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Dossier thématique
D ossier thématique
Traitement de l’infection d’ascite
Treatment of spontaneous bacterial peritonitis
IP Jean-Didier Grangé*
 Points forts
 Une infection du liquide d’ascite (ILA) doit être suspectée
en cas de fièvre ou d’hypothermie, de douleurs abdominales,
de diarrhée, d’encéphalopathie hépatique, d’insuffisance
rénale ou d’ictère. Son diagnostic repose sur la présence
d’un nombre de polynucléaires neutrophiles dans l’ascite
supérieur à 250/mm3. La culture bactériologique du liquide
d’ascite n’est positive que dans 50 à 70 % des cas.
 La grande majorité des ILA communautaires sont dues à des
entérobactéries, principalement à Escherichia coli. Les ILA à cocci
à Gram positif sont surtout observées chez les patients déjà
hospitalisés et chez les patients ayant subi des actes invasifs.
 Les principaux facteurs de risque d’ILA sont un taux de
protides dans l’ascite inférieur à 10 g/l et la survenue d’une
hémorragie digestive.
 Un traitement antibiotique précoce et adapté (céphalosporines de troisième génération, amoxicilline-clavulanate,
fluoroquinolones) permet de guérir l’ILA dans plus de 90 %
des cas. Il est néanmoins nécessaire de lui associer des perfusions d’albumine, tout particulièrement dans les cas les plus
graves (bilirubine > 70 µmol/l ou créatinine > 90 µmol/l), pour
diminuer le risque de survenue d’une insuffisance rénale et
améliorer la survie.
 Après guérison d’un premier épisode d’ILA, la probabilité
de récidive est de 40 à 70 % à un an. Une prophylaxie secondaire par norfloxacine à 400 mg/j est indiquée.
 En cas d’hémorragie digestive, une antibioprophylaxie doit
systématiquement être administrée. Chez les malades avec
une ascite pauvre en protides, l’indication d’une antibioprophylaxie primaire continue, au long cours, doit tenir compte,
d’une part, du bénéfice escompté pour le malade et, d’autre
part, du risque d’émergence de bactéries résistantes.
Mots-clés : Cirrhose – Infection du liquide d’ascite –
Antibiothérapie – Albumine – Antibioprophylaxie.
Keywords: Cirrhosis – Spontaneous bacterial peritonitis –
Antibiotic therapy – Albumin – Antibiotic prophylaxis.
* Service d’hépato-gastroentérologie, hôpital Tenon, Paris.
16
L
es infections bactériennes sont des complications
fréquentes au cours de la cirrhose. La mortalité hospitalière des patients infectés est deux à cinq fois supérieure
à celle des patients non infectés (1). L’infection est directement
responsable du décès chez 30 à 50 % des malades atteints de
cirrhose. Ainsi, le dépistage des infections et leur traitement
efficace doivent permettre de contrôler le syndrome infectieux
le plus tôt possible, avant le développement d’une cascade d’événements biologiques médiée par la production de cytokines
pro-inflammatoires, puis d’événements cliniques (insuffisance
rénale, hémorragie digestive, encéphalopathie) pouvant conduire
au décès du malade. Parmi les infections sévères, l’infection du
liquide d’ascite (ILA) est la complication à la fois la plus fréquente,
la mieux étudiée et la plus spécifique de l’état de cirrhose. Sa
gravité immédiate impose un traitement rapide et adapté. La
gravité du pronostic à distance et la fréquence des récidives
doivent faire envisager un traitement prophylactique.
L’infection d’ascite : infection localisée
ou syndrome systémique ?
