Mini-revue
Curages ganglionnaires
dans le cancer de l’estomac
Philippe Lasser
Département de chirurgie générale carcinologique, Institut Gustave-Roussy,
39, rue Camille Desmoulins, 94805 Villejuif Cedex. E-mail : lasser@igr.fr
Le traitement du cancer de l’estomac est chirurgical. Le facteur
pronostique le plus important est l’existence d’un envahissement
ganglionnaire, en particulier le rapport entre le nombre de gan-
glions positifs et le nombre de ganglions examinés. Depuis plu-
sieurs années, un débat chirurgical a lieu concernant l’étendue des
lymphadénectomies à effectuer lors de l’exérèse d’un cancer gas-
trique. Les techniques, l’étendue et la définition des curages
n’étaient pas univoques selon les pays, ce qui explique les résultats
très différents obtenus en termes de survie pour un même type de
tumeur. La classification récente de l’UICC, qui tient compte unique-
ment du nombre de ganglions envahis, est actuellement adoptée
par tout le monde. Elle remplace la classification japonaise et ses
16 groupes ganglionnaires, dont on ne peut néanmoins oublier la
logique. La définition des ganglions proximaux et distaux varie en
fonction de la localisation du cancer sur l’estomac et n’est de ce fait
pas univoque. Pour classer correctement un cancer gastrique, il faut
prélever 15 ganglions au minimum. Plus on prélève de ganglions,
plus on trouve de ganglions envahis. Le curage ganglionnaire a un
intérêt pronostique mais aussi thérapeutique et en cas de N+ les
résultats sont meilleurs s’il y a plus de 15 ganglions prélevés. On a
reproché au curage extensif d’entraîner une mortalité et une
morbidité importantes liées essentiellement à la splénectomie et à la
pancréatectomie. Mais les curages extensifs sont susceptibles
d’améliorer la survie de certains cancers évolués (stades II et III). En
cas de gastrectomie subtotale pour cancer antropylorique, on peut
parfaitement réaliser un curage de type D2 sans augmenter la
mortalité ni la morbidité. En cas de gastrectomie totale pour cancer
médiogastrique ou cardio-tubérositaire, un vrai curage D2 impose
une splénectomie et une pancréatectomie. Dans ces cas, un curage
« à la carte » est justifié, tenant compte du risque d’envahissement
des ganglions du hile splénique et le long de l’artère splénique. On
pourra parfois se contenter d’un curage D1,5 respectant la rate en
cas de cancer limité. Quant à la pancréatectomie, elle ne sera faite
qu’en cas d’envahissement direct du pancréas par la tumeur.
Mots clés : cancer de l’estomac, curage ganglionnaire, facteurs pronostiques
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Le traitement du cancer de l’estomac repose es-
sentiellement sur la chirurgie. La place exacte de
la radiothérapie et de la chimiothérapie reste à
démontrer malgré une étude récente [1] qui a montré
un effet bénéfique de la radiochimiothérapie postopé-
ratoire après résection chirurgicale d’un cancer de
l’estomac.
Facteurs pronostiques
Les deux facteurs pronostiques les plus importants sont
le type de résection chirurgicale et l’existence d’un
envahissement ganglionnaire [2].
On distingue trois types de résection (UICC 1992) :
la résection R0 (no residual tumor) correspond à
une résection curative à la fois macroscopique et
microscopique ;
la résection R1 (microscopic residual tumor) corres-
pond à une résection macroscopiquement curative
mais microscopiquement incomplète ;
la résection R2 (macroscopic residual tumor) est une
résection macroscopiquement incomplète.
Une étude multifactorielle présentée par le German
Gastric Carcinoma Study Group concernant
1654 cancers de l’estomac réséqués a montré que,
dans le groupe qui a eu une résection de type R0, le
facteur pronostique le plus important est l’existence
d’un envahissement ganglionnaire [3]. La survie à
5 ans est de 60 à 80 % en l’absence d’envahissement
ganglionnaire et n’est plus que de 20 à 30 % en
présence d’un envahissement ganglionnaire.
