Point de vue mt 2011 ; 17 (1) : 68-86 Prise en charge de l’insuffisance cardiaque au service d’urgence Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Bertrand Renaud , Alfred Ngako , Jean-Pierre Fabre , Cyril Corrado , Bressand Sabine , Aline Santin Service d’urgence, CHU Henri Mondor, 51, Avenue du Maréchal Delattre de Tassigny, 94010 Créteil Cedex, France ; Faculté de médecine de Créteil, Université Paris Est Créteil, Créteil, France <[email protected]> L’évaluation diagnostique au cours de l’ICA est menée parallèlement à celle de la sévérité. L’urgentiste doit rechercher d’emblée les signes révélant un arrêt respiratoire imminent. L’approche diagnostique de l’ICA fait le plus souvent appel à un faisceau d’arguments. La symptomatologie est dominée par la tachypnée associé à des râles crépitants dont l’attribution exclusive à l’ICA est difficile compte tenu des comorbidités associées et des facteurs de décompensation. L’électrocardiogramme peut identifier une souffrance myocardique évolutive mais il est le plus fréquemment anormal de manière aspécifique, à l’instar de la radiographie pulmonaire. En cas d’incertitude diagnostique, les peptides natriurétiques sont utiles tant pour le diagnostic que pour le pronostic. L’échographie reste l’examen non invasif de référence mais est encore de réalisation limitée en situation d’urgence. Les grandes orientations thérapeutiques symptomatiques sont définies en référence à la pression artérielle et à l’importance du syndrome œdémateux. Le traitement repose sur l’oxygénothérapie, les dérivés nitrés, les diurétiques de l’anse, la ventilation non invasive en pression positive et la prise en charge des facteurs déclenchants (syndrome coronarien, pneumonie, embolie pulmonaire) ainsi que la prévention des complications liées au décubitus. Les inotropes ne sont utilisés qu’en cas d’hypotension avec signes d’hypoperfusion rebelles. L’intérêt d’intégrer les biomarqueurs cardiaques dans ces stratégies n’est pas démontrer avec certitude. Au terme de cette prise en charge d’urgence, la pathologie cardiaque et son degré de gravité doivent être documentées et la prise en charge au long cours coordonnée adaptée à la pathologie et aux conditions de vie du patient. Mots clés : insuffisance cardiaque, dyspnée, œdème pulmonaire, biomarqueurs L Tirés à part : B. Renaud 68 est le plus souvent due à une dysfonction, systolique ou diastolique, du ventricule gauche, avec ou sans cardiopathie associée. Cependant, certaines pathologies peuvent aboutir à un œdème pulmonaire sans cardiopathie sous-jacente telles que la surcharge hydrosodée, l’hypertension artérielle sévère, la sténose de l’artère rénale ou les pathologies rénales sévères. L’évaluation diagnostique au cours de l’ICA est menée parallèlement à l’évaluation de la sévérité (figure 2). En effet, tant d’un point de vue clinique que paraclinique, nombres de signes contribuent aux deux évaluations. Les méthodes diagnostiques de référence reposent sur Pour citer cet article : Renaud B, Ngako A, Fabre JP, Corrado C, Sabine B, Santin A. Prise en charge de l’insuffisance cardiaque au service d’urgence. mt 2011 ; 17 (1) : 68-86 doi:10.1684/met.2011.0316 doi:10.1684/met.2011.0316 mt ’insuffisance cardiaque aiguë (ICA) est une affection fréquente et potentiellement mortelle. Plus de 75 % des patients en insuffisance cardiaque aiguë sont déjà identifiés comme des insuffisants cardiaques [1-3]. La symptomatologie est dominée par la dyspnée associée à l’accumulation rapide de liquide dans l’interstitium pulmonaire et dans les espaces alvéolaires résultant d’une élévation des pressions de remplissage (œdème pulmonaire cardiogénique) (figure 1) [4]. L’ICA décompensée peut aussi se présenter sous la forme d’une élévation des pressions de remplissage ventriculaire gauche et d’une dyspnée, sans œdème pulmonaire. L’ICA Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Insuffisance cardiaque aiguë hypertensive Décompensation d’une insuffisance cardiaque chronique Œdème pulmonaire cardiogénique Syndrome coronarien aigu Choc cardiogénique IC droite Figure 1. Les profils d’insuffisance cardiaque aiguë en urgence (d’après Dickstein et al.) [85]. l’échocardiographie et sur le cathétérisme cardiaque. Cependant ces deux techniques ne sont pas facilement utilisables en urgence, et les urgentistes doivent pouvoir utiliser des tests simples, fiables et peu invasifs pour pouvoir étayer le diagnostic [5]. L’objectif est que les stratégies diagnostiques de l’ICA soient utilisées et appliquées à une large population de patients se présentant au service d’urgence avec des symptômes et signes compatibles avec le diagnostic d’ICA. Le diagnostic clinique d’ICA est en effet difficile et nécessite souvent d’être étayé [6]. Diagnostic d’insuffisance cardiaque aiguë L’approche diagnostique de l’ICA fait le plus souvent appel à la conjonction d’un faisceau d’arguments, l’approche discutée ici est en accord avec les recommandations des sociétés européennes et américaines de cardiologie [7-9]. Les médecins urgentistes doivent prendre en compte un large éventail de diagnostics différentiels tout en initialisant le traitement dans cette affection potentiellement mortelle. Mais les voies respiratoires, la ventilation et la circulation seront les urgences vitales sur lesquelles l’urgentiste devra porter toute son attention afin d’initier rapidement le traitement. Une fois les patients stabilisés, les explorations complémentaires et les traitements à visée étiologique seront réalisables. Évaluation clinique Histoire et motifs de recours L’interrogatoire est primordial pour l’évaluation des patients en dyspnée aiguë mais doit être retardé chez un patient en détresse. En effet, les mesures thérapeutiques initiales d’urgence prennent alors le pas sur l’interrogatoire. L’entourage, le médecin traitant ou les premiers secours peuvent fournir des renseignements précieux dans ces circonstances critiques. L’histoire clinique renseigne sur la réitération de ces épisodes, sur des pathologies chroniques associées (asthme, BPCO, cardiopathie ischémique, symptomatologie similaire à des épisodes antérieurs). Le dossier médical s’il est disponible doit être consulté ainsi que les ordonnances habituelles ou les modifications récentes tant dans le type que dans la posologie des traitements. Les suivis du traitement prescrit et du régime hyposodé sont à mt, vol. 17, n◦ 1, jan-fév-mars 2011 69 Point de vue Patient suspect d’insuffisance cardiaque aiguë État asphyxique Non Appliquer la stratégie de prise en charge de l’insuffisance cardiaque aiguë grave Oui Choc cardiogénique ou hypotension symptomatique Oui - Ventilation non invasive - Intubation oro-trachéale - Si HTA très sévère envisager une vasodilatation par dérivés nitrés ou nitroprussiate de sodium - Admission en réanimation Non Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Constituer l’anamnèse et réaliser l’examen clinique Extrémités froides hypoperfusion) ou encéphalopathie Envisager d’autres diagnostics et des prises en charge alternatives Non Non Insuffisance cardiaque aiguë probable Oui Oui Démarche diagnostique : - SaO2, Gaz du sang, - ECG - RX Thorax - Peptides natriurétiques, - Ionogramme sanguin, urée, créatinine - Numération formule sanguine Oui - Électrosonographie - Échocardiographie Initiation d’un traitement parallèlement à la poursuite de la stratégie diagnostique Figure 2. Stratégie initiale de prise en charge des suspicions cliniques d’insuffisance cardiaque aiguë (d’après Collins et al.) [5]. évaluer précisément. La sévérité d’une détresse préalable doit être évaluée en termes simples : intubation, ventilation mécanique, admission en réanimation ou en soins intensifs de cardiologie, coronarographie, gestes interventionnels. La rapidité de l’évolution de l’épisode actuel doit aussi être évaluée et mise en parallèle avec la présentation clinique et les hypothèses syndromiques et étiologiques envisagées. La sévérité de la dyspnée peut orienter la démarche diagnostique. En effet, les décompensations asthmatiques, d’insuffisance respiratoire chronique ou d’insuffisance cardiaque chronique sont souvent vécues comme assez sévères (échelle de dyspnée à 7/10) alors que dans l’embolie pulmonaire celle-ci est perçue comme moyennement sévère (échelle de dyspnée à 5/10). La dyspnée paroxystique nocturne n’est pas contrairement au sens commun spécifique de l’insuffisance cardiaque mais peut également se rencontrer dans la bronchopathie chronique obstructive (tableau 1). La