Mémoire AQPC-Tiré à part - Centre de documentation collégiale

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T i r é
à
p a r t
Pour une école de meilleure qualité
Association québécoise de pédagogie collégiale
L’APPRENTISSAGE
En règle générale, lorsque l’on constate des lacunes dans les
apprentissages des élèves, c’est souvent (et parfois exclusivement) à l’enseignement qu’on s’en prend. Et quand il est question
de réforme ou de renouveau, c’est encore à l’enseignement (les
programmes, les méthodes…) qu’on pense. Mais, il est un autre
aspect des choses qu’il faudrait examiner.
Bien sûr, un mauvais enseignement risque de conduire à de
« mauvais apprentissages ». Par contre, le meilleur enseignement
au monde risque d’être stérile si les élèves ne se donnent pas la
peine d’apprendre.
Dans le mémoire qu'elle a récemment déposé à la
Commission des États généraux sur l'éducation,
l'Association québécoise de pédagogie collégiale
propose que, pour améliorer la qualité de l'école, il
faudrait :
•
revoir le rôle de celle-ci pour en faire d'abord et
avant tout un lieu et un temps privilégiés de formation fondamentale ;
•
repenser l'ensemble du curriculum scolaire à partir
d'objectifs d'apprentissage fondamentaux, dans
une perspective de continuité, et fixer comme cible
minimale, pour la majorité des élèves, le profil de
sortie du collégial ;
•
accorder plus d'attention qu'on ne l'a fait jusqu'à
maintenant à la qualification du personnel enseignant ;
•
resserrer les exigences d'apprentissage pour les
élèves ;
•
planifier avec soin les changements dans lesquels
l'école sera éventuellement appelée à s'engager.
Le plaisir d’apprendre… vraiment ?
Parler de la peine d’apprendre, c’est peut-être aller à contrecourant d’une idée, sinon dominante, du moins fort répandue chez
les élèves, les parents et bon nombre d’enseignants, et qui se
résume par l’expression « le plaisir d’apprendre ». L’expression
sous-tend souvent une conception édulcorée de l’apprentissage :
pour caricaturer, tout ce qui est proposé par le maître devrait être
spontanément attrayant et donner lieu a une grande partie de
plaisir qui dure le moins longtemps possible. Il est sans doute de
petits apprentissages qui peuvent se réaliser sur ce mode. Mais
souvent (le plus souvent ?), les apprentissages proposés à l’école
sont, au départ, austères. Ils exigent du temps, du travail et conduisent à des découragements qu’il faut surmonter, à des échecs
momentanés sur lesquels il faut revenir. L’apprentissage ne peut
être facile, ou plus exactement, tous les apprentissages ne peuvent être faciles pour toutes et tous, tout le temps. Évidemment,
l’école doit faire son possible pour rendre attrayant ce qu’elle propose aux élèves et pour faciliter le cheminement d’apprentissage :
elle ne saurait être un bagne ou une vallée de larmes. Mais refuser systématiquement l’effort ou les difficultés à l’école, c’est refuser, du même coup, d’apprendre et de faire apprendre.
Ce dont il est question ici, c’est de ce que Philippe Meirieu, pédagogue français de renom, appelle le courage du commencement.
Et ce courage, le maître ne peut l’avoir pour ses élèves. C’est à
eux qu’il revient, appuyés, bien sûr, par le maître et aussi par les
parents, d’accepter de s’engager à apprendre en sachant tout ce
que cela demande d’efforts. C’est cette acceptation de l’effort qui
est à la source de ce que nous devrions appeler le désir, plutôt
Nous présentons ici les parties du mémoire qui traitent
de l'apprentissage et du changement, ainsi que la
conclusion.
On peut obtenir copie du mémoire en téléphonant à
l'AQPC [514-328-3805].
que le plaisir, d’apprendre. Le désir d’apprendre conduit au plaisir de connaître et celui-ci peut susciter le désir de connaître davantage.
Le temps d’étude
L’idée que l’apprentissage doit nécessairement être facile n’est
sûrement pas étrangère au peu de temps consacré à l’étude.
Antoine Prost, auteur de l’Éloge des pédagogues, faisait remarquer qu’autrefois, les élèves passaient le tiers de leur temps d’apprentissage en classe et les deux tiers à l’étude, alors
qu’aujourd’hui, ces proportions ont été inversées. On ne saurait
généraliser mais, pour beaucoup d’élèves, l’étude occupe la portion congrue du temps d’apprentissage, et la chose n’est pas vraie
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que pour le primaire et le secondaire, elle l’est aussi à l’enseignement supérieur. On sait très bien qu’au collégial, par exemple,
dans certains programmes, beaucoup d’élèves se contentent
d’étudier quatre ou cinq heures par semaine (et chose étonnante,
ils réussissent quand même).