Le nombre de ganglions envahis a une valeur pronos-
tique et, dans l’étude d’Hermanek [4], lorsqu’il y a
moins de 6 ganglions envahis (pN1) la survie est de
44 %, lorsqu’il y a entre 7 et 15 ganglions envahis
(pN2) elle est de 22 % et lorsqu’il y a plus de 15 gan-
glions envahis (pN3) elle n’est plus que de 11 %. Enfin,
un facteur pronostique important est le pourcentage de
ganglions envahis par rapport au nombre de gan-
glions examinés (N ratio). Dans l’étude de Siewert [3],
lorsque le pourcentage de ganglions envahis par rap-
port aux ganglions prélevés est inférieur à 20 %, le
risque relatif est de 1,8 et, lorsque ce pourcentage est
supérieur à 20 %, il est de 2,8, la survie à 5 ans étant
respectivement de 35 % et de 10 %. Cela est confirmé
par l’étude de Nitti [5] : lorsque le ratio est inférieur à
25 %, la survie à 5 ans est de 50 % et le risque relatif
de 1,72, lorsque le ratio est supérieur à 25 %, la survie
à 5 ans n’est plus que de 14 % et le risque relatif de
5,52 (tableau 1). C’est dire l’importance des curages
ganglionnaires dans la technique d’exérèse des can-
cers de l’estomac qui ont un intérêt pronostique et
thérapeutique.
Quel curage ganglionnaire
effectuer ?
Depuis plusieurs années un débat chirurgical est ouvert
concernant les lymphadénectomies dans le cancer de
l’estomac. Les techniques et l’étendue des curages
ganglionnaires effectués ainsi que la définition des
curages ne sont pas univoques selon les pays, ce qui
explique les résultats très différents obtenus en termes
de survie pour un même type de tumeur (tableau 2) [2,
6, 7, 13]. Cela est lié à plusieurs raisons :
la disposition anatomique des réseaux de drainage
lymphatique de l’estomac qui comporte plusieurs pédi-
cules principaux (artère coronaire stomachique, artère
hépatique, artère splénique) ;
la multiplicité des classifications utilisées ;
et surtout la valeur que l’on attribue au curage
ganglionnaire : diagnostique, pronostique et thérapeu-
tique.
Pendant de nombreuses années, on a opposé deux
grandes classifications : la classification japonaise Ko-
dama [8] et la classification TNM de l’UICC [9, 10].
La classification japonaise distingue 16 sites ganglion-
naires numérotés de 1 à 16 (figure 1). Ces différents
groupes sont classés en quatre catégories de N1 à N4
correspondant aux groupes ganglionnaires proximaux
et distaux. À chaque groupe correspond un type de
curage (D1 pour dissection du groupe N1, D2 pour le
Tableau 1.Facteurs pronostiques ratio N+ / N examinés.
N Ratio Patients (nb) Survie à 5 ans Risque relatif
0 536 70 % 1
< 20 % 424 35 % 1,9
> 20 % 694 10 % 2,8
(Siewert)
0 117 82 % -
1 - 10 % 46 61 % 1,60
11 - 25 % 41 50 % 1,72
>25% 73 14% 5,52
(Nitti)
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groupe N2 et D3 pour le groupe N3). Cette classifica-
tion repose sur la fréquence des ganglions envahis en
fonction du siège du cancer sur l’estomac.
La définition des ganglions proximaux et distaux varie
en fonction de la localisation du cancer, elle n’est pas
univoque. Ainsi, un curage D1, D2 ou D3 ne s’adres-
sera pas au même groupe ganglionnaire et n’aura pas
la même importance selon que le cancer siège au
niveau de l’antre, du corps ou de la grosse tubérosité
gastrique. La classification peut paraître complexe et
d’application difficile mais elle est logique. À titre
d’exemple (tableau 3), le groupe 1 (para-cardiaque
droit) est classé N2 pour un cancer antral et N1 pour
un cancer médiogastrique. Les groupes 10 et 11 (hile
splénique et artère splénique) sont classés N2 pour un
cancer médiogastrique ou cardiotubérositaire et N3
pour un cancer antropylorique. Ainsi, un vrai curage
ganglionnaire D2 pour un cancer du tiers moyen ou du
tiers supérieur de l’estomac doit comporter une splé-
nectomie pour permettre l’exérèse du groupe 10 et une
pancréatectomie distale pour l’exérèse du groupe 11
(figures 2 et 3). Nous y reviendrons.
