30 DOSSIER Troubles bipolaires et schizophrénie >> DOSSIER Des symptômes communs Infos ... Les troubles bipolaires Environ 600 000 personnes (1,5 % des français) seraient atteints de troubles bipolaires. Le risque suicidaire, les conduites à risque, les addictions, la désinsertion professionnelle et familiale, les actes de violences, les délits en font toute la gravité. La psychose maniacodépressive typique reste la forme la plus évidente et connue des troubles bipolaires. Pour le Pr J.F. Allilaire - Chef du service psychiatrie, CHU La PitiéSalpêtrière) : “Il ne s’agit pas d'une psychose mais d'un trouble de l’humeur et les thymorégulateurs comme les sels de lithium, certains anticomitiaux ont transformé le pronostic”. Les psychiatres reconnaissent la difficulté de diagnostiquer les malades bipolaires comme tels, et pas seulement lors des premières manifestations de leur maladie. Souvent, c’est l’évolution clinique qui permet de valider le diagnostic, lequel est particulièrement difficile lorsqu’il s’agit des état mixtes. Ceux-ci sont en effet caractérisés par l’association simultanée de nombreux symptômes dépressifs et maniaques. I l est acquis que les symptômes psychotiques (idées délirantes, hallucinations, troubles graves du comportement) ne sont pas spécifiques à la schizophrénie et apparaissent dans bien d’autres états psychiatriques. Pourtant, en pratique, les critères diagnostiques de la schizophrénie restent toujours largement basés sur ces symptômes. Cette attitude est susceptible de retarder le diagnostic des patients atteints de troubles bipolaires, voire d’entraîner une évolution défavorable, faute d’un traitement adapté. Il ressort des recherches de l’équipe du Pr J.P. Olié (Paris) que l’on manque de critères discriminants lors des premiers épisodes psychotiques aigus, et l’idée d’un support neurobiologique commun des troubles bipolaires et de la schizophrénie fait son chemin. Les bouffées délirantes aiguës (syndrome délirant hallucinatoire et interprétatif) survenant chez les sujets sans antécédents psychiatriques peuvent être provoquées par une prise de toxique ; elles peuvent rester des épisodes psychiatriques sans lendemain (dont l’étiologie est inconnue) ou constituer une forme d’entrée possible dans la schizophrénie ou dans un trouble bipolaire de l’humeur. Il faut aussi savoir que le trouble bipolaire doit être évoqué devant une réponse atypique à l’antidépresseur, laquelle est considérée comme un élément de suspicion de la nature bipolaire de la dépression. En effet, les patients atteints de troubles bipolaires présentent une amélioration anormalement rapide des signes dépressifs, mais Professions Santé Infirmier Infirmière N° 62 • mars-avril 2005 peuvent basculer dans l’état mixte ou dans un état d’excitation maniaque. Pour éviter le virage de l’humeur, la prudence est de mise quant à la posologie de l’antidépresseur. Une surveillance accrue de la réaction du malade est nécessaire afin d’adjoindre rapidement un thymorégulateur ou d’ajuster sa posologie. Les troubles distincts Rapportons quelques données de la recherche pouvant aider à distinguer les troubles bipolaires des troubles schizophréniques. Tout d’abord, on s’est aperçu que les caractéristiques des troubles du cours de la pensée sont différentes : dans la manie (psychotique ou non), il s’agit d’un discours accéléré, extravagant, avec déraillement, alors que, chez les schizophrènes, la désorganisation de la pensée (syndrome dissociatif) se manifeste par des propos incohérents et fragmentés, le raisonnement perd de sa logique, le contact apparaît froid et étrange. Par ailleurs, les schizophrènes présentent des symptômes positifs et négatifs sans troubles de l’humeur manifestes ou prédominants. En revanche, certains auteurs soulignent que l’impulsivité associée aux troubles de l’humeur a une place centrale dans la manie et que moins de 50 % des épisodes maniaques comprennent des manifestations psychotiques. D’autres recherches ont mis en lumière le fait que les symptômes négatifs (anhédonie, émoussement affectif) sont intenses et plus souvent présents chez les patients schizophrènes que chez les patients atteints de troubles bipo- laires. De plus, la corrélation entre l’existence d’une évolution défavorable et la présence des symptômes négatifs n’était retrouvée que dans la schizophrénie, ce qui renvoie à la dichotomie proposée par E. Kraepelin pour introduire la distinction entre la psychose maniacodépressive et la démence précoce. Quant aux études du suivi prolongé, elles ont montré que les patients schizophrènes ont des rémissions moins fréquentes (et avec un niveau de fonctionnement social plus altéré) que les patients bipolaires. Enfin, ces derniers ont souvent une comorbidité avec les troubles paniques (en particulier ceux qui souffrent d’état mixte), alors que cela est rarement observé chez les patients schizophrènes. La schizophrénie On en sait un peu plus sur la schizophrénie grâce à la recherche fondamentale : par exemple, on a découvert dans cette pathologie des troubles de la reconnaissance des expressions faciales des émotions (en particulier un déficit pour les expressions de peur par rapport aux sujets déprimés), et ces anomalies sont mises en parallèle avec les troubles des interactions sociales. D’autres travaux utilisant l’imagerie fonctionnelle en tomographie par émission de positons ont montré que l’hypoactivation de l’aire du réseau neuronal olfactif pourrait expliquer les faibles performances des patients