Mémoire AQPC-Tiré à part - Centre de documentation collégiale

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Octobre 1995
Vol. 9 no1
Pédagogie
collégiale
Tiré à part
Association québécoise de pédagogie collégiale
Pour une école de meilleure qualité
Dans le mémoire qu'elle a récemment déposé à la
Commission des États généraux sur l'éducation,
l'Association québécoise de pédagogie collégiale
propose que, pour améliorer la qualité de l'école, il
faudrait :
revoir le rôle de celle-ci pour en faire d'abord et
avant tout un lieu et un temps privilégiés de forma-
tion fondamentale ;
repenser l'ensemble du curriculum scolaire à partir
d'objectifs d'apprentissage fondamentaux, dans
une perspective de continuité, et fixer comme cible
minimale, pour la majorité des élèves, le profil de
sortie du collégial ;
accorder plus d'attention qu'on ne l'a fait jusqu'à
maintenant à la qualification du personnel en-
seignant ;
resserrer les exigences d'apprentissage pour les
élèves ;
planifier avec soin les changements dans lesquels
l'école sera éventuellement appelée à s'engager.
Nous présentons ici les parties du mémoire qui traitent
de l'apprentissage et du changement, ainsi que la
conclusion.
On peut obtenir copie du mémoire en téléphonant à
l'AQPC [514-328-3805].
LAPPRENTISSAGE
En règle générale, lorsque lon constate des lacunes dans les
apprentissages des élèves, cest souvent (et parfois exclusive-
ment) à lenseignement quon sen prend. Et quand il est question
de réforme ou de renouveau, cest encore à lenseignement (les
programmes, les méthodes) quon pense. Mais, il est un autre
aspect des choses quil faudrait examiner.
Bien sûr, un mauvais enseignement risque de conduire à de
«mauvais apprentissages ». Par contre, le meilleur enseignement
au monde risque d’être stérile si les élèves ne se donnent pas la
peine dapprendre.
Le plaisir dapprendre vraiment ?
Parler de la peine dapprendre, cest peut-être aller à contre-
courant dune idée, sinon dominante, du moins fort répandue chez
les élèves, les parents et bon nombre denseignants, et qui se
résume par lexpression «le plaisir dapprendre ». Lexpression
sous-tend souvent une conception édulcorée de lapprentissage :
pour caricaturer, tout ce qui est proposé par le maître devrait être
spontanément attrayant et donner lieu a une grande partie de
plaisir qui dure le moins longtemps possible. Il est sans doute de
petits apprentissages qui peuvent se réaliser sur ce mode. Mais
souvent (le plus souvent ?), les apprentissages proposés à l’école
sont, au départ, austères. Ils exigent du temps, du travail et con-
duisent à des découragements quil faut surmonter, à des échecs
momentanés sur lesquels il faut revenir. Lapprentissage ne peut
être facile, ou plus exactement, tous les apprentissages ne peu-
vent être faciles pour toutes et tous, tout le temps. Évidemment,
l’école doit faire son possible pour rendre attrayant ce quelle pro-
pose aux élèves et pour faciliter le cheminement dapprentissage :
elle ne saurait être un bagne ou une vallée de larmes. Mais refu-
ser systématiquement leffort ou les difficultés à l’école, cest re-
fuser, du même coup, dapprendre et de faire apprendre.
Ce dont il est question ici, cest de ce que Philippe Meirieu, péda-
gogue français de renom, appelle le courage du commencement.
Et ce courage, le maître ne peut lavoir pour ses élèves. Cest à
eux quil revient, appuyés, bien sûr, par le maître et aussi par les
parents, daccepter de sengager à apprendre en sachant tout ce
que cela demande defforts. Cest cette acceptation de leffort qui
est à la source de ce que nous devrions appeler le désir, plutôt
que le plaisir, dapprendre. Le désir dapprendre conduit au plai-
sir de connaître et celui-ci peut susciter le désir de connaître da-
vantage.
Le temps d’étude
Lidée que lapprentissage doit nécessairement être facile nest
sûrement pas étrangère au peu de temps consacré à l’étude.
Antoine Prost, auteur de l
Éloge des pédagogues
, faisait remar-
quer quautrefois, les élèves passaient le tiers de leur temps dap-
prentissage en classe et les deux tiers à l’étude, alors
quaujourdhui, ces proportions ont été inversées. On ne saurait
généraliser mais, pour beaucoup d’élèves, l’étude occupe la por-
tion congrue du temps dapprentissage, et la chose nest pas vraie
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que pour le primaire et le secondaire, elle lest aussi à lenseigne-
ment supérieur. On sait très bien quau collégial, par exemple,
dans certains programmes, beaucoup d’élèves se contentent
d’étudier quatre ou cinq heures par semaine (et chose étonnante,
ils réussissent quand même).
