont la dérivée est à variation borné, on peut construire de
manière simple un morphisme de groupe surjectif
π : G −→ R
et en déduire que ce groupe G n’est pas parfait. En revanche, la restriction de ce morphisme au groupe des C 2 -difféomorphismes de R à support
compact est identiquement nulle.
Chapitre 3
Difféomorphismes
conservatifs
Soit M une surface compacte munie d’une forme volume ω, i.e. d’une
2-forme différentielle
lisse sur M partout non nulle, que l’on suppose norR
malisée par M ω = 1. Une application lisse g : M → M préserve l’aire si on
a g ∗ ω = ω, ce qui revient à demander que son jacobien soit constant égal à
1. On note alors Dif f ∞ (M, ω) le groupe des difféomorphismes préservant
l’aire, et Dif f ∞ (M, ∂M, ω) son analogue dans le cas à bord.
Contrairement au cas non conservatif, on va montrer que la composante
connexe de l’identité de ces groupes n’est pas simple en général. En effet,
sous l’hypothèse de non-nullité du premier groupe d’homologie de M , on
sait construire un morphisme de groupe non trivial de Dif f0∞ (M, ω) vers
R. Donnons un exemple simple d’un tel invariant sur le tore T2 .
Soit ϕ ∈ Dif f0∞ (T2 , ω), où ω est une forme volume quelconque (on
pourrait en fait choisir la forme volume canonique sans perte de généralité).
On voit T2 comme R2 /Z2 et on relève ϕ en un difféomorphisme du plan
ϕ̃ en relevant une isotopie de ϕ à l’identité. Ainsi ϕ̃ commute à l’action de
π1 (T2 ) ∼
= Z2 sur R2 , donc si on se fixe un point x ∈ T2 et un relevé x̃ de
x, le vecteur ϕ̃(x̃) − x̃ ∈ R2 ne dépend que de x (et pas de x̃). Il mesure le
déplacement de x sous l’isotopie, i.e. le nombre de tours sur le tore, dans les
directions verticales et horizontales, qu’effectue x sous l’action de l’isotopie.
R
Si µ désigne la mesure de probabilité associée à ω (i.e. µ(A) = A ω), on
définit alors le déplacement moyen de l’isotopie par le vecteur
Z
(ϕ̃(x̃) − x̃)dµ(x).
T2
Quitte à considérer ce nombre dans T2 , il ne dépend plus que de ϕ et µ.
On le note ρ(ϕ, µ) : c’est le vecteur de rotation (ou de translation) de ϕ
62
63
Abed Bounemoura
associé à µ. L’invariance de µ entraı̂ne facilement que l’application
ρ
:
Dif f0∞ (T2 , ω)
ϕ
−→
7−→
T2
ρ(ϕ, µ)
est un morphisme de groupes et en particulier que ρ(ϕ, µ) est un invariant
de conjugaison. Ce morphisme est évidemment surjectif : la rotation R α de
vecteur α ∈ T2 a bien sûr un vecteur de rotation α. Son noyau définit ainsi
un sous-groupe normal propre de Dif f0∞ (T2 , ω).
Dans ce chapitre, on va commencer par généraliser cette construction
à une surface compacte M quelconque, et ce de diverses manières sous
le nom générique de premier invariant de Calabi. Ceci établira la nonsimplicité de Dif f0∞ (M, ω) pour toutes les surfaces mises à part la sphère
et le disque. On étudiera ensuite le noyau de ce morphisme, qui coı̈ncide
avec le groupe des difféomorphismes hamiltoniens. Si M est sans bord, on
expliquera un théorème de Banyaga qui énonce que ce noyau est simple. Si
M est à bord, on construira un second invariant de Calabi sur le groupe
des difféomorphismes hamiltoniens ; le théorème de Banyaga affirme encore
une fois que le noyau de ce second invariant est simple.
3.1
Premier invariant de Calabi
Pour simplifier, on va commencer par le cas où notre surface M est
fermée. On peut naturellement se demander si le choix de ω a une quelconque influence sur les propriétés algébriques de Dif f0∞ (M, ω). La réponse
est donnée par le théorème classique suivant ([Mos65]).
Théorème 3.1.1 (Moser). Soient ω0 , ω1 deux formes volumes sur M
de masse totale 1. Alors il existe un élément ϕ dans Dif f0∞ (M ) tel que
ϕ∗ ω 1 = ω 0 .
En particulier, les propriétés algébriques de Dif f0∞ (M, ω) ne dépendent
pas du choix de ω car deux formes volumes distinctes nous donnent des
sous-groupes conjugués dans Dif f0∞ (M ).
Démonstration. Voici une preuve “à la Moser”. Considérons le chemin de
formes volumes ωt = tω1 + (1 − t)ω0 (l’ensemble des formes volumes est
convexe). Il suffit de trouver une isotopie (ϕt )t∈[0,1] dans Dif f0∞ (M ) qui
vérifie, pour tout t appartenant à [0, 1],
ϕt∗ ωt = ω0
car son temps 1 est une solution à notre problème. Puisque ϕ0∗ ω0 = ω0 ,
on est donc ramené à l’équation
d t∗
(ϕ ωt ) = 0.
dt
64
Chapitre 3. Difféomorphismes conservatifs
Remarquons que pour résoudre cette équation, il suffit de trouver un champ
de vecteurs Xt (dépendant du temps) tel que
d
ωt = 0
dt
car par compacité de M , Xt s’intégrerait en l’isotopie recherchée. D’une
part, puisque ωt est fermée pour tout t dans [0, 1], la formule de Lie-Cartan
nous donne LXt ωt = diXt ωt . D’autre part,
LX t ω t +
d
ωt = ω 1 − ω 0
dt
R
R
est cohomologue à zéro car M ω0 = M ω1 , elle s’écrit donc dα pour une
1-forme α. Tout revient alors à résoudre l’équation
iX t ω t + α = 0
qui possède évidemment une solution Xt par non-dégénérescence de ωt .
Passons maintenant à la construction d’un morphisme non trivial sur le
groupe Dif f0∞ (M, ω), qu’on appelle “premier invariant de Calabi” ([Cal70]).
Il y a plusieurs constructions possibles, avec des interprétations différentes
selon que l’on considère ce morphisme à valeurs dans le premier groupe
d’homologie ou de cohomologie. Dans tous les cas, il est plus commode de
commencer par définir ce morphisme sur les isotopies.
^
On note Dif
f0∞ (M, ω) le revêtement universel de Dif f0∞ (M, ω). Par le
théorème de Moser, Dif f0∞ (M ) agit transitivement sur l’espace V (M ) des
formes volumes normalisées, avec un sous-groupe d’isotropie qui est par
définition Dif f0∞ (M, ω). L’espace V (M ) étant convexe, on déduit de la
suite exacte d’homotopie associée à la fibration
Dif f0∞ (M, ω) −→ Dif f0∞ (M ) −→ V (M )
que la première inclusion est une équivalence d’homotopie. En particulier,
puisque Dif f0∞ (M ) est localement contractile, il en est de même pour le
^
groupe Dif f0∞ (M, ω). Ainsi, un élément de Dif
f0∞ (M, ω) est une classe
d’homotopie (à extrémités fixes) de chemins
t ∈ [0, 1] 7−→ ϕt ∈ Dif f0∞ (M, ω)
avec ϕ0 = 1.
Prenons donc Φ = (ϕt )t∈[0,1] une isotopie dans le groupe Dif f0∞ (M, ω)
et soit Xt son champ de vecteurs tangent, i.e. le champ défini pour tout t
dans [0, 1] par
d t
ϕ = X t ϕt .
dt
Puisque Φ préserve l’aire, la divergence de Xt est nulle donc la 1-forme
iXt ω est fermée pour tout t appartenant à [0, 1].
65
Abed Bounemoura
Définition 3.1.2. Le flux d’une isotopie Φ dans Dif f0∞ (M, ω) est défini
par la classe de cohomologie
Z 1
[iXt ω]dt ∈ H 1 (M, R).
F lux(Φ) =
0
En réalité, le flux de Φ ne dépend que de la classe d’homotopie de Φ
(à extrémités fixes). Pour montrer cela, on va donner une interprétation
géométrique du morphisme de flux (voir la figure 3.1). En utilisant l’identification
H 1 (M, R) ∼
= Hom(H1 (M, R), R)
regardons l’action de F lux(Φ) sur [γ] ∈ H1 (M, R).
Lemme 3.1.3. Le nombre F lux(Φ).[γ] représente l’aire algébrique balayée
par le lacet γ sous l’isotopie Φ. En particulier, il ne dépend que de la classe
d’homotopie de Φ.
ϕ1 (γ)
+
+
−
γ
Fig. 3.1 – Interprétation géométrique de F lux(Φ).γ
Démonstration. On calcule
F lux(Φ).[γ]
=
=
=
Z
Z
1
0
1
Z0
Z
Z
iXt ωdt
γ
1
ω(Xt (γ(s)), γ̇(s))dtds
0
(Φγ)∗ ω
[0,1]×T
où Φγ : [0, 1] × T → M est définie par Φγ(t, θ) = ϕt (γ(θ)). Le flux ne
dépend que de la classe d’homologie de γ, puisque si γ 0 est homologue à γ,
66
Chapitre 3. Difféomorphismes conservatifs
le théorème de Stokes et le fait que iXt ω soit fermée pour tout t implique
que
Z
Z
iX t ω =
iXt ω.
γ
γ0
La quantité
F lux(Φ).[γ] =
Z
(Φγ)∗ ω
[0,1]×T
s’interprète bien comme l’aire algébrique du “cylindre singulier” bordé par
γ et ϕ1 (γ) et balayé par Φ.
Donnons-nous maintenant Φ0 une isotopie homotope (à extrémités fixes)
à Φ. Il s’en suit que (Φ0 γ)∗ ω est cohomologue à (Φγ)∗ ω, et donc par le
théorème de Stokes, F lux(Φ0 ).[γ]−F lux(Φ).[γ] est une intégrale sur le bord
de [0, 1] × T, qui s’annule car l’homotopie entre Φ0 et Φ est à extrémités
fixes. Ceci prouve que F lux(Φ).[γ] ne dépend que de [Φ].
Proposition 3.1.4. Le flux définit un morphisme de groupe surjectif
F lux :
^
Dif
f0∞ (M, ω)
[Φ]
−→
7−→
H 1 (M, R)
R1
[i ω]dt.
0 Xt
Démonstration. Le lemme précédent nous assure que
^
F lux : Dif
f0∞ (M, ω) −→ H 1 (M, R)
est une application bien définie.
On vérifie facilement que c’est un morphisme de groupes : il suffit de
^
considérer la loi de groupe dans Dif
f0∞ (M, ω) comme la concaténation
des chemins puis d’utiliser la linéarité de l’intégrale pour obtenir
F lux(Φ ∗ Ψ).[γ] = F lux(Ψ).[γ] + F lux(Φ).[ψ 1 (γ)]
et on conclut en utilisant le fait que [ψ 1 (γ)] = [γ]. Enfin, si α ∈ H 1 (M, R),
la non-dégénérescence de ω nous donne un unique champ de vecteurs autonome X tel que iX ω = α, son flot (φt )t∈[0,1] vérifie alors F lux((φt )t∈[0,1] ) =
α, ce qui démontre la surjectivité.
On définit le groupe de flux par
Γω = F lux(π1 (Dif f0∞ (M, ω))) ⊆ H 1 (M, R).
En notant
Pω =
½Z
2
ω | C ∈ H (M, Z)
C
¾
⊆R
le groupe des périodes de ω, le groupe de flux Γω est en fait un sous-groupe
de H 1 (M, Pω ). En particulier, Γω est toujours dénombrable. On obtient
ainsi un morphisme surjectif
F lux : Dif f0∞ (M, ω) −→ H 1 (M, R)/Γω
67
Abed Bounemoura
que l’on appelle encore morphisme de flux (et que l’on note abusivement de
la même manière). Voyons ce que devient ce morphisme sur des exemples.
Exemple 3.1.5 (La sphère S2 ). Son premier groupe de cohomologie est
trivial donc il en est de même du morphisme de flux.
Exemple 3.1.6 (La surface Σg , g > 1). La situation est maintenant
plus intéressante. Dans ce cas, le morphisme est non trivial mais
Γω = F lux(π1 (Dif f0∞ (Σg , ω)))
est trivial car Dif f0∞ (Σg , ω) est contractile. Voici une petite explication de
ce fait. Par une remarque précédente, il suffit de prouver que Dif f 0∞ (Σg )
est contractile, car il a le même type d’homotopie que Dif f0∞ (Σg , ω). Pour
cela, on considère M (Σg ) l’espace des structures (presque) complexes sur
Σg . On fait alors agir Dif f0∞ (Σg ) sur M (Σg ), et on montre que cette
action est propre et libre et nous donne une fibration au dessus du quotient
M (Σg )/Dif f0∞ (Σg )
qui s’identifie naturellement à l’espace de Teichmüller de Σg . Ce dernier
est contractile (car homéomorphe à R6g−6 via les coordonnées de FenchelNielsen). L’espace total M (Σg ) étant contractile, la suite exacte d’homotopie associée à la fibration nous donne la contractibilité de Dif f0∞ (Σg ) (pour
plus de détails, voir [EE69]). Au final, on obtient
F lux : Dif f0∞ (Σg , ω) −→ H 1 (Σg , R) ∼
= R2g .
Exemple 3.1.7 (Le tore T2 ). Cette fois ci, on trouve
π1 (Dif f0∞ (T2 , ω)) ∼
= Z2
avec des méthodes analogues aux précédentes. On a alors Γω ∼
= H 1 (T2 , Z)
et on obtient donc
F lux : Dif f0∞ (T2 , ω) −→ H 1 (T2 , R)/H 1 (T2 , Z) ∼
= T2 .
On peut même donner une formule explicite dans ce cas (voir [MS98] pour
∞
2
e
le calcul). Soient Φ = (ϕt )t∈[0,1] un élément de Dif f^
0 (T , ω), et Φ =
t
2
0
(ϕ̃ )t∈[0,1] son relèvement à R tel que ϕ̃ soit l’identité. Alors en notant
(a1 , a2 ) = J
Z
(ϕ̃1 (x̃) − x̃)dµ(x) ∈ R2
T2
où J est la structure complexe canonique de R2 , on trouve
F lux(Φ) = a1 dx1 + a2 dx2 ∈ H 1 (T2 , R).
68
Chapitre 3. Difféomorphismes conservatifs
Le flux est donc nul si et seulement si
Z
(ϕ̃1 (x̃) − x̃)dµ(x) = 0
T2
ce qui signifie géométriquement que ϕ (ou plus exactement ϕ̃1 ) préserve le
centre de masse.
Remarque 3.1.8. Le groupe de flux Γω est toujours dénombrable. Une question, connue sous le nom de la conjecture du flux et qui fût longtemps
un problème ouvert, était de savoir si Γω est un sous-groupe discret de
H 1 (M, Pω ) (pour la topologie induite). On vient de voir que c’est toujours le
cas pour les surfaces fermées (c’est aussi vrai pour les surfaces ouvertes car
alors le groupe est trivial, voir plus loin), la question est donc intéressante
pour les variétés symplectiques (M, ω) en dimension plus grande. On peut
montrer sans trop de difficulté que la réponse est positive si ω est à périodes
entières (i.e. Pω est discret, comme pour le tore T2n muni de sa forme symplectique canonique) ou si ω provient d’une forme de Kähler (comme pour
CP n muni de la forme de Fubini-Study).
Cette question est importante car elle équivaut à la fermeture du groupe
Ham(M, ω) dans Symp(M, ω) pour la topologie C 1 (voir la prochaine section pour les définitions). D’autres cas particuliers ont été résolus, mais ce
n’est que très récemment que Ono ([Ono06]) a démontré le résultat dans
toute sa généralité pour une variété fermée.
Donnons maintenant une autre construction, équivalente au morphisme
de flux, à valeurs cette fois dans le H1 (M, R) (voir [Ghy03] par exemple).
C’est la notion de cycle asymptotique de Schwartzman (ou de vecteur de
rotation, par analogie avec le cas du tore).
^
Pour Φ un élément de Dif
f0∞ (M, ω), on définit Sch(Φ) ∈ H1 (M, R) par
son action sur les classes de cohomologie de 1-formes différentielles fermées.
Prenons x dans M , et notons γΦ,x le chemin de x à ϕ(x) obtenu en suivant
l’isotopie. Soit [α] ∈ H 1 (M, R) une classe de cohomologie, on peut alors
intégrer l’un de ses représentants le long de la courbe γΦ,x pour obtenir
une fonction de x puis faire la moyenne sur M . On pose
!
Z ÃZ
α dµ(x) ∈ R.
Sch(Φ).α =
M
γΦ,x
Si α est exacte, on vérifie sans peine que Sch(Φ).α = 0 (essentiellement
parce que ϕ préserve la mesure) donc Sch(Φ) est bien défini sur le H 1 (M, R).
La linéarité de l’intégrale nous donne aussitôt que Sch(Φ) est une forme
linéaire, donc Sch(Φ) est un élément de H1 (M, R).
Comme pour le morphisme de flux, cette expression ne dépend que de la
classe d’homotopie à extrémités fixes de Φ, donc on a une application
^
Sch : Dif
f0∞ (M, ω) −→ H1 (M, R).
69
Abed Bounemoura
^
De plus, si ψ est le temps 1 d’une isotopie Ψ ∈ Dif
f0∞ (M, ω), on a
!
Z ÃZ
Sch(Φ ∗ Ψ).α
α dµ(x)
=
M
Z
=
Z
=
=
M
M
ÃZ
ÃZ
γΦ∗Ψ,x
!
α dµ(x) +
γΨ,x
!
α dµ(x) +
γΨ,x
Z
Z
M
M
ÃZ
ÃZ
!
α dµ(x)
γΦ,ψ(x)
!
α dµ(x)
γΦ,x
Sch(Ψ).α + Sch(Φ).α.
Tout ceci nous assure que l’invariant de Schwartzman définit bien un morphisme de groupes. Le lien avec le morphisme de flux s’obtient par dualité
de Poincaré :
¶
Z µZ 1
Z
iXt ωdt ∧ α
F lux(Φ) ∧ α =
M
=
=
=
=
ce qui nous donne bien
Z
Z
Z
Z
Z
M
M
M
M
M
F lux(Φ) ∧ α
Z
Z
0
1
iXt ω ∧ αdt
0
1
iXt α ∧ ωdt
0
µZ
1
ÃZ0
¶
iXt α(x)dt dµ(x)
!
α dµ(x)
γΦ,x
=
Sch(Φ).α.
M
Comme pour le morphisme de flux, on définit
Sch : Dif f0∞ (M, ω) −→ H1 (M, R)/Γ0ω
où Γ0ω = Sch(π1 (Dif f0∞ (M, ω))).
Exemple 3.1.9 (Le tore T2 ). Prenons ϕ un élément de Dif f0∞ (T2 , ω),
temps 1 d’une isotopie Φ. Soient ϕ̃ un relevé de ϕ obtenu en relevant l’isotopie, et x̃ un relevé de x. On souhaite vérifier directement que Sch(ϕ) nous
donne le vecteur de rotation. Pour cela, soit dx1 , dx2 la base canonique de
H 1 (T2 , R), on a alors
!
ÃZ
Z
dx2
dx1 ,
γΦ,x
γΦ,x
= ϕ̃(x̃) − x̃ ∈ R2
70
Chapitre 3. Difféomorphismes conservatifs
R
ce qui nous donne Sch(Φ) = M (ϕ̃(x̃) − x̃)dµ(x), et donc en éliminant la
dépendance vis-à-vis du choix de l’isotopie Φ (et donc de ϕ̃), on a bien
Z
(ϕ̃(x̃) − x̃)dµ(x) ∈ T2 .
Sch(ϕ) =
M
Donnons enfin une dernière approche plus “dynamique” de cet invariant,
proche de l’idée originale de Schwartzman (voir [Sch57]). Revenons un
instant à notre exemple introductif, à savoir le vecteur de rotation d’un
difféomorphisme du tore isotope à l’identité. Soient ϕ ∈ Dif f0∞ (T2 , ω) et
ϕ̃ un relevé de ϕ. On se donne un point x dans T2 et un relevé x̃ dans R2 .
On peut alors lui associer un vecteur de rotation ρ(ϕ̃, x̃) appartenant à R2
si la limite
1 n
(ϕ̃ (x̃) − x̃)
ρ(ϕ̃, x̃) = lim
n→+∞ n
existe. Un autre choix pour ϕ̃ ou x̃ nous donne la même limite modulo
Z2 , on peut donc définir un vecteur ρ(ϕ, x) ∈ T2 . Une simple application
du théorème ergodique de Birkhoff nous assure que ρ(ϕ, x) existe pour
µ-presque tout x et que sa valeur moyenne est
Z
ρ(ϕ, x)dµ(x) = ρ(ϕ, µ).
T2
C’est cette version “asymptotique” que l’on va généraliser aux surfaces
quelconques. On reprend les notations précédentes.
Commençons par étendre notre isotopie Φ = (ϕt )t∈[0,1] pour des temps
t ∈ R par la formule
ϕt+1 = ϕt ϕ1 .
Notons γn (x) le segment d’orbite entre x et ϕn (x) pour un entier n, et γ̃n (x)
le lacet obtenu en fermant le chemin γn (x) par une géodésique minimale
entre x et ϕn (x) (on a seulement besoin de joindre deux points quelconques
par une courbe de longueur uniformément bornée).
Alors [γ̃n (x)] ∈ H1 (M, R), et la limite
ρ(Φ, x) = lim
n→+∞
1
[γ̃n (x)]
n
si elle existe, représente le “déplacement homologique moyen” de x sous
l’isotopie. Son action sur les classes de cohomologie [α] ∈ H 1 (M, R) est
donnée par
Z
1
ρ(Φ, x).α = lim
α.
n→+∞ n γ̃ (x)
n
Nous allons montrer que cette limite existe pour µ-presque tout x et qu’en
notant
¶
Z
Z µ
1
ρ(Φ, µ) =
[γ̃n (x)] dµ(x)
ρ(Φ, x)dµ(x) =
lim
M
M n→+∞ n
71
Abed Bounemoura
on a l’égalité
Sch(Φ) = ρ(Φ, µ) ∈ H1 (M, R).
Pour vérifier cette relation, étudions l’action de ρ(Φ, µ) sur [α] ∈ H 1 (M, R).
On veut donner un sens à l’expression suivante :
!
Z Ã
Z
1
α dµ(x).
ρ(Φ, µ).α =
lim
n→+∞ n γ̃ (x)
M
n
Or
Z
α=
γ̃n (x)
Z
α+
γn (x)
Z
α
c
R
où c est une géodésique minimale entre x et ϕn (x), donc | c α| < K avec
une constante K qui ne dépend ni de x, ni de n. L’expression
!
Ã
Z
n−1 Z
n−1
1
1X
1X
α =
α=
f (ϕk (x))
n γn (x)
n
n
γ1 (ϕk (x))
k=0
k=0
est une somme de Birkhoff pour la fonction f (x) =
la convergence de la suite
Z
1
α.
n γn (x)
R
γ1 (x)
α, ce qui prouve
pour µ-presque tout point x. Puisque
¯
¯ Z
Z
¯ K
¯1
1
¯
¯
α−
α¯ ≤
¯
¯ n γ̃n (x)
n γn (x) ¯
n
la suite
1
n
Z
α
γ̃n (x)
converge également µ-presque partout et vers la même limite. De plus, le
théorème de Birkhoff nous donne la moyenne de cette limite
!