La classification TNM de l’UICC et de l’AJCC (Ameri-
can Joint Comitee) [11] distingue trois groupes de
patients : 1) les patients pN1 en cas de ganglions N+
à moins de 3 cm de la tumeur gastrique le long de la
petite courbure ou de la grande courbure ; 2) les
patients pN2 en cas de ganglions N+ situés à plus de
3 cm de la tumeur, le long de l’un des trois troncs
artériels principaux de l’estomac (artère splénique,
artère hépatique et tronc-cœliaque) ; 3) les patients
pN3 en cas de ganglions N+ siégeant à distance
(para-aortique, pancréatique et mésentérique). Cette
classification ne tient absolument pas compte du siège
du cancer sur l’estomac, la notion de ganglions proxi-
maux et distaux reste univoque et, enfin, la notion de
3 cm est peu anatomique est critiquable.
Ces deux classifications, l’une complexe mais logique,
l’autre plus simple mais imparfaite, n’étant pas satisfai-
santes, la classification récente de l’UICC semble faire
l’unanimité [12]. Elle n’est plus fondée sur le siège mais
sur le nombre de ganglions envahis (N1=1à6gan-
glions positifs, N2=7à 15ganglions positifs et
N3 = plus de 15 ganglions positifs). Elle a le mérite de
la simplicité et, surtout, elle montre bien qu’il faut
prélever un minimum de ganglions pour pouvoir clas-
ser correctement une tumeur de l’estomac.
Nombre minimum
de ganglions prélevés
Plus on prélève de ganglions, plus on trouve de gan-
glions envahis. L’étude d’Hermanek [10] montre bien
que le pourcentage de N+ est fonction du nombre de
ganglions prélevés (tableau 4). Il est admis actuelle-
ment par tous que le nombre minimum de ganglions
examinés doit être de 15.
Ce nombre minimum de ganglions a une valeur pro-
nostique, comme le montre deux études récentes, celle
de Lee [13] et celle de Karpeh [14]. La première,
coréenne, a colligé 4789 patients ayant eu une résec-
tion RO. Elle montre que la survie à 5 ans est variable
en fonction du nombre de ganglions examinés.
Lorsqu’il y a plus de 15 ganglions examinés, elle est
augmentée de 10 % pour les stades Ib, de 12 % pour
les stades II et surtout de 27 % pour les stades III.
Dans la deuxième étude, qui a porté sur 1038 patients
opérés au Memorial Cancer Center de New York, la
survie passe de 30 à 54 % pour les stades II et de 19 %
à 37 % pour les stades IIIa lorsqu’il y a moins ou plus
de 15 ganglions examinés (tableau 5).
Dans cette dernière étude, les auteurs ont comparé la
survie des patients N+ en fonction du nombre de
ganglions examinés (inférieur ou supérieur à 15) et en
fonction du nombre de ganglions envahis selon la
classification récente de l’UICC. La survie est significa-
tivement meilleure pour les patients classés N1 et N2
lorsqu’il y a plus de 15 ganglions prélevés lors du
curage (tableau 6). Cela montre bien non seulement la
valeur pronostique du curage ganglionnaire mais aussi
sa valeur thérapeutique.
Si la classification récente de l’UICC permet de faire
l’impasse sur la classification japonaise et sa com-
plexité, elle ne doit pas faire perdre de vue la logique
de la classification japonaise, les groupes ganglionnai-
res susceptibles d’être envahis ne sont pas les mêmes
selon le siège du cancer sur l’estomac ; s’il faut prélever
un minimum de 15 ganglions, encore faut-il les préle-
Tableau 2.Survie à 5 ans en fonction des pays.
Pays Nombre Stades
IA IB II IIIA IIIB IV
USA : Hundahl [6] 32 532 78 % 58 % 34 20 % 8 % 7 %
Japon : Ichikura [7] 587 95 % 86 % 71 % 59 % 35 % 17 %
Allemagne : Roder [2] 1 017 86 % 72 % 47 % 34 % 25 % 16 %
Corée : Lee [13] 4 789 93 % 84 % 68 % 51 % 31 % 18 %
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ver dans les groupes ganglionnaires susceptibles d’être
envahis en premier.
Type de curage ganglionnaire ?
Faut-il se limiter au curage D1 (ganglions proximaux)
ou faut-il étendre le curage et faire des curages de type
D2, voire D3 (ganglions distaux) ? Actuellement, la
seule chance de guérison d’un patient repose sur un
acte chirurgical bien fait avec un prélèvement suffisant
de ganglions en espérant aller au-delà des relais gan-
glionnaires envahis lors de l’acte chirurgical.