La majorité des ILA sont dues à des entérobactéries, et principalement à Escherichia coli (2). Un des mécanismes pathogéniques
fréquemment impliqués est la translocation à travers la paroi
digestive de bactéries d’origine intestinale dans les ganglions
lymphatiques mésentériques puis dans le courant sanguin, avec
éventuellement colonisation secondaire de l’ascite. Ce phénomène de translocation intéresse essentiellement les bacilles à
Gram négatif, et très peu les bactéries anaérobies. La diffusion des
bactéries à travers la paroi digestive peut être favorisée par une
pullulation microbienne et une augmentation de la perméabilité
intestinale. Certaines mutations du gène NOD2 (connues pour
être associées à des altérations de la barrière muqueuse intestinale) pourraient augmenter le risque de survenue d’ILA. D’autres
portes d’entrée sont possibles, notamment urinaire, pulmonaire
et cutanée. Des cocci à Gram positif sont plus fréquemment isolés
au cours des ILA survenant lors d’un traitement prophylactique
par norfloxacine ou pendant une hospitalisation (3). En cas
d’ILA, il existe une réponse pro-inflammatoire et procoagulante
de l’hôte qui fait intervenir des cytokines telles que le tumor
necrosis factor (TNF-α) et les interleukines 6 (IL-6) et 1 (IL-1). Ce
syndrome de réponse systémique à l’infection (SIRS) peut avoir
rapidement des conséquences majeures chez le malade atteint de
cirrhose, avec survenue de complications telles qu’insuffisance
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rénale, hémorragie digestive et choc (4). Une insuffisance rénale
survient chez les malades ayant les concentrations les plus élevées
en cytokines pro-inflammatoires, à la fois dans l’ascite et dans
le plasma. L’insuffisance rénale est associée à une hyperactivité
du système rénine-angiotensine-aldostérone et représente un
facteur pronostique majeur chez ces patients.
Facteurs de risque
Des populations à haut risque d’ILA ont été identifiées dans
plusieurs études. Une concentration en protides dans l’ascite
inférieure à 10 g/l est un facteur prédictif de premier épisode
d’ILA et de récidive infectieuse chez les malades hospitalisés
pour ascite, avec un risque d’ILA d’environ 15 % en cours d’hospitalisation. La probabilité de survenue d’une ILA est comprise
entre 20 et 35 % à un an en cas de taux de protides dans l’ascite
inférieur à 10 g/l, alors qu’elle est d’environ 3 % à trois ans en
cas de taux de protides dans l’ascite supérieur à 10 g/l. Chez
des malades atteints de cirrhose, hospitalisés pour hémorragie
digestive, l’incidence des ILA est d’environ 15 %. Chez les malades
sans signe clinique d’infection, hospitalisés pour une paracentèse
programmée au cours de la prise en charge d’une ascite réfractaire, la prévalence des infections communautaires est très faible
– entre 1,3 et 3,5 %. Après guérison d’un premier épisode d’ILA,
la probabilité de récidive est de 40 à 70 % à un an.
Diagnostic
Le diagnostic repose essentiellement sur les données de l’analyse du liquide d’ascite. La paracentèse doit être effectuée en
urgence en cas de suspicion d’infection, soit en cas de troubles
de la régulation thermique (hyperthermie ou hypothermie), de
diarrhée, de douleurs abdominales, d’encéphalopathie hépatique,
d’insuffisance rénale ou d’ictère. D’une façon générale, il faut
effectuer une paracentèse chez tout malade hospitalisé atteint
de cirrhose avec ascite. La seule présence d’un nombre de polynucléaires neutrophiles supérieur à 250/mm3 permet de poser le
diagnostic d’ILA (en l’absence d’arguments pour une tuberculose,
une carcinose péritonéale ou une péritonite secondaire) et doit
faire entreprendre un traitement en urgence. Une bactérie est
rarement mise en évidence à l’examen direct du liquide d’ascite.
Les résultats de la culture sont améliorés par l’ensemencement en
milieu liquide de l’ascite au lit du malade. Une bactérie est alors
mise en évidence dans 50 à 70 % des cas. Les bactéries le plus
fréquemment isolées sont les bacilles à Gram négatif (66 % des
cas), principalement E. coli (environ 50 % des bactéries identifiées).
Les cocci à Gram positif le plus souvent isolés sont des streptocoques, des entérocoques, des pneumocoques et des staphylocoques.
Chez les malades hospitalisés, 50 à 70 % des ILA sont présentes à
l’admission (ILA communautaires), les autres survenant en cours
d’hospitalisation. Durant ces cinq dernières années, la prévalence
des différentes espèces bactériennes isolées dans les infections
d’ascite d’origine communautaire ne paraît pas s’être modifiée de
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façon significative (5, 6). Au cours des infections nosocomiales,
une proportion plus importante d’infections causées par des cocci
à Gram positif peut être observée, notamment chez les malades
hospitalisés en unité de soins intensifs et chez ceux ayant subi des
actes invasifs (endoscopies avec scléroses ou ligatures de varices
œsophagiennes, embolisations artérielles, anastomoses portocaves transhépatiques) [3]. Le diagnostic à l’aide d’une bandelette
urinaire (évaluation semi-quantitative de l’estérase leucocytaire)
peut permettre de raccourcir le délai entre la paracentèse et le
début du traitement antibiotique (7). Cependant, la sensibilité
de cet examen est insuffisante. Si le résultat de la bandelette est
négatif, la décision thérapeutique doit être prise en fonction du
contexte clinique et des résultats du nombre des polynucléaires
neutrophiles dans l’ascite, la négativité de la bandelette n’excluant
pas le diagnostic d’ILA. Enfin, des prélèvements d’urine, de sang
(et éventuellement des prélèvements au niveau d’un foyer infectieux localisé) doivent systématiquement être réalisés.
