Préparation à l’agrégation
Classes de similitude de matrices
ENS Rennes - Année 2014–2015
Romain Basson
Classes de similitude de matrices
Table des matières
1 Rappels concernant les modules de type fini sur un anneau principal 2
1.1 Bases adaptées ................................................... 2
1.2 Forme normale de Smith .............................................. 3
1.3 Algorithme pour le cas euclidien ......................................... 4
1.4 Structure des modules de type fini sur un anneau principal .......................... 6
2 Invariants de similitude d’un endomorphisme, décomposition de Frobenius 7
2.1 Lien entre endomorphismes de Eet k[X]-modules ............................... 7
2.2 Endomorphismes et modules cycliques ...................................... 8
2.3 Invariants de similitude d’un endomorphisme, décomposition de Frobenius .................. 9
2.4 Calcul effectif des invariants de similitude .................................... 11
3 Applications 12
3.1 Classes de similitudes et extension de corps ................................... 12
3.2 Transposée ..................................................... 13
3.3 Paramétrisation des classes de similitude en dimension 2 et 3 ......................... 13
3.4 Commutant ..................................................... 14
3.5 Classes de similitude de polynôme caractéristique donné ............................ 16
3.6 Théorème de Brauer ................................................ 17
4 Topologie des classes de similitudes 17
4.1 Propriétés topologiques génériques d’une classe de similitude ......................... 17
4.2 Propriétés algébriques d’une matrice vs topologie de sa classe de similitude ................. 19
5 Endomorphismes semi-simples 22
A Espaces localement fermés, espaces localement compacts 24
Références
[Ber12] Grégory Berhuy :Modules : théorie, pratique. . . et un peu d’arithmétique. Calvage & Mounet, 2012.
[BMP05] Vincent Beck, Jérôme Malick et Gabriel Peyré :Objectif agrégation. H&K, 2005.
[Bou71] Nicolas Bourbaki :Éléments de mathématique. Topologie générale. Chapitres I-IV. Hermann, 1971.
[CG13] Philippe Caldero et Jérôme Germoni :Histoires hédonistes de groupes et de géométries. Calvage & Mounet,
2013.
[Cog00] Michel Cognet :Algèbre Linéaire. Bréal, 2000.
[FGN09] Serge Francinou, Hervé Gianella et Serge Nicolas :Oraux X-ENS, algèbre 2. Cassini, 2009.
[Gou08] Xavier Gourdon :Algèbre. Ellipses, 2ème édition, 2008.
[Mne97] Rached Mneimné :Éléments de géométrie, actions de groupes. Cassini, 1997.
[Mne06] Rached Mneimné :Réduction des endomorphismes : tableaux de Young, cône nilpotent, représentations des
algebres de Lie semi-simples. Calvage &amp ; Mounet, 2006.
[Que07] Hervé Queffélec :Topologie : cours et exercices corrigés. Dunod, 3ème édition, 2007.
[RT86] Mneimné Rached et Frédéric Testard :Introductiona la théorie des groupes de Lie classiques. Hermann,
1986.
[Sam71] Pierre Samuel :Théorie algébrique des nombres. Hermann, 1971.
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Dans tout ce qui suit, kdésignera un corps. Pour nN, le groupe GLn(k)des matrices inversibles
de taille nà coefficients dans kagit par conjugaison sur l’espace Mn(k)des matrices carrées de taille
nà coefficients dans k. Il est naturel de se demander si l’on peut décrire pour cette action les orbites,
i.e. les classes de similitudes de matrices, et leurs stabilisateurs, liés aux commutants des matrices.
Précisément, existe-t-il un représentant canonique pour chaque classe de similitude ? Peut-on décider
de façon effective si deux matrices sont semblables ? Que peut-on dire de la topologie des classes de
similitude ? Que peut-on dire du commutant d’une matrice ?