schizophrènes dans les tâches de reconnaissance et d’identification des odeurs. La schizophrénie se caractérise par une rupture de contact avec le PSYCHIATRIE Les troubles bipolaires La pathologie est mal connue. Schématiquement, on distingue les troubles bipolaires de type I, caractérisés par une alternance d’épisodes dépressifs et maniaques, et les troubles bipolaires de type II, avec des épisodes dépressifs entrecoupés de périodes d’hypomanie (manie modérée). Dans environ un tiers des cas, il persiste, en dehors des épisodes aiguës, des symptômes plus atténués en permanence. De nombreux patients maniaco-dépressifs sont diagnostiqués dans un premier temps comme dépressifs. Devant une répétition d’épisodes dépressifs, il est donc primordial de rechercher l’alternance de l’humeur. Rappelons qu’il existe des éléments évocateurs d’un trouble bipolaire, à savoir : une tristesse modérée contrastant avec des troubles psychomoteurs marqués (ralentissement psychique et physique), l’importance du retrait social, la prédominance matinale des troubles mélancoliques, les antécédents familiaux de troubles de l’humeur, les caractéristiques atypiques (notamment chez les adolescents) telles que l’hypersomnie, la fatigue extrême, l’irritabilité, l’hyperphagie ou l’anorexie, ainsi que les symptômes psychotiques (délire et hallucinations). Les manifestations des épisodes maniaques sont un état d’excitation, d’euphorie ou d’irritabilité (avec agressivité en cas de contrariété), un sentiment de pouvoir ou de puissance, une hyperactivité, une durée de sommeil réduite, une distraction, un débit très rapide des paroles, des idées délirantes et des hallucinations. Le traitement des troubles bipolaires n’est pas facile, puisqu’il doit être adapté en fonction de la phase de la maladie et éviter une bascule dans un état d’humeur inverse. D’où l’importance d’un traitement préventif permanent par les thymorégulateurs (lithium ou anticonvulsivants) en dehors des épisodes aigus. Le traitement de l’épisode maniaque aigue peut nécessiter l’administration ponctuelle d’un neuroleptique atypique. Il a été observé que la prescription prolongée d’antidépresseurs risque d’induire des formes à cycles rapides (plus de quatre épisodes aigus, maniaques ou dépressifs, par an) et de favoriser les états mixtes. LC Les urgences psychiatriques (Recommandations de l’Anaes) Les principes de l’organisation des urgences psychiatriques préconisés par la circulaire DHOS/O1 n° 2003-195 du 16 avril 2003, relative à la prise en charge des urgences, sont : • en ambulatoire, les centres médicopsychologiques et les visites à domicile (lorsqu’elles existent) assurent les soins non programmés, dans des délais rapides ; • dans les services d’urgence, l’accueil et l’orientation des patients ayant des troubles mentaux ont lieu dans des locaux adaptés, garantissant la confidentialité et la sécurité. L’accueil est assuré par un infirmier ayant acquis une expérience professionnelle en psychiatrie. Le psychiatre doit être présent lorsque la nature et la fréquence habituelle des urgences comportant des aspects psychiatriques le nécessitent, ou être joignable rapidement. Une prise en charge de très courte durée est privilégiée afin d’éviter, chaque fois que cela est possible, l’hospitalisation en psychiatrie. Celle-ci est assurée : – soit dans des lits individualisés au sein ou à proximité immédiate du service d’urgence (pour les suicidants par exemple) ; – soit dans des centres d’accueil et de crise intersectoriels et dans les établissements dotés d’un service d’accueil des urgences et ayant un volume d’activité important en psychiatrie. La continuité des soins est assurée grâce à la coordination du médecin des urgences avec les acteurs de la prise en charge ultérieure : — psychiatres publics et libéraux, médecins généralistes et partenaires des services médicosociaux, sociaux, éducatifs, juridiques, etc. — dans le cadre d’un travail en réseau. >> DOSSIER monde ambiant, le retrait de la réalité, une pensée autistique. On y inclut un ensemble de syndromes psychopathologiques dont les principales caractéristiques sont l’existence de symptômes psychotiques (délires, hallucinations, perturbations de la pensée et de l’affectivité) sur une période prolongée d’au minimum 6 mois. Quand il y a schizophrénie, la maladie évolue vers la chronicité et le handicap psychologique. Outre les idées délirantes et les hallucinations auditives, le raisonnement devient illogique, et le malade vit dans une indifférence affective et l’isolement social. Il y a beaucoup de choses à apprendre au sujet de cette pathologie. Bien que les scientifiques ne puissent pas encore apporter de réponse définitive à toutes les questions concernant cette maladie, on pense que la schizophrénie n’est pas un “dédoublement” de la personnalité, ni une personnalité “multiple”. La schizophrénie occasionne souvent un certain nombre de déficits intellectuels qui perturbent notamment l’attention, la mémoire, l’apprentissage et le traitement de l’information. Ces déficits cognitifs sont souvent présents dès le début de la maladie, dont la cause n’est pas encore entièrement élucidée. Plusieurs facteurs jouent un rôle dans son apparition et son évolution. En général, on considère la schizophrénie comme un trouble résultant d’une interaction complexe entre la vulnérabilité biologique et psychologique d’une personne et le stress associé à son environnement. 31 Professions Santé Infirmier Infirmière N° 62 • mars-avril 2005