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Traitement curatif
Un diagnostic précoce et un traitement antibiotique adapté
permettent une guérison de l’infection dans plus de 90 % des
cas et une mortalité hospitalière inférieure à 30 %. La prise en
charge d’un malade atteint d’ILA doit non seulement comporter
le traitement de l’infection, mais également prendre en considération les autres complications possibles en rapport avec la
sévérité de l’hépatopathie sous-jacente.
Traitement anti-infectieux
Il doit être débuté en urgence en cas de suspicion d’ILA, sans
attendre les résultats de la culture du liquide d’ascite. Les antibiotiques utilisés doivent diffuser largement et rapidement dans l’ascite
et être actifs principalement sur les bacilles à Gram négatif mais
aussi sur les cocci à Gram positif et notamment les streptocoques
(8-10). Les antibiotiques les mieux validés appartiennent à la classe
des céphalosporines de troisième génération (céfotaxime, ceftazidime, ceftizoxime ou ceftriaxone). L’amoxicilline-clavulanate ou
une fluoroquinolone (ciprofloxacine, ofloxacine, moxifloxacine)
peuvent être utilisées par voie i.v. et relayées p.o. (8-11) [tableau I].
La guérison de l’infection est définie par une disparition des signes
cliniques, un nombre de polynucléaires neutrophiles inférieur
à 250/mm3 dans l’ascite et une culture négative de l’ascite. Une
diminution importante (50 % est un seuil couramment admis,
mais non validé) du nombre des polynucléaires dans l’ascite
48 heures après le début du traitement marque l’efficacité du
traitement antibiotique. En l’absence d’amélioration rapide, la
mortalité des patients est très élevée. Une réévaluation du malade
et de l’infection est nécessaire pour éliminer la possibilité d’une
péritonite secondaire ou modifier l’antibiothérapie.
Le traitement d’une ILA nosocomiale (ascite non infectée à
l’admission) doit être orienté par les résultats d’un bilan bactériologique le plus complet possible (ascite, sang, urine, foyer
infectieux, cathéters…). En l’absence de bactérie identifiée, le
traitement doit tenir compte des antibiotiques récemment reçus
17
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Tableau I. Principaux traitements de l’épisode d’ILA.
Médicament
Posologie
Commentaires
Céfotaxime
4 à 6 g/j i.v.
Céphalosporine la mieux étudiée
Efficacité maintenue en cas d’ILA sous fluoroquinolones
Amoxicilline-acide
clavulanique
3 à 4 g/j i.v.
puis 1 g/8 h p.o.
Bonne activité sur les cocci à Gram positif
Relais p.o. possible de la voie i.v.
Ofloxacine
Ciprofloxacine
400 mg/12 h p.o.
200 mg/12 h i.v.
Début possible du traitement par ofloxacine p.o. en cas d’ILA sans complication sévère associée
Relais p.o. possible de la voie i.v.
Albumine
1,5 g/kg à J1
puis 1 g/kg à J3
Amélioration de la fonction rénale et de la survie à trois mois dans une étude ouverte en association avec le céfotaxime
Dose d’albumine à adapter à la gravité de l’hépatopathie et à la fonction rénale
par le patient (fréquence des bacilles à Gram négatif résistant à
l’amoxicilline-clavulanate) et des conditions épidémiologiques
locales (fréquence des staphylocoques méthicillinorésistants)
[5, 12]. Au cours d’une ILA survenant lors d’une antibioprophylaxie par fluoroquinolones, les bacilles à Gram négatif résistant
aux quinolones et au cotrimoxazole ainsi que les streptocoques
sont les bactéries le plus fréquemment identifiées (3, 5, 13).
