Insuffisance cardiaque aiguë en ambulatoire OAP vu en urgence par le médecin généraliste Etat des lieux et prise en charge Pr Guillaume Jondeau L'insuffisance cardiaque aiguë est une pathologie grave, mettant en jeu le pronostic vital à court terme. L'œdème aigu pulmonaire (OAP) en est la forme la plus fréquente, le choc cardiogénique le plus grave. La qualité de la prise en charge dépend de la rapidité du diagnostic, de la bonne évaluation des critères de gravité et du recours rapide aux structures adaptées. La continuité de la prise en charge doit être assurée du domicile à l'hôpital, grâce à la transmission écrite des données médicales. L'insuffisance cardiaque touche au moins 30 000 personnes en France. Son épidémiologie est malaisée, d'une part en raison d'un diagnostic difficile et souvent posé à un stade avancé de la maladie, d'autre part en l'absence d'observatoire de l'insuffisance cardiaque en France. Cependant, par extrapolation des données recueillies dans les pays anglosaxons, en particulier la cohorte de Framingham, on estime la prévalence de l'insuffisance cardiaque à 10 pour mille habitants, avec une très forte augmentation avec l'âge, atteignant 5 % de la population entre 75 et 85 ans, et 10 % des plus de 85 ans. Les deux tiers des sujets atteints ont plus de 75 ans. Concernant les épisodes de décompensation cardiaque aiguë, la seule étude française menée en Alsace-Lorraine, EPICAL, a mis en évidence une incidence de 225 nouveaux cas d'insuffisance cardiaque sévère par million d'habitants et par an (935 après 70 ans). La mortalité à un an était de plus de 35 % et le taux de réadmission à l'hôpital de 50 %. L'insuffisance cardiaque aiguë représente aujourd'hui la première cause d'hospitalisation des sujets âgés de plus de 85 ans. Au domicile, le diagnostic d'insuffisance cardiaque aiguë est posé sur les signes cliniques et le terrain. La recherche systématique d'un infarctus (douleur thoracique, ECG) se justifie par la prise en charge spécifique qu'il nécessite. La mise en route rapide du traitement de l'OAP sans choc (trinitrine, diurétiques de l'anse) fait partie du rôle du médecin généraliste. Les critères de gravité (détresse respiratoire aiguë, épuisement, signes de choc, syndrome coronarien aigu) conditionnent l'appel au SAMU. Le SAMU va organiser une revascularisation rapide en cas d'infarctus, identifier les formes graves (choc cardiogénique), réévaluer le diagnostic (Brain Natriuretic Peptide [BNP] si nécessaire et si disponible), et diriger le patient vers une structure adaptée, sous monitorage. Le SAMU poursuit la prise en charge en continuité avec le médecin généraliste et le service qui acceptera le patient, et affine la recherche des facteurs déclenchants, notamment par le tracé ECG systématique et éventuellement le dosage de troponine. Aux urgences, la prise en charge est proche de celle du SAMU, avec la possibilité de bénéficier d'un avis cardiologique, nécessaire notamment si persiste un doute diagnostique, si un syndrome coronarien aigu (SCA) est évoqué, en présence de signes de gravité, en l'absence d'amélioration sous traitement, ou en présence d'une prothèse valvulaire. L'échographie et le BNP peuvent compléter les outils diagnostiques classiques dont la radiographie thoracique. La troponine et les examens biologiques standard sont réalisés systématiquement. HAS/SEP/GJ/AD/CC 1/3 2006 Le patient grave est transféré en réanimation ou en USIC (unité de soins intensifs cardiologiques) impérativement en cas de SCA ou de mise sous inotropes positifs. Les patients moins sévères sont hospitalisés en salle, en service de cardiologie de préférence. En USIC, le bilan est complété au besoin, selon le parcours du malade. L'échographie doit être réalisée immédiatement en cas de doute diagnostique, de choc, de résistance au traitement, de mise sous inotropes positifs, en présence d'une prothèse valvulaire