Vessie : le point sur les traitements adjuvants et néo-adjuvants dossier thématique Traitements adjuvants des cancers de la vessie Adjuvant chemotherapy for bladder cancer C. Théodore* »»Le traitement local du cancer de la vessie n’est curatif que pour les P o i nt s f o rt s formes avec atteinte limitée du muscle vésical, sans extension à la graisse ni aux ganglions. »»Le cancer urothélial est sensible à la chimiothérapie. »»Le choix d’une chimiothérapie néo-adjuvante ou adjuvante dépend de la priorité donnée au traitement local ou au traitement systémique. »»La chimiothérapie adjuvante (postopératoire) permet de s’assurer que le traitement local (cystectomie et curage) a été fait et d’avoir les données anatomopathologiques. »»Il n’y a encore, à ce jour, aucune évidence de niveau 1 prouvant la validité de l’approche adjuvante. Mots-clés : Cancer de la vessie – Cancer urothélial – Carcinome transi­ tionnel – Chimiothérapie adjuvante – Traitement péri-opératoire. Local treatment of bladder cancer is curative by itself only when the bladder muscle invasion is limited, and there is no serous or nodal invasion. Il est généralement admis qu’une chimiothérapie doit être efficace sur une maladie avancée mesurable pour avoir un impact sur la survie des patients traités en périopératoire. Or, des études de phase III ont démontré que la chimiothérapie allonge la survie des patients répondeurs traités pour une tumeur urothéliale avancée. Le tableau I compare les taux de réponses objectives à la chimiothérapie des cancers du sein et du côlon – 2 types de cancers pour lesquels la chimiothérapie périopératoire est couramment utilisée – à ceux des cancers urothéliaux. Tableau I. Taux de réponses à la chimiothérapie des maladies avancées. Résultats Sein Côlon Vessie Réponses objectives (%) 40-60 20-25 40-60 Réponses complètes (%) 5 Rares 10-20 15-25 25-30 ? Réduction de la mortalité (%) highlights Transitional cell carcinoma of the urothelium is sensitive to chemotherapy. The choice of a pre- or postoperative chemotherapy depends on the priority given to the local or to the systemic treatment. The advantages of the adjuvant (postoperative) strategy are to make sure there is no undue delay for the local treatment (cystectomy and lymphadenectomy) and to be provided with full pathological data. Today, there is still no level one evidence of the efficacy of adjuvant chemotherapy in the treatment of bladder cancer. Keywords: Bladder cancer – Urothelial cancer – Transitional cell carcinoma – Adjuvant chemotherapy – Perioperative treatment. * Service d’oncologie, hôpital Foch, Suresnes. 118 P our justifier l’approche par un traitement systémique périopératoire, nous rappellerons tout d’abord les résultats du traitement local seul (cystectomie pour cancer de la vessie) sur une large série de patients (figure). À la lumière de ces résultats, il apparaît donc logique de proposer une chimiothérapie périopératoire dans le traitement des cancers urothéliaux. Toutefois, une question différente de celle de l’efficacité se pose : la faisabilité, notamment pour les cancers urothéliaux puisque l’âge médian des patients est de 65 ans, que leur fonction rénale est souvent altérée, et que les chimiothérapies dont l’efficacité est prouvée sont également toxiques (2). Cependant, même la combinaison la plus toxique, MVAC, l’est nettement plus chez les patients métastatiques qu’en périopératoire, avec des taux de neutropénies fébriles et de toxicité muqueuse passant de 15-25 % à 4-10 %, et un pourcentage de dose administrée par rapport à la dose planifiée de l’ordre de 80 % en péri-opératoire (3). Si l’on retient le principe de l’indication théorique fréquente de la chimiothérapie péri-opératoire dans le traitement du cancer de la vessie, le choix entre administration avant et après l’opération, néo-adjuvante ou Correspondances