Les loisirs organisés, la télé, les rencontres sociales, le travail
rémunéré: beaucoup d’élèves sont trop occupés (et préoccupés)
pour consacrer à leurs études le temps et le sérieux que celles-ci
exigent. L’école résiste mal à cette tendance : elle la déplore mais
elle s’y adapte en misant sur le temps passé en classe. Il faudrait
ajouter quelques jours de classe de plus par année, il faudrait
ajouter tant d’heures (quand ce ne sont pas des minutes) à l’enseignement de telle ou de telle matière. Outre que ces mesures
soient coûteuses, nous ne sommes pas d’emblée convaincus de
leur efficacité : l’école manque davantage d’étude que d’enseignement.
La classe est un lieu public qui rassemble une collectivité ; l’apprentissage est une activité privée, intime, qui ne peut être que
personnelle. La classe est l’occasion de faire démarrer des apprentissages, mais elle ne peut contenir toute la démarche d’apprentissage ; celle-ci doit se poursuivre dans l’étude. Il n’y a pas
d’apprentissage sans étude. Plus les élèves étudieront, mieux ils
seront encadrés dans leur étude, plus et mieux ils apprendront.
Un projet d’envergure
Faire accepter l’effort, augmenter le temps d’étude, se centrer
sur la réussite des apprentissages plutôt que sur la sanction des
études, voilà un projet ambitieux et d’envergure que l’école, seule,
ne saurait mener à terme. C’est un projet de société qui, en définitive, demande l’appui d’autres agents éducatifs et qui, pour compliquer les choses, va à l’encontre de bien des valeurs sociales
dominantes, il faut en être conscients.
Ainsi le message que lance l’école devrait-il être clair et non
équivoque : on vient ici pour apprendre et apprendre exige du
temps et des efforts. Une école exigeante qui se présente comme
exigeante. Mais, et c’est là un problème de taille qui mérite toute
notre attention, l’école se heurtera à un mur si les parents, au
premier chef, n’adhèrent pas à son projet.
Pour revaloriser l’étude et l’apprentissage, il faudra donc pouvoir
compter sur l’école, sur les parents et sur d’autres aussi sans
doute. Il faudra faire preuve d’imagination, de persévérance et de
patience. L’entreprise peut paraître utopique, mais a-t-on vraiment le choix ? La meilleure école ne pourra jamais faire que ce
qu’elle peut : donner des occasions d’apprendre. Elle ne pourra
faire apprendre ceux et celles qui ne s’en donneront pas la peine.
LE CHANGEMENT EN ÉDUCATION
Réussite et apprentissage
Pour beaucoup, donc, un apprentissage facile, rapide, qui ne vient
pas empiéter sur le temps passé hors de la classe… mais qui
conduit quand même à la réussite. « Tout le monde veut aller au
ciel, mais personne ne veut mourir. » Réussir sans effort ! Entendre par là, obtenir de bonnes notes et être promu à une classe ou
à un niveau supérieur. Il y a ici confusion entre la réussite des
apprentissages et la sanction de cette réussite ; cette dernière,
qui ne devrait être qu’un indice, est devenue, pour beaucoup, la
cible principale.
Ne voit-on pas, par exemple au primaire, des parents faire des
pressions et obtenir que leur enfant soit promu dans une classe
supérieure, même s’il a échoué ses apprentissages ? Ne voit-on
pas souvent des élèves ne travailler que pour les notes ou encore se livrer au plagiat sous toutes ses formes pour « réussir » ?
Et ne voit-on pas le taux et le niveau de diplomation reconnus
comme des indices privilégiés de la performance scolaire, sans
trop se soucier des apprentissages dont ils devraient témoigner
et sans considérer qu’ils sont souvent le résultat d’une normalisation ?
Réussir à tout prix et au moindre effort, c’est là bien mal comprendre le droit à la réussite. Le droit à la réussite, c’est le droit
pour tous d’avoir les meilleures occasions possibles d’apprendre, et ce droit s’accompagne d’une responsabilité : celle de se
donner la peine d’apprendre, avec tout ce que cela implique.
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Selon toute vraisemblance, les États généraux conduiront à des
modifications importantes du système scolaire québécois. Ce ne
serait pas la première fois qu’on procède à de tels changements.
