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Octobre 1995
Vol. 9 no1
Pédagogie
collégiale
La préparation d’un projet de qualité ne peut être l’affaire de quel-
ques administrateurs et spécialistes de l’éducation, si éclairés et
compétents soient-ils, qui travaillent en vase clos. On doit ici pou-
voir compter également sur la participation active de personnes
qui sont aux prises avec la «vraie » réalité éducative, celle qui se
vit au jour le jour dans la classe et dans l’établissement scolaire.
Il faut faire en sorte que le projet détermine de façon claire et
cohérente les orientations, les objectifs et les moyens pour at-
teindre ceux-ci. Il faut aussi s’assurer qu’il est réaliste et suscep-
tible de susciter l’adhésion. Un projet de qualité ne peut faire ta-
ble rase de la réalité existante. Il doit au contraire miser sur cette
réalité pour la transformer en une réalité meilleure. Pour repren-
dre l’expression de Meirieu, il faut viser à faire progresser plutôt
qu’à réformer. Un projet dont le sens est obscur et dans lequel
les personnes qui auront à appliquer le changement ne se recon-
naissent pas a peu de chances de conduire à une amélioration
de la qualité de l’école.
Le projet de changement que le gouvernement a récemment im-
posé au collégial constitue ici un contre-exemple de choix. Ce
que le gouvernement demandait aux collèges était, sur certains
points, mal précisé, voire souvent incohérent, si bien que les col-
lèges ont dû revoir bon nombre de choses pour leur donner un
sens et les rendre applicables. L’entreprise a drainé beaucoup de
ressources qui auraient été mieux utilisées ailleurs, sans parler
des frustrations qu’elle a suscitées. Aurait-on pris, au départ, le
soin de préparer un projet de qualité, on se serait évité bien des
peines, et on serait sans doute plus avancé en ce qui concerne
l’amélioration de la qualité de l’enseignement et des apprentissa-
ges au collégial.
La planification de la mise en œuvre
La réalisation du changement visé par le projet ne peut être laissé
au hasard : il faut en prévoir le cheminement. Or, en éducation,
au Québec, c’est là une chose qu’on semble avoir choisi d’oublier.
Tout se passe comme si, une fois le projet défini, le changement
allait s’ensuivre de lui-même, sans problème, et dans les minutes
qui suivent.
Les changements en éducation entraînent souvent des modifica-
tions de règles, de règlement et de procédures. Il faut, bien sûr,
s’assurer que celles-ci sont claires et cohérentes, mais il faut aussi
déterminer à l’avance la façon dont elles seront mises en œuvre
de même que les ressources et les ajustements nécessaires.
Plus important encore, les changements en éducation passent
toujours, à un moment ou à un autre, par des modifications de
pratiques et d’attitudes du personnel éducatif. Quelle que soit la
qualité du projet initial, il faut savoir qu’il y aura des résistances,
chercher à les prévoir et chercher aussi des moyens pour les
vaincre. Il faut également prévoir le temps, les moyens et les res-
sources pour habiliter le personnel éducatif à bien comprendre
ce qu’on lui demande de faire et à bien le faire.
Pour revenir, notamment, à l’exemple de la réforme du collégial,
nous n’avons connaissance d’aucun plan de mise en œuvre, si-
non d’un calendrier dont les échéances semblent avoir être dé-
terminées de façon tout à fait fantaisiste. On a «confié» aux col-
lèges la responsabilité de planifier le changement sans leur four-
nir le temps et les moyens nécessaires. Ils en ont été réduits à
planifier le changement au fur et à mesure qu’ils tentaient de le
comprendre et de l’implanter avec tout ce que cela comporte, ici
aussi, de gaspillage de temps et d’énergie et de frustrations. Il ne
fait aucun doute dans notre esprit que les écoles primaires et
secondaires ont été maintes fois placées dans la même situation
lors des réformes de programmes.
L’implantation du changement
Ce n’est qu’une fois précisés le projet et le plan de mise en œu-
vre que peut vraiment s’amorcer le changement. La phase d’im-
plantation est celle où l’on s’occupe d’animer et de perfectionner
ou de former les personnes qui sont engagées dans le change-
ment. C’est également la période durant laquelle on procède, de
façon systématique, à l’évaluation formative, dans la première
acception du terme : le but visé lors de l’implantation n’est pas,
bêtement et mécaniquement, d’appliquer ce qui a été prévu ini-
tialement mais, à partir d’une observation et d’une analyse systé-
matiques, de chercher constamment à améliorer la façon de faire
les choses et à obtenir de meilleurs résultats.
Il nous semble que si l’on prenait plus de soin à implanter les
changements dans l’école, pour autant qu’on dispose d’un projet
de qualité dont on ait planifié sérieusement la mise en œuvre, on
ne serait pas régulièrement amené à défaire et à refaire les cho-
ses. Peut-être faudrait-il chercher à éviter les grands sauts spec-
taculaires et se «contenter » de marcher d’un bon pas dans la
bonne direction, celle qui permet à l’école de toujours mieux ré-
pondre aux besoins de formation des personnes et de dévelop-
pement de la société.
CONCLUSION
L’amélioration de la qualité de l’école passe, pour nous, par une
révision de son rôle qui l’amène à se centrer sur la qualité de la
formation fondamentale, par une révision du curriculum à partir
des apprentissages visés dans une perspective de continuité, par
une meilleure qualification du personnel enseignant, par un re-
haussement des exigences d’étude, et enfin, par une planifica-
tion adéquate du changement.
Il est un dernier aspect sur lequel, faute de temps, nous n’avons
pu nous pencher, mais qui revêt une extrême importance : il s’agit
de la gestion des établissements scolaires. Le Conseil supérieur
de l’éducation a d’ailleurs publié sur le sujet un avis de très grande
qualité1. Qu’il nous suffise de dire que la réussite de l’école dé-
pend, dans une large mesure, de la qualité de ses gestionnaires
dont le premier souci devrait être, justement de diriger, de «me-
ner vers », c’est-à-dire d’inspirer et de soutenir le personnel dans
la poursuite des objectifs de l’école. Est-il besoin de souligner ici
la dose de compétence et de courage que cela exige ? Est-il
besoin aussi de souligner que pour vraiment diriger, les gestion-
naires ont besoin d’une marge de manœuvre qui leur permette
d’être d’autre chose que des exécutants chargés de faire appli-
quer des règles, des procédures et des politiques décidées