douleur thoracique peut être associée à une infection pulmonaire ou pleurale, un syndrome coronarien aigu (SCA), un pneumothorax, une péricardite aiguë ou une embolie pulmonaire (EP). Cependant son absence n’élimine aucun de ces diagnostics. La fièvre est le plus souvent rencontrée au cours des infections, des intoxications mais elle ne saurait être considérée comme systématique. À l’inverse, elle peut aussi se rencontrer au cours de l’œdème pulmonaire 70 cardiogénique ou de l’EP. Une toux non productive est un symptôme non spécifique qui peut être associé à l’asthme, l’insuffisance cardiaque, une infection respiratoire ou encore une EP. Tandis qu’une expectoration franchement purulente évoque une infection respiratoire, une expectoration blanche ou rosée suggère une insuffisance cardiaque aiguë. Une expectoration franchement hémorragique est plus en faveur d’une tuberculose pulmonaire ou d’une tumeur maligne ou encore d’un infarctus pulmonaire. Identification des signes de gravité L’urgentiste doit rechercher d’emblée les signes révélant un arrêt respiratoire imminent dont l’altération de la conscience, une somnolence, une diminution du rythme respiratoire et de l’ampliation thoracique, l’incapacité à parler, la cyanose. Les patients en état de choc (hypotension, hypoperfusion périphérique, oligo-anurie, encéphalopathie, hyperlactatémie) avec un œdème pulmonaire nécessitent un remplissage vasculaire, la mise sous inotropes positifs et doivent être accueillis au plus vite en service de réanimation. Dans ces circonstances, où l’étiopathogénie du choc est incertaine, une exploration par cathétérisme cardiaque droit peut être rapidement indiquée [10] (tableau 2). mt, vol. 17, n◦ 1, jan-fév-mars 2011 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Tableau 1. Modalités de développement des tableaux d’insuffisance cardiaque décompensée (d’après Gheorghiade et al.) [64]. Clinique Développement Pression artérielle élevée Brusque Pression artérielle normale Progressif, congestion systémique Pression artérielle basse Débit cardiaque bas et signes d’hypoperfusion Choc cardiogénique Rapide Œdème pulmonaire Rapide ou progressif Œdème pulmonaire « flash » Brusque Insuffisance cardiaque droite isolée Rapide ou progressif Syndrome coronarien aigu Rapide ou progressif Ces états de gravité extrême sont souvent précédés par une symptomatologie associant fatigue, dyspnée, toux rapidement sévères, variablement associés avec une oppression thoracique ou sensation d’inconfort. Les patients se présentent typiquement et de façon non spécifique anxieux, assis à la recherche d’air, éventuellement appuyés sur leurs poings. La fréquence respiratoire est élevée, les muscles respiratoires accessoires en action, les sueurs profuses, le teint gris. Le discours est hâché, souvent limité à quelques mots, avec parfois quelques signes d’encéphalopathie. Des sifflements expiratoires peuvent être audibles puis sont remplacés par un quasisilence auscultatoire. Ces signes de détresse vitale, avec menace imminente ou rapide sur le pronostic vital imposent une prise en charge agressive incluant ventilation mécanique, invasive ou non invasive si elle est encore Tableau 2. Intérêts diagnostique des symptômes et signes cliniques au cours des dyspnées au service d’urgence (d’après Mueller et al.) [111]. Rapport de côtes (IC à 95 %) Sensibilité Spécificité Prise de poids 3,62 (1,87-7,01) 0,17 0,94 Nycturie 2,43 (1,60-3,68) 0,40 0,79 Dyspnée paroxystique nocturne 2,37 (1,60-3,51) 0,47 0,73 Douleur thoracique 1,55 (1,05-2,29) 0,39 0,55 Toux 0,59 (0,41-0,86) 0,56 0,57 Expectoration 0,50 (0,34-0,75) 0,43 0,73 Fièvre 0,35 (0,22-0,56) 0,33 0,85 Hyperpression veineuse jugulaire 4,28 (2,32-7,89) 0,23 0,94 Râles 3,07 (2,09-4,50) 0,60 0,67 Œdèmes des membres inférieurs 2,85 (1,90-4,26) 0,46 0,77 Reflux hépatojugulaire 2,72 (1,44-5,16) 0,16 0,94 Pression artérielle diastolique 1,01 (1,00-1,02) Température 0,73 (0,59-0,91) Râles sibilants 0,38 (0,23-0,61) 0,30 0,86 Symptômes Signes mt, vol. 17, n◦ 1, jan-fév-mars 2011 71 Point de vue possible et l’orientation de ces patients en milieu de réanimation [11]. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Signes cliniques L’évaluation initiale doit collecter, l’anamnèse et les signes cliniques, mais aussi les facteurs déclenchants ou d’aggravation, et les comorbidités. Idéalement, le patient est installé en position assise ou semi-assise, dans la position la plus appropriée à son état, en salle d’accueil des urgences vitales dès son arrivée au service d’urgence. Un monitorage cardiorespiratoire doit également être entrepris (pression artérielle, fréquence cardiaque, fréquence respiratoire, saturation périphérique en oxygène à l’oxymétrie de pouls, tracé scopique, mesure de la diurèse) [10] couplé à une surveillance visuelle. Le monitorage et la surveillance rapprochée, et effectivement notés, sont essentiels pour suivre l’évolution au cours de la période initiale de prise en charge des patients. C’est en effet pendant cette phase que des ajustements de la stratégie diagnostique ou thérapeutique seront nécessaires [5, 8, 10]. En effet, sous traitement bien conduit, la plupart de ces patients voient leur symptomatologie s’amender dès les toutes premières heures de prise en charge (∼ 3 h) avec poursuite de cette amélioration pendant les 24-48 premières heures [12]. La dyspnée est le motif principal de recours dans au moins 3,5 % des 115 millions de visites aux services d’urgence des États-Unis en 2003 [13]. Une étude prospective observationnelle a rapporté que les principaux diagnostics retrouvés parmi des patients âgés se présentant au service d’urgence avec une dyspnée aiguë sont l’insuffisance cardiaque aiguë, la pneumonie, l’exacerbation de BPCO, l’embolie pulmonaire et l’asthme [13]. L’insuffisance cardiaque aiguë est la principale cause de détresse respiratoire aiguë chez les patients âgés de plus de 65 ans. Il s’agit le plus souvent d’une tachypnée associée à des signes de tirage. La désaturation artérielle en oxygène mesurée à l’oxymétrie de pouls est un signe de première importance. Cependant il est à noter que les oxymètres de pouls perdent en précision en cas d’hypothermie, de choc, d’intoxication au monoxyde de carbone, et de méthémoglobinémie. Le choc mais aussi l’hypothermie liée aux œdèmes abondants ou à l’hypoperfusion systémique peuvent être rencontrés dans ces circonstances [14]. Dans ces cas, il peut être intéressant d’utiliser des capteurs permettant la mesure à l’oreille ou au front, qui sont moins susceptibles d’être altérées par l’hypothermie ou l’hypoperfusion [15, 16]. Il faut par ailleurs considérer que pour le monitoring des patients, l’oxymétrie de pouls ne détectera une baisse de la PaO2 que tardivement, lorsque celle-ci aura un retentissement significatif sur la courbe de désaturation de l’hémoglobine [17]. D’autres sources d’erreurs techniques sont liées au placement du capteur, à 72 la lumière ambiante, aux radiations électromagnétiques. En cas de doute, le clinicien doit tester le matériel en positionnant le capteur sur son propre doigt aussi près possible de la position du doigt du patient. La tachycardie est souvent accompagnée d’une hypertension artérielle. L’existence d’une hypotension artérielle ainsi que des signes d’hypoperfusion périphérique sont des signes majeurs de gravité, annonciateurs du choc cardiogénique. La tachycardie s’inscrit souvent dans un contexte d’arythmie qui, dans ces circonstances, est cause ou facteur aggravant de l’ICA. L’état de remplissage doit être évalué. La turgescence jugulaire reflète une augmentation des pressions de remplissage ventriculaires droites, dont l’origine est une dysfonction cardiaque droite ou le plus souvent gauche. Néanmoins, la turgescence jugulaire, à l’instar du bruit de galop n’est pas un signe fiable, car dépendante du clinicien et de faible sensibilité [18]. La recherche d’un reflux hépatojugulaire dans ces conditions de détresse est impossible et n’a pas d’intérêt. Le pouls paradoxal (diminution de la pression artérielle systolique au cours de l’inspiration) est classique mais presque impossible à mesurer dans les conditions de l’urgence. Il peut cependant être plus facilement perçu au pouls radial, avec une diminution voire une disparition du pouls radial à l’inspiration. Outre la tamponnade, les causes les plus fréquentes de pouls paradoxal sont les bronchopathies chroniques décompensées, les crises d’asthme sévère et l’embolie pulmonaire grave, par le biais de l’HTAP