Aller au théâtre...
« Madame, comment il faut s'habiller pour aller au théâtre ? »...
Une sortie au théâtre commence toujours par des mises au point très pratiques! Certains
élèves ne sont jamais allés au théâtre, en particulier à Paris... Il faut donc expliquer : pendant
la pièce, on ne parle pas, on éteint son portable (Quoi ? Même pas sur vibreur... et si on
m'appelle ? ), on n'écoute pas son MP3... Cela leur apparaît comme une cérémonie
extrêmement solennelle...
Ils pourraient refuser, mais au contraire : aux sorties, tout le monde vient. Les élèves se
pressent, curieux : ils veulent découvrir. Ils n'osent pas y aller tout seuls c'est un des enjeux
de ce partenariat alors comme l'occasion leur est offerte, ils se précipitent. Méfiants, voire
narquois, mais bien présents. Parfois avec l'intention de « débarquer » chez les
« bourgeois », les « intellos », les « parisiens », qui, malheureusement, sont les mêmes dans
leur esprit. Ils veulent sentir les regards posés sur eux, rencontrer un snobisme auquel on
leur donne accès tout à coup. Rares sont ceux qui avouent qu'ils veulent tout simplement
apprendre...
Première surprise : ils sont vraiment accueillis au Théâtre. On ne les observe pas du coin de
l'oeil, on ne les regroupe pas au fond de la salle, on ne se méfie pas d'eux. L'équipe leur
explique le fonctionnement du lieu, répond aux questions. Un théâtre à Paris, sur les
Champs-Elysées, la moquette est belle, le bar chaleureux, le restaurant cher, les toilettes
propres, est heureux de les voir arriver. Ils sont presque déçus : ils doivent, une première
fois, renoncer à leurs préjugés. Pas si snobs, ces bourgeois...
Ils s'installent dans ce qu'ils croyaient être un sanctuaire. Ils n'ont pas le vocabulaire
convenu, c'est toujours amusant : ils évoquent le « scénario », les « sièges » peu
confortables, les « hôtesses d'accueil » très « gentilles », la « mi-temps », les « tabourets »
au bout des rangées on est mal assis, pour le même prix... La parole est libérée, ils
prennent leurs marques. Ils reviendront par la suite, comme chez eux.
Deuxième surprise : le théâtre, ce n'est pas forcément Molière...
Il est vivant, les auteurs existent, les acteurs parlent « comme nous », le texte interpelle.
Comment renoncer à cet autre préjugé selon lequel le théâtre est une langue ancienne, un
endroit poussiéreux, une pratique d'un autre âge ?
Caubère est vulgaire, il y a un frigo dans Jusqu'à ce que la mort nous sépare, la famille
Semianyki arrose le public, fait des gestes obscènes...
Au retour en classe, ils se font spécialistes : « Une comédie réussie, un parfait one man
show. On oublie totalement que c'est une pièce de théâtre! »
Le théâtre surprend, il dérange, même... Il agresse leur pudeur, leurs certitudes entretenues
par l'isolement. Chacun y va de sa formule : « Je n'oublierai pas de dénoncer que Caubère
prend des poses obscènes et explicites sur scène. Mais va le monde ? La dignité n'existe-
t-elle plus ? », ou encore : « C'est une pièce comique mais malheureusement la plupart des
blagues nécessitent une certaine culture générale. Cette pièce convient plus aux
bourgeois. »
L'analyse se précise : «la mise en scène était bof », « ce texte n'est pas assez riche », « Le
décor était un peu vide. Le jeu des acteurs était très bien. Le texte était nul. En plus de cela
le texte n'avait rien à voir avec le titre. »
Ils s'initient à la critique. Le théâtre leur donne le droit d'exprimer leur relation à un texte, à
un art...
Cela laissera des traces... Mais n'exagérons pas : dans le car du retour, on rallume le
portable, on rebranche le MP3, on regarde à peine Paris. En arrivant, on ne dit rien aux
parents venus attendre devant le lycée : « ouais, ouais c'était bien... normal, quoi. »
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