!
Z ÃZ
Z
Z Ã
1
α dµ(x) =
α dµ(x).
ρ(Φ, µ).α =
lim
n→+∞ n γ̃ (x)
M
γ1 (x)
M
n
Ceci montre bien que Sch(Φ) = ρ(Φ, µ), puisque le chemin γ1 (x) est
exactement ce qu’on avait appelé γΦ,x précédemment.
Remarque 3.1.10. Dans le dernier chapitre, on donnera encore une autre
construction de ce morphisme, valable dans un cadre purement topologique.
On peut d’ores et déjà remarquer que l’on peut définir ρ(Φ, µ) pour une mesure borélienne invariante µ arbitraire, et pas seulement pour une mesure
provenant d’une forme volume.
72
Chapitre 3. Difféomorphismes conservatifs
Toutes les constructions précédentes restent valables pour une surface à
bord M , sous la restriction que l’isotopie fixe un voisinage du bord. On
peut même donner une formule plus simple, car dans ce cas la forme symplectique est exacte, i.e. ω = dλ (puisque le second groupe de cohomologie
de la surface est trivial). En effet, si ϕ ∈ Dif f0∞ (M, ∂M, ω) est le temps 1
d’une isotopie Φ = (ϕt )t∈[0,1] fixant un voisinage du bord, on a
[iXt ω] =
d t∗
[ϕ λ]
dt
et donc
F lux(Φ) = [ϕ∗ λ − λ]
ne dépend que ϕ. On obtient ainsi des morphismes non triviaux
F lux : Dif f0∞ (M, ∂M, ω) −→ H 1 (M, ∂M, R)
et par dualité
Sch : Dif f0∞ (M, ∂M, ω) −→ H1 (M, ∂M, R).
Lorsque M est une surface à bord, la restriction pour les isotopies au
voisinage du bord permet de se ramener à la surface ouverte sans bord
M 0 = M \∂M et aux isotopies à support compact dans M 0 . Les morphismes
précédents sont alors à valeurs dans le premier groupe de cohomologie (ou
d’homologie) à support compact de M 0 .
On en déduit facilement que pour une surface compacte, si son premier
groupe de cohomologie est non trivial (i.e. si M n’est pas la sphère ou
le disque), les groupes Dif f0∞ (M, ω) et Dif f0∞ (M, ∂M, ω) ne sont pas
simples, le noyau du premier invariant de Calabi étant un sous-groupe
normal non trivial. La question suivante est donc d’examiner de plus près
ce noyau.
3.2
Difféomorphismes hamiltoniens
Pour simplifier la situation, commençons encore par le cas où M est
fermée. Dans cette section, on va commencer par introduire un sous-groupe
normal de Dif f0∞ (M, ω) naturellement lié au premier invariant de Calabi,
et l’on va ensuite démontrer qu’il coı̈ncide avec le noyau de ce morphisme.
Soit ϕ appartenant à Dif f0∞ (M, ω), alors par définition il existe une
isotopie préservant le volume
t ∈ [0, 1] 7−→ ϕt ∈ Dif f ∞ (M, ω)
telle que ϕ0 = 1 et ϕ1 = ϕ. Si Xt désigne le champ de vecteurs tangent à
(ϕt )t∈[0,1] , on sait que la 1-forme iXt ω est fermée pour tout t dans [0, 1].
73
Abed Bounemoura
Puisque ω n’est rien d’autre qu’une forme symplectique, il est naturel de
se demander si Xt est un gradient symplectique, i.e. si iXt ω est exacte pour
tout t dans [0, 1].
Définition 3.2.1. On dit qu’une isotopie est hamiltonienne si la 1-forme
iXt ω est exacte pour tout t ∈ [0, 1]. Un difféomorphisme ϕ ∈ Dif f0∞ (M, ω)
est hamiltonien s’il existe une isotopie hamiltonienne Φ = (ϕt )t∈[0,1] avec
ϕ1 = ϕ.
Fixons quelques notations. Pour t appartenantR à [0, 1], on désigne par
Ht l’unique primitive de la forme iXt ω vérifiant M Ht ω = 0. On dit que
la fonction
H : [0, 1] × M −→
R
(t, x)
7−→ H(t, x) = Ht (x)
est le hamiltonien normalisé qui engendre l’isotopie hamiltonienne ΦH =
(ϕtH )t∈[0,1] et le difféomorphisme hamiltonien ϕ = ϕ1H . On note A le sousespace vectoriel de C ∞ (M ) constitué des fonctions de moyenne nulle, et
H = {H ∈ C ∞ ([0, 1] × M ) | ∀t ∈ [0, 1], Ht ∈ A}
l’espace des hamiltoniens normalisés.
Remarquons que les isotopies hamiltoniennes sont essentiellement insensibles au reparamétrage. En effet, soit a : [0, 1] → R une fonction croissante
lisse telle que a(0) = 0. Si l’on définit
H a (t, x) = a0 (t)H(a(t), x)
alors
a(t)
ϕH
= ϕtH a
et ΦH a est une isotopie hamiltonienne sur le segment [0, a(1)] de hamiltonien normalisé H a . Ceci a pour conséquence la possibilité, très utile,
de pouvoir représenter les difféomorphismes hamiltoniens par des hamiltoniens définis sur R × M et périodique en temps. En effet, si ϕ est un
difféomorphisme hamiltonien défini par l’isotopie ΦH , alors en la reparamétrant par une fonction a : [0, 1] → [0, 1] qui vaut 0 au voisinage de 0 et 1
au voisinage de 1, on obtient une isotopie ΦH a que l’on peut étendre à R
par la formule
t
1
ϕt+1
H a = ϕ H a ϕH a .
Cette dernière égalité équivaut à dire que le hamiltonien normalisé Ha est
défini sur T × M , avec T = R/Z.
Notons Ham(M, ω) l’ensemble des difféomorphismes hamiltoniens, que
l’on munit de la topologie C 1 . Par définition, les éléments de Ham(M, ω)
ont un flux nul : en effet, si ϕ est un difféomorphisme hamiltonien temps
74
Chapitre 3. Difféomorphismes conservatifs
1 d’une isotopie ΦH , il est alors immédiat que [ΦH ] est dans le noyau du
morphisme de flux
^
F lux : Dif
f0∞ (M, ω) −→ H 1 (M, R)
car [dHt ] = 0 pour tout t ∈ [0, 1]. On montrera dans la suite que les
difféomorphismes hamiltoniens sont en fait les éléments de Dif f0∞ (M, ω)
de flux nul.
Avant cela, vérifions que c’est effectivement un sous-groupe normal du
groupe Dif f0∞ (M, ω), ce qui n’est pas clair puisque les difféomorphismes
hamiltoniens ne sont pas définis à priori par la préservation d’une structure
géométrique.
Proposition 3.2.2. L’ensemble Ham(M, ω) est un sous-groupe normal de
Dif f0∞ (M, ω), connexe par arcs.
Démonstration. Pour ΦH et ΨK des isotopies hamiltoniennes engendrées
par les fonctions H, K appartenant à H, et φ dans Dif f0∞ (M, ω), on introduit les fonctions suivantes :
(H#K)(t, x) = H(t, x) + K(t, (ϕtH )−1 (x)) ;
(H̄)(t, x) = −H(t, ϕtH (x)) ;
(φ∗ H)(t, x) = H(t, φ(x)).
Les fonctions H#K, H̄ et φ∗ H sont clairement dans H. On a alors
d t t
(ϕ ψ )
dt H K
t
t
t
= ϕ̇tH ψK
+ (dϕtH ψK
).ψ˙K
=
t
t
t
)
).(XK ψK
+ (dϕtH ψK
XH ϕtH ψK
=
=
t
t
t
)
).(XK (ϕtH )−1 ϕtH ψK
+ (dϕtH (ϕtH )−1 ϕtH ψK
XH ϕtH ψK
t
t
t
t
XH ϕH ψK + XK(ϕtH )−1 ϕH ψK
=
t
.
XH+K(ϕtH )−1 ϕtH ψK
On montre par ce calcul que H#K engendre l’isotopie
t
ΦH .ΨK : t ∈ [0, 1] 7−→ ϕtH ψK
∈ Ham(M, ω).
En utilisant ce résultat, on prouve également que H̄ engendre
t ∈ [0, 1] 7−→ (ϕtH )−1 ∈ Ham(M, ω)
et enfin il est immédiat de vérifier que φ∗ H engendre
t ∈ [0, 1] 7−→ φϕtH φ−1 ∈ Ham(M, ω).
En prenant le temps 1 de ces isotopies, on s’assure que Ham(M, ω) est
un sous-groupe normal. Pour la connexité par arcs, si ΦH est une isotopie
hamiltonienne avec ϕ = ϕ1H , on vérifie facilement que chaque ϕsH pour
s ∈]0, 1[ est aussi un difféomorphisme hamiltonien pour le reparamétrage
H a donné par la fonction a(t) = st. Ceci termine la preuve.
75
Abed Bounemoura
Remarque 3.2.3. Rappelons qu’un hamiltonien H est dit autonome s’il ne
dépend pas du temps. L’isotopie qu’il engendre est alors un flot (ou un
sous-groupe à un paramètre) dans le sens où
0
0
ϕt+t
= ϕtH ϕtH
H
et on a la propriété importante de “préservation de l’énergie” : la fonction
H est constante le long des orbites du flot. Le temps 1 de ce flot nous
donne un exemple pratique de difféomorphisme hamiltonien. Bien que plus
maniable, cette notion souffre cependant d’un défaut majeur en ce qui nous
concerne : lorsque que l’on compose le temps 1 de deux flots hamiltoniens,
on n’obtient pas le temps 1 d’un flot hamiltonien (en bref, il n’y pas de
structure de groupe). On est donc contraint de considérer des hamiltoniens
non autonomes.
Il est souvent bien utile de voir Dif f ∞ (M ) (resp. Dif f ∞ (M, ω)) comme
un groupe de Lie de dimension infinie, son algèbre de Lie s’identifiant à
l’algèbre des champs de vecteurs (resp. des champs de vecteurs à divergence
nulle) munie du crochet de Lie entre champs de vecteurs. Regardons ce qui
se passe pour le groupe Ham(M, ω). Si l’on poursuit l’analogie, l’algèbre
de Lie de Ham(M, ω) est donc l’algèbre des champs de vecteurs X tels que
X(x) =
d
|t=0 (ϕt (x))
dt
où (ϕt )t∈[0,1] est un chemin dans Ham(M, ω) avec ϕ0 = 1. Un tel chemin
est une isotopie hamiltonienne (ce point est admis pour le moment, on le
montrera dans la section 3.4) donc il est uniquement déterminé par son
hamiltonien normalisé, une fonction H ∈ H. Sous ces conditions, on vérifie
que le champ de vecteurs X n’est rien d’autre que le gradient symplectique
de H0 ∈ A. L’algèbre de Lie s’identifie donc avec l’espace de fonctions
Z
∞
A = {H ∈ C (M ) |
Hω = 0}.
M
En continuant ainsi, on constate que le crochet de Lie s’assimile au crochet
de Poisson dans A et il n’est pas difficile de s’assurer que l’action adjointe
de Ham(M, ω) sur A est l’action classique (à droite) des difféomorphismes
sur les fonctions, à savoir H 7→ Hϕ.
Dans le cas où notre surface est à bord, on définit de manière analogue le
groupe Ham(M, ∂M, ω) en normalisant le hamiltonien H de manière à ce
que la fonction Ht = H(t, .) soit nulle sur un voisinage du bord indépendant
de t (en particulier, l’isotopie engendrée fixe un voisinage du bord). Comme
on l’a déjà expliqué, cela revient à considérer la surface sans bord M \ ∂M
et on demande alors à l’isotopie d’être à support compact (dans ce cas, on
normalise le hamiltonien pour qu’il soit nul hors de ce compact).
76
Chapitre 3. Difféomorphismes conservatifs
Donnons maintenant quelques exemples classiques de difféomorphismes
hamiltoniens. Comme on va le voir, les exemples les plus simples sont
donnés par des hamiltoniens autonomes qui possèdent des propriétés de
“symétries”.
Exemple 3.2.4 (La sphère S2 , voir [Pol01]). Le groupe H 1 (S2 , R) est
trivial, on a donc l’égalité
Ham(S2 , ω) = Dif f0∞ (S2 , ω)
où ω désigne la forme volume canonique de S2 . Le groupe SO(3) agit par
rotations sur S2 , donc il se plonge dans Ham(S2 , ω) (voir la figure 3.2).
On peut ainsi remarquer que l’action d’une rotation A = exp(a) avec a
dans so(3) est donnée (de manière infinitésimale) par l’action du gradient
symplectique de la fonction hauteur Ha (x) =< a, x > après identification
so(3) ∼
= R3 . On peut généraliser cet exemple en considérant des rotations
“fibrées”, qui sont définies par des hamiltoniens fonctions uniquement de la
hauteur, préservant donc chaque cercle {Ha = r} sur lesquels la dynamique
est une rotation d’angle ρ(r).
S2
.
Ha
.
Fig. 3.2 – Exemples de difféomorphismes hamiltoniens de S2 (a = (0, 0, 1))
Exemple 3.2.5 (Le disque D2 ). On a également
Ham(D2 , ∂D2 , ω) = Dif f0∞ (D2 , ∂D2 , ω).
Le disque est muni de ses coordonnées polaires (θ, r) dans lesquelles la
forme volume canonique s’écrit ω = rdr ∧ dθ. Regardons une application
de la forme
φρ : (θ, r) 7−→ (θ + ρ(r), r)
77
Abed Bounemoura
pour une certaine fonction ρ : [0, 1] → R lisse et nulle au voisinage de 1
(voir la figure 3.3). On vérifie facilement que φρ est un difféomorphisme,
isotope à l’identité par une isotopie fixant un voisinage du bord et qui
préserve la forme volume ω. C’est donc un élément de Ham(D2 , ∂D2 , ω). Il
laisse invariant le feuilletage trivial du disque D2 en cercles concentriques,
et induit la rotation d’angle ρ(r) sur le cercle de rayon r. C’est essentiellement ce qu’on obtient de l’exemple précédent (rotation fibrée sur la sphère)
après avoir éclaté un des deux points fixes.
Fig. 3.3 – Exemples de difféomorphismes hamiltoniens de D2
Jusqu’à présent, on a donné des exemples simples de difféomorphismes
hamiltoniens sur des surfaces où la notion coı̈ncidait avec celle de difféomorphismes conservatifs. Voici un autre exemple (qui est en réalité toujours le
même).
Exemple 3.2.6 (L’anneau A). On peut encore reprendre l’exemple sur
la sphère en éclatant les deux points fixes pour obtenir un difféomorphisme
de l’anneau A = T × [0, 1], toujours de la forme
φρ : (θ, r) 7−→ (θ + ρ(r), r)
dans les coordonnées naturelles (θ, r) ∈ A, avec ρ : [0, 1] → [0, 1] nulle au
voisinage de 0 et 1 pour respecter la condition au bord. La forme volume
canonique est donnée par ω = dθ ∧ dr. Il est alors immédiat que φ ρ appartient à Dif f0∞ (A, ∂A, ω) mais puisque le premier groupe d’homologie est
non trivial, cela ne suffit pas à s’assurer que φρ est un difféomorphisme hamiltonien. En revanche, un simple calcul permet de vérifier que la fonction
Z r
H(r) =
ρ(s)ds
0
78
Chapitre 3. Difféomorphismes conservatifs
est un hamiltonien (non normalisé) qui engendre φρ . Pour pouvoir normaliser le hamiltonien, il faut demander que la fonction ρ soit de moyenne
nulle.
Dans les exemples précédents, on s’aperçoit que toutes les orbites d’un
flot hamiltonien sont périodiques. De manière générale, ce phénomène se
produit presque tout le temps (voir la figure 3.4).
Fig. 3.4 – Graphe et orbites d’un hamiltonien autonome sur une surface
Proposition 3.2.7. Soit H un hamiltonien autonome sur une surface compacte. Alors presque toute trajectoire du flot hamiltonien ΦH est périodique.
Démonstration. Le flot hamiltonien préserve une mesure finie, on en déduit
par le théorème de récurrence de Poincaré que l’orbite de presque tout
point x dans M est récurrente. Prenons un tel point x, et supposons que
la différentielle de H en x soit non nulle (sinon l’orbite est constante). On
redresse le champ hamiltonien dans un voisinage U de x et on se donne
79
Abed Bounemoura
Σ une section transverse au flot. Par préservation de l’énergie, il est facile
de vérifier que par l’application de premier retour sur Σ, x revient sur
lui-même, et donc son orbite est périodique.
Pour conclure, donnons un exemple de difféomorphisme non hamiltonien.
Exemple 3.2.8 (Le tore T2 ). Le groupe Ham(T2 , ω) est un sous-groupe
propre de Dif f0∞ (T2 , ω). En effet, la translation
Rγ : (x1 , x2 ) 7−→ (x1 + γ1 , x2 + γ2 )
avec γ = (γ1 , γ2 ) ∈ T2 non nul est dans Dif f0∞ (T2 , ω) mais n’est pas hamiltonienne. En effet, d’après l’exemple 3.1.7, le flux d’un tel difféomorphisme
n’est pas nul.
Comme promis, démontrons maintenant que Ham(M, ω) est exactement
le noyau du morphisme de flux. Ce résultat est dû à Banyaga ([Ban78], mais
on va suivre la preuve de [MS98]).
Théorème 3.2.9 (Banyaga). Soit M une surface fermée. Un difféomorphisme ϕ temps 1 d’une isotopie symplectique Φ = (ϕt )t∈[0,1] est hamiltonien si et seulement si F lux(Φ) = 0. Dans ce cas, Φ est alors homotope à
extrémités fixes à une isotopie hamiltonienne.
De manière générale, étant donnée une isotopie Φ = (ϕt )t∈[0,1] préservant
le volume et γ un chemin (non nécessairement fermé) dans M , on peut
définir le flux instantané à travers γ au temps t par
Z
iX t ω
F lux(Φ, t).γ =
γ
avec Xt le champ de vecteurs tangent à l’isotopie. Alors Φ est de flux nul
si et seulement si son flux moyen
F lux(Φ).γ =
Z
1
(F lux(Φ, t).γ)dt
0
ne dépend que des extrémités γ(0) et γ(1). En revanche, Φ est une isotopie
hamiltonienne si et seulement si pour tout temps t, ϕt a un flux moyen nul
ce qui est encore équivalent au fait que le flux instantané F lux(Φ, t).γ ne
dépend que des extrémités du chemin (il vaut alors Ht (γ(1)) − Ht (γ(0))).
L’idée de la preuve suivante consiste à prendre une isotopie Φ de flux moyen
nul et à la modifier en gardant ses extrémités fixes de telle sorte que son
flux instantané s’annule.
Démonstration du théorème 3.2.9. Notons KerF lux le noyau du morphisme de flux
^
F lux : Dif
f0∞ (M, ω) −→ H 1 (M, R).
80
Chapitre 3. Difféomorphismes conservatifs
]
Il nous faut montrer que ce noyau est contenu dans Ham(M,
ω), le revêtement universel du groupe Ham(M, ω), puisque l’on dispose déjà de l’autre
inclusion (qui est évidente).
^
Soit ϕ le temps 1 d’une isotopie Φ appartenant à Dif
f0∞ (M, ω) et tel
que F lux(Φ) = 0, et Xt le champ de vecteurs tangent à Φ. L’hypothèse
R1
est donc que la 1-forme 0 iXt ωdt est exacte, et l’on doit alors modifier
l’isotopie Φ à l’intérieur de sa classe d’homotopie (à extrémités fixes) pour
rendre la forme iXt ω exacte pour tout t ∈ [0, 1]. La première étape consiste
R1
à se ramener au cas où le champ de vecteurs 0 Xt dt est identiquement nul.
R1
Soient F une primitive de la 1-forme 0 iXt ωdt et ϕF le flot hamiltonien
(autonome) qu’elle engendre. Considérons alors l’isotopie Φ−1
F R ΦH , et soit
1
Xt0 son champ de vecteurs tangents. Un calcul nous donne que 0 Xt0 dt = 0.
−1
−1
−1
Or le temps 1 de ΦF ΦH est ϕF ϕ, donc puisque ϕF est hamiltonien, il
suffit de prouver le théorème pour ϕ−1
F ϕ. Cette discussion permet donc
R1
de se ramener au cas où 0 Xt dt est nul sur M . Maintenant définissons le
champ de vecteurs non autonome
Yt = −
Z
t
Xλ dλ
0
et notons, pour t dans [0, 1] fixé, (θst )s∈[0,1] le flot de Yt , i.e.
d t
θ = Yt θst
ds s
θ0t = 1.
;
Puisque Y0 = Y1 = 0, on a θs0 = θs1 = 1 pour tout s dans [0, 1]. Définissons
l’isotopie Ψ = (ψ t )t∈[0,1] par
ψ t = θ1t ϕt .
On voit facilement que Ψ est homotope à extrémités fixes à Φ. De plus,
pour T appartenant à [0, 1], on a
F lux((ψ t )0≤t≤T )
F lux((θ1t )0≤t≤T ) + F lux((ϕt )0≤t≤T )
Z T
[iXt ω]dt
= F lux((θsT )0≤s≤1 ) +
=
=
=
[iYT ω] +
0
Z
0
T
[iXt ω]dt
0
où l’on utilise successivement la propriété de morphisme du flux, son invariance par homotopie et le fait que θsT soit le flot de YT . Ceci nous donne
RT
que 0 iXt ωdt = 0 pour tout T ∈ [0, 1], ce qui est bien sûr équivalent au
fait que iXt ω est exacte pour tout t ∈ [0, 1].
Abed Bounemoura
81
On a donc obtenu une caractérisation explicite du noyau du morphisme
de flux. Dans le cas à bord, on trouve de même que Ham(M, ∂M, ω) est le
noyau de l’application
F lux : Dif f0∞ (M, ∂M, ω) −→ H 1 (M, ∂M, R).
On démontrera à la fin de ce chapitre le théorème important suivant, que
l’on doit à Banyaga ([Ban78], [Ban97]).
Théorème 3.2.10 (Banyaga). Le groupe Ham(M, ω) est simple pour
une surface fermée M .
Cependant, ce résultat est faux si l’on enlève l’hypothèse de fermeture
sur M comme on va le voir dans la section suivante.
3.3
Second invariant de Calabi
Regardons maintenant le cas des surfaces compactes orientables à bord.
On s’intéresse à Dif f0∞ (M, ∂M, ω), le groupe des difféomorphismes isotopes à l’identité par une isotopie préservant l’aire et fixant un voisinage
du bord. Rappelons que le groupe Ham(M, ∂M, ω) est un sous-groupe
normal de Dif f0∞ (M, ∂M, ω), qui de plus est propre sous la condition que
le premier groupe d’homologie de la surface soit non trivial. Dans cette
section, on va montrer que le groupe Ham(M, ∂M, ω) n’est jamais simple.
Commençons par examiner le cas du disque D2 . Puisque son premier
groupe d’homologie est trivial, on a
Dif f0∞ (D2 , ∂D2 , ω) = Ham(D2 , ∂D2 , ω).
On va alors construire un morphisme de groupes, appelé second invariant
de Calabi,
Cal : Ham(D2 , ∂D2 , ω) −→ R.