induite. Les œdèmes sont présents chez des patients souffrant d’une insuffisance cardiaque chronique en décompensation subaiguë, mais sont souvent absents en cas d’ICA. L’absence de signe cardiopulmonaire significatif à l’examen n’élimine pas le diagnostic. L’auscultation thoracique détecte des râles crépitants, sibilants éventuels, particulièrement fréquents chez la personne âgée (1/3 des personnes âgées), plus souvent associés à une hypercapnie [19]. Ces râles alvéolaires ne sont pas spécifiques de l’ICA. À l’inverse, leur absence ne saurait invalider le diagnostic d’ICA [20]. La disparition des bruits trachéobronchiques et alvéolaires physiologiques ou pathologiques constituent un signe d’alerte et de gravité majeure, précédant l’arrêt respiratoire, le plus souvent par épuisement et ne doivent pas faussement rassurer. Les bruits cardiaques surajoutés en particulier de galop, sont difficiles à déceler dans ce contexte, mais d’un réel apport diagnostique et pronostique quand ils sont perçus [21]. L’amplification des bruits du cœur par électrocardiographie permet une approche plus fiable et potentiellement intéressante si cette technique venait à se généraliser. En effet, des résultats préliminaires indiquent des caractéristiques prédictives intéressantes, notamment chez les patients avec une concentration intermédiaire de BNP [22]. À l’inverse, une diminution voire une disparition des bruits du cœur invite à rechercher une péricardite, en particulier une tamponnade. mt, vol. 17, n◦ 1, jan-fév-mars 2011 Tableau 3. Caractéristiques des scores diagnostiques de l’insuffisance cardiaque (d’après Collins et al.) [5]. Score Sensibilité Spécificité Framingham 63 % ± 4 % 94 % ± 1 % Boston* 35 % ± 4 % 99 % ± 0 % NHANES 62 % ± 4 % 94 % ± 1 % Gheorghiade 55 % ± 4 % 95 % ± 1 % Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. NHANES : National health and nutrition examination survey. *Pour un score de Boston > 8. Scores et règles diagnostiques La combinaison de l’histoire médicale, des signes physiques et des anomalies radiologiques suggèrent le diagnostic syndromique d’ICA. Les critères de Framingham sont connus depuis 1971 et fournissent un outil opérationnel reconnu pour établir le diagnostic d’insuffisance cardiaque, en particulier en situation extrahospitalière (tableau 3) [23]. Néanmoins, les caractéristiques de ce système diagnostique basé sur des critères majeurs et mineurs sont insuffisantes pour être opérationnels en médecine d’urgence. En effet, de par sa conception, ce système s’il est spécifique n’a pas une sensibilité acceptable [24]. En outre, certains critères ne sont pas réalisables en pratique d’urgence courante. Les critères diagnostiques de Boston, du NAHNES et du score de Gheorghiade utilisent des approches similaires et ont montré des caractéristiques semblables au cours de leur validation prospective [25-27]. Ces groupes de critères peuvent permettre d’aboutir à un haut degré de suspicion diagnostique mais manquent encore d’une précision suffisante pour suffire à eux seuls. Par ailleurs, ces combinaisons de critères n’ont jamais été extensivement validées en situation de médecine d’urgence, ce qui limite leur implémentation dans ces services. Explorations complémentaires L’électrocardiogramme L’ECG est exceptionnellement complètement normal au cours de l’ICA. Au cours de l’insuffisance cardiaque chronique, la normalité de l’ECG aurait une valeur prédictive négative de dysfonction systolique du VG supérieure à 98 %, néanmoins l’absence d’anomalie évocatrice du diagnostic ne saurait éliminer celui-ci [28]. L’ECG améliore significativement la pertinence diagnostique et combiné à la radiographie thoracique suffit à la démarche diagnostique initiale pour une majorité de patients [29]. Une étude décrit neuf patients en œdème pulmonaire cardiogénique non ischémique qui développent de larges ondes T négatives avec un allongement marqué de l’intervalle QT dans les 24 heures après l’initialisation du traitement et la stabilisation [30]. Ces anomalies de la repolarisation se résolvaient spontanément dans la semaine et n’étaient pas associées à une augmentation de la mortalité hospitalière. Les causes des modifications électrocardiographiques peuvent inclure : une ischémie sous-endocardique provoquée par l’augmentation de la tension murale. L’augmentation de la pression télédiastolique ou la diminution du flux artériel coronaire, augmentation du tonus cardiaque sympathique et de l’hétérogénéité électrique due aux dommages myocardiques sous-jacents ou à une hypertrophie et une exacerbation provoquée par l’ischémie, les modifications métaboliques, où les catécholamines. Radiographie thoracique La radiographie pulmonaire est systématique [10]. Elle est essentielle pour l’évaluation en urgence des dyspnées aiguës. Les anomalies radiographiques ne sont pas spécifiques et s’échelonnent de la simple redistribution vasculaire vers les sommets (hypertension veineuse pulmonaire) à l’image classique d’œdème alvéolointerstitiel bilatéral avec cardiomégalie, en passant par l’œdème interstitiel modéré, la distension des lymphatiques septales, l’élargissement des hiles. Néanmoins, la redistribution vasculaire, de l’œdème interstitiel et alvéolaire sont très spécifiques d’ICA (respectivement 96 % ; 98 % et 99 %). Mais, à l’instar des critères diagnostiques cités précédemment, leur sensibilité est basse (respectivement, 41 %, 27 %, 6 %). L’absence d’épanchement pleural traduit la brutalité de l’installation de l’insuffisance cardiaque. Une radiographie pulmonaire normale n’exclut pas l’insuffisance cardiaque aiguë. Ainsi, la radiographie thoracique est un outil de faible sensibilité pour le diagnostic d’ICA et 20 % des patients avec une ICA au service d’urgence ne présentent pas d’anomalie radiologique contributive au diagnostic [31]. Ces patients sont le plus souvent des patients porteurs d’une insuffisance cardiaque à un stade avancé au cours duquel, la congestion radiologique peut manquer malgré l’augmentation de la pression capillaire pulmonaire [31]. L’information pronostique fournit par la radiographie thoracique est indépendante et donc complémentaire de celle qui est fournie par l’évaluation clinique et le dosage des peptides natriurétiques [32]. En outre, la radiographie thoracique peut permettre d’objectiver des arguments en faveur ou contre des pathologies associées et participe au diagnostic différentiel. Biomarqueurs Peptides natriurétiques BNP et NT-proBNP peuvent assister le jugement clinique quand la cause de la dyspnée est incertaine, en particulier chez les patients avec une probabilité clinique mt, vol. 17, n◦ 1, jan-fév-mars 2011 73 Point de vue Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. intermédiaire d’insuffisance cardiaque [33]. La pertinence diagnostique du BNP est conservée quel que soit le type d’insuffisance cardiaque, systolique ou diastolique, néanmoins le BNP ne permet pas de différencier les deux [34]. Les résultats du dosage des peptides natriurétiques doivent être interprétés avec l’ensemble des autres résultats complémentaires disponibles [9]. Alors qu’à l’état basal chez les sujets normaux les dosages de BNP et NT-proBNP donnent des résultats similaires, la concentration sanguine de NT-proBNP est environ quatre fois plus élevée que celle du BNP en cas d’insuffisance cardiaque aiguë. BNP et NT-proBNP ont des concentrations plus basses chez les sujets obèses [35]. Le NT-proBNP est plus élevé chez les personnes âgées, chez les femmes et chez les patients insuffisants rénaux [36]. Cette dernière caractéristique n’a pas permis jusqu’à ce jour de déterminer des seuils pour la pratique clinique. Dans une revue de 599 patients avec une créatinine ≤ 221 mol/L et se présentant au service d’urgence pour une dyspnée, les valeurs seuils utiles au diagnostic positif d’ICA étaient pour les patients avec une clairance ≥ 60 ml/min pour 1,73 m2 > 450 pg/mL chez les patients < 50 ans et > 900 pg/mL au-delà, pour ceux qui présentaient une clairance < 60 mL/min pour 1,73 m2, ce seuil était de 1200 pg/mL [37]. Il existe peu d’études comparatives entre NT-proBNP et BNP. Mueller et al. montraient dans une étude de 251 patients en ICA, sans SCA, que les performances des 2 peptides natriurétiques seraient équivalentes [38, 39]. Concernant l’évaluation du pronostic, dans une étude de 163 patients le NT-proBNP mesuré à l’admission et juste avant la sortie de l’hôpital apportait une information pronostique plus performante que le BNP pour prédire la mortalité globale, mais était équivalent pour prédire la mortalité d’origine cardio-vasculaire [40]. L’utilisation du BNP pour assister l’évaluation médicale dans les situations où l’origine étiologique de la dyspnée n’est pas déterminée avec une certitude suffisante s’est avérée bénéfique en termes de pertinence diagnostique [41]. Les valeurs les plus basses étant retrouvées chez les patients sans insuffisance cardiaque, les plus élevées chez les patients pour lesquels le diagnostic d’ICA était confirmé et enfin les valeurs intermédiaires chez les patients présentant une histoire d’insuffisance cardiaque mais sans décompensation à la présentation au service d’urgence. Ainsi, la pertinence diagnostique du BNP était équivalente ou supérieure à celle d’une stratégie diagnostique incluant les éléments radiographiques standards (cardiomégalie), la notion d’insuffisance cardiaque connue, la présence de râles à l’examen et était plus élevée que les critères de Framingham. Cependant, les valeurs intermédiaires de peptides natriurétiques nécessitent des recherches cliniques complémentaires. Dans ce même travail l’AC/FA influençait à la hausse la concentration de BNP. Le taux de BNP était corrélé avec la gravité clinique de l’insuffisance cardiaque chronique. 