L’antibiothérapie doit toujours être dirigée contre les bacilles à
Gram négatif (céfotaxime) et élargie vers les cocci à Gram positif,
notamment les streptocoques (amoxicilline), et éventuellement
les staphylocoques (vancomycine). Au cours d’une bactérascite
monomicrobienne asymptomatique, le diagnostic est porté a
posteriori après communication du résultat de la culture deux
à trois jours après la réalisation de la ponction d’ascite. Une
nouvelle ponction doit être effectuée avec ensemencement en
milieu liquide de l’ascite au lit du malade. En cas d’apparition
de signes cliniques d’infection ou d’élévation du nombre des
polynucléaires au-dessus de 250/mm3, un traitement antibiotique doit être débuté, adapté à la bactérie isolée en culture.
Le plus souvent, le second prélèvement de l’ascite est stérile
et le nombre des polynucléaires inférieur à 250/mm3 ; aucun
traitement n’est alors requis.
Préservation de la fonction rénale
Le maintien de la fonction rénale est un objectif prioritaire. En
effet, si la guérison de l’épisode infectieux est le plus souvent
obtenue, la mortalité hospitalière est toujours d’environ 30 %. La
présence ou la survenue d’une insuffisance rénale est le principal
facteur prédictif de décès en cours d’hospitalisation chez ces
malades (14). Elle est présente chez environ un tiers d’entre eux.
L’utilisation de médicaments potentiellement néphrotoxiques
doit être évitée, notamment les traitements par aminosides ou par
anti-inflammatoires non stéroïdiens. En l’absence d’hyponatrémie
sévère (< 120 mmol/l), la restriction hydrique n’est pas indiquée.
Afin de prévenir la survenue d’une insuffisance rénale chez des
malades atteints d’ILA, Sort et al. ont évalué l’efficacité de deux
perfusions d’albumine (1,5 g/kg au cours des six premières heures
après l’inclusion et 1 g/kg au troisième jour) en association avec
le traitement antibiotique par rapport au traitement antibiotique seul (10). Dans le groupe ayant reçu l’albumine, on notait
une diminution significative du taux d’insuffisance rénale (10 %
versus 33 %), de la mortalité hospitalière (10 % versus 29 %) et de
18
la mortalité à trois mois (22 % versus 41 %). La dose d’albumine
administrée était arbitraire. Les malades ayant le plus bénéficié
des perfusions d’albumine étaient ceux ayant une concentration en
bilirubine sérique supérieure à 4 mg/dl et une insuffisance rénale
à l’entrée (urée > 30 mg/dl ou créatinine > 1,0 mg/dl).
Traitement prophylactique
Le traitement prophylactique est indiqué chez des malades
atteints de cirrhose ayant un risque particulièrement élevé
d’infection :
 Les malades n’ayant jamais présenté d’ILA mais ayant des
facteurs de risque de survenue d’ILA bien identifiés : protides
dans l’ascite à moins de 15 g/l (prophylaxie primaire) ou hémorragie digestive active ;
 Les malades ayant guéri d’un premier épisode d’ILA (prophylaxie secondaire).
Les méthodes de prophylaxie ont principalement évalué l’efficacité d’antibiotiques non absorbables ou peu absorbés (15-17).
Actuellement, l’antibiotique le plus utilisé est une fluoroquinolone, la norfloxacine, en raison de son action sur les bacilles à
Gram négatif, de son respect de la flore anaérobie et de sa bonne
tolérance chez les malades atteints de cirrhose.
Antibioprophylaxie primaire
Chez des malades sans antécédent d’infection grave depuis le
diagnostic de cirrhose et avec une ascite pauvre en protides
(< 15 g/l), une étude multicentrique française a montré que
l’utilisation d’une prophylaxie par norfloxacine à la dose de
400 mg/24 h pendant six mois entraînait une diminution significative du risque d’infection sévère à bacilles à Gram négatif
(ILA et septicémie) sans majoration du risque d’infection à cocci
à Gram positif (17). Une autre étude a montré qu’un traitement
continu par norfloxacine était plus efficace qu’un traitement
administré uniquement lors des périodes d’hospitalisation.
Une étude récente a évalué l’intérêt de la norfloxacine chez des
patients avec une ascite pauvre en protides (< 15 g/l) associée à
au moins l’un des critères de gravité suivants : insuffisance rénale
fonctionnelle, hyponatrémie ≤ 130 mEq/l, ou score de Pugh ≥ 9
avec bilirubinémie ≥ 3 mg/dl (tableau II). Dans cette population,
l’antibioprophylaxie a diminué le risque d’ILA et de syndrome
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Tableau II. Traitements prophylactiques des infections chez les malades atteints de cirrhose.
