La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue ̐ Vol. XIV - n° 4 - juillet-août 2011 | 177
TRAITEMENT DIFFICILE
Antibiothérapie et cirrhose
Antibiotic therapy in liver cirrhosis
Arnaud Pauwels*
* Service d’hépato-gastroentérologie,
centre hospitalier de Gonesse.
Les infections bactériennes sont une complica-
tion tardive de la cirrhose. Elles sont favorisées
par la translocation bactérienne intestinale, les
altérations du système de défense antibactérien et
les manœuvres invasives. Elles surviennent souvent
alors que le patient présente déjà des altérations
hémodynamiques en rapport avec l’hypertension
portale – principalement une diminution des résis-
tances vasculaires périphériques et une augmenta-
tion du débit cardiaque – qui réduisent sa capacité
d’adaptation à l’infection. Cela explique pourquoi
l’évolution vers un sepsis sévère peut être rapide sur
ce terrain, ainsi que la mortalité élevée associée à
ces infections. Une antibiothérapie probabiliste doit
donc être débutée sans délai. Ces dernières années,
plusieurs études ont rapporté une incidence crois-
sante des infections à germes multirésistants, et
notamment en cas d’infection nosocomiale ou de
traitement antibiotique récent (1). Lors du choix de
l’antibiothérapie, il est donc crucial de prendre en
compte ces élements. Dans certains cas, des mesures
comme un remplissage vasculaire par perfusions
d’albumine ou un recours précoce aux amines pres-
sives doivent être associées.
Traiter
Devant un syndrome infectieux chez un patient
cirrhotique, il faut :
commencer une antibiothérapie probabiliste dès
les prélèvements bactériologiques effectués, sans
attendre leurs résultats ;
dans le choix de cette antibiothérapie, tenir
compte du siège présumé de l’infection mais égale-
ment de son caractère communautaire ou nosoco-
mial et de la notion d’une antibiothérapie récente
ou d’une antibioprophylaxie par quinolone.
Infections du liquide d’ascite
Lorsqu’il s’agit d’une infection communautaire,
le germe en cause est le plus souvent un bacille à
Gram–, en premier lieu Escherichia coli. Les céphalos-
porines de troisième génération (céfotaxime 1 g x 4/j,
ceftriaxone 1 g/j) et l’association amoxicilline-acide
clavulanique (1 g x 3/j), administrés par voie intra-
veineuse, donnent des taux de guérison supérieurs
à 90 % (2). En cas de résolution rapide des symp-
tômes et après s’être assuré d’une diminution de
plus de 50 % du taux de polynucléaires neutrophiles
dans l’ascite à J3, un relais par voie orale peut être
effectué. La durée totale du traitement doit être
de 5 à 10 jours.
A contrario, en cas d’infection nosocomiale, le risque
d’infection à bactérie résistante aux antibiotiques
usuels est élevé, notamment en cas d’antibiothérapie
au cours des derniers 3 mois pouvant alors atteindre
30 à 50 % en fonction de l’écologie microbienne
locale. La prévalence des infections à cocci à Gram+
est également plus importante. Dans cette situation,
il n’y a pas de recommandations quant à la conduite
à tenir. Si le tableau clinique est préoccupant, il paraît
prudent de recourir d’emblée aux uréidopénicillines
ou aux carbapénèmes, quitte à reconsidérer la pres-
cription au vu des résultats bactériologiques, car un
retard dans le contrôle de l’infection pourrait avoir
des conséquences dramatiques. Sinon, on peut en
rester aux antibiotiques usuels, avec une réévalua-
tion de leur efficacité après 24 à 48 heures. Dès lors
que l’infection nest pas rapidement contrôlée, il
faut recourir aux carbapénèmes.
Septicémies
En cas de septicémie spontanée, les germes en
cause sont les mêmes que dans l’infection du
liquide d’ascite et les mêmes règles peuvent être
appliquées quant à l’antibiothérapie. En revanche,
dans un contexte de manœuvres invasives et de
cathéters veineux, il s’agit souvent d’infections à
staphylocoques (3). Étant donné la fréquence des
souches méti-R, notamment en cas d’antibiothérapie
au cours des 3 derniers mois ou de prophylaxie par
les quinolones, l’association de vancomycine doit
être envisagée.