74 Par rapport au jugement clinique, le BNP > 100 pg/ml était plus sensible mais moins spécifique pour le diagnostic d’ICA [42]. En outre, pour les patients perçus comme ayant une probabilité clinique d’ICA ≥ 80%, l’adjonction du BNP au jugement clinique améliorait la pertinence diagnostique globale de 7 %, celle-ci passant de 74 à 81 %. Pour les probabilités cliniques intermédiaires, entre 21 et 79 %, un taux de BNP plasmatique > 100 pg/mL avait une précision diagnostique de 74 %, 7 % des patients étaient mal classifiés et avaient une ICA. Parmi les patients à faible probabilité clinique d’ICA, 17 % avaient un diagnostic final d’ICA dont 90 % étaient correctement classés par le dosage du BNP. Pour la pratique clinique, un seuil de BNP < 100 pg/mL a une sensibilité de 90 % tandis qu’audelà de 400 pg/ml la spécificité est supérieure à 95 % chez les patients < 70 ans. Les caractéristiques du NT-proBNP sont similaires avec des seuils à 300 pg/mL (Sensibilité 99 %) et 900 pg/mL (Spécificité à 85 %). Les valeurs intermédiaires nécessitent des explorations complémentaires pour confirmer ou infirmer le diagnostic. Il est important de noter qu’en dépit de résultats convergents concernant l’intérêt diagnostique du BNP, l’impact en termes de soins et de coût est plus discuté. En effet, des résultats divergents ont été publiés, sans doute à mettre en rapport avec des populations et des systèmes de soins différents. Alors que l’équipe suisse de Mueller et al. rapporte des bénéfices substantiels tant en terme d’hospitalisation et d’orientation en soins intensifs que de durée d’hospitalisation [43], les résultats récemment publiés par une équipe australienne et une équipe suisse montrent, au contraire, l’absence d’impact d’une telle stratégie, concernant la prise en charge au service d’urgence, l’orientation initiale des patients, la durée de l’hospitalisation, la régression de symptômes et la survie [44, 45]. Surveillance de l’évolution sous traitement : la diminution du taux de BNP chez les patients correctement traités pour une IC chronique suggère que ce dosage pourrait être utile pour calibrer l’intensité du traitement à délivrer [46]. Concernant l’ICA, l’utilité de ce monitorage par mesure itérative du BNP n’a pas été établie et est en cours d’évaluation [47, 48]. Le BNP fournit une information pronostique d’intérêt. En effet, il existe une association étroite entre la concentration de BNP plasmatique dosée lors de la prise en charge et le risque de mortalité intra-hospitalière [49]. Néanmoins, ce risque statistique ne saurait être utilisé comme un outil de prédiction au lit du patient. Dans le contexte de l’ICA, il faut garder à l’esprit que certains patients en ICA ont des concentrations de BNP basses. A contrario, certains patients porteurs d’une IC chronique peuvent garder des concentrations plasmatiques élevées en dehors de toute décompensation cardiaque. L’IC droite et l’HTAP sont associées à une élévation de la concentration de BNP, et chez les patients où ces anomalies ne sont pas provoquées par une insuffisance mt, vol. 17, n◦ 1, jan-fév-mars 2011 cardiaque gauche, l’interprétation des valeurs élevées de BNP peut amener à considérer des diagnostics erronés [50]. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Troponine Notons que la troponine n’a pas d’intérêt pour établir le diagnostic d’insuffisance cardiaque aiguë, en revanche elle présente un intérêt diagnostique étiologique et pronostique, nous y reviendrons dans la suite de cet article. Panel de biomarqueurs L’utilisation d’un panel de biomarqueurs au cours de la dyspnée aiguë ne semble pas être plus performante que l’évaluation clinique associée à des explorations complémentaires ciblées [51]. Fonction ventriculaire et pressions de remplissage gauches Ces aspects sont fondamentaux au service d’urgence, non seulement dans la stratégie diagnostique mais également pour déterminer la meilleure stratégie de prise en charge initiale. Schématiquement, la stratégie de prise en charge thérapeutique initiale doit différencier les patients avec une ICA systolique (diminution de la FEVG), plutôt normotendus et présentant un syndrome œdémateux manifeste des patients avec une ICA diastolique (FEVG conservé > 45-50%) plutôt hypertendus et avec une hypervolémie moins manifeste [52]. Dans ces circonstances, la notion d’une insuffisance cardiaque préexistante, son type et les résultats des explorations effectuées à froid sont essentielles. Lorsque ces notions font défaut l’échocardiographie ciblée, réalisée par des médecins urgentistes a démontré son intérêt clinique. L’échocardiographie d’urgence permet en effet de préciser la cinétique pariétale et la fraction d’éjection [53, 54]. La mesure du débit cardiaque et des résistances vasculaires systémiques par impédancemétrie cardiaque pourrait être pertinente dans certains cas, en particulier chez les patients les plus âgés, mais sa mise en œuvre en médecine d’urgence pose des problèmes pratiques évidents. Conséquemment à cette étape ou le plus souvent d’emblée, il peut être utile de distinguer 2 grands tableaux d’ICA, même s’ils partagent des caractéristiques communes, auxquels la prise en charge doit s’adapter : les patients hypertendus avec dyspnée brusque et les patients normotendus avec surcharge hydrosodée périphérique et dyspnée d’aggravation rapidement progressive. La première catégorie de patients – environ 50 % des ICA – au service d’urgence est essentiellement constituée de personnes âgées, souvent des femmes avec des signes de décompensation de moins 48 heures. Décompensation à traduction essentiellement respiratoire et souvent liée à un accroissement de la postcharge contre lequel le traitement doit être dirigé [52]. La prise en charge ultérieure sera à adapter en fonction de la réponse au traitement ini- tial. Ces patients à la symptomatologie initiale bruyante sont également ceux susceptibles de répondre le plus vite au traitement. Les patients normotendus en ICA se présentent avec une surcharge hydrosodée évidente et un retentissement respiratoire moindre. Ils sont plus jeunes et souvent coronariens. Le traitement visera à diminuer la surcharge hydrosodée, tout en contrôlant l’impact sur la pression artérielle, dont la baisse peut imposer une option diurétique moins agressive. Échocardiographie Elle est recommandée par les sociétés savantes européenne et nord-américaine comme aide au diagnostic et pour classifier les catégories d’insuffisance cardiaque. Selon le groupe d’expert pluridisciplinaire cité précédemment, elle devrait être systématique, et réalisée le plus précocement possible en fonction de la situation clinique du patient et de l’évolution sous traitement. L’évaluation de la fonction ventriculaire par l’échocardiographie ou d’autres méthodes (isotopique, IRM, TDM, angiographie) est utile pour caractériser le type (systolique, diastolique), la sévérité et les causes potentielles de la dysfonction ventriculaire [7, 9]. Une FEVG < 40% objective une dysfonction systolique, isolée ou associée à une dysfonction diastolique ou une valvulopathie. Quand la FEVG est conservée, la cause de l’insuffisance cardiaque peut être une dysfonction systolique transitoire, ou une cause d’insuffisance cardiaque à FEVG