Mortalité et morbidité
On a reproché aux curages extensifs d’entraîner une
mortalité et une morbidité importantes, ce que semblait
confirmer deux études randomisées.
1. Para-cardiaque droit
2. Para-cardiaque gauche
3. Petite courbure
4. Grande courbure
5. Suprapylorique
6. Sous-pylorique
7. Artère coronaire stomachique
8. Artère hépatique commune
9. Tronc cœliaque
10. Hile splénique
11. Artère splénique
12. Pédicule hépatique
13. Rétro-pancréatique
14. Racine du mésentère
15. Artère colique moyenne
16. Para-aortique
13
13
6
6
12 12
12 16
14
14
14
16
5
4
44
4
4
4
4
11
11
10
10
3
3
3
1
9
9
9
7
15 15
16
8
8
16
2
110
111
6
Figure 1.Classification japonaise.
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L’étude de Cushieri [15], portant sur 400 patients, a
montré une différence significative concernant la mor-
talité opératoire (6, 5 % versus 13, 5 %) et la morbidité
(28 % versus 46 %), celles-ci étant liées à la splénecto-
mie et à la splénopancréatectomie qui étaient effec-
tuées lors des curages D2. L’étude de Bonenkamp [16],
qui a randomisé 711 patients (308 ayant eu une dis-
section D1 et 331 une dissection D2), a montré de la
même façon une différence significative concernant la
mortalité (4 % versus 10 %) et la morbidité (24 %
versus 43 %) avec un taux significatif de réinterven-
tions (8 % versus 18 %). Les résultats sur la survie n’ont
pas montré de différence significative à 5 ans (45 %
versus 47 %). Dans cette étude, la survie à 5 ans est de
69 % en l’absence d’envahissement ganglionnaire,
quel que soit le type de curage D1 ou D2, et de 26 %
versus 30 % en cas d’envahissement ganglionnaire
(D1 versus D2). Cette étude avait alors conclu à l’inu-
tilité du curage ganglionnaire de type D2 dans le
cancer de l’estomac (tableau 7).
Curages extensifs
Les études japonaises, bien que non randomisées, ont
montré un bénéfice sur la survie lorsque sont effectués
les curages extensifs, en particulier chez les patients
ayant un envahissement ganglionnaire proximal N1 :
survie à 5 ans 38 % versus 61 % [17]. Il en est de
même dans l’étude de Siewert [18, 19] qui compare
deux types de curage : le curage D1 qui prélève moins
de 25 ganglions et le curage D2 qui en prélève plus de
25. L’auteur a montré que la survie à 5 ans pour les
stades II était de 30 % en cas de curage D1 et de 57 %
en cas de curage D2. Il en est de même pour certains
sous-groupes de patients dont la tumeur est classée pT2
N1 : la survie en cas de curage D1 est de 28 % et en
cas de curage D2 de 51 % (p = 0,003) ; si la tumeur
est classée pT3 N0, la survie est de 26 % en cas de
curage D1 et de 53 % en cas de curage D2
(p = 0,05 %). De même, dans l’étude de Bonenkamp
[20], lorsque l’on compare la survie à 5 ans en fonc-
Tableau 3.Localisation du cancer.
Antral 3 PC 1 paracardiaque droit 11 artère splénique
4 GC 7 coronaire stomachique 12 pédicule hépatique
5 sus-pylorique 9 cœliaque 13 rétropancréatique
6 sous-pylorique 8 hépatique commune 14 racine mésentère (2 et 10)
3 4 5 6 7 coronaire stomachique 12 pédicule hépatique
Médio- gastrique + 8 hépatique commune 13 rétropancréatique
1 paracardiaque 9 cœliaque 14 racine mésentère
11 artère splénique (2 et 10)
1 paracardiaque droit 7 8 9 11 12
Cardio-tubérositaire 2 paracardiaque gauche +
3 PC 10 hile splénique (5 et 6) 13
4GC 14
↑↑↑
N1 N2 N3
Figure 2.Siège des ganglions proximaux et distaux en cas de cancer cardio-tubérositaire A) G
1
=N
1
.B) G
2
=N
2.
C) G
3
=N
3
.
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