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TRAITEMENT DIFFICILE
Pneumopathies
La mortalité des pneumopathies communautaires
est élevée chez les patients souffrant d’insuffisance
hépatocellulaire (Child B ou Child C). L’antibiothé-
rapie probabiliste doit couvrir Streptococcus pneu-
moniae mais aussi les entérobactéries et les bactéries
atypiques (4). Pour cela, on peut associer l’amoxi-
cilline-acide clavulanique à un macrolide (azithro-
mycine) ou à une fluoroquinolone (ofloxacine). En
cas d’inhalation, le métronidazole doit être ajouté.
Prévenir
Dans certaines situations cliniques, le risque de
survenue d’une infection bactérienne est suffisam-
ment important pour justifier une antibioprophy-
laxie. Celle-ci repose sur l’administration par voie
orale d’un antibiotique peu absorbable qui élimine
sélectivement les bacilles à Gram– aérobies de la
flore bactérienne intestinale tout en préservant les
bactéries anaérobies.
Hémorragies digestives
Environ la moitié des patients cirrhotiques hospi-
talisés pour une hémorragie digestive haute vont
développer une infection bactérienne. Chez ceux qui
présentent une rupture de varices œsophagiennes,
l’infection est associée à l’échec du contrôle de
l’hémorragie et à la survenue d’une récidive hémor-
ragique précoce. L’antibioprophylaxie permet de
diminuer l’incidence de ces infections bactériennes
(RR : 0,36) mais aussi de réduire la mortalité globale
(RR : 0,79) [5]. Sur ces données, il est maintenant
recommandé de commencer précocement une
antibioprophylaxie en cas d’hémorragie digestive
haute chez un patient cirrhotique. Le schéma le
plus simple et le moins onéreux est l’administra-
tion orale de norfloxacine (400 mg x 2) pendant
5 à 7 jours. Toutefois, chez les patients à très haut
risque d’infection (Child C, hémorragie active), il
apparaît plus efficace de débuter par la ceftriaxone
(1 g/j) par voie intraveineuse pendant 1 à 3 jours,
avant de relayer par la norfloxacine.
Antécédent d’infection
du liquide d’ascite
Après un premier épisode d’infection du liquide
d’ascite, le risque de récidive dans l’année est
élevé, proche de 70 %. Une antibioprophylaxie
par norfloxacine (400 mg 1 x /j) administrée au
long cours diminue significativement ce risque
(RR : 0,30) ; elle est donc recommandée (1). Elle
doit être débutée dès la fin du traitement de l’épi-
sode infectieux aigu et poursuivie jusqu’à dispari-
tion de l’ascite (i.e. chez les patients avec hépatite
alcoolique aiguë), transplantation ou décès. En cas
d’intolérance aux quinolones, le sulfaméthoxazole-
triméthoprime (800 mg/160 mg 1 x /j) est une alter-
native possible.
Autres situations
Une antibioprophylaxie par norfloxacine est
fréquemment prescrite dans différentes situations
cliniques : ascite avec taux de protides dans l’ascite
inférieur à 10 g/l, attente de transplantation, corti-
cothérapie pour hépatite alcoolique aiguë, immuno-
dépression. Pour autant, son intérêt n’a été validé
dans aucune de ces situations. Par ailleurs, le béné-
fice potentiel de l’antibioprophylaxie est pondéré
par le risque d’émergence de souches bactériennes
résistantes et l’augmentation d’incidence des infec-
tions à bactéries à Gram+. Sa prescription ne peut
donc intervenir qu’après une évaluation au cas par
cas.
1. Merli M, Lucidi C, Giannelli V et al. Cirrhotic patients are
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Gastroenterol Hepatol 2010;8:979-85.
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syndrome in cirrhosis. J Hepatol 2010;53:397-417.
3. Kang CI, Song JH, Ko KS, Chung DR, Peck KR, Asian
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infection in patients with chronic liver diseases. Liver Int
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4. Viasus D, Garcia-Vidal C, Castellote J et al. Community-
acquired pneumonia in patients with liver cirrhosis: clinical
features, outcomes, and usefulness of severity scores. Medi-
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5. Chavez-Tapia NC, Barrientos-Gutierrez T, Tellez-Avila FI,
Soares-Weiser K, Uribe M. Antibiotic prophylaxis for cirrhotic
patients with upper gastrointestinal bleeding. Cochrane
Database Syst Rev 2010(9);CD002907.
Références bibliographiques
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