Les loisirs organisés, la télé, les rencontres sociales, le travail
rémunéré: beaucoup d’élèves sont trop occupés (et préoccupés)
pour consacrer à leurs études le temps et le sérieux que celles-ci
exigent. L’école résiste mal à cette tendance : elle la déplore mais
elle sy adapte en misant sur le temps passé en classe. Il faudrait
ajouter quelques jours de classe de plus par année, il faudrait
ajouter tant dheures (quand ce ne sont pas des minutes) à len-
seignement de telle ou de telle matière. Outre que ces mesures
soient coûteuses, nous ne sommes pas demblée convaincus de
leur efficacité:l’école manque davantage d’étude que densei-
gnement.
La classe est un lieu public qui rassemble une collectivité; lap-
prentissage est une activité privée, intime, qui ne peut être que
personnelle. La classe est loccasion de faire démarrer des ap-
prentissages, mais elle ne peut contenir toute la démarche dap-
prentissage ; celle-ci doit se poursuivre dans l’étude. Il ny a pas
dapprentissage sans étude. Plus les élèves étudieront, mieux ils
seront encadrés dans leur étude, plus et mieux ils apprendront.
Réussite et apprentissage
Pour beaucoup, donc, un apprentissage facile, rapide, qui ne vient
pas empiéter sur le temps passé hors de la classe mais qui
conduit quand même à la réussite. «Tout le monde veut aller au
ciel, mais personne ne veut mourir. » Réussir sans effort ! Enten-
dre par là, obtenir de bonnes notes et être promu à une classe ou
à un niveau supérieur. Il y a ici confusion entre la réussite des
apprentissages et la sanction de cette réussite ; cette dernière,
qui ne devrait être quun indice, est devenue, pour beaucoup, la
cible principale.
Ne voit-on pas, par exemple au primaire, des parents faire des
pressions et obtenir que leur enfant soit promu dans une classe
supérieure, même sil a échoué ses apprentissages ? Ne voit-on
pas souvent des élèves ne travailler que pour les notes ou en-
core se livrer au plagiat sous toutes ses formes pour «réussir »?
Et ne voit-on pas le taux et le niveau de diplomation reconnus
comme des indices privilégiés de la performance scolaire, sans
trop se soucier des apprentissages dont ils devraient témoigner
et sans considérer quils sont souvent le résultat dune normalisa-
tion ?
Réussir à tout prix et au moindre effort, cest là bien mal com-
prendre le droit à la réussite. Le droit à la réussite, cest le droit
pour tous davoir les meilleures occasions possibles dappren-
dre, et ce droit saccompagne dune responsabilité: celle de se
donner la peine dapprendre, avec tout ce que cela implique.
Un projet denvergure
Faire accepter leffort, augmenter le temps d’étude, se centrer
sur la réussite des apprentissages plutôt que sur la sanction des
études, voilà un projet ambitieux et denvergure que l’école, seule,
ne saurait mener à terme. Cest un projet de société qui, en défi-
nitive, demande lappui dautres agents éducatifs et qui, pour com-
pliquer les choses, va à lencontre de bien des valeurs sociales
dominantes, il faut en être conscients.
Ainsi le message que lance l’école devrait-il être clair et non
équivoque : on vient ici pour apprendre et apprendre exige du
temps et des efforts. Une école exigeante qui se présente comme
exigeante. Mais, et cest là un problème de taille qui mérite toute
notre attention, l’école se heurtera à un mur si les parents, au
premier chef, nadhèrent pas à son projet.
Pour revaloriser l’étude et lapprentissage, il faudra donc pouvoir
compter sur l’école, sur les parents et sur dautres aussi sans
doute. Il faudra faire preuve dimagination, de persévérance et de
patience. Lentreprise peut paraître utopique, mais a-t-on vrai-
ment le choix ? La meilleure école ne pourra jamais faire que ce
quelle peut : donner des occasions dapprendre. Elle ne pourra
faire apprendre ceux et celles qui ne sen donneront pas la peine.
LE CHANGEMENT EN ÉDUCATION
Selon toute vraisemblance, les États généraux conduiront à des
modifications importantes du système scolaire québécois. Ce ne
serait pas la première fois quon procède à de tels changements.