Ces questions relèvent bien entendu purement de l’algèbre linéaire sur un corps. Toutefois le langage
des k[X]-modules et les propriétés des modules de type fini sur un anneau principal offrent un cadre
favorable à l’étude des ces diverses questions (exception faite de l’aspect topologique) et notre exposé
se fera donc sous cet angle. Deux bonnes références pour ce point de vue sont [BMP05] et [Ber12]. Pour
un exposé uniquement basé sur l’algèbre linéaire, on pourra consulter [Gou08, Annexe B], [Cog00] ou
[CG13, Chapitre III].
1 Rappels concernant les modules de type fini sur un anneau principal
Tout au long de cette section, Adésigne un anneau principal.
1.1 Bases adaptées
Un sous-module d’un A-module libre de type fini, lorsque Aest un anneau quelconque, n’a aucune
raison d’être de type fini ou libre, ce qui contraste fortement avec la situation des espaces vectoriels,
i.e. lorsque Aest un corps.
Exemple 1.1
1. Le sous-module Z(N)du ZN-module libre de rang 1 ZNn’est pas de type fini (autrement dit
l’anneau ZNn’est pas noethérien).
2. Le sous-module 2Z/4Zdu Z/4Z-module libre de rang 1 Z/4Zn’est pas libre (2 = |2Z/4Z|n’est
pas une puissance de 4 = |Z/4Z|).
Toutefois, lorsque l’anneau des scalaires Aest principal, la situation redevient analogue à celle
connue des espaces vectoriels. Précisément, on a le résultat suivant.
Théorème 1.2 - Base adaptée. Soit Aun anneau principal et Mun A-module libre de rang fini n.
Si Nest un sous-module de M, alors il existe une base (e1, . . . , en)de M, un entier s[[0, n]] et des
scalaires (d1, . . . , ds)(A\ {0})stels que
1. d1| · · · | ds;
2. la famille (d1e1, . . . , dses)est une base de N.
En particulier, le sous-module Nest libre de rang fini s6n. En outre, l’entier set la suite des idéaux
(ds)⊂ · · · ⊂ (d1)sont uniquement déterminés par N.
Démonstration. On pourra se reporter à [BMP05, th. 6.58 p. 276] ou [Ber12, th. 2.1 p. 258] pour
une démonstration s’appuyant sur l’existence d’une forme de Smith ou à [Sam71, 1.5 p. 26] pour une
démonstration par récurrence sur n.
QED
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Exemple 1.3 Soit A=Z,M=Z2et (ε1, ε2)la base canonique de M. Considérons le sous-module
P=Z(1,3) Z(1,1).P=Z(0,2) Z(1,1) et s= 2,d1= 1 et d2= 2, la famille (ε1+ε2, ε2)étant
une base adaptée de MàP= 2Zε2Z(ε1+ε2). On notera que ((1,3),(1,1)) est une base de Pdont
les éléments ne sont pas des multiples d’une base de Met, qu’à la différence des espaces vectoriels, P
est un sous-module libre stricte de Mde même rang !
Exercice 1.4 - Facteur direct. Soit Aun anneau principal et Mun A-module libre de rang fini. À
quelle condition sur les scalaires diun sous-module Nest-il un facteur direct de M?
1.2 Forme normale de Smith
On s’intéresse à l’action à gauche du groupe GLm(A)×GLn(A)sur le module libre de rang mn
Mm,n(A)donnée par
(P, Q).M =P MQ1,
deux matrices de Mm,n(A)dans la même orbite pour cette action étant dites équivalentes.
Lorsque Aest un corps, la situation est bien connue : les orbites sont classifiées par un invariant
qui n’est autre que le rang rde la matrice et chacune des orbites, en nombre fini égal à min(n, m) + 1,
contient un représentant privilégié, à savoir la matrice Jr=Ir0
0 0.
Exercice 1.5 - cf. [FGN09, ex. 4.1 p. 217].
Déterminer l’adhérence et l’intérieur des orbites {M∈ Mn(k)/rg M=r}, lorsque k=Rou C.