Mais si le passé est garant de l’avenir, on est en droit de s’inquiéter de la nature du projet que le gouvernement en tirera et de la
façon dont il en assurera la mise en œuvre par la suite.
La façon dont on a procédé aux très nombreuses révisions de
programmes au primaire et au secondaire, et, récemment, à la
« réforme » du collégial n’a rien pour nous rassurer à ce sujet. Et
le ministre de l’Éducation n’a-t-il pas promis que les changements
qui émaneraient de la suite des travaux de la présente Commission seraient implantés aussitôt que décidés ?
Il semble que souvent, au Québec, lorsqu’il est question de changement en éducation, on ait davantage tendance à suivre les règles de la Ligue nationale d’improvisation qu’à s’inspirer des recherches et des écrits sur le changement planifié.
Le projet
Est-il bien utile de le souligner, tout changement planifié, en éducation ou ailleurs, devrait reposer sur un projet de qualité.
Il faut entendre par là un projet clair et cohérent. Un tel projet ne
peut être confié au premier venu. Il faut choisir des personnes
éclairées, qui comprennent ce qu’est l’éducation et l’école, qui
possèdent des bases solides en pédagogie et qui ont, à tout le
moins, une idée de ce qu’est la réalité quotidienne de l’école et
de la classe.
La préparation d’un projet de qualité ne peut être l’affaire de quelques administrateurs et spécialistes de l’éducation, si éclairés et
compétents soient-ils, qui travaillent en vase clos. On doit ici pouvoir compter également sur la participation active de personnes
qui sont aux prises avec la « vraie » réalité éducative, celle qui se
vit au jour le jour dans la classe et dans l’établissement scolaire.
Il faut faire en sorte que le projet détermine de façon claire et
cohérente les orientations, les objectifs et les moyens pour atteindre ceux-ci. Il faut aussi s’assurer qu’il est réaliste et susceptible de susciter l’adhésion. Un projet de qualité ne peut faire table rase de la réalité existante. Il doit au contraire miser sur cette
réalité pour la transformer en une réalité meilleure. Pour reprendre l’expression de Meirieu, il faut viser à faire progresser plutôt
qu’à réformer. Un projet dont le sens est obscur et dans lequel
les personnes qui auront à appliquer le changement ne se reconnaissent pas a peu de chances de conduire à une amélioration
de la qualité de l’école.
Le projet de changement que le gouvernement a récemment imposé au collégial constitue ici un contre-exemple de choix. Ce
que le gouvernement demandait aux collèges était, sur certains
points, mal précisé, voire souvent incohérent, si bien que les collèges ont dû revoir bon nombre de choses pour leur donner un
sens et les rendre applicables. L’entreprise a drainé beaucoup de
ressources qui auraient été mieux utilisées ailleurs, sans parler
des frustrations qu’elle a suscitées. Aurait-on pris, au départ, le
soin de préparer un projet de qualité, on se serait évité bien des
peines, et on serait sans doute plus avancé en ce qui concerne
l’amélioration de la qualité de l’enseignement et des apprentissages au collégial.
La planification de la mise en œuvre
La réalisation du changement visé par le projet ne peut être laissé
au hasard : il faut en prévoir le cheminement. Or, en éducation,
au Québec, c’est là une chose qu’on semble avoir choisi d’oublier.
Tout se passe comme si, une fois le projet défini, le changement
allait s’ensuivre de lui-même, sans problème, et dans les minutes
qui suivent.
Les changements en éducation entraînent souvent des modifications de règles, de règlement et de procédures. Il faut, bien sûr,
s’assurer que celles-ci sont claires et cohérentes, mais il faut aussi
déterminer à l’avance la façon dont elles seront mises en œuvre
de même que les ressources et les ajustements nécessaires.
Plus important encore, les changements en éducation passent
toujours, à un moment ou à un autre, par des modifications de
pratiques et d’attitudes du personnel éducatif. Quelle que soit la
qualité du projet initial, il faut savoir qu’il y aura des résistances,
chercher à les prévoir et chercher aussi des moyens pour les
vaincre. Il faut également prévoir le temps, les moyens et les ressources pour habiliter le personnel éducatif à bien comprendre
ce qu’on lui demande de faire et à bien le faire.