en Onco-urologie - Vol. I - n° 3 - octobre-novembre-décembre 2010 Traitements adjuvants des cancers de la vessie Probabilité d’absence de récidive A 1,00 Confiné à la vessie (n = 594) 0,80 Extravésical (n = 214) 0,60 0,40 Ganglion (n = 246) 0,20 p < 0,001 0,00 0 5 10 Temps après la cystectomie (années) 15 B 1,00 0,80 Survie adjuvante, n’est pas résolu. Il repose en fait essentiellement sur les médecins, selon qu’ils donnent la priorité au traitement local ou au traitement systémique. Instaurer la chimiothérapie après la chirurgie présente 2 avantages principaux : ✓✓ tous les patients auront eu le traitement local chirurgical, fait dans les meilleures conditions possibles, avec amélioration de la qualité de vie pour les sujets symptomatiques ; ✓✓ les données anatomopathologiques seront disponibles, permettant une sélection des patients les plus à risque de rechute et évitant la chimiothérapie aux autres. Cela peut concerner l’extension du cancer aussi bien à la graisse qu’aux ganglions, dont on sait qu’elle est généralement sous-estimée par le staging clinique de la résection endoscopique et de l’imagerie (4), et éventuellement les caractéristiques biologiques de la tumeur (5). Inversement, cette attitude présente des inconvénients : ✓✓ moins de patients pourront recevoir la chimiothérapie, du fait d’éventuelles complications de la chirurgie ; ✓✓ il y aura eu un délai à l’instauration du traitement systémique qui sera réalisé dans des conditions moins favorables pour le patient, déjà fatigué par la chirurgie. Ces difficultés, auxquelles s’ajoutent les réticences des médecins et des patients à accepter le tirage au sort d’une chimiothérapie contre une absence de traitement, après la chirurgie, expliquent sans doute l’absence de preuve de bénéfice de la chimiothérapie adjuvante. Le tableau II montre les données des principales études randomisées. Elles sont soit négatives soit positives, mais de puissance insuffisante. Les études positives, ont en effet souvent été interrompues prématurément, les investigateurs refusant de poursuivre la randomisation du fait qu’ils voyaient les patients du bras sans chimiothérapie. Toutefois, cela ne signifiait pas forcément que la survie globale (SG) des patients serait différente. Les résultats de ces études sont donc d’interprétation difficile, d’autant que : ✓✓ les critères d’inclusion ne sont pas toujours les mêmes (parfois formes pathologiques T3-T4 ou N+, parfois tous les cancers infiltrants dès le stade PT2 N0, parfois choix du critère de risque sur une caractéristique biologique de la tumeur) ; ✓✓ les procédures chirurgicales ne sont pas standardisées, en particulier en ce qui concerne l’extension du curage ganglionnaire ; ✓✓ les chimiothérapies elles-mêmes varient d’une étude à l’autre, voire au sein d’une même étude si le recrutement est lent (5). Confiné à la vessie (n = 594) 0,60 0,40 Extravésical (n = 214) 0,20 Ganglion (+) [n = 246] p < 0,001 0,00 0 5 10 Temps après la cystectomie (années) 15 Figure. Survie après cystectomie sur une série de 1 054 patients, montrant clairement la chute de la survie à 5 ans, de 80 % pour les patients ayant une histologie T2 NO, de 50 % pour ceux étant T3 NO, et de 30 % pour les patients ayant une maladie N+ (d'après [1]). Tableau II. Essais adjuvants randomisés. Auteur Année Chimiothérapie Nombre de patients Bénéfice D.G. Skinner (6) 1991 CISCA 91 Oui M. Stöckle (7, 8) 1992 MVEC 49 Oui U.E. Studer (9) 1994 Cisplatine 77 Non A.V. Bono (10) 1995 CM 87 Non F. Freiha (11) 1996 CMV 55 Sur SSP seule T. Otto (12) 2001 MVEC 98 Non F. Cognetti (13) 2008 GC 190 Non W.M. Stadler (14) 2009 MVAC 114 Non L.G. Paz-Ares (15) 2010 PGC 142 Oui Méta-analyse ABC (16) 2005 491 NS CISCA : cyclophosphamide, doxorubicine, cisplatine ; CM : cisplatine, méthotrexate ; CMV : cisplatine, méthotrexate, vinblastine ; MVAC et MVEC : méthotrexate, vinblastine, doxorubicine (ou épirubicine), cisplatine ; GC : gemcitabine, cisplatine ; PGC : paclitaxel, gemcitabine, cisplatine ; SSP : survie sans progression ; NS : non significatif. Correspondances en Onco-urologie - Vol. I - n° 3 - octobre-novembre-décembre 2010 119 Vessie : le point sur les traitements adjuvants et néo-adjuvants dossier thématique Discussion de la littérature Parmi les études randomisées citées dans le tableau II, la première, de l’université de Californie du Sud, a inclus 91 patients T3-T4 ou N+ qui devaient recevoir 4 cycles de chimiothérapie à base de cisplatine, cyclophosphamide et doxorubicine (CISCA). Du fait de la lenteur du recrutement, la chimiothérapie a été hétérogène. À 3 ans, la survie sans progression (SSP) était meilleure pour le bras adjuvant (70 % versus 46 % [p = 0,01]), mais non la SG. Cet essai a été critiqué pour son faible effectif, qui ne lui confère qu’une faible puissance statistique (6). L’essai de M. Stöckle et al. a randomisé le même type de patients, à haut risque, avec une chimiothérapie de type MVAC. Il a été terminé prématurément, après l’inclusion de 49 patients seulement, avec une analyse intermédiaire montrant une SSP à 3 ans de 63 % versus 13 % en faveur du bras adjuvant (p = 0,002), mais seulement une tendance à l’amélioration de la SG (27 % versus 17 % [p = 0,07]). Le bénéfice maximal était noté chez les patients N+, avec seulement 27 % de progression, versus 92 % chez les patients ayant eu la cystectomie seule. Cet essai a également été critiqué pour ses défauts méthodologiques : il a fallu en effet 3 ans et demi pour recruter 49 patients ; 8 des 26 patients qui devaient être traités par une chimiothérapie ne l’avaient pas reçue ; enfin, la plupart des patients randomisés sans chimiothérapie n’en ont pas reçu, même lors de la progression (7, 8). Un essai italien, présenté en 2008 à l’ASCO, s’est terminé prématurément après l’inclusion de 190 patients qui devaient recevoir ou non la combinaison GC. Tous les patients au moins T2 pouvaient être inclus. Il n’y a eu aucun bénéfice en faveur de la chimiothérapie, que les patients aient été N+ ou N0 (13). Une autre étude avait choisi le statut biologique de la tumeur, défini par la surexpression en immuno­ histochimie (IHC) de la P53, comme critère de risque de récidive. Ce choix était fondé sur la démonstration antérieure que la mutation de la P53 était un facteur pronostique majeur de récidive pour les formes localisées de cancer de la vessie (17) et que la détection des formes mutées de la P53 était facile grâce à l’accumulation des formes anormales entraînant une fixation en IHC (18). Le schéma de l’étude prévoyait la randomisation de 190 patients entre chimiothérapie adjuvante par 3 cycles de MVAC et observation pour détecter un avantage de SSP avec passage de 50 % à 70 % après cystoprostatectomie pour une forme localisée N mais P53+. Les résultats en IHC sur 521 patients cystoprosta- 120 tectomisés pour une forme N0 ont été enregistrés ; 272 étaient positifs pour la P53. Cent quatorze patients ont accepté d’être randomisés. Les inclusions ont été interrompues du fait d’une analyse intermédiaire ayant montré l’inutilité de la poursuite de l’étude. En effet, la survie sans rechute à 5 ans était de 80 % dans tous les groupes de patients, que la tumeur ait été positive ou négative en IHC pour la P53, que les sujets aient accepté ou refusé la randomisation et, finalement, qu’ils aient ou non reçu la chimiothérapie. Il ressort de ces résultats qu’il n’est pas possible de prendre un critère biologique fourni par une seule étude rétrospective, non validé sur une population indépendante, comme seul critère de risque et que le pronostic des cancers de la vessie N0 reste globalement bon dans des centres chirurgicaux habitués à cette chirurgie où les curages ganglionnaires sont