Le théorème suivant généralise le résultat précédent lorsqu’on se place sur un anneau principal,
en précisant les invariants qui permettent de décider si deux matrices sont dans la même orbite et en
donnant un représentant privilégié de chaque orbite.
Théorème 1.6 - Forme normale de Smith.Pour un anneau principal A, toute matrice M∈ Mm,n(A)
est équivalente à une matrice de la forme :
Dm,n(d1, . . . , ds) =
d10· · · 0 0 · · · 0
0.......
.
..
.
..
.
.
.
.
.......0.
.
..
.
.
0· · · 0ds0· · · 0
0· · · · · · 0 0 · · · 0
.
.
..
.
..
.
..
.
.
0· · · · · · 0 0 · · · 0
d1|. . . |ds. L’entier set les idéaux (ds) · · · (d1)étant uniquement déterminés par la classe
d’équivalence de M. La matrice Dm,n(d1, . . . , ds)est dite sous forme normale de Smith et les
idéaux, ou les di, associés sont appelés les facteurs invariants (de Smith) de M.
Démonstration. Considérons l’application linéaire f:AnAmdont la matrice dans les bases
canoniques respectives de ces deux modules libres de rangs finis est Met soit Lson image. Soit alors
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(e1, . . . , es)une base adaptée de AmàLet d1, . . . , dsla famille de scalaires correspondants (uniques
à des inversibles près). Si l’on se donne pour tout i[[1, s]] un antécédent fide diei, alors la famille
(fi)16i6sest libre et An=Af1 · · · Afsker f. Comme ker fest un sous-module de Anil est
libre et si l’on en choisit une base quelconque la réunion de (fi)16i6set de cette base constitue une
base B de An. La matrice de fdans les bases Bet (ei)16i6mest alors Dm,n(d1, . . . , ds), cette dernière
étant équivalente à M. En outre, si Dm,n(d1, . . . , ds)est équivalente à Dm,n(d0
1, . . . , d0
s0), alors ces
deux matrices définissent la même image dans Am, dont une base est donnée, relativement à la base
canonique (ei)de Am, par (diei)et (d0
iei)respectivement. Le théorème de la base adaptée assure alors
que s=s0et (di)=(d0
i), pour 16i6s.
QED
Remarque 1.7 L’unicité peut aussi être déduite du résultat suivant : si Mest une matrice de taille
m×néquivalente à Dm,n(d1, . . . , ds)pour une certaine famille (di)16i6sde scalaires non nuls tels que
d1|. . . |ds, alors pour tout entier kle produit d1. . . dkest le PGCD des mineurs d’ordre kde M, avec la
convention dk= 0 pour k > s. Cette formule fournit un moyen théorique d’obtention des dià partir de
M. Toutefois cela demande un nombre prohibitif d’opérations (songez que pour tout k6min(m, n),
il y a m
kn
kmineurs d’ordre kà calculer et qu’il reste ensuite leur PGCD à déterminer).
1.3 Algorithme pour le cas euclidien
Lorsque Aest un anneau euclidien "effectif", muni du stathme δ, l’obtention de la forme de Smith
d’une matrice est effective via l’algorithme qui suit.
Pour toute matrice non nulle M∈ Mm,n(A), on note δ(M)la valeur minimal de δsur les coefficients
non nuls de M. On appelle opération élémentaire sur une matrice l’une des opération suivante :
échange de ligne ou de colonne et ajout à une ligne (resp. une colonne) d’une combinaison linéaire
d’autres lignes (resp. colonnes). Chacune des ces opérations transforme une matrice en une matrice
équivalente (le vérifier !).
Algorithme : Si M= (Mi,j )est nul, c’est terminé.
Étape 1 : par opérations élémentaires on se ramène au cas où δ(M) = δ(m1,1).
Étape 2 : s’il existe sur la première ligne de Mun élément non multiple de m1,1, on peut le remplacer,
par opérations élémentaires, par le reste rde sa division par m1,1, lequel vérifie δ(r)< δ(m1,1) =
δ(M). On reproduit alors les étapes 1 à 2 et comme δ(M)ne peut décroître strictement indéfi-
niment (Nest bien fondé), en un nombre fini d’étapes tous les termes de la première ligne sont
multiples de m1,1. On applique le même procédé à la première colonne et on obtient une matrice
dont tous les termes de la première colonne et de la première ligne sont des multiples de m1,1.