Prenons ϕ un élément de Ham(D2 , ∂D2 , ω), et choisissons λ une primitive
de la forme d’aire ω. On vérifie facilement que la 1-forme ϕ∗ λ − λ est
fermée, donc exacte. Soit hϕ,λ l’unique primitive de ϕ∗ λ − λ qui s’annule
au voisinage du bord (par hypothèses, ϕ est l’identité sur un voisinage du
bord donc une primitive de ϕ∗ λ − λ est nécessairement constante sur le
bord).
Définition 3.3.1. Le second invariant de Calabi de ϕ ∈ Ham(D2 , ∂D2 , ω)
est le réel
Z
1
hϕ,λ ω.
Cal(ϕ) =
2 D2
82
Chapitre 3. Difféomorphismes conservatifs
Si λ0 = λ + df est une autre primitive, on vérifie que
hϕ,λ0 = hϕ,λ + f ϕ − f
et puisque ϕ préserve l’aire, un simple changement de variable nous assure
que Cal(ϕ) ne dépend effectivement que de ϕ. Enfin en écrivant
(ϕ1 ϕ2 )∗ λ − λ = ϕ∗2 ϕ∗1 λ + ϕ∗1 λ − ϕ∗1 λ − λ
on obtient
hϕ1 ϕ2 ,λ = hϕ2 ,ϕ∗1 λ + hϕ1 ,λ
et puisque ϕ∗1 λ est également une primitive de la forme d’aire, on trouve
Cal(ϕ1 ϕ2 ) = Cal(ϕ1 ) + Cal(ϕ2 ).
On vient alors de prouver la proposition suivante.
Proposition 3.3.2. Le second invariant de Calabi
Cal : Ham(D2 , ∂D2 , ω) −→ R
est un morphisme de groupes.
Si on se donne maintenant une surface compacte à bord M quelconque,
la construction précédente s’applique encore (car la forme symplectique
admet une primitive) et on en déduit un morphisme de groupe
Cal : Ham(M, ∂M, ω) −→ R.
Cette application est évidemment continue, si Ham(M, ∂M, ω) est muni
de la topologie C 1 . Il reste maintenant à s’assurer que ce morphisme est
non trivial. Pour cela, on pourrait construire des exemples explicites de
difféomorphismes hamiltoniens dont les invariants de Calabi prennent des
valeurs arbitraires, mais on préfère donner une autre interprétation de ce
second invariant de Calabi qui va nous être très utile par la suite.
Prenons
t ∈ [0, 1] 7−→ ϕt ∈ Ham(M, ∂M, ω)
une isotopie avec ϕ1 = ϕ. On sait alors que cette isotopie est uniquement
définie par une fonction hamiltonienne normalisée H : [0, 1] × M → R.
R1R
Proposition 3.3.3. On a Cal(ϕ) = 0 M Hωdt.
Démonstration. Rappelons que
Cal(ϕ) =
1
2
Z
hϕ,λ ω
M
83
Abed Bounemoura
où hϕ,λ est l’unique primitive de ϕ∗ λ − λ qui s’annule au voisinage du bord
(λ étant fixé). En notant Xt le gradient symplectique associé à la fonction
Ht pour t ∈ [0, 1], on obtient facilement l’expression explicite suivante :
hϕ,λ =
Z
1
(Ht + iXt λ)ϕt dt.
0
En effet, la condition au bord est clairement vérifiée. Pour le reste, on
calcule la différentielle
¶
µZ 1
Z 1
t
ϕt∗ (dHt + diXt λ)dt
=
(Ht + iXt λ)ϕ dt
d
0
Z
=
Z
=
Z
=
0
1
ϕt∗ (iXt dλ + diXt λ)dt
0
1
ϕt∗ (LXt λ)dt
0
1
d(ϕt∗ λ − λ)dt
0
∗
ϕ λ − λ.
=
On a alors une nouvelle expression du second invariant de Calabi
Cal(ϕ)
=
=
1
2
1
2
Z
M
Z 1
0
Z
1
(Ht + iXt λ)ϕt dtω
0
Z
(Ht + iXt λ)ϕt ωdt
M
et puisque ϕt préserve le volume pour tout t ∈ [0, 1], on trouve
Cal(ϕ) =
1
2
Z
1
0
Z
(Ht + iXt λ)ωdt.
M
Il nous reste enfin à vérifier que
(Ht + iXt λ)ω = 2Ht ω
ce que l’on obtient facilement en développant la 2-forme iXt (λ ∧ ω) qui est
identiquement nulle.
Remarque 3.3.4. On donnera encore une autre interprétation de l’invariant
de Calabi sur Ham(D2 , ∂D2 , ω) dans le prochain chapitre.
Ainsi Cal(ϕ) n’est rien d’autre que la valeur moyenne (en temps et en
espace) de la fonction hamiltonienne normalisée H, où ϕ est le temps 1 de
l’isotopie hamiltonienne engendrée par H.
84
Chapitre 3. Difféomorphismes conservatifs
Le second invariant de Calabi définit donc un morphisme surjectif : pour
toute valeur réelle c, il suffit simplement de se donner un hamiltonien autonome H de valeur moyenne
Z
Hω = c
M
de telle sorte que
ϕ1H
∈ Ham(M, ∂M, ω) vérifie Cal(ϕ1H ) = c.
Remarque 3.3.5. De manière générale, le second invariant de Calabi tel
qu’on l’a défini est valable pour une variété symplectique (M, ω) compacte
à bord et exacte, i.e. telle que la forme symplectique ω soit exacte. Dans le
cas où la variété est compacte à bord mais non exacte, l’expression
Z 1Z
Cal(ΦH ) =
Hωdt
0
M
permet de définir un morphisme de groupe surjectif sur le revêtement uni]
versel Ham(M,
∂M, ω). En posant
Λ = Cal(π1 (Ham(M, ∂M, ω))) ⊆ R
il descend en un morphisme surjectif
Cal : Ham(M, ∂M, ω) −→ R/Λ.
Le groupe Ham(M, ∂M, ω) n’est jamais simple : le noyau du second
invariant de Calabi, constitué des difféomorphismes hamiltoniens engendrés
par des fonctions hamiltoniennes de moyenne nulle, est un sous-groupe
normal propre. On en vient alors à se poser la question de la simplicité de
ce sous-groupe. Encore une fois, la réponse est due à Banyaga ([Ban78],
[Ban97]).
Théorème 3.3.6 (Banyaga). Soit M une surface compacte à bord. Alors
le noyau de l’invariant de Calabi
Cal : Ham(M, ∂M, ω) −→ R
est un groupe simple.
Ainsi, les questions de simplicité concernant les groupes Dif f0∞ (M, ω) et
Dif f0∞ (M, ∂M, ω) sont toutes résolues. On conclut ce chapitre en donnant
une preuve des théorèmes de Banyaga.
3.4
Théorème de simplicité de Banyaga
On souhaite maintenant expliquer comment on peut appliquer les idées
du théorème de simplicité d’Epstein-Herman-Thurston-Mather au groupe
85
Abed Bounemoura
des difféomorphismes hamiltoniens d’une surface M dans le but de démontrer les deux théorèmes de simplicité de Banyaga (3.2.10 et 3.3.6). Il est
en fait équivalent (et de notre point de vue préférable) de supposer ici que
M est sans bord, et de faire la distinction entre compact et non compact.
Voici l’énoncé que l’on va prouver.
Théorème 3.4.1 (Banyaga). Soit (M, ω) une surface sans bord munie
d’une forme symplectique. Si M est compacte, alors Ham(M, ω) est simple.
Si M n’est pas compacte, alors le noyau de
Cal : Hamc (M, ω) −→ R
est simple.
On a noté Hamc (M, ω) le groupe des difféomorphismes qui sont le temps
1 d’une isotopie hamiltonienne Φ à support compact. À une telle isotopie
est associée une fonction hamiltonienne H ∈ C ∞ ([0, 1]×M ) normalisée par
la condition qu’il existe un compact K ∈ M tel que Ht soit nulle hors de K,
pour t dans [0, 1]. Pour ne pas alourdir le texte, on notera plus simplement
Hamc (M, ω) = Ham(M, ω), autrement dit, dans le cas non compact, on
supposera implicitement que les isotopies sont à support compact.
Dans la suite, on notera également Symp0 (M, ω) = Dif f0∞ (M, ω) et on
parlera plutôt de difféomorphismes et d’isotopies symplectiques (la raison
de ce choix vient du fait que les méthodes de cette section s’appliquent en
dimension paire plus grande que deux pour des formes symplectiques et
non pour des formes volumes).
Avant de nous attaquer à la preuve, on rappelle quelques résultats de
géométrie symplectique dont on fera usage dans la suite. Une excellente
référence est le livre [MS98].
Théorème 3.4.2 (Weinstein). Soient (M, ω) une variété symplectique et
L ,→ M un plongement lagrangien. Alors il existe un voisinage N de L dans
T ∗ L, un voisinage V de L dans M et un difféomorphisme symplectique
Υ : (N, dλ) −→ (V, ω)
qui commute aux plongements L ,→ T ∗ L et L ,→ M .
Dans le théorème précèdent, le plongement L ,→ T ∗ L s’obtient à travers
la section nulle et λ est la 1-forme canonique du cotangent T ∗ L. On aura
également besoin du résultat suivant, dont la preuve est une conséquence
évidente du caractère “tautologique” de la 1-forme canonique λ, autrement
dit du fait que σ ∗ λ = σ pour toute 1-forme σ sur M , où σ ∗ λ désigne le
“pull-back” de λ par l’application σ : M → T ∗ M .
Proposition 3.4.3. Soit σ une 1-forme sur une variété M . Son graphe
Gr(σ) ⊆ T ∗ M est lagrangien si et seulement si σ est fermée.
86
Chapitre 3. Difféomorphismes conservatifs
On considère une variété symplectique (M, ω), et on munit le produit
M × M de la structure symplectique ω × (−ω). On obtient un plongement
lagrangien M ,→ M × M en identifiant M à la diagonale ∆ ⊆ M × M . Par
le théorème de Weinstein, on trouve des voisinages V de M dans M × M
et N de M dans T ∗ M et un difféomorphisme symplectique Υ : V → N .
Fig. 3.5 – Théorème de Weinstein
Maintenant, si ψ est un difféomorphisme symplectique de M suffisamment proche (dans la topologie C 1 ) de l’identité, son graphe Gr(ψ) ⊆
M × M est un lagrangien suffisamment proche de la diagonale, et l’on
peut supposer que Gr(ψ) ⊆ V . Alors Υ(Gr(ψ)) est proche de l’image
de la section nulle de T ∗ M , c’est donc le graphe d’une 1-forme W(ψ),
nécessairement fermée (voir la figure 3.5). Il existe ainsi un voisinage UW
de l’identité dans Symp(M, ω), un voisinage V de la section nulle dans l’espace vectoriel Z 1 (M ) des 1-formes fermées sur M et un homéomorphisme
W : UW −→ V.
On dit que le couple (UW , W) est une carte de Weinstein au voisinage de
l’identité. En translatant de telles cartes, on munit Symp(M, ω) d’un atlas
distingué. Remarquons qu’on a la propriété suivante : un difféomorphisme
symplectique ϕ ∈ UW est à support dans U si et seulement si la 1-forme
associée W(ϕ) s’annule hors de U .
Fixons (UW , W) une carte de Weinstein en l’identité. Lorsque l’on parle
de difféomorphisme symplectique C 1 -proche de l’identité, on sous-entend
(sauf mention contraire) qu’il est au moins inclus dans UW , et de même pour
les isotopies symplectiques. Un tel difféomorphisme ϕ se représente donc
de manière unique par une 1-forme fermée W(ϕ). On en déduit facilement
que le groupe des difféomorphismes symplectiques d’une variété compacte
est localement contractile. Donnons d’autres conséquences de l’existence de
ces coordonnées.
87
Abed Bounemoura
Proposition 3.4.4. Si Φ = (ϕt )t∈[0,1] est une isotopie symplectique C 1 proche de l’identité, alors F lux(Φ) = −[W(ϕ1 )]. En particulier, Φ est une
isotopie hamiltonienne si et seulement si les 1-formes fermées W(ϕt ) sont
exactes pour tout t appartenant à [0, 1].
Démonstration. Pour t appartenant à [0, 1], définissons l’isotopie
ψ t = Υ(1 × ϕt )Υ−1
où (1 × ϕt )t∈[0,1] est une isotopie symplectique de plongements de M dans
M ×M d’images contenues dans un voisinage V de la diagonale, et Υ est un
difféomorphisme symplectique qui envoie un tel voisinage sur un voisinage
N de la section nulle dans T ∗ M . Ainsi Ψ = (ψ t )t∈[0,1] est une isotopie
symplectique de plongements de la section nulle dans N .
Notons σt = W(ϕt ) pour t dans [0, 1]. Il existe alors une famille lisse de
difféomorphismes ft : M → M vérifiant pour tout t appartenant à [0, 1]
ψ t ι = σ t ft
où ι : M ,→ T ∗ M est l’inclusion canonique à travers la section nulle.
Maintenant, ι∆ = Υ−1 ι n’est rien d’autre que l’inclusion M ,→ M × M à
travers la diagonale. On obtient ainsi
F lux(Φ) = ι∗∆ F lux((1 × ϕt )t∈[0,1] ) = ι∗∆ Υ∗ F lux(Ψ) = ι∗ F lux(Ψ).
Il faut donc calculer le flux de l’isotopie Ψ. Pour le moment, Ψ est seulement
définie sur N , qui est un voisinage ouvert de la section nulle dans T ∗ M . On
peut cependant l’étendre en une isotopie symplectique dans T ∗ M à support
compact. Puisque T ∗ M est une variété exacte, on trouve facilement que
F lux(Ψ) = [λ − ψ 1∗ λ]
et donc
ι∗ F lux(Ψ) = −[ι∗ ψ 1∗ λ] = −[f1∗ σ1∗ λ] = −[σ1 ]
où l’on utilise le caractère tautologique de λ et le fait que [f1∗ σ1 ] = [σ1 ]
puisque f1 est isotope à l’identité. On trouve donc que
F lux(Φ) = −[σ1 ] = −[W(ϕ1 )]
et c’est ce qu’il fallait démontrer.
Ainsi un difféomorphisme hamiltonien ϕ obtenu par une isotopie proche
de l’identité est représenté par une forme exacte W(ϕ). En revanche, si
on suppose seulement que ϕ est proche de l’identité (sans condition sur
l’isotopie) l’argument précédent ne fonctionne plus. Néanmoins, on peut
encore dire quelque chose.
88
Chapitre 3. Difféomorphismes conservatifs
Proposition 3.4.5. Soient ϕ ∈ Symp0 (M ) un difféomorphisme C 1 -proche
de l’identité et σ = W(ϕ). Alors on a
ϕ ∈ Ham(M, ω) ⇐⇒ [σ] ∈ Γω
où Γω = F lux(π1 (Symp0 (M, ω))) est le groupe de flux.
Démonstration. Supposons que ϕ appartienne à Ham(M, ω), et soit Φ une
isotopie hamiltonienne définissant ϕ et telle que F lux(Φ) = 0. On considère
l’isotopie symplectique (non nécessairement hamiltonienne) Ψ = (ψ t )t∈[0,1]
définie pour tout t dans [0, 1] par W(ψ t ) = tσ. Son temps 1 est donc ϕ et
par définition, Ψ est proche de l’identité. La proposition précédente nous
donne F lux(Ψ) = −[σ]. Maintenant, la concaténation ΨΦ−1 nous donne
un lacet basé en l’identité dans Symp0 (M, ω) et on a
F lux(ΨΦ−1 ) = F lux(Ψ) − F lux(Φ) = F lux(Ψ) = −[σ].
Cette égalité signifie que [σ] appartient à Γω .
Supposons maintenant que [σ] ∈ Γω . On choisit un lacet basé en l’identité
Θ dans Symp0 (M, ω) tel que F lux(Θ) = [σ]. On définit alors un chemin
Φ = (ϕt )t∈[0,2] en suivant le lacet Θ sur [0, 1] puis par W(ϕt ) = [(t − 1)σ]
sur [1, 2] (cette construction est valable pour peu que ϕ et donc σ soient
suffisamment petits). Le chemin Φ a clairement un flux nul, donc ϕ = ϕ2
est un difféomorphisme hamiltonien.
Grâce à cette proposition, on peut désormais prouver un résultat particulièrement important que l’on a admis dans la section précédente pour
décrire l’algèbre de Lie de Ham(M, ω). Le théorème est dû à Banyaga.
Théorème 3.4.6 (Banyaga). Les isotopies hamiltoniennes sont exactement les chemins dans le groupe Ham(M, ω) qui partent de l’identité.
Démonstration. Par définition, une isotopie hamiltonienne est (en particulier) un chemin dans le groupe Ham(M, ω) qui part de l’identité. Pour la
réciproque, on se donne un tel chemin Φ = (ϕt )t∈[0,1] . Par la proposition
précédente, on a
σt = W(ϕt ) ∈ Γω
pour t suffisamment proche de 0, disons pour t ∈ [0, ε]. Puisque Γω est
dénombrable, l’application continue t 7→ [σt ] est constante. Puisque σ0 = 0,
on trouve ainsi que σt est exacte pour t ∈ [0, ε], et donc
F lux((ϕt )t∈[0,ε] ) = 0.
Ceci nous assure que Φ est une isotopie hamiltonienne au voisinage de
0, et un reparamétrage nous permet de conclure que Φ est une isotopie
hamiltonienne.
89
Abed Bounemoura
Passons maintenant à la preuve du théorème de simplicité de Banyaga.
Comme dans le chapitre précédent, on commence par établir des propriétés
générales de l’action du groupe Ham(M, ω). La transitivité de l’action de
Ham(M, ω) sur M est facile à obtenir.
Proposition 3.4.7. Ham(M, ω) agit transitivement sur M .
Démonstration. Il est suffisant de pouvoir connecter deux points arbitrairement proches x, y dans M par un difféomorphisme hamiltonien ϕ. On
peut donc supposer que x, y ∈ U , où U est un ouvert contractile muni
de coordonnées symplectiques, ce qui permet de se ramener au problème
suivant : on se donne ε > 0 et pour a = (0, 0) et b = (0, ε) dans R2 , on
cherche un difféomorphisme symplectique (pour la structure symplectique
canonique de R2 ), à support dans un petit disque, et qui envoie a sur b. Un
tel difféomorphisme est nécessairement hamiltonien. Notons Dr le disque
euclidien de R2 centré à l’origine et de rayon r. On se donne alors une fonction lisse η, à support dans D2ε et qui vaut ε sur Dε . Soient p2 : R2 → R
la projection sur la seconde composante, et H = ηp2 . Il est alors clair que
le temps 1 de ΦH , qui est à support dans D2ε , envoie a sur b.
En revanche, la propriété de fragmentation est ici plus délicate, et c’est
le point clé de la démonstration du théorème de Banyaga. De plus, il nous
faudra un énoncé plus précis. En effet, si φ est un difféomorphisme hamiltonien à support dans un disque U de M , on peut définir
Z 1Z
CalU (φ) =
Kωdt
0
U
où K est un hamiltonien normalisé engendrant φ, l’intégrale étant bien
définie car K est à support compact dans U . En d’autres termes, le second
invariant de Calabi est non trivial sur le sous-groupe HamU (M, ω) des
difféomorphismes hamiltoniens à support dans U , quand bien même il peut
être identiquement nul sur Ham(M, ω) (c’est le cas où M est compacte).
Voici donc le théorème de fragmentation symplectique (voir [Ban97], ou
bien [Ban78] pour une preuve plus compliquée).
Théorème 3.4.8. Soit (M, ω) une variété symplectique. Alors pour
tout recouvrement ouvert U = (Ui )i∈I de M par des disques et pour tout
élément ϕ appartenant à Ham(M, ω), il existe des éléments ϕ1 , . . . , ϕn
dans Ham(M, ω) avec ϕi à support dans un des éléments de U pour 1 ≤
i ≤ n et tels que
ϕ = ϕ1 . . . ϕn .
De plus, si M est compacte ou si M est non compacte et Cal(ϕ) = 0, alors
on peut choisir les ϕi pour que CalUi (ϕi ) = 0 pour 1 ≤ i ≤ n.
Remarque 3.4.9. Comme pour le lemme de fragmentation 2.2.1, le théorème
précédent nous donne un résultat de fragmentation pour les isotopies hamiltoniennes.
90
Chapitre 3. Difféomorphismes conservatifs
Démonstration. On se donne une famille finie de disques U1 , . . . , Um recouvrant M dans le cas compact, ou recouvrant le support compact de
l’isotopie (définissant ϕ) dans le cas où M est non compacte. Sans perte
de généralité, on demande que Ui ∩ Ui+1 6= ∅, pour 1 ≤ i ≤ m − 1. Enfin
on associe à ce recouvrement ouvert une partition
Pde l’unité λ1 , . . . , λm , et
pour 0 ≤ i ≤ m, on considère les fonctions µi = j≤i λj .
Commençons par démontrer la propriété de fragmentation. On peut facilement se ramener au cas où ϕ appartient à UW afin de lui associer une
1-forme fermée W(ϕ). En définissant des 1-formes
ξi = µi W(ϕ)
et en remarquant que ξ0 = 0 et ξm = W(ϕ), si l’on pouvait écrire ξi =
W(ψi ) pour un difféomorphisme hamiltonien ψi , alors
−1
ϕ = ψm = (ψ0−1 ψ1 ) . . . (ψm−1
ψm ) = ϕ 1 . . . ϕ m
nous donnerait une fragmentation relativement à U1 , . . . , Um . Cependant,
la 1-forme ξi n’est pas nécessairement fermé, et il n’est donc pas possible de
l’écrire ξi = W(ψi ) même pour un difféomorphisme ψi seulement symplectique. Pour remédier à ce problème, on remarque que l’on peut supposer
en outre que W(ϕ) est exacte. En effet, soit Φ = (ϕt )t∈[0,1] une isotopie
hamiltonienne avec ϕ1 = ϕ. On choisit alors un entier naturel N suffisamment grand de telle sorte que, pour tout t dans [0, 1] et pour 0 ≤ i ≤ N − 1,
le difféomorphisme
N −i−1
N −i
φti = (ϕt( N ) )−1 ϕt( N )
soit dans UW . On a alors
ϕ = φ1N . . . φ11 .
Pour 0 ≤ i ≤ N − 1, chaque φ1i est un difféomorphisme hamiltonien, et de
plus, l’application
t ∈ [0, 1] 7−→ [W(φti )] ∈ Γω
est continue donc constante (car Γω est dénombrable), ainsi
[W(φ1i )] = [W(φ0i )] = 0.
Ceci permet donc de supposer que ϕ ∈ UW et que W(ϕ) est exacte. L’avantage est que l’on peut maintenant opérer la fragmentation sur une fonction
génératrice de ϕ, i.e. une primitive de W(ϕ). En notant B 1 (M ) l’espace
vectoriel des 1-formes exactes sur M , soit σ : B 1 (M ) → C ∞ (M ) une application “primitive” (i.e. une section de la différentielle extérieure) qui soit
linéaire et continue : il suffit de se fixer un point x0 ∈ M et de poser, pour
tout ξ ∈ B 1 (M ),
Z
ξ
σ(ξ)(x) =
γx,x0
91
Abed Bounemoura
où x ∈ M et γx,x0 est un chemin lisse arbitraire joignant x0 à x. Définissons
alors une application linéaire continue
Li
:
B 1 (M )
ζ
−→
B 1 (M )
7−→ d(µi σ(ζ)).
Notons que L0 = 0 et que Lm est l’identité. Puisque µi ≤ 1, Li est bornée
pour 0 ≤ i ≤ m, il existe un voisinage U0 inclus dans UW tel que
Li (W(U0 )) ⊆ W(UW ).