conservée. Une diminution de la FEVG n’est pas, stricto sensu, synonyme d’insuffisance cardiaque, cependant, dans ce contexte où les patients sont très symptomatiques, cette réserve s’estompe [12]. L’échographie bidimensionnelle et le doppler permettent de mesurer la taille des ventricules, les dysfonctions systoliques globale et régionale, la dysfonction diastolique, les valvulopathies, les atteintes péricardiques, et peuvent être utilisés pour mesurer les pressions auriculaire droite et de l’artère pulmonaire. Les renseignements fournis par l’échocardiographie pratiquée chez des patients dyspnéiques au service d’urgence semblent complémentaires de ceux qui sont fournis par le dosage de peptides natriurétiques [55, 56]. L’échocardiographie-doppler apporte des informations particulièrement utiles lorsque les valeurs du BNP sont situées dans la « zone grise » [57, 58], pour des patients chez lesquels le dosage des peptides natriurétiques est d’interprétation difficile (patient âgé, fibrillation auriculaire, insuffisance rénale), ou au cours de certaines étiologies où la concentration de BNP peut être encore basse à l’arrivée au service d’urgence [58, 59]. Cathéter de Swan-Ganz Cette mesure invasive est recommandée chez les patients en détresse respiratoire ou présentant des signes mt, vol. 17, n◦ 1, jan-fév-mars 2011 75 Point de vue Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. d’hypoperfusion et chez lesquels les pressions de remplissage cardiaques ne peuvent pas être correctement évaluées par d’autres moyens, ou chez des patients instables ne répondant pas correctement à la prise en charge initiale [9, 10, 22]. En outre, ce monitoring invasif peut être utile pour ajuster la prise en charge thérapeutique de certains patients restant symptomatiques et qui présentent l’une des conditions suivantes : – volémie, perfusion ou résistance vasculaire pulmonaire ou systémique incertaines ; – pression artérielle systolique basse persistante ou est associée à des symptômes malgré la prise en charge initiale ; – altération de la fonction rénale sous traitement ; – traitement vasoactif nécessaire ; – traitement par disposition de substitution ou par greffe envisagé. La mise en place d’un cathéter cardiaque droit pour mesurer la pression capillaire et le débit cardiaque paraît complètement illusoire dans les conditions d’exercice actuel [60]. Évaluation et prise en charge des co-morbidités Recherche des facteurs précipitants ou étiologiques sous-jacents Les facteurs précipitants diffèrent selon l’ancienneté de l’insuffisance cardiaque. En effet, pour les patients se présentant avec une insuffisance cardiaque de novo, les syndromes coronariens, les pathologies valvulaires et les arythmies sont les facteurs précipitants les plus souvent retrouvés [61]. Les arythmies et les causes valvulaires sont également souvent retrouvées chez les patients avec une histoire d’insuffisance cardiaque chronique. Cependant, une mauvaise compliance thérapeutique est plus fréquente que le syndrome coronarien aigu chez ces patients. Les épisodes infectieux pulmonaires sont également une cause fréquente de décompensation (tableau 4) [62]. Cardiaques Souvent, ces patients sont également porteurs de coronaropathie avec ou sans SCA. L’association d’une coronaropathie à une insuffisance cardiaque est présente dans plus de 60 % des cas et est un facteur pronostique péjoratif [63-65]. Entre 10 à 20 % des syndromes coronariens aigus présentent des signes d’insuffisance cardiaque et environ 10 % présenteront des signes de décompensations pendant leur hospitalisation. À l’inverse dans l’étude EuroHeart Survey II, 42 % des décompensations cardiaques de novo étaient en rapport avec un SCA [61]. Il n’existe pas de consensus concernant le moment optimal pour évaluer la coronaropathie sous jacente chez 76 Tableau 4. Causes et facteurs déclenchants d’insuffisance cardiaque aiguë (d’après Dickstein et al.) [7]. Cardiopathies ischémiques – Syndrome coronarien aigu – Complications mécaniques de l’infarctus du myocarde aigu – Infarctus du ventricule droit Cardiopathies valvulaires -Sténose valvulaire Insuffisance valvulaire – Endocardite – Dissection aortique Cardiomyopathies -Cardiomyopathies du post-partum -Myocardite aiguë Hypertension/arythmie – Hypertension artérielle – Arythmie aiguë Autres causes de défaillance cardiocirculatoire – Septicémie – Thyréotoxicose – Anémie – Shunt – Tamponnade – Embolie pulmonaire Décompensation d’une insuffisance cardiaque préexistante – Défaut d’observance – Surcharge hydrosodée – Infection, en particulier pneumonie – Accident vasculaire cérébral – Chirurgie – Insuffisance rénale – Asthme, bronchopathie chronique obstructive – Conduites addictives les patients pris en charge pour une insuffisance cardiaque aiguë [66]. Les patients doivent être monitorés et, si des signes de SCA apparaissent, des ECG répétés doivent être réalisés ainsi que des dosages enzymatiques myocardiques. Dans ce contexte, biomarqueurs myocardiques, ECG et échographie sont les explorations les plus accessibles. Une dysfonction ventriculaire gauche échocardiographique et une onde Q à l’ECG sont souvent la traduction d’une coronaropathie sous-jacente. Cependant, nombre de patients porteurs d’une coronaropathie ne présentent pas d’onde Q à l’ECG. À l’inverse, certaines cardiopathies non ischémiques peuvent être associées à une onde Q. Les anomalies segmentaires révélées par l’échocardiographie sont souvent liées à une coronaropathie, mais ne sont pas prédictives de la gravité de celle-ci [2, 67]. La suspicion de souffrance myocardique ischémique aiguë sur une pathologie coronarienne évolutive doit conduire à la réalisation d’une coronarographie dans une optique de revascularisation. Celle-ci mt, vol. 17, n◦ 1, jan-fév-mars 2011 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. doit être effectuée d’emblée chez les patients présentant un SCA avec sus décalage du segment ST et précocement chez les SCA avérés sans sus décalage. La gravité du SCA et la réponse au traitement d’une part, et la sévérité de l’insuffisance cardiaque aiguë de d’autre part, seront des éléments qui permettront de pondérer l’urgence de la revascularisation [9, 68]. Rappelons que certains patients, en particulier âgés, peuvent présenter un infarctus du myocarde avec comme seul symptôme une dyspnée aiguë. Le Flash pulmonary edema peut être provoqué par une ischémie myocardique, mais également les troubles du rythme rapides, ou rarement l’overdose. Ainsi, la tachycardie sinusale et les tachycardies supraventriculaires dont l’AC/FA peuvent être à l’origine d’une forme particulièrement aiguë de l’œdème pulmonaire et sont souvent présents au cours des insuffisances cardiaques aiguës. En effet, les troubles du rythme rapides et en particulier l’AC/FA sont à l’origine d’une diminution du débit cardiaque et précipitent la décompensation [69]. L’AC/FA est fréquente au cours des décompensations cardiaques aiguës et ce d’autant plus fréquente que l’insuffisance cardiaque sous-jacente est sévère [70, 71]. Dans ce contexte, la prise en charge repose sur le contrôle de la fréquence cardiaque par la digoxine en première intention sans négliger la surveillance de la concentration plasmatique et l’anticoagulation curative [71]. Extra-cardiaques Jusqu’à 72 % des patients en décompensation cardiaque aiguë souffrent d’une hypertension artérielle chronique et 50 % ont une pression artérielle systolique supérieure à 140 mmHg au moment de la prise en charge [72-74]. La stratégie thérapeutique présentée par la suite est stratifiée sur les chiffres tensionnels, aussi l’hypertension artérielle devra t’elle être rapidement traitée, ce qui pourra constituer l’essentiel du traitement médicamenteux curatif dans certains cas. L’embolie pulmonaire est particulièrement fréquente dans ce contexte. En effet, les patients insuffisants cardiaques présentent globalement un risque 2 fois supérieur d’épisode thromboembolique que la population générale. Ce risque est d’autant plus élevé que la dysfonction cardiaque est sévère [75-77]. En outre, l’existence d’une embolie pulmonaire altère sévèrement le pronostic [78]. Le diagnostic en est souvent difficile, du fait des symptômes communs. Juste peut-on considérer qu’une discordance entre la sévérité de l’état cardiorespiratoire et la relative bénignité des images radiologiques pourra faire suspecter le diagnostic. Il en est de même lorsque les signes droits prédominent le tableau alors que l’auscultation pulmonaire et la