Mais si le passé est garant de lavenir, on est en droit de sinquié-
ter de la nature du projet que le gouvernement en tirera et de la
façon dont il en assurera la mise en œuvre par la suite.
La façon dont on a procédé aux très nombreuses révisions de
programmes au primaire et au secondaire, et, récemment, à la
«réforme » du collégial na rien pour nous rassurer à ce sujet. Et
le ministre de l’Éducation na-t-il pas promis que les changements
qui émaneraient de la suite des travaux de la présente Commis-
sion seraient implantés aussitôt que décidés?
Il semble que souvent, au Québec, lorsquil est question de chan-
gement en éducation, on ait davantage tendance à suivre les rè-
gles de la Ligue nationale dimprovisation qu’à sinspirer des re-
cherches et des écrits sur le changement planifié.
Le projet
Est-il bien utile de le souligner, tout changement planifié, en édu-
cation ou ailleurs, devrait reposer sur un projet de qualité.
Il faut entendre par là un projet clair et cohérent. Un tel projet ne
peut être confié au premier venu. Il faut choisir des personnes
éclairées, qui comprennent ce quest l’éducation et l’école, qui
possèdent des bases solides en pédagogie et qui ont, à tout le
moins, une idée de ce quest la réalité quotidienne de l’école et
de la classe.
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La préparation dun projet de qualité ne peut être laffaire de quel-
ques administrateurs et spécialistes de l’éducation, si éclairés et
compétents soient-ils, qui travaillent en vase clos. On doit ici pou-
voir compter également sur la participation active de personnes
qui sont aux prises avec la «vraie » réalité éducative, celle qui se
vit au jour le jour dans la classe et dans l’établissement scolaire.
Il faut faire en sorte que le projet détermine de façon claire et
cohérente les orientations, les objectifs et les moyens pour at-
teindre ceux-ci. Il faut aussi sassurer quil est réaliste et suscep-
tible de susciter ladhésion. Un projet de qualité ne peut faire ta-
ble rase de la réalité existante. Il doit au contraire miser sur cette
réalité pour la transformer en une réalité meilleure. Pour repren-
dre lexpression de Meirieu, il faut viser à faire progresser plutôt
qu’à réformer. Un projet dont le sens est obscur et dans lequel
les personnes qui auront à appliquer le changement ne se recon-
naissent pas a peu de chances de conduire à une amélioration
de la qualité de l’école.
Le projet de changement que le gouvernement a récemment im-
posé au collégial constitue ici un contre-exemple de choix. Ce
que le gouvernement demandait aux collèges était, sur certains
points, mal précisé, voire souvent incohérent, si bien que les col-
lèges ont dû revoir bon nombre de choses pour leur donner un
sens et les rendre applicables. Lentreprise a drainé beaucoup de
ressources qui auraient été mieux utilisées ailleurs, sans parler
des frustrations quelle a suscitées. Aurait-on pris, au départ, le
soin de préparer un projet de qualité, on se serait évité bien des
peines, et on serait sans doute plus avancé en ce qui concerne
lamélioration de la qualité de lenseignement et des apprentissa-
ges au collégial.
La planification de la mise en œuvre
La réalisation du changement visé par le projet ne peut être laissé
au hasard : il faut en prévoir le cheminement. Or, en éducation,
au Québec, cest là une chose quon semble avoir choisi doublier.
Tout se passe comme si, une fois le projet défini, le changement
allait sensuivre de lui-même, sans problème, et dans les minutes
qui suivent.
Les changements en éducation entraînent souvent des modifica-
tions de règles, de règlement et de procédures. Il faut, bien sûr,
sassurer que celles-ci sont claires et cohérentes, mais il faut aussi
déterminer à lavance la façon dont elles seront mises en œuvre
de même que les ressources et les ajustements nécessaires.
Plus important encore, les changements en éducation passent
toujours, à un moment ou à un autre, par des modifications de
pratiques et dattitudes du personnel éducatif. Quelle que soit la
qualité du projet initial, il faut savoir quil y aura des résistances,
chercher à les prévoir et chercher aussi des moyens pour les
vaincre. Il faut également prévoir le temps, les moyens et les res-
sources pour habiliter le personnel éducatif à bien comprendre
ce quon lui demande de faire et à bien le faire.