Indications
Modalités du traitement
Commentaires
Ascite pauvre en protides (< 15 g/l)
Norfloxacine 400 mg/j p.o.
Diminution du risque d’ILA et de syndrome hépato-rénal.
Amélioration de la survie à 3 et 12 mois (1)
Prophylaxie secondaire
après guérison d’un épisode d’ILA
Norfloxacine 400 mg/j p.o.
Efficacité démontrée au long cours (jusqu’à disparition de l’ascite ou transplantation hépatique)
Hémorragie digestive
Norfloxacine 400 mg/12 h ou ciprofloxacine 500 mg/12 h Réduction du risque d’ILA de 13 à 5 % au cours des hémorragies digestives et
p.o. ou par sonde gastrique
réduction du risque de récidive hémorragique
ou ceftriaxone 1 g/j i.v. pour une durée minimale de 7 jours
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(1) Dans une population à risque : créatininémie ≥ 1,2 mg/dl ou urée ≥ 25 mg/dl, hyponatrémie ≤ 130 mEq/l ou score de Pugh ≥ 9 avec bilirubinémie ≥ 3 m/dl.
hépato-rénal, et amélioré la survie à 3 et 12 mois. Une étude
argentine utilisant la ciprofloxacine chez des malades avec ascite
pauvre en protides (< 15 g/l) montre également une amélioration
de la survie à un an. Dans cette population, candidate à une
antibioprophylaxie primaire, le risque d’émergence de bactéries
résistantes aux quinolones doit être pris en considération, mais
il est probablement plus faible que le risque observé dans une
population candidate à une antibioprophylaxie secondaire. Au
final, l’indication d’une antibioprophylaxie primaire, continue, au
long cours, doit tenir compte, d’une part, du bénéfice escompté
pour un malade donné et, d’autre part, du risque d’émergence
de bactéries à haut niveau de résistance. Inversement, une antibioprophylaxie primaire n’est pas indiquée si la concentration
des protides dans l’ascite est supérieure à 15 g/l.
Antibioprophylaxie secondaire
Un traitement par norfloxacine à la dose de 400 mg/j diminue de
façon significative la probabilité de récidive d’ILA à un an (16).
Une méta-analyse ayant sélectionné quatre essais de prophylaxie
(primaire et secondaire) avait également montré une augmentation de la survie à cinq mois (18).
Antibioprophylaxie et résistances bactériennes
Les indications de l’antibioprophylaxie doivent tenir compte
du risque d’émergence de bactéries résistantes (3). En effet,
des bactéries à haut niveau de résistance sont de plus en plus
fréquemment isolées au cours de traitements par quinolones. La
sélection de bactéries résistantes semble d’autant plus fréquente
que la durée du traitement prophylactique est longue et que le
malade présente une immunosuppression importante acquise ou
passive (traitement par corticostéroïdes) [19]. Par ailleurs, chez
des malades hospitalisés, le risque de portage de Staphylococcus
aureus méthicillinorésistants était augmenté par la réalisation
d’une antibioprophylaxie préalable par norfloxacine. Au final,
l’augmentation des infections à bacilles à Gram négatif résistant
aux quinolones et des infections à cocci à Gram positif est un
phénomène susceptible de diminuer l’efficacité des traitements
prophylactiques antibiotiques. Aussi l’antibioprophylaxie doitelle être restreinte aux indications validées, et si possible limitée
dans sa durée. Ses indications doivent également tenir compte
des particularités du pays (fréquence des bactéries résistant aux
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fluoroquinolones) et de l’environnement clinique local (fréquence
des S. aureus résistant à la méthicilline). L’efficacité actuelle des
traitements prophylactiques doit être réévaluée, et des modalités
thérapeutiques nouvelles (traitement de pullulation microbienne,
modificateurs de la flore digestive) doivent être testées au sein
d’études randomisées incluant un grand nombre de malades.
Malades hospitalisés pour hémorragie digestive
Chez des malades atteints de cirrhose hospitalisés pour hémorragie digestive, l’incidence des infections est comprise entre 30
et 60 % et celle des ILA est d’environ 15 %. Chez ces patients, la
présence d’une infection bactérienne est associée à l’échec du
contrôle de l’hémorragie et au décès (20). Dans cette population,
la plupart des essais ont montré une efficacité des antibiotiques
sur la prévention des infections par rapport au placebo ou à
l’absence de traitement. Les antibiotiques le plus souvent utilisés
étaient des quinolones (ciprofloxacine, norfloxacine ou ofloxacine), parfois associées à de l’amoxicilline-clavulanate. Dans
une étude récente, l’efficacité d’un traitement de sept jours par
ceftriaxone (1 g/j i.v.) a été supérieure à celle d’un traitement par
norfloxacine (400 mg x 2/j p.o.) [15]. Une méta-analyse a montré
que l’antibioprophylaxie diminuait significativement l’incidence
des infections sévères (septicémies et ILA) et augmentait la
survie à court terme (21).