Par opérations élémentaires, on obtient alors une matrice dont tous les coefficients mk,1et m1,k,
k6= 1 sont nuls.
Étape 3 : on a ainsi une matrice formée de deux blocs. Un bloc 1×1 (m1,1), vérifiant δ(m1,1) = δ(M)
et un bloc (m1)×(n1) N. Si l’un des coefficients de Nn’est pas multiple de m1,1, on additions
sa ligne à la première, puis, par opérations élémentaires on remplace l’élément en question (sur
la première ligne) par le reste rde sa division par m1,1, qui vérifie δ(r)< δ(m1,1)On reproduit
alors les étapes 1 à 3 et, δ(M)ne pouvant décroître strictement indéfiniment, en un nombre fini
d’étape tous les coefficients du bloc Nsont multiples de m1,1.
Étape 4 : on applique récursivement l’algorithme à N.
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Pour un sous-module Nd’un A-module libre Am, donné via une famille génératrice (xi)16i6n,
la démonstration du théorème 1.6 indique un moyen d’expliciter une base adaptée de Ampour N.
Précisément, on écrit en colonnes les générateurs de Ndans la base canonique de Am, soit une matrice
C∈ Mm,n(A)(matrice de l’application linéaire surjective f:AnN, (ai)7−Paixi). On utilise
alors l’algorithme de réduction sous forme de Smith pour déterminer UGLm(A)et VGLn(A)
telles que C=UDm,n(d1, . . . , ds)V. Les colonnes de la matrice Udonnent alors les coordonnées dans
la base canonique de Amd’une base adaptée (ei)16i6mde Amrelativement à Net (diei)16i6sest une
base de N.
Exemple 1.8 Soit A=Z,M=Z3et Nle sous-module de Mengendré par les vecteurs (4,2,0),
(2,2,2),(3,0,3). On s’intéresse donc à la matrice suivante relative à la base canonique de M:
C=
4 2 3
22 0
023
.
On va donc mettre sous forme de Smith la matrice Cen lui appliquant une série d’opérations élémen-
taires. En l’occurrence des opérations de transvections liées aux matrices de transvection
T(l)
i,j (a) = Il+aEi,j ,pour aA\ {0}.
Rappelons que T(l)
i,j (a)est inversible d’inverse T(l)
i,j (a)et que l’opérations élémentaires LiLi+aLj
sur Ccorrespond au produit matriciel T(m)
i,j (a)C. À chaque étape de l’algorithme, on obtiendra des
matrices C(i),U(i)GLm(A)et V(i)GLn(A)telles que C=U(i)C(i)V(i). Toutefois, pour notre
propos, on ne s’intéressera pas aux matrices V(i),i.e. on ne gardera pas la trace des opérations sur les
colonnes de C. Initialement C(0) =Cet U(0) =I3.
C1C1+C3donne C(1) =
1 2 3
12 0
323
et U(1) =I3,
C2C22C1
C3C3+ 3C1donnent C(2) =
1 0 0
2 2 0
34 12
et U(2) =I3,
L2L2+ 2L1
L3L33L1donnent C(3) =
1 0 0
0 2 6
04 12
et U(3) =T(3)
2,1(2)T(3)
3,1(3) =
1 0 0
210
3 0 1
,
L3L3+ 2L2donne C(4) =
1 0 0
0 2 6
0 0 0
et U(4) =U(3)T(3)
3,2(2) =
1 0 0
210
32 1
,
C3C3+ 3C2donne C(5) =
100
020
000
et U(5) =U(4).
Ainsi e1= (1,2,3),e2= (0,1,2) et e3= (0,0,1) forment une base adpatée de MàNet (e1,2e2)
est une base de N.
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