Supposons alors que ϕ soit dans U0 (il suffit simplement d’augmenter l’entier N du début de la preuve), et définissons
ψi = W −1 (Li (W(ϕ))).
On vérifie immédiatement que
−1
ψm ) = ϕ 1 . . . ϕ m .
ϕ = ψm = (ψ0−1 ψ1 ) . . . (ψm−1
De plus, pour 1 ≤ i ≤ m, ψi est hamiltonien car W(ψi ) = Li (W(ϕ)) est
−1
exacte, on en déduit que ϕi = ψi−1
ψi est un difféomorphisme hamiltonien
à support dans Ui . Ceci prouve la propriété de fragmentation.
Passons maintenant à la seconde partie de l’énoncé. Commençons par
le cas où M n’est pas compacte, et supposons alors de plus que le second
invariant de Calabi de ϕ est nul. Par la propriété de morphisme, on obtient
Cal(ϕ) =
m
X
Cal(ϕi ) = 0.
i=1
On va modifier de manière inductive la décomposition de ϕ afin d’obtenir
la propriété voulue. Donnons nous un disque ouvert V ⊆ U1 ∩ U2 (rappelons que cette intersection est non vide) tel que V ⊆ U
R 1 ∩ U2 . Soit u une
fonction à support compact inclus dans V et qui vérifie V uω = CalU1 (ϕ1 ).
Considérons alors le difféomorphisme hamiltonien φ, qui est le temps 1 du
flot hamiltonien associé à la fonction u. Par construction, on a
CalU2 (φ) = CalU1 (φ) = CalU1 (ϕ1 ).
Remplaçons ϕ1 par ϕ˜1 = ϕ1 φ−1 et ϕ2 par ϕ2 = φϕ2 . On obtient
ϕ = ϕ˜1 ϕ2 . . . ϕi . . . ϕm
avec ϕ˜1 un difféomorphisme hamiltonien à support inclus dans U1 et tel
que CalU1 (ϕ˜1 ) = 0. On construit alors ϕ˜2 à support dans U2 et tel que
CalU2 (ϕ˜2 ) = 0, et de proche en proche on arrive à une écriture
ϕ = ϕ˜1 ϕ˜2 . . . ϕ̃i . . . ϕm
92
Chapitre 3. Difféomorphismes conservatifs
avec les propriétés exigées. Observons que l’hypothèse Cal(ϕ) = 0 n’est
utilisée qu’à la dernière étape pour s’assurer que CalUm (ϕm ) = 0.
Il nous reste à prouver la seconde assertion du théorème dans le cas compact, que l’on va obtenir en adaptant la méthode précédente. Commençons
par le cas particulier où ϕ se décompose en
ϕ = ϕ 1 ϕ2
avec ϕi à support dans Ui , pour i = 1, 2 et M = U1 ∪ U2 . On va alors
rectifier cette écriture par un difféomorphisme hamiltonien φ pour obtenir
ϕ = (ϕ1 φ−1 )(φϕ2 ) = ϕ01 ϕ02
avec ϕ0i à support dans Ui et CalUi (ϕ0i ) = 0 pour i = 1, 2. Notons α =
CalU1 (ϕ1 ) et β = CalU1 (ϕ1 ) + CalU2 (ϕ2 ). On se donne alors une fonction
plateau lisse H qui vérifie
( R
β( U2 ω)−1 sur M \ U2
H=
0
sur M \ U1
R
et telle que M H = α. On choisit pour φ le temps 1 du flot hamiltonien
engendré par H : φ est à support dans U1 ∩U2 , et l’on vérifie que CalU1 (φ) =
α et CalU2 (φ) = α − β de telle sorte que CalUi (ϕ0i ) = 0 pour i = 1, 2.
Maintenant dans le cas général où
ϕ = ϕ1 . . . ϕm
avec ϕi à support dans Ui et M = U1 ∪ · · · ∪ Um , on écrit
ϕ = ϕ1 (ϕ2 . . . ϕm ) = ϕ1 ψ
avec ψ à support dans V = U2 ∪ · · · ∪ Um . D’après le cas particulier
précédent, on peut écrire ϕ = ϕ01 ψ 0 avec CalU1 (ϕ01 ) = 0 et CalV (ψ 0 ) =
0. Maintenant, si on se place dans la surface non compacte V , puisque
CalV (ψ 0 ) = 0, on peut décomposer
ψ 0 = ϕ02 . . . ϕ0m
avec CalUi (ϕ0i ) = 0 pour 2 ≤ i ≤ m ce qui nous donne
ϕ = ϕ01 . . . ϕ0m
avec CalUi (ϕ0i ) = 0 pour 1 ≤ i ≤ m. Ceci termine la preuve du théorème.
Notons G = Ham(M, ω, 0) le groupe des difféomorphismes hamiltoniens
de M à support compact, dont le second invariant de Calabi est nul (avec
93
Abed Bounemoura
notre convention, cela coı̈ncide avec le groupe Ham(M, ω) pour M compacte). Pour un disque U inclus dans M , GU = HamU (M, ω, 0) est le
sous-groupe des difféomorphismes à support dans U qui ont un invariant
de Calabi relatif à U nul. Ces notations sont un peu malheureuses dans
le sens où GU ne coı̈ncide pas avec le sous-groupe des éléments de G à
support dans U (mais en fait quand même partie). Elles ont néanmoins
certains avantages. D’une part, le théorème de Banyaga s’énonce simplement : G est simple. D’autre part, le lemme de fragmentation nous
S assure
que si U est un recouvrement ouvert de M par des disques, alors U ∈U GU
engendre G. En utilisant l’“astuce” de Thurston 2.2.7, on obtient le résultat
suivant.
Proposition 3.4.10. Si GU est parfait, alors G est simple.
Démonstration. On a déjà prouvé la transitivité et la propriété de fragmentation. Il reste seulement à vérifier que si U, V ∈ U et g ∈ G sont tels
que g(U ) soit inclus dans V , alors gGU g −1 est inclus dans GV . Soit alors
ϕ appartenant à GU , temps 1 d’une isotopie hamiltonienne ΦH . D’après la
preuve de la proposition 3.2.2, gϕg −1 est le temps 1 de l’isotopie hamiltonienne associée au hamiltonien normalisé
g ∗ H(t, x) = H(t, g(x)).
Ainsi, par un changement de variable, on obtient
CalV (gϕg −1 ) =
Z
1
0
Z
H(t, g(x))ωdt =
V
Z
1
0
Z
H(t, x)ωdt = CalU (ϕ) = 0
U
donc gϕg −1 appartient à GV .
On peut prendre pour U un disque plongé dans M muni de coordonnées
symplectiques, et la simplicité de G dans le cas général résulte donc de la
perfection de Ham(R2 , ω0 , 0) (ce dernier groupe étant isomorphe à GU ).
On souhaite maintenant expliquer comment la perfection de G pour une
seule surface compacte M implique la perfection de Ham(R2 , ω0 , 0).
Dorénavant, M désignera une surface compacte et donc G = Ham(M, ω).
On définit les complexes de chaı̂nes BG et BGU de la manière suivante.
Un n-cube est une application
c : K n −→ Dif f0∞ (M, ω)
telle que c(v0 ) = e et telle que pour tout chemin γ : [0, 1] → K n avec γ(0) =
v0 , le chemin cγ est une isotopie hamiltonienne. On note BGn le Z-module
libre engendré par les n-cubes, quotienté par les n-cubes dégénérés, puis
BG la réunion des BGn . On obtient ainsi un sous-complexe du complexe
BDif f0∞ (M ) qui est apparu dans la section 2.2.
94
Chapitre 3. Difféomorphismes conservatifs
De même, BGU est le sous-complexe de BG dont les n-cubes c vérifient
les conditions suivantes : pour tout δ appartenant à K n , c(δ) est à support dans U et pour tout chemin γ : [0, 1] → K n tel que γ(0) = v0 ,
CalU (cγ) = 0. Voici le théorème de déformation symplectique, analogue au
théorème 2.2.15.
Théorème 3.4.11. Soit U un disque symplectique plongé dans M . Alors
l’inclusion GU ⊆ G induit un isomorphisme
H1 (BGU , Z) ∼
= H1 (BG, Z).
La preuve de ce théorème est identique à celle du théorème 2.2.15 (voir la
remarque 2.2.18). On dispose déjà de la transitivité ainsi que de la propriété
de fragmentation pour les isotopies. De manière analogue au lemme 2.2.14,
on a le résultat suivant (voir [Ban97] pour une preuve).
Lemme 3.4.12. Soient V, U deux disques de M et f, g deux plongements
symplectiques de V dans U . Il existe une isotopie hamiltonienne (ϕt )t∈[0,1]
à support dans U telle que f ϕ1 = g.
Enfin, il ne nous manque plus que le résultat suivant, qui s’apparente à un
lemme de fragmentation pour les familles de difféomorphismes hamiltoniens
à deux paramètres (et qui est une version “symplectique” du lemme 2.2.16).
Lemme 3.4.13. Soient U = {U1 , . . . , Um } un recouvrement ouvert de M
et c : [0, 1]2 → G un 2-cube C 1 -proche de l’identité. Alors il existe un 2-cube
c̃ qui vérifie les trois conditions suivantes :
(i) si ∂c est à support dans U , alors ∂c̃ aussi et [[∂c̃]]U = [[∂c]]U ;
(ii) chaque 2-cube c̃k1 ,k2 est à support dans Uk1 +1 ∪ Uk2 +1 ;
(iii) si Uk1 +1 ∩ Uk2 +1 = ∅, alors ∂c̃k1 ,k2 = 0.
Démonstration. On considère l’application
f
:
[0, 1]2 × M
(δ, x)
−→
7−→
[0, 1]2 × M
(fx (δ), x)
définie dans le lemme 2.2.16. Quitte à rétrécir c, on suppose que c(δ) appartient à U0 ⊆ UW (voir la preuve du théorème 3.4.8) pour tout δ ∈ [0, 1]2 ,
de telle sorte que la 1-forme W(c(δ)) soit exacte. On se donne alors une
fonction lisse
u(δ) : M −→ R
telle que W(c(δ)) = d(u(δ)), et dont la dépendance en δ ∈ [0, 1]2 est lisse.
Puisque c(0) = e, la fonction u(0) est constante, et quitte à la normaliser,
on la choisit identiquement nulle. On obtient alors une fonction lisse
u : [0, 1]2 × M −→ R
95
Abed Bounemoura
que l’on peut “déformer” par f en posant
f ∗ u = uf : [0, 1]2 × M −→ R.
A δ ∈ [0, 1]2 fixé, cela nous donne une 1-forme exacte
f ∗ (W(c(δ))) = d(f ∗ u(δ)) ∈ W(U0 ).
On définit alors un 2-cube
c̃
:
[0, 1]2
δ
−→
G
7−→ W −1 (f ∗ (W(c(δ)))).
Puisque f est l’identité sur {0} × M , f ∗ u(0) = u(0) = 0, donc c̃(0) = e.
Pour conclure, notons que les vérifications de (i), (ii) et (iii) ne dépendent
que des propriétés de f (ou plus exactement de fx ) et sont semblables à
2.2.16.
Au vu du théorème précédent, il nous reste une dernière chose à effectuer
pour démontrer le théorème de Banyaga : il suffit de trouver une variété
compacte M telle que le groupe H1 (BHam(M, ω), Z) soit trivial, ou, ce
^ ω) soit parfait. Bien sûr, on va
qui revient au même, telle que Ham(M,
choisir M = T2 et essayer de faire fonctionner les arguments du théorème
de Herman-Sergeraert.
Théorème 3.4.14. Soit (T2 , ω) le tore muni de sa forme symplectique
^2 , ω) est parfait.
canonique. Alors le groupe Ham(T
Démonstration. Notons Symp0 (T2 , ω) la composante connexe de l’identité
2
^
du groupe des difféomorphismes symplectiques du tore T2 , et Symp
0 (T , ω)
son revêtement universel. Commençons par montrer que l’inclusion plus
modeste
2
^2 , ω) ⊆ [Symp
^
^2
Ham(T
0 (T , ω), Symp0 (T , ω)]
résulte uniquement du théorème de Herman-Sergeraert 2.1.7. Fixons γ ∈ T2
un vecteur diophantien (que l’on choisira petit par la suite). D’après 2.1.7,
il existe un voisinage V de l’identité dans Dif f0∞ (T2 ) et une application
s : V −→ Dif f0∞ (T2 ) × T2
tels que pour ϕ appartenant à V , en notant s(Rγ ϕ) = (ψ, λ), on ait
Rγ ϕ = Rλ ψRγ ψ −1 .
Pour prouver l’inclusion précédente, il suffit de supposer que l’isotopie Φ =
(ϕt )t∈[0,1] est petite, et on la choisit alors telle que pour tout t dans [0, 1],
Rγ ϕt soit dans V . On obtient ainsi une écriture
Rγ ϕt = Rλt ψ t Rγ (ψ t )−1
96
Chapitre 3. Difféomorphismes conservatifs
avec s(Rγ ϕt ) = (ψ t , λt ). Puisque pour tout t ∈ [0, 1]
ω = ϕt∗ ω = (ψ t∗ )−1 Rγ∗ ψ t∗ Rλ∗ t −γ ω = (ψ t∗ )−1 Rγ∗ ψ t∗ ω
on obtient
ψ t∗ ω = Rγ∗ ψ t∗ ω.
En notant ωt = ψ t∗ ω, on peut écrire ωt = ft ω avec une fonction ft positive quelque soit t ∈ [0, 1]. Maintenant, puisque γ est non-résonant (i.e.
|||k.γ||| 6= 0 pour tout k ∈ Z2 \ {0}), la translation Rγ possède une orbite
dense dans T2 . La forme ωt étant invariante par Rγ , il en est de même de la
fonction ft qui est donc constante, nécessairement égale à 1. On en déduit
que ωt = ω, pour tout t dans [0, 1], et donc ψt préserve ω. L’hypothèse de
flux nul sur ϕt pour tout t entraı̂ne facilement que λt = 0. On obtient ainsi
ϕt = Rγ−1 ψ t Rγ (ψ t )−1
ce qui prouve que l’isotopie Φ est homotope à extrémités fixes à l’isotopie
−1 t
t ∈ [0, 1] −→ Rtγ
ψ Rtγ (ψ t )−1
2
^
^2
et cette dernière est clairement incluse dans [Symp
0 (T , ω), Symp0 (T , ω)].
En utilisant le théorème de fragmentation 3.4.8, on va maintenant
montrer que Φ peut s’écrire comme un produit de commutateurs dans
2
2
^2 , ω). Notons Ψ = (ψ t )t∈[0,1] ∈ Symp
^
Ham(T
0 (T , ω), β = −F lux(Ψ) ∈ T
et écrivons les isotopies Rγ = (Rtγ )t∈[0,1] et Rβ = (Rtβ )t∈[0,1] . On obtient
2
^
une isotopie ΨRβ et l’on peut écrire dans Symp
0 (T , ω)
Φ = [Rγ−1 , Ψ] = [Rγ−1 , ΨRβ ]
puisque les translations commutent. Notons Ψ = ΨRβ , son flux étant nul,
^2 , ω). Donnons-nous U = {U1 , . . . , Um } un recouΨ appartient à Ham(T
vrement ouvert de M par des disques. Par le théorème de fragmentation
symplectique, on peut écrire
Ψ = Ψ 1 . . . Ψm
avec, pour 1 ≤ i ≤ m, Ψi des isotopies hamiltoniennes à support dans
Ui . Maintenant, en choisissant γ suffisamment petit, on peut construire à
l’aide d’une fonction plateau une isotopie symplectique Ki à support dans
un disque Vi contenant Ui (et donc de flux nul puisque Vi est contractile) qui
coı̈ncide avec l’isotopie Rγ−1 sur Ui . Puisque Ki = Rγ−1 sur Ui , Ki−1 = Rγ
sur Rγ−1 (Ui ) d’où
Rγ−1 Ψi Rγ = Ki Ψi Ki−1
Abed Bounemoura
97
et il s’en suit que
Φ
=
[Rγ−1 , Ψ]
=
(Rγ−1 Ψ1 . . . Ψm Rγ )(Ψm )−1 . . . (Ψ1 )−1
=
(Rγ−1 Ψ1 Rγ ) . . . (Rγ−1 Ψm Rγ )(Ψm )−1 . . . (Ψ1 )−1
=
=
−1
)(Ψm )−1 . . . (Ψ1 )−1
(K1 Ψ1 K1−1 ) . . . (Km Ψm Km
−1
(K1 )(Ψ1 )(K1−1 ) . . . (Km )(Ψm )(Km
)(Ψm )−1 . . . (Ψ1 )−1 .
De cette dernière écriture, on en déduit que Φ = 0 dans l’abélianisé
^2 , ω)) ∼
^2 , ω)/[Ham(T
^2 , ω), Ham(T
^2 , ω)].
H1 (Ham(T
= Ham(T
^2 , ω), Ham(T
^2 , ω)], et on a donc prouvé que
Ainsi Φ appartient à [Ham(T
^2 , ω) ⊆ [Ham(T
^2 , ω), Ham(T
^2 , ω)].
Ham(T
Pour conclure ce chapitre, évoquons la cas de la dimension supérieure.
Il y a deux manières d’envisager le contexte : ou bien on considère une
variété (de dimension paire) munie d’une forme symplectique auquel cas
les résultats et les méthodes de cette section s’étendent immédiatement,
ou bien on se place sur une variété (de dimension quelconque) munie
d’une forme volume. Dans ce dernier cas, si M est une variété compacte
orientable de dimension n, on peut également définir un “morphisme de
flux”, à valeurs dans le H n−1 (M, R), et dont le noyau constitue un sousgroupe normal. Par des techniques analogues à celles de cette section et
de la section 2.2, Thurston et McDuff ont prouvé que ce noyau est simple
(voir [McD82], la démonstration de Thurston étant non publiée). Notons
néanmoins que les arguments dans ce cas sont beaucoup plus techniques.
En effet, on peut remarquer que les preuves des théorèmes de fragmentation 2.2.1 et 3.4.8 utilisent des coordonnées “canoniques” sur les groupes
Dif f0∞ (M ) et Symp0 (M, ω), qui n’ont hélas pas d’analogues sur le groupe
des difféomorphismes préservant le volume en dimension strictement plus
grande que deux.
Chapitre 4
Homéomorphismes
conservatifs
Soient M une surface compacte et µ une mesure de probabilité borélienne
sur M . On dit qu’une application continue g : M → M préserve cette
mesure si pour tout borélien A, on a µ(A) = µ(g −1 (A)), i.e. si µ =
g∗ µ où g∗ µ désigne la mesure image. On note Homeo(M, µ) le groupe
des homéomorphismes préservant la mesure. Dans le cas à bord, on suppose que notre mesure ne charge pas le bord (µ(∂M ) = 0) et on note
Homeo(M, ∂M, µ) le groupe des homéomorphismes préservant la mesure
et qui sont l’identité sur un voisinage du bord.
Précisons tout de suite le contexte dans lequel on va se placer. On dit
qu’une mesure µ est bonne si elle n’a pas d’atome (µ({x}) = 0 pour tout
x dans M ) et si elle charge les ouverts non vides. Par un théorème de Von
Neumann-Oxtoby-Ulam (voir [OU41]), si µ1 et µ2 sont deux telles mesures
sur une variété topologique compacte, il existe alors un homéomorphisme
h de notre variété tel que h∗ µ1 = µ2 : on a donc un résultat analogue au
théorème de Moser sur les formes volumes. Ainsi les propriétés algébriques
et topologiques du groupe Homeo(M, µ) ne dépendent pas du choix d’une
bonne mesure µ. En pratique,
on se fixe une forme volume lisse ω, et on
R
prend la mesure µ(A) = A ω, qui vérifie clairement les hypothèses. On
note Homeo(M, µ) le groupe des homéomorphismes préservant l’aire.
Dans le chapitre précédent, on a étudié et donné une réponse complète
au problème de la simplicité des groupes de difféomorphismes C ∞ de surfaces préservant le volume. On souhaite maintenant étendre ces méthodes
aux groupes Homeo0 (M, µ) et Homeo0 (M, ∂M, µ), mais malgré plusieurs
tentatives de différents auteurs, des questions importantes subsistent.
98
99
Abed Bounemoura
4.1
Approche de Fathi
Une idée naturelle pour obtenir des résultats analogues aux groupes de
difféomorphismes est d’étendre les différents invariants de Calabi
aux groupes d’homéomorphismes. En effet, rappelons que pour le groupe
Dif f0∞ (M, ω), nous avons construit un morphisme surjectif (premier invariant de Calabi)
Sch : Dif f0∞ (M, ω) −→ H1 (M, R)/Γ0ω
qui avait permis de conclure à la non-simplicité du groupe Dif f0∞ (M, ω)
lorsque le H1 (M, R) est non trivial. Nous allons exposer dans cette section une construction de Fathi (voir [Fat80a]), qui généralise ce morphisme
au groupe Homeo(M, µ), et qu’il appelle morphisme de “flot de masse”.
Commençons par regarder quelques exemples.
Dans le cas de la sphère S2 ou du disque D2 , il n’y a rien à faire puisque
le premier invariant de Calabi est trivial. Pour le tore T2 et l’anneau A,
la notion de vecteur (ou de nombre) de rotation, qui est une version du
premier invariant de Calabi, est bien défini pour les homéomorphismes : si
^ 0 (T2 , µ) ou à Homeo
^ 0 (A, ∂A, µ), alors
Φ = (ϕt )t∈[0,1] appartient à Homeo
la valeur moyenne de la fonction de déplacement
Z
Z
1
2
ρ(Φ, µ) =
(ϕ̃ (x̃)−x̃)dµ(x) ∈ R ou ρ(Φ, µ) =
p1 (ϕ̃1 (x̃)−x̃)dµ(x) ∈ R
T2
A
^ 0 (T2 , µ)
donne naissance à un morphisme surjectif sur le groupe Homeo
2
^ 0 (A , µ). Cependant cette construction ne s’adapte pas aux
ou sur Homeo
surfaces de genre supérieur qui ont une topologie bien plus complexe, d’où
la nécessité d’une nouvelle approche.
Remarque 4.1.1. En réalité, l’invariant de Schwartzman
!
Z ÃZ
α dµ(x)
Sch(Φ).α =
M
γΦ,x
peut également se définir pour un homéomorphisme d’une surface quelconque isotope à l’identité : en effet, bien que le chemin γΦ,x ne soit que
continu, il est bien connu qu’on peut le “lisser” en gardant les extrémités
fixes. Cependant cette approche n’est plus valable en dimension supérieure
pour des variétés topologiques (qui n’ont pas nécessairement de structure
différentiable) et il est préférable de donner une version de cet invariant
qui soit purement topologique.
Avant de donner la construction générale, on va commencer par traiter
l’exemple de l’anneau A de manière informelle. On se donne Θ la fonction
angle (qui dépend d’un choix de coordonnées sur A)
Θ
:
A
(θ, r)
−→
7−→
T
θ
100
Chapitre 4. Homéomorphismes conservatifs
et ϕ un homéomorphisme de l’anneau préservant la mesure, isotope à
l’identité par une isotopie préservant la mesure (et fixant le bord). Notons
Φ = (ϕt )t∈[0,1] cette isotopie. On peut alors relever l’homotopie
f
:
[0, 1] × A
(t, x)
T
f t (x) = Θ(ϕt (x)) − Θ(x)
−→
7−→
en une homotopie f : [0, 1] × A → R, et ce de manière unique en imposant
la condition f 0 = 0. Si x est un point de l’anneau A,
V ar(x, Φ, Θ) = f 1 (x) ∈ R
désigne alors sa variation angulaire sous l’isotopie. Maintenant, puisque l’on
dispose d’une mesure invariante, on peut considérer la variation angulaire
moyenne de tous les points de A en posant
Z
Z
f 1 (x)dµ(x) =
V ar(x, Φ, Θ)dµ(x) ∈ R.