Pour revenir, notamment, à l’exemple de la réforme du collégial,
nous n’avons connaissance d’aucun plan de mise en œuvre, sinon d’un calendrier dont les échéances semblent avoir être dé-
terminées de façon tout à fait fantaisiste. On a « confié » aux collèges la responsabilité de planifier le changement sans leur fournir le temps et les moyens nécessaires. Ils en ont été réduits à
planifier le changement au fur et à mesure qu’ils tentaient de le
comprendre et de l’implanter avec tout ce que cela comporte, ici
aussi, de gaspillage de temps et d’énergie et de frustrations. Il ne
fait aucun doute dans notre esprit que les écoles primaires et
secondaires ont été maintes fois placées dans la même situation
lors des réformes de programmes.
L’implantation du changement
Ce n’est qu’une fois précisés le projet et le plan de mise en œuvre que peut vraiment s’amorcer le changement. La phase d’implantation est celle où l’on s’occupe d’animer et de perfectionner
ou de former les personnes qui sont engagées dans le changement. C’est également la période durant laquelle on procède, de
façon systématique, à l’évaluation formative, dans la première
acception du terme : le but visé lors de l’implantation n’est pas,
bêtement et mécaniquement, d’appliquer ce qui a été prévu initialement mais, à partir d’une observation et d’une analyse systématiques, de chercher constamment à améliorer la façon de faire
les choses et à obtenir de meilleurs résultats.
Il nous semble que si l’on prenait plus de soin à implanter les
changements dans l’école, pour autant qu’on dispose d’un projet
de qualité dont on ait planifié sérieusement la mise en œuvre, on
ne serait pas régulièrement amené à défaire et à refaire les choses. Peut-être faudrait-il chercher à éviter les grands sauts spectaculaires et se « contenter » de marcher d’un bon pas dans la
bonne direction, celle qui permet à l’école de toujours mieux répondre aux besoins de formation des personnes et de développement de la société.
CONCLUSION
L’amélioration de la qualité de l’école passe, pour nous, par une
révision de son rôle qui l’amène à se centrer sur la qualité de la
formation fondamentale, par une révision du curriculum à partir
des apprentissages visés dans une perspective de continuité, par
une meilleure qualification du personnel enseignant, par un rehaussement des exigences d’étude, et enfin, par une planification adéquate du changement.
Il est un dernier aspect sur lequel, faute de temps, nous n’avons
pu nous pencher, mais qui revêt une extrême importance : il s’agit
de la gestion des établissements scolaires. Le Conseil supérieur
de l’éducation a d’ailleurs publié sur le sujet un avis de très grande
qualité1. Qu’il nous suffise de dire que la réussite de l’école dépend, dans une large mesure, de la qualité de ses gestionnaires
dont le premier souci devrait être, justement de diriger, de « mener vers », c’est-à-dire d’inspirer et de soutenir le personnel dans
la poursuite des objectifs de l’école. Est-il besoin de souligner ici
la dose de compétence et de courage que cela exige ? Est-il
besoin aussi de souligner que pour vraiment diriger, les gestionnaires ont besoin d’une marge de manœuvre qui leur permette
d’être d’autre chose que des exécutants chargés de faire appliquer des règles, des procédures et des politiques décidées
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ailleurs ? C’est là poser le problème du difficile équilibre entre,
d’une part, la nécessité d’une autonomie pour les établissements
et, d’autre part, l’existence de programmes nationaux (pour le
primaire, le secondaire et le collégial) ainsi que l’obligation de
centraliser certaines activités administratives, ne serait-ce que
dans le but d’en réduire les coûts.
Cette trop brève considération sur la gestion des établissements
scolaires nous amène au cœur du sujet : ce qui se passe quotidiennement, concrètement, dans chaque école, dans chaque
classe, entre les élèves et les enseignants et les enseignantes.
C’est cette réalité, qu’ultimement, toute proposition de changement devrait viser à améliorer. Ainsi, on pourra tenir le plus beau
discours sur l’école, proposer les structures les plus élégantes,
élaborer les meilleurs programmes ; on pourra procéder rapidement à des changements « parce que ça presse », et respecter à
la lettre un calendrier de mise en œuvre, on n’aura encore rien
fait de significatif si aucune de ces mesures n’a d’impact dans la
classe, sur la relation pédagogique, pour faire en sorte qu’un plus
grand nombre d’élèves apprennent mieux les choses pertinentes.
RÉFÉRENCE
1. CONSEIL SUPÉRIEUR DE L’ÉDUCATION, La gestion de l’éducation : nécessité d’un autre modèle, Rapport annuel 1991-1992 sur
l’état et les besoins de l’éducation, Québec, 1993.
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