ou d'un souffle important à l'auscultation cardiaque. Elle doit être réalisée sous 24 heures dans tous les cas. La surveillance de la bonne évolution clinique comprend la diurèse au mieux horaire, un ECG et une radiographie thoracique chaque jour, et un contrôle systématique de la troponine à la 24e heure. Le monitorage doit être poursuivi 24 heures après la stabilisation de l'état clinique. Le traitement d'une forme habituelle d'OAP en milieu hospitalier (SAMU, urgences, USIC) repose sur : - l'oxygénothérapie à fort débit, complétée par la VNI (ventilation non invasive) si l'hypoxémie persiste ; - la morphine et la trinitrine, au mieux en bolus intraveineux ; - les diurétiques de l'anse (furosémide, bumétamide), à répéter surtout si les signes congestifs persistent, en évitant les apports sodés ; - le recours aux inotropes positifs ne se justifie qu'en cas de dysfonction systolique (fraction d'éjection ventriculaire inférieure à 45 %) et d'inefficacité des drogues précédentes utilisées à doses suffisantes. En cas de choc cardiogénique, les inotropes positifs sont inévitables (dobutamine, noradrénaline). La prévention des complications inclut une héparinothérapie préventive en l'absence de traitement anticoagulant, avec des plaquettes contrôlées 2 fois par semaine, un ionogramme et une fonction rénale 1 à 2 fois par jour. Le traitement de la cause déclenchante est primordial : - tout SCA justifie une prise en charge adaptée, avec revascularisation en cas de sus-décalage du segment ST ; l'arythmie complète par fibrillation auriculaire (AC/FA) est une grande pourvoyeuse d'OAP. Une anticoagulation efficace et le ralentissement de la fréquence cardiaque sont à réaliser d'emblée : - l'infection pulmonaire (sepsis, AC/FA associée…) peut favoriser la décompensation cardiaque aiguë et justifie une prise en charge particulière. Les autres causes sont plus rares (anémie, hyperthyroïdie, mauvaise observance du traitement et du régime, hypertension artérielle, embolie pulmonaire, suractivité, prise d'anti-inflammatoires non stéroïdiens, de bêtabloqueurs, de corticoïdes). En conclusion : l'insuffisance cardiaque aiguë est de diagnostic faussement aisé dans sa forme la plus fréquente, l'OAP, qui nécessite la recherche systématique des causes déclenchantes, depuis le domicile (recherche des signes cliniques et électriques d'infarctus, de troubles du rythme, de sepsis…) jusqu'en réanimation (échographie indispensable). La continuité entre tous les acteurs, du domicile jusqu'en réanimation, permet une prise en charge optimale rapide (traitement symptomatique et étiologique, orientation adaptée), et donne au patient les meilleures chances d'évolution. Recherche documentaire HAS/SEP/GJ/AD/CC 2/3 2006 Stratégie de recherche La recherche documentaire s'est limitée à la recherche des recommandations de bonne pratique clinique (RPC) existantes, en français et en anglais, sur la période 1995-2006, ainsi qu'aux revues de littérature de la Cochrane Library sur la même période. Sources d'informations Sources documentaires : Bases de données bibliographiques consultées : - Medline (National Library of Medicine, États-Unis) ; - Bibliothèque Lemanissier (France) ; - Site internet du CHU de Rouen (France) ; - Cochrane Library (Grande-Bretagne) ; - National Guideline Clearinghouse (États-Unis); HTA Database (International Network of Agencies for Health Technology Assessment - États-Unis). Autres sources : - sites Internet des sociétés savantes compétentes dans le domaine étudié ; - bibliographie des articles et documents fournis par les membres du groupe de travail. Bibliographie selective • Braunwald E, Zipes DP. Braunwald's heart disease: a textbook of cardiovascular medicine. 7ème ed. Philadelphia: Elsevier Saunders; 2005. • Cotter G, Metzkor E, Kaluski E, Faigenberg Z, Miller R, Simovitz A, et al. 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