V ar(Φ, Θ) =
A
A
Cette construction est en fait valable pour toute fonction Θ : A → T et il
paraı̂t raisonnable qu’elle ne dépende que de la classe d’homotopie [Θ] et
de la classe d’homotopie de Φ à extrémités fixes. De plus l’application
V ar(Φ)
:
R
[A, T] ∼
= Z −→
Θ
7 → V ar(Φ, Θ)
−
est un morphisme de groupes, on peut donc considérer que V ar(Φ) est un
nombre réel, et enfin l’application
V ar
^ 0 (A, µ)
Homeo
Φ
:
−→
7−→
R
V ar(Φ)
est également un morphisme de groupes. Le fait que ce morphisme soit
surjectif (donc en particulier non trivial) se voit facilement sur un exemple :
pour un réel α quelconque, prenons l’homéomorphisme
Tα
:
A
(θ, r)
−→
A
7−→ (θ + αρ(r), r)
avec une fonction ρ nulle au bord et de moyenne 1. L’homéomorphisme Tα
est le temps 1 de l’isotopie Tα = (Ttα )t∈[0,1] et il est clair que
V ar(Tα ) = α
Z
1
ρ(r)dr = α.
0
Il est bien sûr évident que ce que l’on vient de définir n’est rien d’autre
que le nombre de rotation. C’est ce type construction qui va se généraliser
à toutes les surfaces.
101
Abed Bounemoura
Pour simplifier, on va supposer que M est fermée (le cas à bord s’obtient
par les modifications habituelles). Comme le suggère l’exemple précédent
(et de manière analogue au premier invariant de Calabi), on commence par
^ 0 (M, µ).
définir ce morphisme sur le revêtement universel Homeo
Remarque 4.1.2. On peut trouver dans [Fat80a] une preuve du fait que le
^ 0 (M, µ) est
groupe Homeo0 (M, µ) est localement contractile. Ainsi, Homeo
exactement l’ensemble des classes d’homotopies à extrémités fixes d’isotopies dans Homeo0 (M, µ).
Notons [M, T] l’ensemble des classes d’homotopies d’applications de M
dans le cercle T. Alors [M, T] a clairement une structure de groupe abélien
et on a un isomorphisme
Hom([M, T], R) ∼
= H1 (M, R).
En effet, il suffit de vérifier que [M, T] s’identifie à H 1 (M, Z). Si l’on choisit un générateur σ dans H 1 (T, Z) (une orientation sur T), on obtient un
morphisme de groupes
[M, T]
g
−→ H 1 (M, Z)
7−→
g∗σ
qui se trouve être un isomorphisme (ce dernier point n’est pas évident,
^ 0 (M, ω) et [Θ] dans
voir [Fat80a]). Prenons donc [Φ] appartenant à Homeo
[M, T]. Alors
f t = Θϕt − Θ : M −→ T
est une homotopie entre f 0 = 0 et f 1 = Θϕ1 − Θ. Par la théorie des
revêtements, il existe une unique homotopie
f t = Θϕt − Θ : M −→ R
qui relève f t et qui vérifie f 0 = 0. On définit l’invariant de Fathi d’un
^ 0 (M, ω) par
élément [Φ] appartenant à Homeo
Z
Z
F(Φ).Θ =
f 1 (x)dµ(x) =
Θϕ1 − Θ(x)dµ(x).
M
M
Théorème 4.1.3 (Fathi). On obtient ainsi un morphisme de groupes
^ 0 (M, µ) −→ H1 (M, R)
F : Homeo
continu et surjectif.
Démonstration. ([Fat80a]) Il y a plusieurs vérifications à faire. Soient Θ, Θ 0
appartenant à C 0 (M, T), alors on a l’égalité
(Θ + Θ0 )ϕt − (Θ + Θ0 ) = (Θϕt − Θ) + (Θ0 ϕt − Θ0 )
102
Chapitre 4. Homéomorphismes conservatifs
qui passe aux relèvements
(Θ + Θ0 )ϕ1 − (Θ + Θ0 ) = (Θϕ1 − Θ) + (Θ0 ϕ1 − Θ0 )
donc F(Φ) : C 0 (M, T) → R est un morphisme de groupes par linéarité de
l’intégrale.
Montrons maintenant que F(Φ) est bien définie sur [M, T]. Prenons une
fonction Θ : M → T homotope à une constante, et soit Θ le relevé de Θ
obtenu en relevant l’homotopie. On a alors
Θϕt − Θ = Θϕt − Θ
et donc
F(Φ).Θ =
Z
Θϕ1 (x)dµ(x) −
M
Z
Θ(x)dµ(x) = 0.
M
Ainsi F(Φ) appartient à Hom([M, T], R) ∼
= H1 (M, R).
Vérifions que
^ 0 (M, µ) −→ H1 (M, R)
F : Homeo
est bien définie. Si Ψ = (ψ t )t∈[0,1] est homotope à Φ, il existe (Hst )s,t∈[0,1]
telle que H0t = ψ t et H1t = ϕt pour tout t dans [0, 1]. On dispose maintenant
d’une famille à deux paramètres ΘHst − Θ qui se relève en ΘHst − Θ et on
obtient ainsi
Θϕ1 − Θ = Θψ 1 − Θ
ce qui prouve que F(Φ) ne dépend que de [Φ].
^ 0 (M, µ) → H1 (M, R) soit un morphisme résulte
Le fait que F : Homeo
facilement de l’égalité
Θϕt φt − Θ = (Θϕt − Θ)φt + (Θφt − Θ)
pour tout t dans [0, 1] et du fait que φ1 préserve µ.
^ 0 (M, µ) de la topologie C 0 et Hom([M, T], R) de la
Si l’on munit Homeo
topologie faible, l’application F est continue, i.e.
^ 0 (M, µ)
Homeo
Φ
−→
7−→
R
F(Φ).Θ
est continue pour toute application continue Θ : M → T.
Pour conclure, il nous reste à démontrer la surjectivité. Puisque M est
une surface, on peut trouver une base C1 , . . . , Cn de H1 (M, R) formée de
cercles plongés qui admettent un voisinage tubulaire dont l’espace total A i
est un anneau plongé. En s’appuyant sur le théorème de Von NeumannOxtoby-Ulam, on peut s’assurer que la mesure µ sur Ai est un multiple
de la mesure (de Lebesgue) standard. Alors en notant, pour 1 ≤ i ≤ n et
103
Abed Bounemoura
αi ∈ R, Tαi l’homéomorphisme de l’anneau Ai introduit auparavant, on
peut définir une section de F par
H1 (M, R)
−→
α1 [C1 ] + · · · + αn [Cn ] 7−→
^ 0 (M, µ)
Homeo
T α1 · · · T αn
qui nous garantit la surjectivité de F.
En notant Γ0µ = F(π1 (Homeo0 (M, µ))) ⊆ H1 (M, R), on obtient un morphisme
F : Homeo(M, µ) −→ H1 (M, R)/Γ0µ .
Vérifions que cet invariant de Fathi restreint au groupe des difféomorphismes
Dif f0∞ (M, ω) coı̈ncide avec le premier invariant de Calabi introduit dans
la section 3.1. Comparons les deux expressions :
!
Z ÃZ
Sch(Φ).α =
α dµ(x)
M
F(Φ).Θ =
Z
γΦ,x
Θϕ1 − Θ(x)dµ(x).
M
En prenant σ une orientation sur T, il faut ainsi prouver
Z
Θ∗ σ = Θϕ1 − Θ(x)
γΦ,x
i.e. il faut montrer que
Θϕt − Θ =
Z
t
Θ∗ σ(Xs ϕs )ds.
0
D’une part, les expressions coı̈ncident trivialement en t = 0. D’autre part,
on a pour x appartenant à M fixé
Θ∗ σ(Xs (ϕs (x)))
Θ∗ σ(ϕ̇s (x))
µ
¶
d
= σ
(Θϕs )(x) .
ds
=
Ainsi l’application
t ∈ [0, 1] 7−→
Z
t
Θ∗ σ(Xs (ϕs (x)))ds ∈ R
0
est bien un relevé de
t ∈ [0, 1] 7−→ (Θϕt − Θ)(x) ∈ T
qui s’annule en 0, donc F(Φ) = Sch(Φ).
104
Chapitre 4. Homéomorphismes conservatifs
Exemple 4.1.4 (Le tore T2 ). On a l’identification Hom([T2 , T], R) ∼
= R2 .
2
En effet, un élément de [T , T] est représenté par une application
Θa1 ,a2 : z = (z1 , z2 ) 7−→ a1 z1 + a2 z2
avec des entiers a1 , a2 . Donc tout élément de Hom([T2 , T], R) est de la
forme
Θa1 ,a2 7−→ a1 x1 + a2 x2
pour un certain vecteur x = (x1 , x2 ) de R2 . Dans ces conditions, on vérifie
sans trop de difficultés que lorsque Φ est la translation de vecteur α, F(Φ) =
α, ce qui correspond bien évidemment au vecteur de rotation.
Remarque 4.1.5. Si Φ est une isotopie préservant la mesure, une application
du théorème ergodique de Birkhoff analogue à celle de la section 3.1 nous
donne la version asymptotique suivante :
Z
1
lim (Θϕt − Θ)dµ
F(Φ).Θ =
t→+∞
t
M
où la limite existe pour µ-presque tout x dans M .
On obtient finalement que si M est une surface dont le premier groupe
d’homologie est non trivial, le groupe Homeo(M, µ) n’est pas simple, le
noyau Ker(F) étant un sous-groupe normal propre. Il est alors naturel de
s’intéresser à la structure algébrique de Ker(F), ce qui inclut en particulier
le cas des groupes Homeo0 (S2 , µ) et Homeo(D2 , ∂D2 , µ). Il n’est pas difficile
de vérifier que ce noyau est connexe et localement contractile (en admettant
que Homeo(M, µ) et Homeo(M, ∂M, µ) possèdent ces propriétés). En utilisant une décomposition en anses, Fathi parvient à démontrer que Ker(F)
a la propriété de fragmentation mais n’arrive pas à en déduire la simplicité
(en dimension deux, la propriété de fragmentation peut certainement s’obtenir en adaptant les arguments du théorème de Fisher 1.2.3). En réalité,
sa construction étant valable en toute dimension, il prouve que si M est
une variété de dimension strictement plus grande que deux, le noyau est
simple ([Fat80a]).
Théorème 4.1.6 (Fathi). Le groupe Ker(F) est simple pour n ≥ 3.
En revanche, dans le cas qui nous intéresse, à savoir n = 2, le problème
reste ouvert. Remarquons néanmoins que grâce à l’astuce de Thurston 2.2.7,
on peut se limiter au cas du disque.
Proposition 4.1.7. Le noyau de l’invariant de Fathi Ker(F) est simple
pour toute surface si et seulement si le groupe Homeo(D2 , ∂D2 , µ) est parfait.
Il suffit en effet de vérifier les hypothèses du théorème 2.2.7, et toutes
ces vérifications se trouvent par exemple dans [Fat80a].
105
Abed Bounemoura
On va alors tenter une autre approche dans la section suivante, en essayant de généraliser le second invariant de Calabi sur le disque, qui permettrait (en cas d’existence !) de conclure à la non-simplicité de ce groupe.
4.2
Approche de Gambaudo et Ghys
Comme indiqué précédemment, on se concentre désormais sur le groupe
Homeo(D2 , ∂D2 , µ)
où µ est la mesure de Lebesgue sur le disque. Si ϕ est un difféomorphisme
du disque fixant un voisinage du bord et préservant la mesure, on sait
définir son second invariant de Calabi par
Z
1
hϕ,λ ω
Cal(ϕ) =
2 D2
où hϕ,λ est une primitive de ϕ∗ λ − λ (λ étant une primitive de la forme
d’aire) ou bien par
Z 1Z
Cal(ϕ) =
Hωdt
0
D2
avec H la fonction hamiltonienne normalisée engendrant ϕ.
Rappelons que tout élément de Homeo(D2 , ∂D2 , µ) est une limite C 0 de
difféomorphismes préservant la mesure (voir [Sik07] par exemple). Il serait
alors possible d’obtenir une extension du second invariant de Calabi au
groupe Homeo(D2 , ∂D2 , µ) si celui-ci était continu pour la topologie C 0 .
Malheureusement, tel n’est pas le cas. En effet (voir [GG97]), il est facile
de trouver une suite de hamiltoniens autonomes Hn : D2 → R à support
dans le disque de rayon 1/n et de moyenne constante égale à 1. On obtient
alors une suite ϕn = ϕ1Hn de difféomorphismes hamiltoniens qui converge
uniformément vers l’identité mais cependant Cal(ϕn ) = 1 pour tout entier
n. Il n’est donc pas possible d’étendre l’invariant de Calabi par ce simple
procédé de limite.
De manière analogue à la section précédente, on va alors donner une
approche, plus topologique, de cet invariant. On la doit indépendamment
à Fathi ([Fat80b]) et à Gambaudo et Ghys ([GG97]).
Prenons une isotopie Φ = (ϕt )t∈[0,1] dans Homeo(D2 , ∂D2 ) avec ϕ1 = ϕ
un homéomorphisme préservant la mesure. Si x, y sont deux points distincts
du disque D2 , alors pour tout t appartenant à [0, 1], les points ϕt (x) et ϕt (y)
restent distincts. On obtient ainsi un vecteur non nul
vt = ϕt (y) − ϕt (x)
106
Chapitre 4. Homéomorphismes conservatifs
Fig. 4.1 – Variation angulaire Angϕ (x, y)
et on définit Angϕ (x, y) comme étant la variation angulaire de vt lorsque t
varie entre 0 et 1 (voir la figure 4.1).
En notant ∆ la diagonale de D2 × D2 , on obtient une fonction
Angϕ : D2 × D2 \ ∆ −→ R.
Le fait que le groupe Homeo(D2 , ∂D2 ) soit contractile nous assure que
cette fonction ne dépend que de ϕ et pas de l’isotopie Φ. Puisque l’on
dispose d’une mesure invariante, on serait tenté de définir un invariant de
conjugaison en faisant la moyenne
Z
Angϕ (x, y)dµ(x)dµ(y).
D2 ×D2 \∆
Cependant, on s’aperçoit vite que cette intégrale peut ne pas avoir de sens,
car bien que la fonction Angϕ soit continue, elle n’est pas nécessairement
intégrable sur la partie non compacte D2 × D2 \ ∆. Dans le cas où ϕ
est un difféomorphisme (de classe C 1 ), on peut s’assurer de la convergence de cette intégrale en montrant que la fonction Angϕ est bornée
sur le complémentaire de la diagonale. En effet, suivant [GG97], introduisons l’ensemble K des triplets (x, y, ∆xy ) où (x, y) ∈ D2 × D2 et ∆xy
est une droite du plan passant par x et y. C’est une compactification de
D2 × D2 \ ∆, dans le sens où ce dernier s’identifie à un ouvert dense de K.
On peut alors étendre continûment notre fonction Angϕ à K, en définissant
Angϕ (x, x, ∆x ) comme étant la variation angulaire des droites dx ϕt (∆x )
lorsque t va de 0 à 1 (il faut également s’assurer que c’est indépendant de
l’isotopie).
107
Abed Bounemoura
Nous pouvons alors énoncer le théorème suivant, dû à Fathi ([Fat80b])
et redécouvert par Gambaudo et Ghys ([GG97]).
Théorème 4.2.1 (Fathi). L’application
Dif f0∞ (D2 , ∂D2 , µ) −→ R
qui à ϕ associe
1
2
Z
Angϕ (x, y)dµ(x)dµ(y)
D2 ×D2 \∆
est un morphisme de groupes qui coı̈ncide avec le second invariant
de Calabi.
Démonstration [GG97]. Il est facile de montrer que cette application est
bien un morphisme de groupes. En effet, pour des difféomorphismes ϕ et
ψ, on écrit
Angϕφ (x, y) = Angφ (x, y) + Angϕ (φ(x), φ(y))
et on utilise le fait que φ préserve l’aire pour obtenir
Z
Z
Angφ (x, y)dµ(x)dµ(y)
Angϕφ (x, y)dµ(x)dµ(y) =
D2 ×D2 \∆
D2 ×D2 \∆
Z
Angϕ (x, y)dµ(x)dµ(y).
+
D2 ×D2 \∆
Par le théorème de Banyaga 3.3.6 sur la simplicité du noyau du second
invariant de Calabi, il existe un morphisme de groupes ζ : R → R tel que
pour tout ϕ ∈ Homeo(D2 , ∂D2 , µ)
Z
Angϕ (x, y)dµ(x)dµ(y) = ζ(Cal(ϕ)).
D2 ×D2 \∆
De plus, ζ est continu car Cal(ϕ) et Angϕ sont continus en ϕ (pour la
topologie C 1 ) donc ζ est la multiplication par une constante. Pour conclure,
il suffit de montrer que ce facteur (qui n’est rien d’autre qu’une constante de
normalisation) vaut 21 , ce qui peut se faire en calculant sur un hamiltonien
explicite.
Remarque 4.2.2. Il existe d’autres preuves de ce résultat : voir [GG97] pour
une démonstration n’utilisant pas le théorème de Banyaga, et qui consiste à
montrer que les deux expressions coı̈ncident pour des hamiltoniens de plus
en plus généraux, ou bien [Fat80b] pour un argument encore différent.
Par une utilisation du théorème ergodique de Birkhoff, on obtient la
version asymptotique suivante :
Z
Angϕ (x, y)dµ(x)dµ(y)
D2 ×D2 \∆
=
Z
D2 ×D2 \∆
µ
¶
1
Angϕt (x, y) dµ(x)dµ(y)
t→+∞ t
lim
108
Chapitre 4. Homéomorphismes conservatifs
après avoir étendu notre isotopie (ϕt )t∈[0,1] à R. Cette relation nous permet
d’obtenir une nouvelle preuve, plus géométrique, du fait que cette variation
angulaire totale correspond au second invariant de Calabi (cette preuve est
due à Frédéric Le Roux). Pour µ2 -presque tout couple de points (x, y),
notons
1
A(x, y) = lim Angϕt (x, y)
t→+∞ t
l’enlacement asymptotique des points x et y. On a donc deux applications
différentiables
Z 1Z
Hωdt
Cal : ϕ 7−→
Cal : ϕ 7−→
1
2
Z
D2
0
A(x, y)dµ(x)dµ(y)
D2 ×D2 \∆
et l’on souhaite montrer qu’elles coı̈ncident. Elles sont clairement égales en
l’identité, il suffit alors de prouver que leur différentielle coı̈ncident. Soit
donc (ϕt )t∈[0,1] une courbe dans Dif f ∞ (D2 , ∂D2 , µ) partant de l’identité
(qui est donc une isotopie hamiltonienne), on veut montrer la relation
d
d
|t=t0 (Cal(ϕt )) = |t=t0 (Cal(ϕt ))
dt
dt
pour tout t0 ∈ [0, 1]. Puisque Cal et Cal sont des morphismes continus
pour la topologie C 1 , il suffit de vérifier cette relation pour t0 = 0. On
obtient alors
Z
d
H0 ω
|t=0 (Cal(ϕt )) =
dt
D2
et
d
|t=0 (Cal(ϕt )) =
dt
Z
A0 (x, y)dµ(x)dµ(y)
D2 ×D2 \∆
où A0 (x, y) est l’enlacement asymptotique des points x et y sous l’isotopie
hamiltonienne autonome engendré par H0 . Maintenant, par la proposition
3.2.7, presque tout point de M est sur une orbite périodique du flot hamiltonien associé à H0 . Soient x un tel point, et Dx le disque bordé par son
orbite. Remarquons alors que le nombre H0 (x) est le nombre de rotation
de l’isotopie dans l’anneau D2 \ Dx , et que pour un point y appartenant à
cet anneau, A0 (x, y) est le nombre de rotation du point y dans D2 \ Dx .
On trouve alors
Z
Z
A0 (x, y)dµ(x)dµ(y) = 2
H0 ω.
D2 ×D2 \∆
D2
En effet, en supposant que x et y ont des trajectoires périodiques, on peut
découper le domaine d’intégration de A0 en trois parties : ou bien y appartient à Dx , ou bien x appartient à Dy , ou bien ni l’un ni l’autre et l’on
109
Abed Bounemoura
peut facilement vérifier que ce dernier cas n’apporte aucune contribution à
l’intégrale.
Même si elle ne fait pas intervenir de différentiabilité dans sa construction, la formule
Z
1
Cal(ϕ) =
Angϕ (x, y)dµ(x)dµ(y)
2 D2 ×D2 \∆
n’a de sens que si ϕ est un difféomorphisme. Cependant, une conséquence
intéressante de cette relation est l’invariance topologique du second invariant de Calabi.
Théorème 4.2.3 (Gambaudo-Ghys). Soient ϕ et φ des éléments du
groupe Dif f0∞ (D2 , ∂D2 , µ) conjugués dans Homeo(D2 , ∂D2 , µ). Alors on a
l’égalité Cal(ϕ) = Cal(φ).
La preuve repose sur un lemme de théorie ergodique.
Lemme 4.2.4. Soit (X, µ) un espace topologique muni d’une mesure de
probabilité borélienne, T : X → X une transformation préservant la mesure, u une fonction continue et f une fonction intégrable tels que
f = uT − u.
Alors f a une moyenne nulle.
Démonstration. En écrivant les sommes de Birkhoff pour la fonction f , on
trouve
n−1
1
1X
f T k = (uT n − u).
n
n
k=0
En appliquant le théorème ergodique de Birkhoff, on trouve que le terme de
gauche tend vers une fonction de moyenne égale à celle de f pour µ-presque
tout x et par le théorème de récurrence de Poincaré, on peut extraire du
terme de droite une sous-suite qui converge vers 0 pour µ-presque tout x.
La fonction f a donc une moyenne nulle.
Remarque 4.2.5. Le lemme suivant est en fait valable sous les hypothèses
que X soit un espace de probabilité et u une fonction mesurable, voir
[Fat80b].
Démonstration du théorème 4.2.3. On a une relation de conjugaison ϕ =
ψφψ −1 pour un certain ψ appartenant à Homeo(D2 , ∂D2 , µ) qui nous donne
Angψ (x, y) + Angϕ (ψ(x), ψ(y)) = Angφ (x, y) + Angψ (φ(x), φ(y))
que l’on peut écrire sous la forme
Angϕ (ψ(x), ψ(y)) − Angφ (x, y) = Angψ (φ(x), φ(y)) − Angψ (x, y).
110
Chapitre 4. Homéomorphismes conservatifs
La fonction Angψ n’est pas intégrable sur D2 × D2 \ ∆ car ψ est seulement
un homéomorphisme, mais elle est quand même continue. Puisque φ × φ
préserve la mesure produit et que la fonction
Angϕ (ψ × ψ) − Angφ = Angψ (φ × φ) − Angψ
est intégrable (puisque ϕ et φ sont des difféomorphismes), le lemme 4.2.4
nous indique qu’elle a une moyenne nulle, ce qui signifie bien que Cal(ϕ) =
Cal(φ) puisque ψ préserve la mesure.
