Éditorial mt cardio 2005 ; 1 : 301-2 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Resynchronisation ventriculaire et insuffisance cardiaque : le temps des preuves ? Paul Milliez Service de cardiologie, hôpital Lariboisière, 2 rue Ambroise-Paré, 75010 Paris <[email protected]> L a resynchronisation ventriculaire ou stimulation multisite est aujourd’hui un traitement reconnu de l’insuffisance cardiaque sévère. Cette thérapeutique innovante a vu le jour il y a maintenant un peu plus de 10 ans, avec des travaux qui ont initialement évalué, dans les cardiomyopathies dilatées, le bénéfice de la resynchronisation auriculo-ventriculaire [1-4], puis celui de la resynchronisation ventricule droit-ventricule gauche [5-7]. Des résultats encourageants ont été retrouvés sur des études hémodynamiques aiguës, puis sur de petites séries de patients suivis en ouvert mais de manière prospective. Par la suite et jusqu’à très récemment, plusieurs études multicentriques randomisées en simple, puis en double aveugle ont été réalisées, mais sans qu’aucun bénéfice sur les mortalités totale et cardiaque n’ait été montré. Ces grandes études (PATH-CHF, MUSTIC, MIRACLE, CONTAK CD, puis COMPANION [8]) sur la resynchronisation cardiaque avaient cependant montré une amélioration significative des symptômes et de la qualité de vie (amélioration du stade NYHA, du test de 6 minutes, de la VO2 max), ainsi qu’une réduction du nombre d’hospitalisations pour poussée d’insuffisance cardiaque. De plus, un effet bénéfique sur le remodelage a été observé, avec une augmentation de la fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) ainsi qu’une réduction des volumes et des diamètres télédiastoliques et télésystoliques du ventricule gauche, témoignant d’une correction du remodelage reverse mt cardio, vol. 1, n° 4, juillet-août 2005 observé dès le 3e mois suivant la resynchronisation ventriculaire [9, 10]. À ce jour, la mise en place d’un stimulateur cardiaque multisite se justifie chez les patients ayant une FEVG < 35 %, une durée de QRS > 130 ms, un diamètre télédiastolique > 55 mm et restant en stade III-IV de la NYHA malgré un traitement médical optimal. Ce traitement médical doit comporter un inhibiteur de l’enzyme de conversion (voire un antagoniste des récepteurs à l’angiotensine II en cas d’intolérance aux IEC), un bêtabloquant, un diurétique de l’anse et un épargneur de potassium. Ainsi, dans notre pratique médicale courante, nous observions un réel bénéfice sur la qualité de vie des patients et les symptômes, ainsi qu’une diminution des réhospitalisations pour poussée d’insuffisance cardiaque. Cependant, deux inconnues tempéraient l’enthousiasme des défenseurs de cette technique et nourrissaient le scepticisme de ses détracteurs : notre incapacité à définir préalablement les patients qui pourront bénéficier de la resynchronisation (appelés « répondeurs » en opposition aux « non-répondeurs » qui n’en tirent aucun bénéfice dans leur qualité de vie) et l’absence de réduction de la mortalité totale ou cardiaque malgré les résultats encourageants de l’étude COMPANION [8]. Si, pour la première inconnue, des marqueurs électrocardiographiques et surtout échocardiographiques (asynchronisme intraventriculaire gauche) sont en cours d’évaluation afin 301 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Resynchronisation ventriculaire et insuffisance cardiaque : le temps des preuves ? d’identifier les patients qui seront répondeurs, une grande étude publiée en avril 2005 est venue enfin apporter la preuve formelle que la resynchronisation ventriculaire isolée permettait de réduire la mortalité totale. L’étude COMPANION [8] avait apporté un début de réponse l’année dernière, l’étude CARE-HF [11] a confirmé ce tournant dans le traitement de l’insuffisance cardiaque sévère. L’étude COMPANION [8] s’était déjà illustrée en montrant d’une part une réduction significative du critère combiné mortalité totale et hospitalisation des patients bénéficiant d’une resynchronisation ventriculaire, et d’autre part que ce bénéfice était présent quelle que soit la cause de la cardiopathie (ischémique ou non). En revanche, la réduction de la mortalité totale ne s’observait que lorsque la resynchronisation était associée à