a) Le chemin ascendant : libérer le langage des chaînes de la logique
Dans son introduction générale, Heidegger présente brièvement la
structure fondamentale, l’origine historique et les enjeux de la logique,
avant de conclure à la nécessité d’un « ébranlement » (Erschütterung)
radical de la discipline. Aux yeux de Heidegger, la doctrine du logos
apophantikos, dont Platon et Aristote ont jeté les bases, se caractérise
par quatre intuitions directrices, décisives pour comprendre le statut et
le destin de la logique dans la philosophie ultérieure.
La première postule la possibilité « analytique » – bien attestée par
les Analytiques d’Aristote – de décomposer les énoncés prédicatifs en
leurs parties constitutives. La seconde met l’accent sur la synthèse pré-
dicative, l’entrelacement (symplokhê) du sujet et du prédicat, déjà évo-
quée par Platon dans le Cratyle et, partant, sur la possibilité de combiner
plusieurs propositions dans le cadre du raisonnement syllogistique. La
troisième est le souci de formuler les règles ou les lois qui régissent ce
type de raisonnement logique, sous forme du principe d’identité, de
contradiction et de la raison suffisante. Enfin, le propre de ce type de
raisonnement est le formalisme, l’analyse des règles qui déterminent le
fonctionnement de toute pensée qui se veut rationnelle, abstraction faite
des contenus.
Comme toute science, la logique que Heidegger définit comme
« science des formes des configurations fondamentales et des règles fon-
damentales de la proposition » (Ga 38, 5), a elle aussi son origine dans
la philosophie, plus précisément dans la réflexion philosophique sur le
langage. Au lieu qu’elle soit instrumentalisée comme un organon de la
pensée et de la connaissance, et comme propédeutique de la philosophie,
la logique doit être rapatriée dans la philosophie elle-même, comme
l’ont bien compris Leibniz, Kant et Hegel.
Concernant l’intérêt philosophique de la logique, Heidegger men-
tionne trois jugements de valeur, qui lui semblent également irreceva-
bles : il ne s’agit ni d’en faire un simple entraînement à la pensée formelle
(une sorte de gymnastique intellectuelle), ni de récuser son intérêt, en
faisant appel à l’expérience concrète, ni enfin de confier à chaque science
particulière le soin d’élaborer sa propre « logique ».
La tâche qu’il s’assigne à lui-même est autrement plus radicale :
« ébranler la logique comme telle depuis ses débuts, en remontant à son
origine » (Ga 38, 8). Il a parfaitement conscience du danger que cet
objectif puisse être confondu avec le retour à un irrationalisme et un
anti-intellectualisme primitifs. C’est pourquoi il souligne à l’intention de
ses auditeurs que « notre être-là historique, et par le fait même tout
débat critique, est porté par la logique des Grecs. Ce nom : “logique”
doit devenir pour nous la mission d’interroger de manière plus originelle
et plus vaste ce qui, avec la logique, s’imposait aux Grecs comme la
puissance formatrice, la grandeur de leur être-là historique et ce qui,
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JEAN GREISCH
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Descartes - Paris 5 - - 193.51.85.60 - 09/11/2013 10h23. © Editions de Minuit
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