Pour revenir, notamment, à lexemple de la réforme du collégial,
nous navons connaissance daucun plan de mise en œuvre, si-
non dun calendrier dont les échéances semblent avoir être dé-
terminées de façon tout à fait fantaisiste. On a «confié» aux col-
lèges la responsabilité de planifier le changement sans leur four-
nir le temps et les moyens nécessaires. Ils en ont été réduits à
planifier le changement au fur et à mesure quils tentaient de le
comprendre et de limplanter avec tout ce que cela comporte, ici
aussi, de gaspillage de temps et d’énergie et de frustrations. Il ne
fait aucun doute dans notre esprit que les écoles primaires et
secondaires ont été maintes fois placées dans la même situation
lors des réformes de programmes.
Limplantation du changement
Ce nest quune fois précisés le projet et le plan de mise en œu-
vre que peut vraiment samorcer le changement. La phase dim-
plantation est celle où lon soccupe danimer et de perfectionner
ou de former les personnes qui sont engagées dans le change-
ment. Cest également la période durant laquelle on procède, de
façon systématique, à l’évaluation formative, dans la première
acception du terme : le but visé lors de limplantation nest pas,
bêtement et mécaniquement, dappliquer ce qui a été prévu ini-
tialement mais, à partir dune observation et dune analyse systé-
matiques, de chercher constamment à améliorer la façon de faire
les choses et à obtenir de meilleurs résultats.
Il nous semble que si lon prenait plus de soin à implanter les
changements dans l’école, pour autant quon dispose dun projet
de qualité dont on ait planifié sérieusement la mise en œuvre, on
ne serait pas régulièrement amené à défaire et à refaire les cho-
ses. Peut-être faudrait-il chercher à éviter les grands sauts spec-
taculaires et se «contenter » de marcher dun bon pas dans la
bonne direction, celle qui permet à l’école de toujours mieux ré-
pondre aux besoins de formation des personnes et de dévelop-
pement de la société.
CONCLUSION
Lamélioration de la qualité de l’école passe, pour nous, par une
révision de son rôle qui lamène à se centrer sur la qualité de la
formation fondamentale, par une révision du curriculum à partir
des apprentissages visés dans une perspective de continuité, par
une meilleure qualification du personnel enseignant, par un re-
haussement des exigences d’étude, et enfin, par une planifica-
tion adéquate du changement.
Il est un dernier aspect sur lequel, faute de temps, nous navons
pu nous pencher, mais qui revêt une extrême importance : il sagit
de la gestion des établissements scolaires. Le Conseil supérieur
de l’éducation a dailleurs publié sur le sujet un avis de très grande
qualité1. Quil nous suffise de dire que la réussite de l’école dé-
pend, dans une large mesure, de la qualité de ses gestionnaires
dont le premier souci devrait être, justement de diriger, de «me-
ner vers », cest-à-dire dinspirer et de soutenir le personnel dans
la poursuite des objectifs de l’école. Est-il besoin de souligner ici
la dose de compétence et de courage que cela exige ? Est-il
besoin aussi de souligner que pour vraiment diriger, les gestion-
naires ont besoin dune marge de manœuvre qui leur permette
d’être dautre chose que des exécutants chargés de faire appli-
quer des règles, des procédures et des politiques décidées
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ailleurs ? Cest là poser le problème du difficile équilibre entre,
dune part, la nécessité dune autonomie pour les établissements
et, dautre part, lexistence de programmes nationaux (pour le
primaire, le secondaire et le collégial) ainsi que lobligation de
centraliser certaines activités administratives, ne serait-ce que
dans le but den réduire les coûts.
Cette trop brève considération sur la gestion des établissements
scolaires nous amène au cœur du sujet : ce qui se passe quoti-
diennement, concrètement, dans chaque école, dans chaque
classe, entre les élèves et les enseignants et les enseignantes.
Cest cette réalité, quultimement, toute proposition de change-
ment devrait viser à améliorer. Ainsi, on pourra tenir le plus beau
discours sur l’école, proposer les structures les plus élégantes,
élaborer les meilleurs programmes ; on pourra procéder rapide-
ment à des changements «parce que ça presse », et respecter à
la lettre un calendrier de mise en œuvre, on naura encore rien
fait de significatif si aucune de ces mesures na dimpact dans la
classe, sur la relation pédagogique, pour faire en sorte quun plus
grand nombre d’élèves apprennent mieux les choses pertinen-
tes.
RÉFÉRENCE
1. CONSEIL SUPÉRIEUR DE L’ÉDUCATION,
La gestion de l’éduca-
tion : nécessité dun autre modèle
, Rapport annuel 1991-1992 sur
l’état et les besoins de l’éducation, Québec, 1993.
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