un dispositif anti-tachycardique. L’étude CARE-HF [11] constitue à ce jour la première étude multicentrique randomisée en double aveugle qui a montré un bénéfice significatif de la resynchronisation ventriculaire isolée sur la mortalité totale. Tous les critères primaires et secondaires de cette étude, qui a inclus 813 patients en stade III-IV de la NYHA avec une FEVG < 35 % et des QRS > 120 ms, ont été significativement réduits par la resynchronisation ventriculaire par rapport à un groupe témoin ayant un traitement médical optimal. La seule critique à émettre dans cette étude est que la mortalité totale était un critère secondaire. Ainsi, la resynchronisation a réduit significativement de 37 % le critère principal combiné mortalité totale et hospitalisation pour un événement cardiaque grave, de 36 % le critère secondaire mortalité totale, de 46 % le critère secondaire combiné mortalité totale et hospitalisation pour aggravation de l’insuffisance cardiaque, tout en confirmant l’amélioration des symptômes, de la FEVG et du remodelage du VG. Une réduction de 16 % du risque absolu pour le critère principal, mais surtout de 10 % pour la mortalité totale en faveur de la resynchronisation par rapport au groupe témoin, a donc été établie dans l’étude CARE-HF [11]. Ces résultats montrent, comme l’ont ébauché ceux de l’étude COMPANION [8], que la resynchronisation ventriculaire permettait de sauver des vies (sur un suivi moyen de 29 mois) en plus d’améliorer la qualité de vie des patients insuffisants cardiaques sévères. Ainsi, le temps des preuves formelles est arrivé et devrait dans les années 302 à venir entraîner une augmentation importante de l’implantation de stimulateurs multisites chez les patients insuffisants cardiaques, dans le respect des recommandations remises à jour. Références 1. Brecker SJD, Xiao HB, Sparrow J, et al. Effects of dual chamber pacing with short atrioventricular delay in dilated cardiomyopathy. Lancet 1992 ; 340 : 1308-12. 2. Nishimura RA, Hayes DL, Holmes DR, et al. Mechanism of hemodynamic improvement by dual-chamber pacing for severe left ventricular dysfunction : an acute Doppler and catheterization hemodynamic study. J Am Coll Cardiol 1995 ; 25 : 281-8. 3. Gold MR, Feliciano Z, Gottlieb SS, et al. Dual-chamber pacing with a short atrioventricular delay in congestive heart failure : a randomized study. J Am Coll Cardiol 1995 ; 26 : 967-73. 4. Shinbane JS, Chu E, DeMarco T, et al. Evaluation of acute dualchamber pacing with a range of atrioventricular delays on cardiac performance in refractory heart failure. J Am Coll Cardiol 1997 ; 30 : 1295-300. 5. Victor F, Leclercq C, Mabo P, et al. Optimal right ventricular pacing site in chronically implanted patients : a prospective randomized crossover comparison of apical and outflow tract pacing. J Am Coll Cardiol 1999 ; 33 : 324-6. 6. Leclercq C, Cazeau S, Le Breton H, et al. Acute hemodynamic effects of biventricular DDD pacing in patients with end-stage heart failure. J Am Coll Cardiol 1998 ; 32 : 1825-31. 7. Nelson GS, Berger RD, Fetics BJ, et al. Left ventricular or biventricular pacing improves cardiac function at diminished energy cost in patients with dilated cardiomyopathy and left bundle-branch block. Circulation 2000 ; 102 : 3053-9. 8. Bristow MR, Saxon LA, Boehmer J, et al. Comparison of medical therapy, pacing, and defibrillation in heart failure (COMPANION) investigators. Cardiac-resynchronization therapy with or without an implantable defibrillator in advanced chronic heart failure. N Engl J Med 2004 ; 350 : 2140-50. 9. Stellbrink C, Breithardt OA, Franke A, et al. Impact of cardiac resynchronization therapy using hemodynamically optimized pacing on left ventricular remodeling in patients with congestive heart failure and ventricular conduction disturbances. J Am Coll Cardiol 2001 ; 38 : 1957-65. 10. Saxon LA, De Marco T, Schafer MS, et al. Effects of long-term biventricular stimulation for resynchronization on echocardiographic measures of remodeling. Circulation 2002 ; 105 : 1304-10. 11. Cleland JGF, Daubert JC, Erdmann E, et al. The effect of cardiac resynchronisation on morbidity and mortality in heart failure. N Engl J Med 2005 ; 352 : 1539-49. mt cardio, vol. 1, n° 4, juillet-août 2005