radiographie thoracique sont symptomatiquement pauvres. Dans ce contexte les D-dimères sont peu efficients, leur concentration sanguine peut être augmentée du seul fait de l’insuffisance car- diaque. En outre, rappelons que ces patients sont souvent âgés et porteurs de comorbidités associées, ce qui constituent autant de facteurs de risque supplémentaires et de facteurs altérant la pertinence des D-dimères. À l’inverse, les peptides natriurétiques et la troponine, s’ils s’avèrent de bons marqueurs de sévérité, ne permettront pas davantage de discriminer entre ces deux pathologies intriquées [79]. Dans ce contexte, il semble donc essentiel de garder un niveau de suspicion élevée pour l’EP, et d’appuyer la stratégie diagnostique sur les algorithmes basés sur les règles de prédiction clinique [80-82]. La réalisation d’un angioscanner thoracique est la clé du diagnostic mais est parfois irréalisable en urgence devant l’impossibilité d’imposer un décubitus dorsal prolongé chez un patient en détresse respiratoire. De toutes les façons, l’angioscanner est à réaliser avec prudence en raison du risque d’aggravation de la symptomatologie liée à l’insuffisance ventriculaire gauche (bolus de produit de contraste) et d’altération de la fonction rénale souvent déjà altérée chez ce type de patient [77]. Dans ce contexte, si la suspicion clinique est élevée, et en l’absence de contre-indication au traitement anticoagulant, celui-ci sera initié en l’attente de la confirmation diagnostique ultérieure. En cas de suspicion clinique intermédiaire, la réalisation de l’échodoppler veineux des membres inférieurs éventuellement combiné à une échocardiographie, pourra peut-être permettre d’étayer la suspicion diagnostique. Quoiqu’il en soit, la prévention des complications thromboemboliques est de mise sur ce terrain à haut risque, associée à la contention veineuse mécanique les héparines de bas poids moléculaire ou au fondaparinux, en l’absence de contre-indication en particulier d’altération notable de la fonction rénale, ou à défaut par héparine non fractionnée [77, 83]. Une insuffisance rénale est souvent présente au moment de la prise en charge en urgence. Elle est le fait d’une pathologie rénale associée chez un patient polyvasculaire et diabétique, par exemple, ou être aiguë, et être symptomatique de la dégradation de la fonction cardiaque ou d’une iatrogénie médicamenteuse. En tout état de cause, l’insuffisance rénale doit être systématiquement recherchée car sa présence modifie la prise en charge thérapeutique [7]. L’anémie, quelle qu’en soit l’origine, est souvent retrouvée au cours des décompensations d’insuffisance cardiaque chronique, dont elle constitue un facteur déclenchant et est un élément pronostic péjoratif [84]. D’autres facteurs déclenchants doivent être systématiquement recherchés, en particulier, les écarts d’observance thérapeutique, concernant les prises médicamenteuses, ou le suivi des règles hygiéno-diététiques. Les facteurs participant à la décompensation sont plus rares, mais d’intérêt car permettant pour certains une intervention thérapeutique spécifique, les interactions et effets secondaires (médicaments inotropes négatifs [inhibiteurs calciques, bétabloquants non spécifiques], AINS), hypo ou mt, vol. 17, n◦ 1, jan-fév-mars 2011 77 Point de vue hyperthyroïdisme, et aussi les toxiques (cocaïne, alcool), déséquilibre diabétique), grossesse, carence en vitamine B1 (Béribéri). L’absence de facteur déclenchant identifié soulève l’hypothèse de la progression de la dysfonction cardiaque chronique sous-jacente qui, par principe, est un diagnostic d’élimination. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Explorations complémentaires En contexte d’urgence, les explorations complémentaires à la recherche d’un facteur déclenchant, précipitant ou étiologique sous-jacent doivent se limiter aux explorations sont compatibles avec la sévérité de l’état clinique du patient, et qui auront un impact sur les décisions à prendre au cours des premières heures de la prise en charge. Aussi, les explorations visant à rechercher une étiologie rare, ou à stratifier le pronostic à moyen ou long terme, n’ont pas de place dans ce contexte. Néanmoins, des étiologies rares requérant une stratégie thérapeutique spécifique et urgente devront être recherchées si les principales autres causes ont été écartées ou si le tableau clinique rend cette hypothèse vraisemblable. C’est notamment le cas de la thyréotoxicose ou de l’endocardite aiguë, ou encore des cardiomyopathies toxiques ou virales qui nécessitent des prises en charge étiologiques spécifiques. Les explorations citées ici ne sont pas exhaustives et se limitent aux situations les plus fréquemment rencontrées. Électrocardiogramme (ECG). La réalisation de l’ECG est systématique [7], il permet l’analyse d’un trouble du rythme cardiaque mal supporté, de découvrir des arguments en faveur d’un SCA, d’une hypertrophie myocardique ou d’une anomalie à l’ECG (trouble sévère de la conduction auriculo-ventriculaire ou intraventriculaire, allongement de QT ou encore des ondes T géantes négatives) ; certaines de ces pathologies nécessitant une prise en charge spécifique. Biologie « standard » Habituellement inutile pour faire le diagnostic d’insuffisance cardiaque ou guider le traitement initial. Un groupe d’experts pluridisciplinaires a récemment recommandé la réalisation systématique du dosage sanguin suivant : ionogramme, glucose, urée, créatinine, créatine kinase myocardique ou troponine T ou I, numération formule sanguine, gaz du sang veineux central si un cathéter veineux central est disponible [10]. Biochimie de routine qui identifie, en particulier, une insuffisance rénale, liée à l’insuffisance cardiaque elle-même ou à une maladie rénale sous jacente. Les gaz du sang artériels ou l’oxymétrie de pouls peuvent quantifier le niveau d’hypoxémie. Les gaz du sang artériels sont recommandés pour tous les patients présentant une détresse respiratoire sévère (état ventilatoire et équilibre acido-basique) [85]. Recherche d’une anémie qui a pu précipiter la décom- 78 pensation ou d’une hyperleucocytose dans le cadre d’une infection. Biomarqueurs Peptides natriuretiques Dans le contexte de l’ICA, il faut garder à l’esprit que certains patients en ICA ont des concentrations de BNP basses, a contrario, certains patients porteurs d’une IC chronique peuvent garder des concentrations plasmatiques élevées en dehors de toute décompensation cardiaque. L’IC droite et l’HTAP sont associées à une élévation de la concentration de BNP, et chez les patients où ces anomalies ne sont pas provoquées par une insuffisance cardiaque gauche, l’interprétation des valeurs élevées de BNP peut amener à considérer des diagnostics erronés [50]. Troponine L’augmentation du taux de troponine peut être liée à un SCA, de diagnostic parfois difficile chez des patients âgés, en l’absence de signe électrique spécifique ce d’autant que l’ICA ou l’embolie pulmonaire de sévérité modérée à élevée peuvent s’accompagner d’une augmentation de la troponine. Cependant, l’augmentation du taux de troponine dans ce contexte est moins importantE et de plus courte durée en comparaison de l’évolution observée au cours des SCA [86]. Dans ces circonstances où l’ischémie myocardique par obstruction coronaire ne constitue pas le primum movens de la pathologie cardiaque aiguë, la troponine a une valeur pronostique [87]. L’intérêt pronostique de l’importance de l’élévation de la troponine ayant été bien démontré au cours du SCA, STE ou nonSTE [88]. Dans une revue de 2006 colligeant les résultats de 20 études observationnelles concernant 3 278 patients en détresse vitale, les faits suivants étaient rapportés : l’élévation de la troponine concernait 12 à 85 % des patients, dans les 6 études où l’association de cette élévation de la troponine au pronostic des patients a été recherchée, celle-ci a été systématiquement trouvée, avec un odd ratio (OR) moyen du risque de mortalité estimé à 2,5 [IC à 95 % 1,9-3,4] [89]. Des taux élevés de troponine sont aussi observés en cas de tachycardie isolée ou d’insuffisance cardiaque gauche sans ischémie coronarienne objectivée. Ce lien entre l’élévation de la troponine et le pronostic est encore renforcé par l’étude de Peacock et al. sur une très large cohorte de patients admis pour la prise en charge d’une ICA, avec un OR estimé à 2,55 (IC à 95 % 2,24-2,89) [90]. En effet, concernant l’insuffisance cardiaque, la tension pariétale provoquée par l’augmentation de pression et de volume ventriculaire provoque une souffrance myocardique induisant un relargage de troponine dans la circulation. Une étroite corrélation entre le taux de troponine et celui des peptides natriurétiques (BNP) a été mise en évidence [91]. Il n’y a actuellement aucune recommandation incitant à traiter mt, vol. 17, n◦ 1, jan-fév-mars 2011 l’ischémie myocardique chez ces patients (antithrombotiques, antiagrégants plaquettaires). Échocardiographie Conformément à ce qui précède, l’échocardiographie réalisée en urgence peut apporter, au-delà d’arguments en faveur du diagnostic syndromique, des arguments déterminants pour la prise en charge, en cas de suspicion de SCA ou d’EP, par exemple. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Coronarographie La coronarographie s’impose s’il existe des arguments pour une atteinte coronarienne liée à une occlusion symptomatique tout particulièrement en présence de signes d’hypoperfusion périphérique. L’exploration coronarographique sera le préambule nécessaire à une intervention endoluminale si elle objective une sténose coronarienne symptomatique accessible à un geste d’angioplastie transluminale et à la pose d’une endoprothèse [8, 9]. Principes de prise en charge thérapeutique initiale Les modalités de prise en charge conditionnent la morbi-mortalité des patients se présentant en insuffisance cardiaque aiguë [92]. Les cinq typologies d’insuffisance cardiaque aiguë distinguées par l’European Society of Cardiology ne permettent pas en contexte d’urgence une approche pragmatique des patients le plus souvent en dyspnée aiguë. Cette approche thérapeutique pragmatique doit se baser sur des signes cliniques et d’interrogatoire faciles à recueillir et fiables. Dans cette perspective, la pression artérielle systolique constitue l’un des pivots essentiels de la décision thérapeutique [10, 93]. Ainsi, la prise en charge initiale, dans un contexte d’urgence, doit-elle tenir compte du mode de présentation clinique et tout particulièrement de la pression systolique initiale (figure 3). Quels sont les objectifs de la prise en charge de l’insuffisance cardiaque aiguë en urgence ? Ces objectifs sont l’amélioration rapide des symptômes, la restauration de l’oxygénation tissulaire, l’amélioration de l’état circulatoire et des conditions de perfusion systémique, prévenir les complications cardiaques et rénales, diminuer la durée de séjour en soins intensifs. Les objectifs de la prise en charge sont schématisés dans la figure 2. Dans ce cadre, trois grandes catégories de prise en charge peuvent ainsi être distinguées : hypertension artérielle sans ou avec peu de surcharge hydrosodée, d’installation brusque ; pression artérielle normale et anasarque d’évolution subaiguë, où la dyspnée est moins sévère et enfin, l’insuffisance cardiaque où la défaillance circulatoire est au premier plan : choc cardiogénique. La pression artérielle systolique est normale ou haute La décision d’administrer isolément ou en combinaison l’une ou les trois modalités thérapeutiques suivantes est basée sur l’état de congestion pulmonaire du patient. Prise en charge ventilatoire Oxygénothérapie L’oxygénothérapie est recommandée le plus précocement possible afin d’obtenir une saturation en O2 supérieure ou égale à 95 % [7]. La prudence s’impose cependant chez les patients porteurs d’une insuffisance respiratoire hypercapnique associée. Ventilation non invasive La ventilation non invasive avec PEP (5 à 10 mmHg) [VS-PEP ou VS-AI-PEP] est particulièrement recommandée chez les patients insuffisants cardiaques en détresse respiratoire, en cas d’hypercapnie (PaCO2 > 45 mmHg) ou en cas de non-réponse au traitement médical. Elle doit être délivrée concomitamment au traitement médical et ne doit pas retarder la prise en charge spécifique d’un syndrome coronarien aigu. Chez ces patients, la VNI réduit à la fois le recours à l’intubation, et des arguments, encore controversés, plaident en faveur d’une réduction de la mortalité à court terme [7, 94, 95]. Les contre indications à son utilisation doivent être scrupuleusement respectées (instabilité hémodynamique, troubles de la conscience, absence de collaboration du patient, incapacité du patient à expectorer notamment). Traitement médicamenteux Vasodilatateurs L’insuffisance cardiaque aiguë hypertensive ou normotensive constitue une indication élective de l’utilisation des vasodilatateurs. Les vasodilatateurs intraveineux sont recommandés dès le début de la prise en charge chez les patients sans contre-indication majeure : (sténose aortique, cardiopathies obstructives hypertrophiques, infarctus du ventricule droit. . .) [7]. En effet, les vasodilatateurs veineux (nitroglycérine, isosorbide mononitrate et dinitrate, sodium nitroprussiate de sodium et nesiritide) en baissant la pré- et la post-charge améliorent la dyspnée et préservent la circulation coronaire. Le principal vasodilatateur, agissant préférentiellement sur le secteur veineux est la nitroglycérine [7, 9]. À titre d’exemple, la dose initiale recommandée de nitroglycérine, principal vasodilatateur veineux en utilisation courante est de 10 à 20 g/min par voie intraveineuse avec une augmentation de 5 à 10 g/min toutes les 3 à 5 minutes en fonction des besoins. Des bolus de 1 à 2 mg à la phase initiale de la prise en charge sont souvent utiles lorsque la tension artérielle le permet. Avec ces thérapeutiques intraveineuses, le mt, vol. 17, n◦ 1, jan-fév-mars 2011 79 Point de vue Insuffisance cardiaque aiguë Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Traitement symptomatique immédiat Douleur aiguë ou détresse vitale immédiate oui Analgésie, sédation Congestion pulmonaire oui Diurétiques, vasodilatateurs SpO2 < 95% oui Oxygénothérapie, Ventilsation spontanée avec pression expiratoire positive, ventilation non invasive, ventilation mécanique Rythme et fréquence cardiaques normales non Entrainement électrosystolique, antiarythmiques, choc électrique externe Figure 3. Principe de prise en charge de l’insuffisance cardiaque aiguë (d’après Dickstein et al.) [7]. monitorage des paramètres cardiorespiratoire est requis, en particulier de la pression artérielle. Diurétiques Les diurétiques sont très largement prescrits mais leur impact pronostique n’a été que peu évalué [28-30]. Cependant, leur utilisation, chez ces patients hypertendus, et souvent déjà hypovolémiques, n’est pas sans risque. De fortes doses de diurétiques chez ces patients sont délétères en altérant une hémodynamique déjà précaire. Les précautions d’utilisation seront d’autant plus importantes à respecter que les patients seront âgés, exposés à la polymédication et donc à haut risque d’accidents iatrogènes. La surveillance du poids, de la diurèse et de la biologie sont 80 de rigueur. Leur indication élective est constituée par les patients en décompensation subaiguë en forte surcharge hydrosodée. L’administration intraveineuse de diurétiques est toutefois recommandée chez les patients insuffisants cardiaques en surcharge hydrosodée avec congestion pulmonaire. La dose initiale recommandée est de 20 à 40 mg IV de furosémide chez un patient dont la fonction rénale est conservée (0,5-1 mg de bumétanide ; 10-20 mg de torasemide) à l’admission. La diurèse sera surveillée. La dose de diurétique pourrait être répétée après 45 à 60 minutes en l’absence de réponse en terme de diurèse, qui doit être surveillée. En tous les cas, afin d’éviter les effets secondaires, des doses maximales inférieures à 100 mg dans les premières 6 heures et 240 mg dans les premières 24 heures doivent être respectées [7]. En cas de mt, vol. 17, n◦ 1, jan-fév-mars 2011 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. résistance aux diurétiques de l’anse, une association avec des diurétiques thiazidiques ou des agonistes de l’aldostérone peut être tentée. L’épuration extrarénale sera réservée aux insuffisants rénaux terminaux et exceptionnellement aux patients non répondeurs [96]. Avec un traitement diurétique agressif, une supplémentation potassique est requise. En revanche, en cas d’association au nesiritide, cette supplémentation doit être utilisée avec parcimonie. La supplémentation potassique a pour but de maintenir une kaliémie entre 4.0 et 5.0 mEq/l. Le magnésium est un important cofacteur de la fonction cardiaque et devrait être supplémenté si le patient est en déficit à raison de 140 mg de magnésium PO [7, 9, 10]. Seront associées à cette prise en charge des mesures de prévention thromboembolique, des règles