Donnons maintenant une manière plus abstraite d’envisager le problème
de l’extension du second invariant de Calabi au groupe Homeo(D2 , ∂D2 , µ)
(que l’on doit à Ghys, voir [Ghy03] et [Ghy07]).
Question 3 (Ghys). Existe-t-il une application non triviale
I : C 0 (D2 × D2 \ ∆) −→ R
linéaire et équivariante sous l’action diagonale de Homeo(D2 , ∂D2 , µ) sur
C 0 (D2 × D2 \ ∆) ?
Bien sûr, si l’on se restreint aux fonctions bornées sur le complémentaire
de la diagonale dans D2 × D2 , il suffit de prendre pour I l’intégration par
rapport à la mesure produit µ2 . On cherche donc à étendre cette intégration
pour les fonctions qui ne sont que continues. Supposons que la réponse à
la question précédente soit positive. Alors l’application
Homeo(D2 , ∂D2 , µ)
ψ
−→
7−→
R
I(Angψ )
définit un morphisme de groupes non trivial (qui prolongerait le second
invariant de Calabi si I était une extension de l’intégration des fonctions
bornées sur le complémentaire de la diagonale dans D2 × D2 ). Dans ce cas,
le groupe Homeo(D2 , ∂D2 , µ) n’est pas simple, le noyau de cet “invariant de
Calabi” définissant un sous-groupe normal propre de Homeo(D2 , ∂D2 , µ).
Ce noyau contient en particulier l’ensemble
2
2
H = {ψ ∈ Homeo(D , ∂D , µ) | Angψ =
n
X
ui (ϕi × ϕi ) − ui }
i=1
avec un entier n, des fonctions ui ∈ C 0 (D2 ×D2 \∆) et des homéomorphismes
ϕi ∈ Homeo(D2 , ∂D2 , µ), pour 1 ≤ i ≤ n.
Cependant, la construction d’une telle fonctionnelle I reste une question ouverte (dans [Ghy03] et [Ghy07], on pose la question “simplifiée”
de l’existence d’une fonctionnelle linéaire sur l’espace des fonctions continues du disque épointé et équivariante sous l’action des homéomorphismes
préservant la mesure). Mais la discussion précédente a permis de définir un
sous-groupe H de Homeo(D2 , ∂D2 , µ) qui a un sens indépendemment de
l’existence hypothétique de I et on a la proposition suivante.
111
Abed Bounemoura
Proposition 4.2.6 (Ghys). L’ensemble H est un sous-groupe normal de
Homeo(D2 , ∂D2 , µ) qui n’est pas réduit à l’identité.
Démonstration. Notons G = Homeo(D2 , ∂D2 , µ) et E = C 0 (D2 × D2 \ ∆).
Pour u ∈ M et ϕ ∈ G, on écrit u.ϕ = u(ϕ × ϕ) (cela correspond à une
action à droite de G sur E). Soit C l’espace des cobords, i.e. le sous-espace
vectoriel de E engendré par les fonctions de la forme u.ϕ − u, et notons [.]
les classes d’équivalences dans le quotient E/C. Alors la relation
Angφ1 φ2 = Angφ2 + Angφ1 .ψ2
se traduit par le fait que l’application
F
:
G
ϕ
−→
7−→
E/C
[Angϕ ]
est un morphisme de groupes. Par définition H est le noyau de F , c’est
donc un sous-groupe normal de G. De plus, puisque E/C est abélien, H
contient les commutateurs de G et il n’est donc pas réduit à l’identité.
Mais la question suivante, naturellement liée à la précédente, semble aussi
difficile.
Question 4. H est-il un sous-groupe propre de Homeo(D2 , ∂D2 , µ) ?
On va alors changer de point de vue, et au lieu d’essayer d’étendre les
invariants de Calabi, on va tenter de définir un groupe d’homéomorphismes
“hamiltoniens”. Avant cela, il nous faudra examiner un peu plus en détail
le groupe des difféomorphismes hamiltoniens.
4.3
Distance de Hofer
Dans cette section, on poursuit l’étude du groupe des difféomorphismes
hamiltoniens. Plus précisément, on y introduit une distance bi-invariante,
appelée distance de Hofer, qui trouve son origine dans la recherche d’orbites périodiques pour les systèmes hamiltoniens (ou plus précisément de
caractéristiques fermées dans les hypersurfaces des variétés symplectiques).
Cependant, le but ici est seulement de donner quelques définitions et
propriétés élémentaires de la distance de Hofer dont on aura besoin dans
la section suivante. Pour cette partie, on pourra consulter les références
[MS98], [HZ94], [Pol01] et [AK98]. On se donne (M, ω) une variété symplectique de dimension quelconque.
Soit ϕ un difféomorphisme hamiltonien. Si l’on considère ϕ comme un
“mouvement mécanique”, une question naturelle est alors de savoir quelle
est l’“énergie minimale” nécessaire pour engendrer ϕ.
112
Chapitre 4. Homéomorphismes conservatifs
Par définition, il existe un hamiltonien H appartenant à H qui engendre
une isotopie ΦH = (ϕtH )t∈[0,1] avec ϕ1H = ϕ. Choisissons une norme ||.|| sur
l’espace vectoriel RA. Cela permet de mesurer l’“énergie” d’un hamiltonien
1
H par l’intégrale 0 ||Ht ||dt. On définit alors l’“énergie” de ϕ par
E(ϕ) = inf
½Z
1
0
||Ht ||dt | ϕ1H = ϕ, H ∈ H
¾
et ceci permet de donner une réponse à la question posée. On peut considérer
l’énergie de ϕ comme une distance à l’identité, et en décrétant l’invariance
à gauche, on obtient une application
d : Ham(M, ω) × Ham(M, ω) −→ [0, +∞[
définie par
d(ψ, ϕ) = d(1, ψ −1 ϕ) = E(ψ −1 ϕ).
Voici une autre manière de comprendre cette distance d(ψ, ϕ). On rappelle
qu’une structure de Finsler sur une variété N est la donnée, pour tout point
x appartenant à N , d’une norme ||.||x sur Tx N qui dépend de manière lisse
du point x (c’est donc une notion un peu plus générale que celle de métrique
riemannienne). Maintenant, si l’on considère Ham(M, ω) comme un groupe
de Lie, A s’identifie à son espace tangent à l’identité (voir la section 3.2)
et la norme ||.|| s’étend par invariance à gauche en une structure de Finsler
sur Ham(M, ω). Comme dans le cas riemannien, on peut ainsi définir la
R1
longueur des courbes dans Ham(M, ω) (en particulier, 0 ||Ht ||dt n’est rien
d’autre que la longueur de la courbe t ∈ [0, 1] 7→ ϕtH ∈ Ham(M, ω)) puis
définir la distance d(ψ, ϕ) comme la longueur minimale d’une courbe reliant
ψ et ϕ.
Pour les groupes de Lie de dimension finie, il est toujours plus utile
d’avoir une distance bi-invariante. On sait que cela revient à demander
l’invariance de ||.|| sous l’action adjointe, dans notre cas, on veut donc
||H|| = ||Hφ|| pour tout difféomorphisme hamiltonien φ. Remarquons
qu’une telle propriété impose ici une sévère restriction sur le choix de ||.||,
à savoir la “nature C 0 ” de ||H||, qui ne doit pas faire intervenir de dérivées
de H.
Proposition 4.3.1. L’application d : Ham(M, ω)×Ham(M, ω) → [0, +∞[
ainsi définie vérifie les propriétés suivantes, pour tout ϕ, ψ, φ ∈
Ham(M, ω) :
(i) ϕ = ψ ⇒ d(ϕ, ψ) = 0 ;
(ii) d(ϕ, ψ) = d(ψ, ϕ) ;
(iii) d(ϕ, θ) ≤ d(ϕ, ψ) + d(ψ, θ) ;
(iv) d(ϕ, ψ) = d(θϕθ −1 , θψθ −1 ).
113
Abed Bounemoura
Démonstration. Le point (i) est trivial. Pour (ii), (iii) et (iv), il suffit
de montrer respectivement que E(ϕ) = E(ϕ−1 ), E(ϕψ) ≤ E(ϕ) + E(ψ)
et E(φϕφ−1 ) = E(ϕ) ce qui résulte facilement des formules définissant H̄,
H#K, et φ∗ H (voir la proposition 3.2.2) ainsi que la propriété d’invariance
||H|| = ||Hφ|| pour tout φ ∈ Ham(M, ω).
En particulier, d définit seulement une pseudo-distance sur Ham(M, ω),
on ne peut pas dire de manière générale si d est non dégénérée, i.e. si
d(ϕ, ψ) = 0 =⇒ ϕ = ψ.
Cela va dépendre du choix de la norme ||.|| sur A. Voici deux exemples que
l’on étudiera plus en détail par la suite :
(1) la norme Lp , 1 ≤ p < ∞ définie par
||H||p =
µZ
|H|p ω
M
¶1/p
(2) la norme d’oscillation
Osc(H) = sup H(x) − inf H(x).
x∈M
x∈M
On aurait pu également choisir la norme C 0
||H||C 0 = sup |H(x)|
x∈M
mais par normalisation des hamiltoniens, on obtient facilement l’inégalité
||H||C 0 ≤ Osc(H) ≤ 2||H||C 0
et donc l’équivalence entre la norme C 0 et l’oscillation. Le choix de la norme
d’oscillation est motivé par la recherche d’orbites périodiques des systèmes
hamiltoniens (voir [HZ94]).
On note dp et d∞ les pseudo-distances définies par ces normes. La pseudodistance d∞ est appelée distance de Hofer. On verra par la suite qu’elle est
effectivement non dégénérée, ce qui n’est pas le cas de dp .
Associée à la norme d’oscillation sur A, on définit la norme de Hofer d’un
hamiltonien H appartenant à H par
||H||1,∞ =
Z
1
Osc(Ht )dt
0
de telle sorte que
d∞ (1, ϕ) = inf{||H||1,∞ | ϕ1H = ϕ, H ∈ H}.
114
Chapitre 4. Homéomorphismes conservatifs
On aurait pu encore choisir d’autres normes sur H, comme par exemple
sup (Osc(Ht ))
t∈[0,1]
ou bien la norme équivalente
sup
|H(t, x)|.
(t,x)∈[0,1]×M
Ces deux dernières normes ne sont pas équivalentes à ||.||1,∞ , cependant,
les distances induites sur Ham(M, ω) coı̈ncident (voir [Pol98]).
Proposition 4.3.2 (Polterovich). Pour ϕ appartenant à Ham(M, ω),
on a
)
(
d∞ (1, ϕ) = inf
sup (Osc(Ht )) | ϕ1H = ϕ, H ∈ H .
t∈[0,1]
La définition originale de Hofer (voir [Hof90]) était
Ã
! µ
||H|| =
sup
(x,t)∈M ×[0,1]
Ht (x)
−
inf
(x,t)∈M ×[0,1]
H(x)
¶
et cette dernière est clairement équivalente à ||.||C 0 . Dans la suite, on écrit
simplement ||.|| = ||.||1,∞ pour la norme de Hofer.
Remarque 4.3.3. Si d est une pseudo-distance bi-invariante sur le groupe
Ham(M, ω), on note
Gd = {ϕ ∈ Ham(M, ω) | d(1, ϕ) = 0}.
Par les propriétés d’invariance de d, il est immédiat que Gd est un sousgroupe normal de Ham(M, ω). Si M est fermée, on sait que Ham(M, ω)
est simple, donc Gd est trivial ou Gd = Ham(M, ω). En particulier pour
prouver la non dégénérescence de d sur une variété fermée donnée, il suffit
d’exhiber un seul difféomorphisme ϕ vérifiant d(1, ϕ) > 0.
De manière générale, la non-dégénérescence d’une pseudo-distance biinvariante d sur le groupe des difféomorphismes hamiltoniens est liée à la
notion d’énergie de déplacement.
Définition 4.3.4. On appelle énergie de déplacement d’une partie U incluse
dans M la quantité définie par
ed (U ) = inf{d(1, ϕ) | ϕ ∈ Ham(M, ω) et ϕ(U ) ∩ U = ∅}
si cet ensemble n’est pas vide, et ed (U ) = +∞ dans le cas contraire.
115
Abed Bounemoura
Fig. 4.2 – Énergie de déplacement
Cette quantité représente l’énergie minimale dont un difféomorphisme
hamiltonien a besoin pour déformer U en un ensemble qui lui soit disjoint,
d’où le terme énergie de déplacement (voir la figure 4.2). L’intérêt de cette
notion réside dans le théorème suivant ([Pol01], [EP93]).
Théorème 4.3.5 (Eliashberg-Polterovich). La pseudo-distance d est
non dégénérée si et seulement si ed (U ) > 0 pour tout ouvert U non vide.
Démonstration. ([Pol01]) Supposons que ed charge les ouverts non vides.
Si ϕ appartenant à Ham(M, ω) est différent de l’identité, il existe un point
x dans M tel que ϕ(x) 6= x et alors par continuité ϕ déplace une petite
boule U centrée en x, d’où d(1, ϕ) ≥ ed (U ) > 0 et donc d est non dégénérée.
Pour la réciproque, on procède en deux étapes.
(a) Si U est un ouvert non vide, il existe ϕ, ψ ∈ Ham(M, ω) à support
dans U tels que [ϕ, ψ] 6= 1.
Commençons par remarquer que si deux hamiltoniens autonomes H et
K engendrent des flots qui commutent, alors {H, K} = 0. Soit x un point
de U , choisissons deux vecteurs ξ, η ∈ Tx U tels que ω(ξ, η) 6= 0. En prenant
des coordonnées symplectiques au voisinage de x, on trouve deux germes
de fonctions H et K vérifiant XH (x) = ξ et XK (x) = η, puis on étend ces
fonctions sur M par une fonction plateau. Quitte à ajouter une constante
pour normaliser, on trouve des hamiltoniens qui vérifient {H, K} 6= 0 car
{H, K}(x) = ω(XH (x), XK (x)) = ω(ξ, η) 6= 0
donc leurs flots, qui sont à support dans U , ne commutent pas. Ceci prouve
l’assertion.
116
Chapitre 4. Homéomorphismes conservatifs
(b) Si U est un ouvert non vide et ϕ, ψ ∈ Ham(M, ω) sont à support dans
U , alors on a ed (U ) ≥ 1/4 d(1, [ϕ, ψ]).
Le théorème est alors une conséquence immédiate de ces deux assertions. Il nous reste donc à démontrer cette seconde affirmation. On peut
supposer ed (U ) < ∞ (sinon l’inégalité serait triviale), il existe alors un
difféomorphisme hamiltonien h qui déplace U . Notons θ = [ϕ, h−1 ]. On
peut alors vérifier que [ϕ, ψ] = [θ, ψ]. Ainsi
d(1, [ϕ, ψ])
=
d(1, [θ, ψ])
=
≤
d(θ −1 , ψθψ −1 )
d(1, θ −1 ) + d(1, ψθψ −1 )
=
≤
2d(1, θ)
4d(1, h).
En minimisant sur les h qui déplacent U , on obtient l’inégalité voulue.
Ce théorème va nous être fort utile pour étudier la dégénérescence ou
non des pseudo-distances d∞ et dp .
Théorème 4.3.6. On a ed∞ (U ) > 0 pour tout ouvert U non vide, i.e. la
distance de Hofer est non dégénérée.
Ce théorème est très difficile, et il semble que les preuves existantes
restent encore assez mystérieuses (voir la discussion dans [Pol01]). On le
doit à Hofer pour M = R2n ([Hof93], [HZ94]) et à Lalonde-McDuff dans le
cas général ([LM95]). Dans tous les cas, la preuve repose sur la notion de
capacité symplectique (voir [Vit89], [HZ94]).
Définition 4.3.7. Une capacité symplectique est une application qui a toute
variété symplectique (M, ω) associe un nombre c(M, ω) ∈ [0, ∞] et qui
vérifie les axiomes suivants :
(A1) si (M, ω) se plonge symplectiquement dans (M 0 , ω 0 ), alors
c(M, ω) ≤ c(M 0 , ω 0 )
(monotonie) ;
(A2) on a c(M, αω) = |α|c(M, ω) pour tout réel α 6= 0 (homogénéité) ;
(A3) si on note B 2n (r) la boule euclidienne de rayon r dans R2n et
Z 2n (r) = B 2 (r) × R2n−2 le cylindre symplectique, alors
c(B 2n (1), ω0 ) > 0
;
c(Z 2n (1), ω0 ) < ∞
(non-trivialité).
En cas d’existence, le premier axiome nous assure qu’un tel nombre est
en particulier un invariant symplectique et le dernier axiome nous interdit
d’avoir le volume comme capacité symplectique (en dimension strictement
plus grande que deux bien sûr), ce qui permet de faire une distinction
claire entre la géométrie symplectique et la géométrie sous-jacente associé
117
Abed Bounemoura
à la préservation du volume. Les capacités symplectiques existent, et elles
sont même nombreuses. Le premier exemple est dû à Gromov ([Gro85]), où
cG (M, ω) = sup{πr 2 | (B 2n (r), ω0 ) ,→ (M, ω)}.
Cette application vérifie clairement les deux premiers axiomes, quand à
la non-trivialité, c’est une conséquence d’un théorème fondamental (et
très difficile) de Gromov, qui inaugura l’utilisation des courbes pseudoholomorphes en géométrie symplectique.
Théorème 4.3.8 (Gromov). Il existe un plongement symplectique
(B 2n (r), ω0 ) ,→ (Z 2n (R), ω0 )
seulement si r ≤ R.
On en déduit ainsi que
cG (B 2n (1), ω0 ) = cG (Z 2n (1), ω0 ) = π.
La non-dégénérescence de la distance de Hofer dans le cas général est alors
une conséquence de l’inégalité d’“énergie-capacité” suivante, que l’on doit
à Lalonde et McDuff.
Théorème 4.3.9 (Lalonde-McDuff ). Soient (M, ω) une variété symplectique et U une partie de M , alors
ed∞ (U ) ≥
1
cG (U ).
2
Pour M = R2n , il existe d’autres capacités symplectiques, de nature
variationnelles, construites dans un premier temps par Ekeland et Hofer
([EH89], [EH90]) puis par Hofer et Zendher ([HZ90], [HZ94]). Pour une
partie U incluse dans R2n , Hofer avait prouvé l’inégalité
ed∞ (U ) ≥ cHZ (U )
où cHZ désigne la capacité de Hofer-Zehnder (voir [Hof90]), démontrant
ainsi la non-dégénérescence de la distance de Hofer dans le cas où M = R2n .
Notons une conséquence immédiate de ces résultats, qui sera fondamentale dans la suite pour définir une notion d’homéomorphisme hamiltonien.
Corollaire 4.3.10. Soient (Hi )i∈N , H des hamiltoniens lisses appartenant
à H, et ϕ un homéomorphisme. On fait les hypothèses suivantes :
(i) limi→+∞ ||Hi − H|| = 0 pour la norme de Hofer dans H ;
(ii) limi→+∞ dC 0 (ϕ1Hi , ϕ) = 0 pour la norme C 0 .
Alors ϕ = ϕ1H .
118
Chapitre 4. Homéomorphismes conservatifs
Démonstration. Par l’absurde, supposons que ϕ 6= ϕ1H , et posons ψ =
ϕ1H ϕ−1 . Ainsi ψ 6= 1, donc on peut trouver une petite boule U telle que
U ∩ ψ(U ) = ∅. Puisque ψ est limite uniforme de ψi = ϕ1H (ϕ1Hi )−1 , on a
U ∩ ψi (U ) = ∅ pour i suffisamment grand. On a donc d’une part
d∞ (1, ψi ) ≥ ed∞ (U ) > 0
et d’autre part
d∞ (1, ψi ) ≤ ||Hi − H||
avec
lim ||Hi − H|| = 0
i→+∞
ce qui est absurde. Donc ϕ = ϕ1H .
Enfin terminons cette section par l’étude des pseudo-distances dp , définies
par
(Z µZ
)
¶
1/p
1
|H|p ω
dp (1, ϕ) = inf
0
M
dt | ϕ1H = ϕ, H ∈ H .
Théorème 4.3.11 (Eliashberg-Polterovich). Pour p fini, la pseudodistance dp est dégénérée. De plus, si M est fermée, alors dp est identiquement nulle.
Démonstration. ([Pol01]) Soit U une boule suffisamment petite plongée
dans M . En prenant des coordonnées symplectiques au voisinage de U , on
peut facilement trouver un flot hamiltonien “horizontal” qui déplace U , i.e.
il existe un hamiltonien autonome H ∈ C ∞ (M ) tel que ϕ1H (U ) ∩ U = ∅.
Posons St = ϕtH (∂U ), et soit Vt un voisinage de St . A l’aide d’une fonction plateau, on construit K ∈ C ∞ (M × [0, 1]) qui vérifie
(
H sur St
Kt =
0 sur M \ Vt .
Quitte à rajouter une constante ct pour normaliser, on suppose que K ∈ H.
1
Notons ψK
le difféomorphisme hamiltonien engendré par K. Puisque K
1
(U ) ∩ U = ∅. En prenant
coı̈ncide avec H sur St , il est immédiat que ψK
des voisinages Vt arbitrairement petits, on peut s’assurer que la norme
||K||p =
Z
1
0
µZ
|Kt |p ω
Vt
¶1/p
dt
soit aussi petite que l’on veut. Ainsi edp (U ) = 0, ce qui implique que la
distance dp est dégénérée. Enfin, si M est fermée, la dernière conclusion
résulte de la simplicité du groupe des difféomorphismes hamiltoniens.
119
Abed Bounemoura
Remarque 4.3.12. Dans le cas du disque D2 , ou plus généralement d’une
variété symplectique non fermée, en notant
Gdp = {ϕ ∈ Ham(D2 , ∂D2 , ω) | dp (1, ϕ) = 0}
le second théorème de Banyaga permet aussitôt de conclure que G p contient
le noyau du morphisme de Calabi. Un autre résultat d’Eliashberg et Polterovich ([EP93]) nous donne la relation plus fine suivante :
dp (1, ϕ) = vol(M )
1−p
p
|Cal(ϕ)|
avec les conventions (+∞)0 = 1 et (+∞)−c = 0.
4.4
Approche de Oh
Dans les deux premières sections de ce chapitre, on a tenté d’obtenir des
résultats de simplicité concernant les groupes d’homéomorphismes préservant la mesure en essayant d’étendre à ces groupes les invariants de Calabi,
initialement définis pour les difféomorphismes. Cette approche a fonctionné
pour le premier invariant de Calabi (construction de Fathi) mais pas pour
le second. De plus, la question de la simplicité du noyau de l’invariant de
Fathi reste encore ouverte.
Dans cette section, on change d’approche et l’on essaie de définir un
analogue C 0 au groupe des difféomorphismes hamiltoniens, selon des idées
de Oh [OM07]. Pour que la comparaison soit acceptable, il faut que ce
sous-groupe soit normal dans Homeo0 (M, µ) et qu’il soit contenu dans
le noyau de l’invariant de Fathi. Si c’est un sous-groupe propre, alors en
particulier les groupes Homeo0 (S2 , µ) et Homeo0 (D2 , ∂D2 , µ) ne sont pas
simples. Sinon, tout revient à étudier la simplicité de ce groupe, et pour
cela, on peut toujours essayer de définir un second invariant de Calabi.