Autres mesures prophylactiques
ILA et pullulation microbienne
Le cisapride réduit efficacement la pullulation microbienne.
Dans une population à fort risque d’ILA, un traitement associant
norfloxacine et cisapride était plus efficace qu’un traitement
par norfloxacine seule (57 versus 22 % d’ILA à 12 mois) ; mais
le cisapride peut être responsable de graves troubles du rythme.
Inversement, un traitement par inhibiteur de la pompe à protons
favorise la pullulation microbienne et s’est révélé fortement
associé à la survenue d’ILA (22).
Traitement de l’hépatopathie sous-jacente
La survie à un an après guérison d’une ILA est comprise entre
30 et 40 %, en rapport avec la gravité de l’hépatopathie sous19
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jacente, ce qui doit faire envisager la réalisation d’une transplantation hépatique. Chez un faible pourcentage de malades, par
ailleurs candidats éligibles pour une transplantation hépatique
(sévérité de l’hépatopathie, âge, absence d’autres tares viscérales
graves associées, absence de carcinome hépatocellulaire de
grande taille), la survenue d’une ILA est un élément à prendre
en compte dans la décision d’inscription sur une liste d’attente
de transplantation hépatique. La créatinine sérique et le score
de Pugh sont les deux facteurs pronostiques indépendants de
la survie à un an des malades ayant guéri d’un premier épisode
de péritonite spontanée et candidats potentiels à une transplantation hépatique. Chez les malades en attente de transplantation, la fréquence des bactéries multirésistantes isolées dans
les ascites infectées a augmenté au cours de ces 10 dernières
années, pouvant atteindre près de 40 %. Dans cette population,
l’insuffisance rénale reste un facteur prédictif indépendant de
mortalité. L’amélioration du pronostic rénal de ces malades
par l’administration d’albumine lors du traitement initial de la
péritonite et le raccourcissement des délais d’obtention d’un
greffon devraient être les facteurs majeurs d’une amélioration
du pronostic dans les années à venir. Cependant, l’ILA est une
complication très tardive dans l’évolution de la cirrhose. Sa
gravité immédiate et à court terme (survie médiane de neuf mois)
rend difficile la réalisation d’une transplantation. Des mesures
préventives de l’aggravation de l’insuffisance hépatocellulaire
et de l’hypertension portale doivent être mises en place le plus
tôt possible au cours de la maladie. Le traitement étiologique
de l’hépatopathie doit être effectué chaque fois que possible,
notamment le sevrage alcoolique. Certaines molécules antivirales
(interférons, inhibiteurs nucléosidiques) peuvent considérablement modifier l’évolution des cirrhoses post-hépatitiques B et
C. Le contrôle de l’hypertension portale par une association de
propranolol et de mononitrate d’isosorbide pourrait diminuer le
risque de survenue d’une ascite ou d’une infection d’ascite.
Conclusion
Un diagnostic rapide de l’ILA, un traitement anti-infectieux
adapté et la prévention d’une détérioration de la fonction rénale
permettent généralement la guérison de l’épisode infectieux et
une évolution favorable. Après guérison, une antibioprophylaxie prolongée par norfloxacine diminue le risque de récidive
d’ILA. En cas d’ascite pauvre en protides, une antibioprophylaxie
primaire par norfloxacine diminue le risque de premier épisode
d’ILA et de survenue d’un syndrome hépato-rénal et améliore la
survie. Lors d’une hémorragie digestive par hypertension portale,
une antibiothérapie systématique réduit de façon importante le
risque d’infection, d’ILA et de récidive hémorragique et diminue
la mortalité. Après guérison d’un premier épisode d’ILA et,
au mieux, chez tout malade avec ascite, avant survenue d’une
ILA, le pronostic péjoratif de ces malades doit faire discuter
l’indication d’une transplantation hépatique avant que le délai
local d’attente d’un greffon hépatique n’excède l’espérance de
vie du patient. n
20
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La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue - Vol. XI - n° 1 - janvier-février 2008
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