hygiéno-diététiques et la prise en charge des comorbidités. La pression artérielle est basse Drogues inotropes et catécholaminergiques Les agents inotropes positifs (dobutamine, milrinone ou levosimendan) sont réservés aux insuffisances cardiaques sévères ne répondant pas aux mesures précédentes, et aux patients les plus graves présentant des signes d’hypoperfusion tissulaire (froideur des extrémités, troubles de la conscience ou souffrance rénale et hépatique, notamment) [7, 9]. Les agents inotropes positifs permettent de prévenir une défaillance circulatoire aiguë avec installation rapide d’une défaillance multiviscérale. Ainsi, ces drogues, peuvent permettre de maintenir le patient en vie en l’attente d’autres méthodes d’assistance et de traitement : transplantation cardiaque, assistance ventriculaire ou circulation extracorporelle. Les études récentes suggèrent qu’en cas de nécessité d’utiliser un inotrope positif, le levosimendan doit être préféré notamment chez les patients aux antécédents d’insuffisance cardiaque et/ou sous béta bloquants [97]. Les agents vasopresseurs sont réservés aux cas où la baisse de la pression artérielle systolique met en péril la survie du patient (état de choc). Ils doivent être utilisés précocement.7 La norépinéphrine est recommandée à titre exceptionnel seule ou en association avec un inotrope positif en cas d’hypotension artérielle persistante [7, 9, 98]. La dose recommandée de norépinephrine est de 0,2 à 1 microgramme par kilo par minute et doit être débutée sur une voie périphérique en attendant qu’une voie centrale soit disponible. L’adrénaline n’est pas à utiliser en première intention et est réservée aux cas extrêmes pour retarder une évolution fatale imminente [97, 98]. Assistance circulatoire Le ballonnet intra-aortique ne peut pas être considéré comme une thérapeutique de médecine d’urgence, même si sa mise en place peut être précoce. Il est indiqué chez les patients ne répondant pas au traitement conventionnel dans les 12 heures de leur arrivée aux urgences [7, 10, 97]. Prise en charge des comorbidités La fibrillation auriculaire avec réponse ventriculaire rapide, la tachycardie ventriculaire, la bradycardie, l’anémie sévère et les infections sont des facteurs de décompensation ou d’aggravation souvent associés [7, 9, 10]. Dans un autre registre, l’altération de la fonction rénale est importante à considérer car associée à un impact pronostique péjoratif fort [99, 100]. Par ailleurs, l’insuffisance cardiaque aiguë peut résulter de la iatrogénicité de certains médicaments ou classes thérapeutiques. Il en est ainsi pour les antiinflammatoires non stéroïdiens, dont les anti-cox-2, les sympathomimétiques, les antidépresseurs tricycliques, les anti arythmiques de classe I et III (en dehors de l’amiodarone) et les inhibiteurs calciques non dihydropiridiniques. En revanche, la poursuite des béta bloquants ne serait pas contre indiquée en cas de décompensation cardiaque aiguë, en particulier pour les bêtabloquants cardiosélectifs [101]. En accord avec ce qui a été signalé précédemment, insistons sur l’importance de la prévention des complications du décubitus chez ces patients majoritairement âgés et notamment sur la prescription des anticoagulants à doses préventives en prenant garde au respect des contre-indications et ajustements nécessaires au vu de la fonction rénale et sur l’importance du traitement spécifique des facteurs de décompensations. Orientation des patients après la prise en charge initiale La prise en charge ultérieure dépend du pronostic. Les tableaux les plus graves seront d’emblée orientés en soins intensifs ou en réanimation. Les autres devront être réévalués à la lumière de leur réponse au traitement. Cependant, à l’heure actuelle, il n’existe pas de stratégie validée concernant cette orientation et la plupart de ces patients sont hospitalisés, sans prise en compte effective de leur réponse initiale à la prise en charge thérapeutique [102]. Il est vraisemblable que dans cette population, un pourcentage conséquent de patients est hospitalisé alors même qu’une prise en charge ambulatoire coordonnée serait envisageable et souhaitable. En effet la gravité du pronostic immédiat de ces patients est surestimée [103]. Cette proportion a été estimée à 50 % des patients hospitalisés pour ce motif par les sociétés nordaméricaines de cardiologie [104]. L’évaluation visant à déterminer quels patients pourraient être candidats à une prise en charge ambulatoire n’a jamais été spécifiquement abordée dans les recommandations actuelles des sociétés mt, vol. 17, n◦ 1, jan-fév-mars 2011 81 Point de vue Évaluation • SaO2, PAS, FC, FR, T° • Anamnèse, examen clinique • BNP/NT pro BNP et Troponine • ECG et RP • Test thérapeutique (nitrés/diurétiques) Prise en charge initiale commune Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Oxygénothérapie, PEP, VNI Diurétiques Vasodilatateurs Prise en charge en fonction de la pression artérielle systolique • Si PAS > 100 mmHg : ° Vasodilatateurs (dérivés nitrés, nitroprusside, netiseride), levosimendan • SI PAS 90-100 mmHg : ° Vasodilatateurs et/ou inotrope (dobutamine, inhibiteurs de la phosphodiestérase, levosimendan) • Si PAS < 90 mmHg : ° vérifier le statut volumique et remplissage ° dobutamine, levosimendan, inhibiteurs de la phosphodiestérase, ° dopamine ou noradrénaline, ° contre-pulsion intra-aortique, ° assistance circulatoire Figure 4. Prise en charge initiale de l’insuffisance cardiaque aiguë (d’après Dickstein et al.) [7]. savantes [8-10, 105]. Plusieurs critères de mauvais pronostic ont été identifiés itérativement : l’hypotension et l’hypertension artérielles, l’encéphalopathie, les comorbidités, l’hyponatrémie, l’hyperuricémie, l’oligurie, un taux élevé de peptides natriurétiques. Cependant, l’absence de facteurs de risque de mortalité n’est pas synonyme de faible risque de morbi-mortalité à court terme [22]. Dans cette optique, plusieurs règles de prédiction ont été développées. Selker et al. ont développé une règle afin d’identifier les patients à haut risque, règle basée sur une prédiction de la mortalité, mais n’ayant jamais été validée comme une règle de décision pour l’orientation initiale des patients [106]. En 1996, Chin et al. ont publié une règle de prédiction mais qui ne permet pas d’identifier des patients à faible risque [107]. Récemment Auble et al. ont comparé la performance de 4 règles de prédiction clinique, aucun de ces scores ne semblait être suffisamment pertinent pour être utilisé comme règle de décision [108]. Néanmoins, le « Acute Heart Failure Index » pourrait être 82 testé dans cette indication [109]. Si tel était le cas, il resterait à résoudre le problème de la mise à disponibilité en urgence des ressources extérieures à l’hôpital nécessaires à la prise en charge ambulatoire de tels patients. En pratique, ces patients restent encore souvent en unité d’hospitalisation de courte durée du service d’urgence, avant de pouvoir être définitivement orientés, au risque, pour les plus polypathologiques et âgés d’entre eux de ne pas bénéficier d’une évaluation conforme aux recommandations de leur pathologie cardiaque sous-jacente [110] (figure 4). Conclusion Des connaissances indispensables pour évaluer rigoureusement et rationnellement les patients en ICA pris en charge en urgence, font encore défaut pour améliorer le pronostic de ces patients tout en favorisant la prise en mt, vol. 17, n◦ 1, jan-fév-mars 2011 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. charge ambulatoire des moins sévères d’entre eux. À cette fin, il faut améliorer la pertinence diagnostique dès la prise en charge initiale au service d’urgence, en combinant la probabilité clinique d’ICA et une évaluation objective de la fonction ventriculaire et des pressions de remplissage, disposer de stratégies thérapeutiques claires au vu de l’évaluation initiale de la gravité clinique et des comorbidités, et pouvoir mettre œuvre de manière à coordonner une prise en charge ambulatoire compatible avec la sévérité de l’ICA et le contexte médico-social. 10. Mebazaa A, Gheorghiade M, Pina IL, et al. Practical recommendations for prehospital and early in-hospital management of patients presenting with acute heart failure syndromes. Crit Care Med 2008 ; 36 : S129-139. 11. Masip J, Roque M, Sanchez B, et al. Noninvasive ventilation in acute cardiogenic pulmonary edema : systematic review and metaanalysis. JAMA 2005 ; 294 : 3124-3130. 12. 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