Une première idée pour définir ce groupe est tout simplement de prendre
l’adhérence de Ham(M, ω) dans Homeo0 (M, µ) pour la topologie C 0 . Cependant, si l’on procède de la sorte on peut facilement obtenir tout le
groupe Homeo0 (M, µ). Par exemple, dans le cas de la sphère S2 , on a
Ham(S2 , ω) = Dif f0∞ (S2 , ω) et l’on sait qu’en dimension deux, on peut
approcher tout homéomorphisme préservant l’aire par un difféomorphisme
préservant l’aire.
Une autre idée, motivée par la nature C 0 de la distance de Hofer, consisterait alors à compléter le groupe Ham(M, ω) vis-à-vis de cette distance, i.e.
à prendre des classes de suites de Cauchy d’éléments de Ham(M, ω) pour
la distance de Hofer. Le souci de taille auquel on est rapidement confronté
est de ne pas pouvoir représenter chaque classe par un homéomorphisme,
i.e. on sort du groupe Homeo(M, µ) (voir [OM07]).
On va alors chercher un compromis entre ces deux idées. Au vu du
résultat 4.3.10, une topologie “produit” entre la topologie C 0 et la topologie
de Hofer sur Ham(M, ω) pourrait donner un résultat intéressant.
120
Chapitre 4. Homéomorphismes conservatifs
Cependant, pour définir correctement une notion d’homéomorphisme hamiltonien et en faire un groupe, il va d’abord falloir raisonner sur l’espace
des isotopies hamiltoniennes pour définir des isotopies hamiltoniennes topologiques (il n’y a rien de surprenant, c’est de cette manière que l’on procède
pour définir les difféomorphismes hamiltoniens). Commençons par préciser
ce que l’on entend par topologie “produit” entre la topologie C 0 et la topologie de Hofer, et introduisons à cet effet la notion de distance hamiltonienne,
que l’on doit à Oh.
Définition 4.4.1. Soient ΦH , ΨK deux isotopies hamiltoniennes engendrées
par les fonctions H, K ∈ H. On définit leur distance hamiltonienne par
¯ H , ΨK ) + ||H − K||
dHam (ΦH , ΨK ) = d(Φ
t
t
¯ H , ΨK ) = sup
où d(Φ
t∈[0,1] dC 0 (ϕH , ψK ) et ||.|| est la norme de Hofer sur
H.
Remarque 4.4.2. En prenant le temps 1 des isotopies, on définit de manière
analogue une distance hamiltonienne sur le groupe Ham(M, ω). On peut
d’ailleurs montrer que muni de cette topologie, le groupe Ham(M, ω) reste
un groupe topologique connexe par arcs (voir [OM07]).
On peut alors maintenant définir l’ensemble des isotopies hamiltoniennes
topologiques, ou haméotopies, en complétant l’espace des isotopies hamiltoniennes (lisses) par rapport à la distance hamiltonienne, puis définir
les homéomorphismes hamiltoniens, baptisés haméomorphismes, comme
temps 1 d’haméotopies. Voici des définitions formelles.
Définition 4.4.3. Soit Φ = (ϕt )t∈[0,1] une isotopie dans Homeo(M ). On
dit que Φ est une haméotopie s’il existe une suite de hamiltoniens lisses
(Hi )i∈N dans H qui vérifie les deux conditions suivantes :
¯ H , Φ) = 0 ;
(i) limi→+∞ d(Φ
i
(ii) limi,j→+∞ ||Hi − Hj || = 0.
Dans ce cas, ϕ = ϕ1 est un haméomorphisme, et on note Hameo(M, ω)
l’ensemble des haméomorphismes.
Notons L1,∞ ([0, 1] × M ) le complété de H pour la norme de Hofer, i.e.
L1,∞ ([0, 1] × M ) = {H : [0, 1] × M −→ R | ||H|| < ∞}.
La suite (Hi )i∈N dans la définition est de Cauchy pour la norme de Hofer sur H, elle admet donc une limite H appartenant à L1,∞ ([0, 1] × M ),
non nécessairement lisse, qui joue le rôle de fonction hamiltonienne pour
l’isotopie Φ. En particulier, on a
¯ H , Φ) + ||Hi − H||) = 0.
lim dHam (ΦHi , Φ) = lim (d(Φ
i
i→+∞
i→+∞
121
Abed Bounemoura
Remarque 4.4.4. On obtient automatiquement que Φ préserve la mesure
car chaque ϕt est une limite uniforme d’homéomorphismes préservant la
mesure, donc préserve la mesure (voir [Fat80a]).
L’ensemble Hameo(M, ω) est donc inclus dans le groupe Homeo(M, µ).
On le munit de la topologie induite, i.e. de la topologie C 0 . Pour s’assurer
que Hameo(M, ω) est un bon analogue au groupe Ham(M, ω), il faut avant
tout vérifier que c’est un sous-groupe normal de Homeo0 (M, µ). C’est ce
que l’on fait dans la proposition suivante (voir [OM07]).
Théorème 4.4.5 (Oh-Müller). Hameo(M, ω) est un sous-groupe normal
de Homeo(M, µ), connexe par arcs.
Démonstration. Commençons par vérifier que Hameo(M, ω) est stable par
composition. Soient Φ = (ϕt )t∈[0,1] et Ψ = (ψ t )t∈[0,1] deux haméotopies,
définies par des suites de hamiltoniens (Hi )i∈N et (Ki )i∈N qui vérifient
lim dHam (ΦHi , Φ) = 0
i→+∞
;
lim dHam (ΨKi , Ψ) = 0.
i→+∞
On veut prouver que
Φ.Ψ : t ∈ [0, 1] 7−→ ϕt ψ t ∈ Homeo(M, µ)
est aussi une haméotopie. Rappelons que l’isotopie ΦHi .ΨKi est engendrée
par la fonction Hi #Ki et notons H, K ∈ L1,∞ ([0, 1] × M ) les limites des
suites (Hi )i∈N et (Ki )i∈N pour la norme de Hofer. Il suffit alors de prouver
que
lim dHam (ΦHi .ΨKi , Φ.Ψ)
i→+∞
¯ H .ΨK , Φ.Ψ) + ||Hi #Ki − H#K||) = 0.
= lim (d(Φ
i
i
i→+∞
Le premier membre de la somme tend clairement vers 0, car la composition
est continue pour la topologie C 0 sur Homeo(M ). Pour le second membre,
on écrit
||Hi #Ki − H#K||
= ||Hi − H + Ki (ΦHi )−1 − KΦ−1 ||
≤ ||Hi − H|| + ||Ki (ΦHi )−1 − KΦ−1 ||
≤
||Hi − H|| + ||Ki (ΦHi )−1 − Ki Φ−1 ||
+ ||Ki Φ−1 − KΦ−1 ||
≤
||Hi − H|| + ||Ki (ΦHi )−1 − Ki Φ−1 || + ||Ki − K||.
Par hypothèses, les termes ||Hi − H|| et ||Ki − K|| tendent vers 0 quand i
tend vers l’infini. Seul le terme du milieu mérite plus d’explications. Fixons
ε > 0. On trouve alors un entier i0 ∈ N tel que
∀i ∈ N, i ≥ i0 =⇒ ||Ki − Ki0 || < ε/3.
122
Chapitre 4. Homéomorphismes conservatifs
Par uniforme continuité de Ki0 , on peut trouver δ > 0 tel que
¯ H , Φ) < δ =⇒ sup |Ki (t, (ϕt )−1 (x)) − Ki (t, (ϕt )−1 (x))| < ε/6
d(Φ
Hi
i
0
0
(t,x)
ce qui nous donne ||Ki0 (ΦHi )−1 − Ki0 Φ−1 || < ε/3.
Enfin, on applique l’inégalité triangulaire
||Ki (ΦHi )−1 − Ki Φ−1 ||
≤ ||Ki (ΦHi )−1 − Ki0 (ΦHi )−1 ||
+ ||Ki0 (ΦHi )−1 − Ki0 Φ−1 ||
+ ||Ki0 Φ−1 − Ki Φ−1 ||
≤ ||Ki − Ki0 || + ||Ki0 (ΦHi )−1 − Ki0 Φ−1 ||
+ ||Ki0 − Ki ||
≤ ε/3 + ε/3 + ε/3
≤ ε.
Par un raisonnement complètement analogue, on montre que Hameo(M, ω)
est stable par passage à l’inverse et par conjugaison. C’est donc un sousgroupe normal.
Il nous reste enfin à prouver que Hameo(M, ω) est connexe par arcs pour
la topologie C 0 . Soit ϕ un haméomorphisme temps 1 d’une haméotopie
Φ = (ϕt )t∈[0,1] . Il faut démontrer que chaque ϕs , pour 0 < s < 1, est un
haméomorphisme, ce que l’on va faire en montrant que l’isotopie
Φ0 : t ∈ [0, 1] 7−→ ϕst ∈ Homeo(M )
est une haméotopie. Pour cela, notons (Hi )i∈N la suite de hamiltoniens
lisses définissant Φ et considérons les reparamétrisations (Hia )i∈N pour la
fonction a(t) = st. Pour tout entier i, l’isotopie hamiltonienne engendrée
par Hia est donc
ΦHia : t ∈ [0, 1] 7−→ ϕst
Hi .
Il suffit alors de montrer que
lim dHam (ΦHia , Φ0 ) = 0.
i→+∞
Encore une fois, la convergence C 0 est immédiate. Il reste donc à s’assurer
que la suite Hia est de Cauchy pour la norme de Hofer, ce qui résulte
facilement de l’inégalité ||Hia − Hja || ≤ ||Hi − Hj ||.
Remarque 4.4.6. On s’intéresse ici principalement au groupe Hameo(M, ω)
en tant que sous-groupe de Homeo(M, µ), et donc muni de la topologie induite. Cependant, Hameo(M, ω) apparaı̂t naturellement avec une topologie
intrinsèque, la topologie hamiltonienne. Dans ce cadre, on peut montrer
que Hameo(M, ω) reste un groupe topologique connexe par arcs, mais c’est
plus difficile.
123
Abed Bounemoura
Revenons à la définition des haméomorphismes et des haméotopies. Le
choix de la norme ||.|| = ||.||1,∞ est motivé dans [OM07] par la possibilité
d’étendre à ce nouveau cadre certains invariants symplectiques. Dans la
définition 4.4.3, on aurait pu remplacer cette norme par la norme
sup (Osc(Ht ))
t∈[0,1]
ou tout simplement par la norme C 0 . Ce choix, à priori plus contraignant (puisque cette dernière norme est plus grande que ||.||1,∞ ), nous
donne la même notion d’haméomorphisme (voir [Mül07], c’est un analogue à la proposition 4.3.2). Cependant, cette approche présente plusieurs
avantages : la vérification que Hameo(M, ω) est un sous-groupe normal de
Homeo0 (M, µ) est immédiate (puisque les limites d’hamiltoniens pour la
norme ||.||∞ sont uniformément continues) mais plus important encore, on
dispose du théorème d’unicité suivant (voir [Vit06]).
Théorème 4.4.7 (Viterbo). Soit (Hi )i∈N une suite de hamiltoniens
appartenant à H qui converge uniformément vers H. Si l’isotopie Φ i =
(ϕtHi )t∈[0,1] converge uniformément vers l’identité, alors H = 0.
Rappelons que notre objectif est de comprendre la structure du groupe
Ker(F), où
F : Homeo(M, µ) −→ H1 (M, R)/Γµ .
On sait que F est continue, et que Ham(M, ω) est inclus dans Ker(F).
Puisque les haméomorphismes sont en particulier des limites uniformes de
difféomorphismes hamiltoniens, la proposition suivante est immédiate.
Proposition 4.4.8. Les haméomorphismes sont inclus dans le noyau de
l’invariant de Fathi.
Mais on fait encore face à la question suivante.
Question 5. Hameo(M, ω) est-il un sous-groupe propre de Ker(F) ?
Selon Oh, la réponse à cette question devrait être positive. Voici un
problème un peu plus concret (voir [OM07],[Oh06]). On munit le disque D 2
de ses coordonnées polaires, et on définit, comme en 3.2.5, une application
ϕρ par
ϕρ : (r, θ) 7−→ (r, θ + ρ(r)).
Cette fois-ci, on fait les hypothèses suivantes sur la fonction
ρ :]0, 1] −→ [0, +∞[
(i) ρ(r) = 0 pour r ∈ [1 − ε, 1] ;
(ii) ρ0 (r) < 0 pour r ∈]0, 1 − ε[.
124
Chapitre 4. Homéomorphismes conservatifs
Il est clair que ϕρ est un homéomorphisme préservant la mesure associée
à ω = rdr ∧ θ et fixe un voisinage du bord (par (i)). C’est le temps 1
du flot (ϕtρ )t∈[0,1] . Cependant, ϕρ n’est pas lisse en 0 par la condition
(ii). Pour un choix convenable de la fonction ρ, on va montrer que ϕρ
est un haméomorphisme. Sur le disque épointé, ϕρ est un difféomorphisme
hamiltonien engendré par la fonction
Z 1
Hρ (r) =
sρ(s)ds
r
mais au voisinage de 0, cette intégrale peut fort bien diverger. Choisissons
alors ρ de telle sorte que
Z 1
sρ(s)ds < ∞.
0
La fonction Hρ est alors définie et continue sur le disque D2 , et sa norme
de Hofer n’est rien d’autre que sa valeur en 0 (qui est aussi la valeur de
l’intégrale convergente). Par convolution, il est facile de construire une suite
de fonctions lisses (ρn )n∈N telle que pour tout entier n, ϕρn soit lisse en 0
et telle que
lim dC 0 (ϕρn , ϕρ ) = 0.
n→∞
Cette dernière condition implique aisément la convergence C 0 de l’isotopie
(ϕtρn )t∈[0,1] vers (ϕtρ )t∈[0,1] . De plus, puisque la norme de Hofer ||Hρ || est
finie, on a également
lim ||Hρn − Hρ || = 0
n→∞
et ainsi ϕρ est un haméomorphisme, associé à la suite de hamiltoniens lisses
(Hρn )n∈N .
Au contraire, supposons maintenant que
Z 1
sρ(s)ds = ∞
0
pour une certaine fonction ρ. Si l’on parvient à montrer que ϕρ n’est plus
un haméomorphisme, on montre alors que Hameo(D2 , ∂D2 , ω) est un sousgroupe propre de Homeo(D2 , ∂D2 , µ). Mais cette question reste également
ouverte, elle est encore liée à l’existence d’une extension du second invariant
de Calabi au groupe Hameo(D2 , ∂D2 , ω) (voir la tentative dans [Oh06]).
Dans tous les cas, la question suivante reste importante.
Question 6. Est-ce que le groupe Hameo(M, ω) est simple ?
Il est évident que pour pouvoir répondre à ces questions, il faut étudier
plus en détails les propriétés intrinsèques de ce groupe d’homéomorphismes
hamiltoniens.
Annexe A
Théorème de Schoenflies
Dans cette annexe, on va énoncer quelques résultats fondamentaux sur
la topologie des surfaces dont on fait usage dans le premier chapitre. Des
références générales sont [Bre93], [Moi77] et [Bin83].
Commençons par rappeler la définition évidente suivante. On note D2 le
disque unité fermé de R2 et S1 = ∂D2 le cercle unité.
Définition A.0.9. On appelle disque fermé (resp. cercle) dans M une partie
homéomorphe à D2 (resp. S1 ).
Le premier résultat important est un théorème de Jordan. Il s’agit d’un
exemple typique de résultat intuitif (le fait que lorsque l’on découpe la
sphère le long d’une courbe fermée simple, on obtient deux morceaux) mais
difficile à démontrer avec des outils élémentaires. Voici un énoncé précis.
Théorème A.0.10 (Jordan). Soit S un cercle dans S2 . Alors S sépare
S2 en deux composantes connexes.
On a un énoncé analogue si l’on remplace la sphère par le plan. Il existe de
nombreuses preuves de ce théorème, mais la plus rapide utilise le langage
de l’homologie. L’idée consiste à prouver que le groupe H0 (S2 \ S), qui
“compte” le nombre de composantes connexes de S2 \ S, est isomorphe à
Z2 , ce qu’il est facile de faire en utilisant une suite exacte de Mayer-Vietoris.
Il paraı̂t aussi intuitif que si S est un cercle de S2 , alors les deux composantes connexes de S2 \S sont homéomorphes à des disques ouverts. Encore
une fois, la preuve est loin d’être évidente et résulte du théorème fondamental suivant. On identifie S1 avec son image par le plongement canonique
S1 ,→ S2 .
Théorème A.0.11 (Schoenflies). Si S est un cercle dans S2 , alors tout
homéomorphisme f : S1 → S préservant l’orientation s’étend en un homéomorphisme f de S2 préservant l’orientation.
125
126
Annexe A. Théorème de Schoenflies
Fig. A.1 – Théorème de Schoenflies
En particulier, les composantes connexes de S2 \ S sont des disques car
homéomorphes à celles de S2 \S1 (voir la figure A.1). On renvoie à [Moi77] ou
[Bin83] pour des preuves purement topologiques. D’autres approches sont
possibles, comme par exemple celles qui utilisent de l’analyse complexe ou
bien encore une démonstration récente de Siebenmann ([Sie05]) basée sur
des arguments de géométrie hyperbolique.
Contrairement au théorème de Jordan qui se généralise aussitôt en dimension plus grande, le théorème de Schoenflies est faux en dimension
supérieure (comme en témoigne l’exemple classique de la sphère à cornes
d’Alexander) à moins de rajouter une hypothèse de “platitude locale” : on
demande que le plongement de Sn−1 dans Sn s’étende en un plongement de
Sn−1 × [−ε, ε] pour ² > 0 (on pourra consulter [Bre93] pour une preuve).
On utilisera souvent le théorème de Schoenflies pour étendre un plongement du cercle S1 = ∂D2 en un plongement du disque D2 . Dans cette
optique, on aura également besoin d’une version à support compact (voir
[Bin83] par exemple).
Théorème A.0.12. Soient D, D 0 deux disques fermés du plan R2 . Alors
tout homéomorphisme entre D et D 0 s’étend en homéomorphisme du plan
à support compact.
Remarque A.0.13. Lorsque D et D 0 sont des disques euclidiens, on peut
construire explicitement un tel homéomorphisme. En effet, on peut supposer que ces disques sont centrés en 0, et que D est inclus dans D 0 :
par exemple, il suffit de les translaté en appliquant le temps 1 d’un champ
de vecteurs constant multiplié par une fonction plateau convenable. Choisissons alors un disque euclidien D 00 (également centré en 0) contenant
Abed Bounemoura
127
D0 . On déforme radialement D en D 0 , puis on ralentit progressivement
entre D 0 et D00 jusqu’à obtenir l’identité à partir de D 00 . On a bien un
homéomorphisme qui envoie D dans D 0 et qui est à support dans D 00 .
Le théorème de Schoenflies “à support compact” est également valable
en dimension plus grande que deux si l’on rajoute l’hypothèse de platitude
locale. Ce résultat, connu sous le nom de l’Annulus Conjecture, a longtemps
été un problème ouvert et sa preuve complète est très difficile (spécialement
en dimension quatre).
Enfin, on a également besoin d’une dernière amélioration du théorème de
Schoenflies (une version “à paramètres”). On veut pouvoir contrôler l’extension fournie par le théorème, en particulier obtenir une extension proche
de l’identité si l’homéomorphisme initial l’est. Une preuve du résultat suivant, valable en toute dimension, se trouve par exemple dans [EK71].
Théorème A.0.14. Soient S1 et S2 deux cercles centrés en 0 dans R2
bordant des disques euclidiens D1 et D2 . Alors pour tout r > 0, il existe
s > 0 tel que tout plongement f : D1 ,→ D2 avec d(f, 1D1 ) < s s’étend en
un homéomorphisme f¯ : D2 → D2 avec f¯|S2 = 1 et d(f¯, 1D2 ) < r.
Annexe B
Théorème d’Epstein
Dans cette annexe, on souhaite donner une preuve d’un théorème
d’Epstein ([Eps70]). Il affirme que si un groupe d’homéomorphismes possède
de bonnes propriétés de transitivité et de fragmentation, alors son sousgroupe des commutateurs est simple. Un tel groupe est donc simple si et
seulement si il est parfait.
On se donne X un espace topologique séparé paracompact, G un groupe
d’homéomorphismes de X et O une base d’ouverts de X.
Définition B.0.15. On dit que (X, G, O) vérifie les axiomes d’Epstein si
et seulement si :
(E1) pour tout U ∈ O et g ∈ G, on a gU ∈ O ;
(E2) G agit transitivement sur O : pour tout U, U 0 ∈ O, il existe g ∈ G
tel que g(U ) = U 0 ;
(E3) soient g ∈ G, U ∈ O et U ⊆ O un recouvrement de X, alors il
existe un entier n, des éléments g1 , . . . , gn ∈ G et V1 , . . . , Vn ∈ U tels
que g = gn . . . g1 , supp(gi ) ⊆ Vi pour 1 ≤ i ≤ n et
supp(gi ) ∪ (gi−1 . . . g1 U ) 6= X.
Théorème B.0.16 (Epstein). Si (X, G, O) vérifie les axiomes d’Epstein,
alors le sous-groupe des commutateurs de G est simple. En particulier, G
est simple si et seulement si il est parfait.
On note [G, G] le sous-groupe engendré par les commutateurs de G. Ce
résultat est une conséquence immédiate de l’énoncé un peu plus général
suivant.
Théorème B.0.17. Si (X, G, O) vérifie les axiomes d’Epstein, et si N est
un sous-groupe non trivial de G normalisé par [G, G] (au sens où si n ∈ N
et g ∈ [G, G], alors [n, g] ∈ N ), alors [G, G] est inclus dans N .
128
129
Abed Bounemoura
Démonstration. On suppose G non trivial et X connexe (la connexité
résulte en fait des axiomes). La preuve se découpe en plusieurs étapes.
(a) Si h ∈ G est à support dans V ∈ O, alors il existe f ∈ [G, G] tel que
f|V = h|V .
Soit W ∈ O disjoint de V . Par (E2), on trouve g ∈ G tel que gW = V .
Posons f = [g, h] = g −1 h−1 gh. Il apparaı̂t que f est un produit de deux
homéomorphismes à support disjoints, à savoir h à support dans V et
g −1 h−1 g à support dans g −1 V = W . La conclusion est alors immédiate.
(b) [G, G] agit transitivement sur O.
Soient U et U1 des éléments de O et g ∈ G tel que gU = U1 . On utilise
l’axiome (E3) : on trouve un entier n, h1 , . . . , hn ∈ G et V1 , . . . , Vn ∈ O
tels que g = hn . . . h1 , supp(hi ) ⊆ Vi et pour 1 ≤ i ≤ n
Ki = supp(hi ) ∪ (hi−1 . . . h1 U ) 6= X.
Puisque X − Ki est non vide, on trouve Wi ⊆ X − Ki et gi ∈ G tels que
gi Wi = Vi . Pour 1 ≤ i ≤ n, posons fi = [gi , hi ] et f = fn . . . f1 ∈ [G, G].
L’étape (a) nous donne fi|hi−1 ...h1 U = hi|hi−1 ...h1 U puisque gi−1 (supp(hi )) et
hi−1 . . . h1 U sont disjoints (leur intersection est contenue dans Wi ∩Ki = ∅).
On obtient alors de manière inductive
f U = fn . . . f1 U = hn . . . h1 U = gU = U1
ce qui prouve la transitivité de [G, G].
(c) Si h ∈ G est à support dans V ∈ O, alors il existe ρ ∈ N tel que
ρ|V = h|V .
Commençons par établir cette propriété pour un ouvert V bien choisi.