étendus (19). Cette étude n’a donc apporté aucun renseignement sur l’éventuelle valeur de la chimiothérapie sur les formes à risque qui demeurent les T3-T4 ou N+ (14). La dernière étude entre dans la catégorie des essais prématurément terminés. Le schéma de l’étude prévoyait, après cystectomie, 4 cycles de l’association PGC contre observation pour des patients à risque selon les critères classiques de staging pathologique, c’est-à-dire T3 ou T4 ou N+. L’objectif principal était la SG. L’étude a été prématurément fermée en raison d’un faible recrutement après l’inclusion de 142 patients. Après un suivi médian de 30 mois, la SG était de 60 % versus 31 % (p = 0,0009) en faveur du bras chimiothérapie, avec 45 décès sur 74 patients dans le bras témoin contre 24 sur 68 dans le bras chimiothérapie. L’essai était donc positif en faveur de la chimiothérapie, mais de puissance très insuffisante (15). Par ailleurs, il est possible que cette chimiothérapie toxique ne soit administrable qu’à des patients sélectionnés, seuls 76 % des 68 patients du bras chimiothérapie ayant réellement reçu ce traitement. Enfin, ce protocole de chimiothérapie, toxique, n’avait pas, en essai randomisé sur des patients métastatiques, démontré de supériorité par rapport à un standard GC (20). Une étude de l’EORTC qui prévoyait environ 1 000 patients T3-T4 ou N+ recevant 4 cycles d’une chimiothérapie à base de cisplatine a été fermée prématurément en raison de la lenteur de recrutement. Les résultats sont néanmoins attendus et devraient être associés à ceux des autres études randomisées disponibles pour permettre une nouvelle méta-­ analyse. À ce jour, seule la méta-analyse disponible (ABC) a recensé 11 études randomisées dont seulement 6 avec possibilité de consultation du dossier individuel de Correspondances en Onco-urologie - Vol. I - n° 3 - octobre-novembre-décembre 2010 Traitements adjuvants des cancers de la vessie chaque patient : l’ensemble ne fournit que 491 patients et 283 événements. Bien que les résultats suggèrent un bénéfice de 9 % en SG à 3 ans (HR = 0,75 ; IC95 : 0,600,96 [p = 0,019]), l’analyse est limitée par son manque de puissance (16). Conclusion Il n’existe toujours pas de preuve de niveau 1 pour justifier l’indication d’une chimiothérapie adjuvante après cystectomie. Toutefois, la méta-analyse montre une tendance en faveur de la positivité, et plusieurs études limitées aux formes agressives par le stade T3-T4 ­et/­ou N+ sont plutôt positives, même si leur puissance est insuffisante. Enfin, on peut se référer à la méta-analyse de chimiothérapie néo-adjuvante montrant un avantage en SG de l’ordre de 5 % à 5 ans (21) et à l’histoire naturelle de la maladie pour autoriser la prescription d’une chimiothérapie dans les suites immédiates d’une cystectomie pour forme localement avancée de cancer de la vessie. Il importe néanmoins de se rappeler que, même dans le cadre néo-adjuvant, les seules chimiothérapies dont l’efficacité a été démontrée sont celles à base de cisplatine et que tous les patients venant d’avoir une cystectomie ne sont pas éligibles pour ce type de chimiothérapie du fait des possibles complications postopératoires et des comorbidités, dont l’insuffisance rénale (22). La qualité de la chirurgie demeure donc essentielle (18). ■ Références 1. Stein JP, Skinner DG. Radical cystectomy for invasive bladder cancer: long term results of a standard procedure. World J Urol 2006;24:296-30. 2. Moore MJ, Iscoe N, Tannock IF. A phase II study of metho- trexate, vinblastine, doxorubicin and cisplatin plus human macrophage colony stimulating factors in patients with advanced transitional cell carcinoma. J Urol 1993;150:1131-4. cystectomy revisited: long-term results of a controlled prospective study and further clinical experience. J Urol 1995;153:47-52. 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