Soit α ∈ N différent de l’identité. Prenons x ∈ X tel que α(x) 6= x et
U ∈ O un voisinage de x qui vérifie encore U ∩ α−1 U = ∅. Soient V et
W des éléments de O, avec x ∈ V , V ∩ W = ∅ et V ∪ W ⊆ U . Soient
enfin g ∈ G vérifiant gW = V et h ∈ G à support dans V . Posons ρ =
[α, [g, h]] : un raisonnement analogue à (a) permet de conclure que ρ|V =
h|V . Maintenant, en utilisant (b) et en conjuguant ρ par un élément de
[G, G], on peut choisir un ouvert V arbitraire, un élément h ∈ G à support
dans V et trouver ρ ∈ N (rappelons que N est normalisé par [G, G]) tel
que ρ|V = h|V .
(d) Les orbites de l’action de N sur X sont denses.
En fait, on va prouver que les orbites de N coı̈ncident avec celles de G, qui
sont denses par l’axiome (E2). Soient x, y ∈ X et g ∈ G tels que y = g(x).
Par (E3), on écrit g = gn . . . g1 avec gi ∈ G à support dans Vi ∈ O. Choisissons alors g de telle sorte que l’entier n dans sa décomposition soit minimal,
alors pour 1 ≤ i ≤ n, gi−1 . . . g1 (x) ∈ Vi (car sinon g 0 = g1 . . . gi−1 gi+1 . . . gn
130
Annexe B. Théorème d’Epstein
enverrait x sur y et contredirait l’hypothèse de minimalité). En utilisant
(c), on trouve ρi ∈ N qui coı̈ncide avec gi sur Vi , pour 1 ≤ i ≤ n. On
obtient alors
y = gn . . . g1 (x) = ρn . . . ρ1 (x)
ce qui prouve que les orbites de N sont celles de G.
(e) Si h1 , h2 ∈ G sont à support dans V ∈ O, alors [h1 , h2 ] ∈ N .
Par un argument analogue à la conclusion de (c), on se réserve le droit
de montrer ceci pour un V ∈ O bien choisi. Fixons x dans X, on peut
alors trouver par (d) des éléments α1 , α2 dans N tels que x, α1 (x) et α2 (x)
soient distincts. Par continuité, on se donne U ∈ O un voisinage de x tel
que U , α1 U et α2 U soient disjoints. Par transitivité de G, on peut trouver g1 , g2 ∈ G suffisamment petits pour que x, g1 (x) et g2 (x) soient des
éléments distincts de U . Encore une fois, on se donne V ∈ O un voisinage de x tel que V , g1 V et g2 V soient des parties disjointes de U . On
applique alors (c) pour obtenir ρi ∈ N , en utilisant αi , gi , Wi = gi−1 V
et un hi ∈ G arbitraire à support dans V , ceci pour i = 1, 2. On vérifie
que ρ1 est à support dans les ensembles V , g1−1 V , α1−1 V et α1−1 g1−1 V et
que ρ2 est à support dans les ensembles V , g2−1 V , α2−1 V et α2−1 g2−1 V . Par
notre construction, ces ensembles sont tous disjoints, ce qui donne aussitôt
[h1 , h2 ] = [ρ1 , ρ2 ] ∈ N .
(f ) G est engendré par les (hi )i∈I tels que [hi , hj ] ∈ N , pour tout i, j ∈ I.
Puisque X est paracompact, on peut trouver un recouvrement U ⊆ O
qui possède la propriété suivante : si V1 , V2 ∈ U et V1 ∩ V2 6= ∅, alors il
existe U ∈ O tel que V1 ∪ V2 ⊆ U . Considérons l’ensemble
A = {h ∈ G | ∃W ∈ U tel que supp(h) ⊆ W }.
Par (E3), A engendre G. Soient h1 , h2 ∈ A, à support respectivement dans
W1 et W2 . Alors ou bien W1 et W2 sont disjoints, auquel cas [h1 , h2 ] = 1 ∈
N ou bien W1 ∩ W2 est non vide, alors h1 et h2 sont à support dans un
élément U ∈ O et (e) nous assure que [h1 , h2 ] ∈ N .
(g) Si h1 , h2 ∈ A et g ∈ G, alors g[h1 , h2 ]g −1 ∈ N .
On se donne Wi ∈ U contenant le support de hi pour i = 1, 2. On suppose
que W1 ∩ W2 est non vide sinon le résultat est évident. Soit alors U ∈ O tel
que W1 ∪ W2 ⊆ U . Appliquons (E3) à g ∈ G et U ∈ O : il existe un entier
n, des éléments g1 , . . . , gn ∈ G et V1 , . . . , Vn ∈ U tels que g = gn . . . g1 ,
supp(gi ) ⊆ Vi et pour 1 ≤ i ≤ n
Ki = supp(gi ) ∪ (gi−1 . . . g1 U ) 6= X.
Soient Ui ∈ O dans le complémentaire de Ki , et βi ∈ G tels que βi Ui = Vi .
Posons enfin γi = [βi , gi ] et γ = γn . . . γ1 . Pour 1 ≤ i ≤ n, on a la relation
gi . . . g1 [h1 , h2 ]g1−1 . . . gi−1 = γi . . . γ1 [h1 , h2 ]γ1−1 γi−1
131
Abed Bounemoura
qui se démontre (de manière inductive) en remarquant que l’action de γi
coı̈ncide avec celle de gi hors de Ui . On en déduit l’égalité
g[h1 , h2 ]g −1 = γ[h1 , h2 ]γ −1
et puisque [h1 , h2 ] ∈ N , γ ∈ [G, G] et que N est normalisé par [G, G], on
obtient bien que g[h1 , h2 ]g −1 ∈ N .
(h) Fin de la preuve
Soit A l’ensemble des générateurs défini plus haut. Notons S le sousgroupe normal de G engendré par l’ensemble des commutateurs d’éléments
de A, i.e. [A, A]. D’après (g), S est inclus dans N . Maintenant A engendre
G, donc AS engendre le quotient G/S. Il apparaı̂t alors que les éléments
de AS commutent entre eux, donc G/S est abélien ce qui implique que
[G, G] est inclus dans S. Finalement, on a [G, G] ⊆ N , c’est ce qu’il fallait
démontrer.
Voici la principale application du théorème d’Epstein.
r
Corollaire B.0.18. Soient M une variété lisse et Dif f0,c
(M ) le groupe
r
r
des difféomorphismes de M de classe C compactement C -isotopes à l’idenr
r
tité, pour r ∈ N∗ ∪ {∞}. Alors [Dif f0,c
(M ), Dif f0,c
(M )] est simple.
Démonstration. Pour simplifier un peu la situation, on va supposer que
notre variété M est compacte. Soit O l’ensemble des boules C r -plongées
dans M , i.e. les ouverts de la forme ϕB, où ϕ : Rn → M est un plongement de classe C r et B la boule unité de Rn . Il suffit alors de vérifier que
(M, Dif f0r (M ), O) satisfait aux axiomes d’Epstein. Notons G = Dif f0r (M ).
Le premier axiome (E1), à savoir que G agit sur O, est évident. Il faut
ensuite prouver que G agit transitivement sur O. Soient B et B 0 deux
boules plongées dans M , et on cherche ϕ ∈ G tel que ϕ(B) = B 0 . Puisque
G agit transitivement sur M (2.2.4), on peut se ramener à la situation
suivante : étant données B la boule unité de Rn et B 0 ⊆ Rn l’image de
B par un plongement ϕ de classe C r qui fixe 0, on souhaite trouver un
difféomorphisme de Rn à support compact qui envoie B sur B 0 . Voici comment on peut procéder. Quitte à composer par une réflexion, on suppose
que notre plongement ϕ préserve l’orientation, on cherche alors à étendre ϕ
en un difféomorphisme de Rn à support compact. On obtient une isotopie
(ϕt )t∈[0,1] avec ϕ0 = 1 et ϕ1 = ϕ, en concaténant un chemin entre l’identité
et D0 ϕ (dans l’ouvert connexe GL+ (n, R)) avec le chemin
(
1
ϕ(tx) si t 6= 0
t ∈ [0, 1] −→ t
D0 ϕ
si t = 0.
qui consiste à “aplatir” ϕ sur sa différentielle à l’origine. Cette isotopie
est de classe C r−1 , mais par des méthodes d’approximation (voir [Hir76]
132
Annexe B. Théorème d’Epstein
par exemple), on peut la supposer de classe C r . On utilise maintenant
la procédure d’extension des isotopies : après dérivation de l’isotopie on
obtient un champ de vecteurs (non autonome) Xt pour t ∈ [0, 1] qui n’est
défini que sur le support de l’isotopie, mais par les techniques habituelles
(i.e. des fonctions plateaux et un voisinage tubulaire), on l’étend en un
champ de vecteurs X̃t défini sur Rn et à support compact. Enfin, on intègre
ce champ de vecteurs pour obtenir une isotopie de Rn à support compact
dont le temps 1 (que l’on suppose de classe C r par approximation) nous
donne le difféomorphisme voulu. Ceci prouve l’axiome (E2).
Il nous reste enfin à prouver l’axiome (E3). On a déja démontré la propriété de fragmentation (lemme 2.2.1, et voir la remarque 2.2.3), donc il
nous reste à prouver la condition supplémentaire. On commence par se donner une décomposition g = gn . . . g1 avec des éléments gi à support dans
des boules plongées pour 1 ≤ i ≤ n. Si l’axiome (E3) n’est pas vérifié, il
suffit d’appliquer le lemme suivant à chaque gi pour obtenir la propriété
voulue.
Lemme B.0.19. Soient g ∈ G à support dans une boule V , et U un ouvert
tel que U 6= X. Alors on peut écrire g = g2 g1 avec pour j = 1, 2, gj ∈ G à
support dans V et tels que
supp(g1 ) ∪ U 6= X et supp(g2 ) ∪ g1 U 6= X.
Démonstration. Si le support de g est dans U , il suffit de prendre g1 = 1 et
/ U distinct de x1 et
g2 = g. Sinon, soient x1 ∈
/ U tel que gx1 6= x1 et x2 ∈
gx1 . Donnons-nous des petits voisinages N1 de x1 et N2 de x2 dans X \ U .
En utilisant des fonctions plateaux, on peut construire g1 ∈ G à support
dans V , qui coı̈ncide avec g sur N1 et qui est l’identité sur N2 . Posons
alors g2 = g(g1 )−1 . On a évidemment g = g2 g1 avec g1 , g2 ∈ G à support
dans V . De plus, puisque x2 ∈
/ supp(g1 ) ∪ U , on a supp(g1 ) ∪ U 6= X. Enfin,
/ supp(g2 ) et puisque
étant donné que g1|N1 = g, g2|g1 (N1 ) = 1, donc g1 (x1 ) ∈
g1 (x1 ) ∈
/ g1 (U ), supp(g2 ) ∪ g1 U 6= X. Ceci termine la preuve du lemme.
Le triplet (M, G, O) satisfait donc aux axiomes d’Epstein, il s’ensuit que
[G, G] est simple.
Pour conclure, signalons que l’on peut également appliquer le théorème
d’Epstein au groupe des homéomorphismes d’une variété topologique, en
utilisant le résultat de fragmentation de [EK71] et en remplaçant l’utilisation de fonctions plateaux par le théorème de Schoenflies à support
compact.
En revanche, les techniques d’Epstein ne sont pas directement applicables
aux groupes conservatifs (par préservation d’une mesure ou d’un volume,
l’axiome (E2) ne peut pas être vérifié), mais il est néanmoins possible
d’adapter les arguments (voir [Fat80a] pour un exemple).
Annexe C
Théorème de
Nash-Moser-Hamilton
Le théorème d’inversion locale dans les espaces de Banach affirme que si
une application de classe C 1 a une différentielle inversible en un point, alors
cette application est un difféomorphisme local au voisinage de ce point.
Ce résultat n’est plus valable si l’on sort du cadre des espaces de Banach.
En effet, si M est une variété compacte, l’application exponentielle (au sens
des groupes de Lie)
exp : Γ∞ (TM ) −→ Dif f ∞ (M )
qui à un champ de vecteurs associe le temps 1 de son flot, a toujours une
différentielle qui vaut l’identité en 0. Cependant, elle n’est en général pas
inversible au voisinage de 0, car il existe des difféomorphismes arbitrairement proches de l’identité qui ne sont pas le temps 1 d’un flot. Voici un
exemple simple pour s’en convaincre.
Soit v ∈ Γ∞ (TT) = C ∞ (T) un champ de vecteurs sans zéro sur le cercle,
alors le temps 1 de son flot est un difféomorphisme ϕ ∈ Dif f0∞ (T) sans
point fixe qui de plus est nécessairement C ∞ -conjugué à une rotation : en
effet, si θ paramètre T, on peut faire un changement de coordonnées
θ̃ = c
Z
dθ
avec c =
v(θ)
µZ
2π
0
dθ
v(θ)
¶−1
de tel sorte que v(θ̃) soit le champ de vecteurs constant égal à c et son temps
1 la rotation d’angle c. Cependant on peut construire des difféomorphismes
sans point fixe arbitrairement proches de l’identité qui ne sont pas C ∞ conjuguée à une rotation : pour n suffisamment grand et ε suffisamment
petit, 0 < ε < 1/n, le difféomorphisme
f : θ 7−→ θ + π/n + εsin2 (nθ)
133
mod 2π
134
Annexe C. Théorème de Nash-Moser-Hamilton
est proche de l’identité, n’a pas de point fixe mais n’est pas conjugué à une
rotation car il a une orbite périodique (le cycle {kπ/n | 0 ≤ k ≤ 2n − 1})
et les autres orbites sont non périodiques. Ceci prouve que l’exponentielle
n’est pas localement surjective (on peut aussi montrer sur des exemples
qu’elle n’est pas localement injective).
Remarque C.0.20. Ainsi un difféomorphisme proche de l’identité peut ne
pas être l’exponentielle d’un champ de vecteurs. Dans l’exemple précédent,
on peut même montrer que f ne possède pas de racine carrée, i.e elle ne
peut pas s’écrire sous la forme g 2 pour un difféomorphisme g (le temps 1
d’un flot vérifie cette propriété en prenant pour g le temps 1/2 du flot). En
revanche, de manière générale on peut toujours écrire
f = exp(v1 ) . . . exp(vn )
pour des champs de vecteurs v1 , . . . , vn . En effet, les difféomorphismes qui
s’écrivent de la sorte forment un sous-groupe normal non trivial du groupe
des difféomorphismes C ∞ isotopes à l’identité, qui d’après le théorème
d’Epstein-Herman-Thurston-Mather, est simple.
Le but de cette annexe est donc d’énoncer un théorème d’inversion locale dans des espaces vectoriels plus généraux que les espaces de Banach
mais sous des hypothèses plus restrictives : typiquement, on demandera
de pouvoir résoudre l’équation linéaire sur tout un voisinage (c’est ce qui
tombe en défaut dans l’exemple précédent). La preuve de ce théorème repose sur un algorithme de Newton dont l’idée est due à Nash ([Nas56]) et
Moser ([Mos66]), mais on suivra le formalisme de Hamilton ([Ham82]). On
pourra également consulter les références [Bos86] et [Féj04] pour voir des
applications de ce théorème aux systèmes dynamiques.
Commençons par préciser quel type d’espace vectoriel on va considérer.
Notre intérêt est de disposer d’un théorème d’inversion locale applicable
aux problèmes dits de “petits diviseurs” qui apparaissent en dynamique :
une fois l’équation linéarisée, on se retrouve avec un opérateur entre des
espaces de fonctions qui cause une “perte de dérivées”, i.e. il envoie une
certaine classe de régularité (par exemple C r ) dans une classe de régularité
plus faible (C s pour s < r). Il est alors naturel de s’intéresser à l’espace obtenu en prenant toutes les classes de régularité possibles, mais commençons
par une définition plus abstraite.
Définition C.0.21. Un espace de Fréchet est un espace vectoriel topologique
localement convexe, métrisable et complet.
Il n’est pas difficile de vérifier que la convexité locale de E est équivalente
au fait que la topologie soit définie par une famille de semi-normes, et le
fait que cette famille de semi-normes soit dénombrable est équivalent à la
métrisabilité de E (voir par exemple [Rud91]). Soit donc ||.||i∈N une famille
135
Abed Bounemoura
dénombrable de semi-normes, indexée par N et que l’on peut supposer
croissante (i.e. ||.||i ≤ ||.||i+1 pour tout entier i). Une graduation est un
choix d’une telle famille de semi-normes. Il peut y avoir plusieurs graduations possibles sur un espace de Fréchet, c’est pour cela qu’on introduit
la définition évidente suivante.
Définition C.0.22. Un espace de Fréchet gradué est un espace de Fréchet
muni d’une graduation.
L’archétype d’espace de Fréchet gradué s’obtient en prenant la limite
d’une suite décroissante d’espaces de Banach (Ei , ||.||i )i∈N , i.e.
\
E=
Ei
i∈N
avec Ei+1 qui s’injecte continûment dans Ei . Ainsi, l’espace C ∞ (M ) des
fonctions infiniment différentiables sur une variété compacte M , muni de
la graduation “canonique” (||.||C i )i∈N , ou de manière plus générale l’espace
des sections lisses Γ∞ (E) d’un fibré vectoriel E au dessus de M , sont des
espaces de Fréchet gradués.
Le cadre est encore trop général pour obtenir le résultat escompté. Il
faut se restreindre à une catégorie de “bons” espaces de Fréchet dont les
semi-normes vérifient en particulier des inégalités d’interpolations.
Définition C.0.23. Un bon espace de Fréchet est un espace de Fréchet
gradué muni d’une famille d’applications linéaires continues, St : E → E,
t > 1 appelés opérateurs de lissage, qui vérifie les propriétés suivantes : il
existe Cj,k > 0 tels que pour tous x ∈ E, t > 1 et j < k, on ait
(
||St x||k ≤ Ck,j tk−j ||x||j
(régularisation)
||(1 − St )x||j ≤ Cj,k tj−k ||x||k
(approximation de l’identité).
Si E est un bon espace de Fréchet, on a alors les inégalités suivantes
(dites inégalités de Hadamard)
||x||l ≤ ck,n ||x||k1−α ||x||α
n
pour tous x ∈ E, k ≤ l ≤ n avec l = (1 − α)k + αn et des constantes ck,n .
Exemple C.0.24. Soit E un fibré vectoriel de dimension finie sur une
variété compacte M . L’espace des sections lisses Γ∞ (E) muni de sa graduation canonique est alors un bon espace de Fréchet. On pourra consulter [Ham82] pour une preuve générale. Dans le cas particulier (qui nous
intéresse) où E est l’espace des champs de vecteurs sur le tore, on peut
définir plus facilement les opérateurs St par convolution avec un noyau
régularisant (voir [Bos86] par exemple).
136
Annexe C. Théorème de Nash-Moser-Hamilton
Maintenant que l’on a défini des bons espaces de Fréchet, on va définir
des “bonnes” applications entre bons espaces de Fréchet. Commençons par
rappeler la notion de différentiabilité que l’on va utiliser dans la suite.
Définition C.0.25. Soient E et F des espaces de Fréchet, U ⊆ E un ouvert.
Une application f : U → F est de classe C 1 si elle est continue et s’il existe
une application continue
Df
:
U ×E
(x, h)
−→
7−→
F
Df (x).h
linéaire en h et telle que pour tout (x, h) ∈ U × E,
1
lim (f (x + th) − f (x)) = Df (x).h.
t
t→0
Par récurrence, on définit les applications de classe C r , pour un entier
r ≥ 1.
On dit encore que f est continûment différentiable au sens de Gâteaux.
Il faut remarquer que cette notion est plus générale que la différentiabilité
classique dans les espaces de Banach. On peut maintenant définir les bonnes
applications.
Définition C.0.26. Soient E et F des bons espaces de Fréchet, U ⊆ E un
ouvert. Une application f : U → F est bonne si pour tout x0 ∈ U , il existe
un voisinage V de x0 , un entier r > 0 et des réels cj > 0 telles que pour
tout x ∈ V ,
||f (x)||j ≤ cj (1 + ||x||j+r ).
Une bonne application de classe C r est une application de classe C r qui est
bonne ainsi que toutes ses différentielles.
Les inégalités de bonnes applications compensent (en partie) le fait qu’une
application continue entre espaces de Banach est automatiquement localement bornée. Cependant l’entier r indique une perte de différentiabilité (par
analogie avec le cas où la bonne application est un opérateur différentiel)
et les opérateurs de lissage seront alors fondamentaux pour pouvoir utiliser
ces inégalités pour des passages à la limite.
Remarque C.0.27. Les bonnes applications et les inégalités qui les définissent
sont aussi connus sous le nom d’applications douces et estimations douces,
surtout dans le contexte des équations aux dérivées partielles.
Donnons deux résultats couramment utilisés pour s’assurer qu’une application est bonne. On trouvera des preuves dans [Ham82].
Proposition C.0.28. La composée de bonnes applications (de classe C r )
est une bonne application (de classe C r ).
137
Abed Bounemoura
On définit naturellement les notions de bonnes variétés fréchétiques et
de bons groupes de Lie fréchétiques. Dans ce contexte, Dif f ∞ (M ) est un
bon groupe de Lie fréchétique et on a le résultat suivant.
Proposition C.0.29. L’application d’inversion
I
:
Dif f ∞ (M )
g
−→ Dif f ∞ (M )
7−→
g −1
est un bon difféomorphisme C ∞ .
On peut alors énoncer le théorème d’inversion locale de Nash, Moser et
Hamilton (... entre autres).
Théorème C.0.30 (Nash-Moser-Hamilton). Soient E et F des bons
espaces de Fréchet, U ⊆ E un ouvert et f : U → F une bonne application de classe C r , r ≥ 2. Soient x0 ∈ U et y0 = f (x0 ). On suppose qu’il
existe un voisinage V0 de x0 tel que pour tout x ∈ V0 , df (x) soit inversible d’inverse une bonne application linéaire continue. Alors f est un bon
difféomorphisme local au voisinage de x0 .
Donnons une très vague idée de la preuve. On suppose x0 = y0 = 0, et
on veut résoudre
f (x) = y
où x est l’inconnue et y proche de 0.
Une preuve du théorème d’inversion locale classique utilisant un algorithme de Newton commencerait comme ceci : notons L(x) l’inverse de
df (x), on considère la suite
(
x0 = 0
xj+1 = xj − ∆xj
où ∆xj = L(xj )(f (xj ) − y). En estimant la taille des erreurs successives
||∆xj ||, on démontre alors la convergence de cette suite et que la limite x∞
résout l’équation.
Cependant, cette méthode ne peut pas fonctionner ici : en effet, grâce aux
inégalités de bonnes applications, on ne peut majorer ||∆xj ||k que par des
expressions en les ||y||l , avec l arbitrairement grand lorsque j → +∞. La
convergence de la suite n’est donc pas garantit. Comme on l’a déjà dit plus
haut, on va utiliser les opérateurs de lissage pour remédier à ce problème.
On considère un algorithme de Newton modifié
(
x0 = 0
xj+1 = xj − ∆xj
138
Annexe C. Théorème de Nash-Moser-Hamilton
avec ∆xj = S(tj )L(xj )(f (xj ) − y), et tj qui croı̂t suffisamment vite
µ ¶j
3
) pour compenser la perte de différen(typiquement on choisit tj = exp
2
tiabilité. La partie technique consiste alors à montrer la convergence de ce
procédé.
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Abed Bounemoura
Département de Mathématiques
Bâtiment 425
Faculté des Sciences d’Orsay
Université Paris-Sud 11
F-91405 Orsay Cedex
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