Quel est votre diagnostic ? Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Hypertrophie ventriculaire gauche atypique révélatrice d'une cause rare d'insuffisance cardiaque chez un Comorien Atypical left ventricular hypertrophy revealing a rare cause of heart failure in a man from the Comoros Islands Cautela J.1, Massoure P.-L.1, Roche N.-C.1, Taix S.2, Gil J.-M.1, Fourcade L.1 1 Hôpital des armées A.-Laveran, service de cardiologie, boulevard Laveran, 13384 Marseille cédex 13 2 Service d’anatomopathologie, boulevard Laveran, 13384 Marseille L’ apparition d’une insuffisance cardiaque aiguë chez un patient hypertendu d’origine africaine est une situation fréquente. Dans ce contexte, l’existence d’une hypertrophie ventriculaire gauche (HVG) témoignant d’une cardiopathie hypertensive est classique, d’autant que l’absence de dépistage et donc de traitement précoce est habituelle en Afrique [1]. Cependant, l’hypertension artérielle (HTA) n’est pas la seule cause d’HVG. D’autres pathologies plus rares doivent être évoquées devant des éléments cliniques et paracliniques atypiques. Observation Un Comorien de 73 ans, n’ayant jamais quitté les Comores auparavant, est hospitalisé en urgence pour une première poussée d’insuffisance cardiaque globale sévère, sans douleur thoracique. Ses facteurs de risque cardiovasculaire étaient limités à l’âge, une HTA négligée et un diabète de type II insulinorequérant. Il décrivait une dyspnée au moindre effort d’aggravation progressive depuis deux mois, sans fièvre ni Médecine et Santé Tropicales 2013 ; 23 : 390-393 contexte infectieux. L’examen retrouvait une pression artérielle à 160/80 mmHg symétrique aux deux bras, des œdèmes bilatéraux des membres inférieurs déclives et prenant le godet, remontant jusqu’à la racine des membres, et une turgescence jugulaire spontanée avec reflux hépatojugulaire. Il n’y avait pas de souffle cardiaque. Il n’y avait pas d’anomalie à l’examen pulmonaire, neurologique et ostéoarticulaire, ni d’anomalie cutanée ou muqueuse. L’ECG mettait en évidence un rythme sinusal sans trouble de la conduction, sans onde Q pathologique ni trouble de la repolarisation, mais avec un microvoltage dans les dérivations I, II, III, vR, vL et vF (figure 1). La radiographie pulmonaire montrait une surcharge alvéolo-interstitielle bilatérale et une cardiomégalie. Sur le plan biologique, on notait une anémie normocytaire arégénérative à 9,3 g/dL sans atteinte des autres lignées sanguines, une insuffisance rénale sévère (clairance de la créatinine à 30 mL/min), une protéinurie minime (0,21 g/ 24 h), un taux d’hémoglobine glyquée à 6.9 % et une élévation du NT-pro-brain natriuretic peptide (NT-proB-NP) à 3 989 ng/L (N < 300 ngL). La troponine-T et le bilan hépatique étaient normaux. La sérologie du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) était négative. L’échocardiographie (figure 2A) retrouvait une fonction systolique ventriculaire gauche normale (fraction d’éjection : 65 %) avec une dilatation modérée du massif atrial et une HVG (masse ventriculaire gauche : 145 g/m2) prédominant sur le septum interventriculaire (SIV) mesuré à 15 mm en télédiastole. On notait un aspect inhabituellement hyperéchogène, hétérogène et « granité » du SIV (figure 2B). Le septum interatrial était épaissi (8 mm d’épaisseur maximale [normale < 4 mm]). La fonction diastolique était anormale avec un profil transmitral de type « pseudo-normal » (E/A = 1,2, E/E’ = 15) en faveur d’une élévation des pressions télédiastoliques du ventricule gauche estimées à 20 mmHg. Il y avait une élévation de la pression artérielle pulmonaire systolique estimée à 55 mmHg à partir d’un flux d’insuffisance tricuspide (après correction à partir de la pression atriale droite estimée à 10 mmHg). Il n’y avait pas d’anomalie des valves cardiaques ou d’aspect évocateur de fibrose endomyocardique. Enfin, il y avait un épanchement péricardique de faible abondance (5 à 7 mm) en regard de la paroi postérieure et de l’oreillette droite. 390 Pour citer cet article : Cautela J, Massoure PL, Roche NC, Taix S, Gil JM, Fourcade L. Hypertrophie ventriculaire gauche atypique révélatrice d’une cause rare d’insuffisance cardiaque chez un Comorien. Med Sante Trop 2013 ; 23 : 390-393. doi : 10.1684/mst.2013.0267 doi: 10.1684/mst.2013.0267 Figure 1. ECG mettant en évidence un microvoltage dans les dérivations I, II, III, vR, vL, vF Figure 1. ECG showing microvoltage in the I, II, III, vR, vL, and vF leads. Une cause rare d’insuffisance cardiaque A B C VG OD VG OD OG OG VG Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. OG Figure 2. A,B) Échocardiographie A) Hypertrophie des parois du ventricule gauche (VG) en incidence parasternale grand axe B) Aspect scintillant (grande flèche) du septum interventriculaire (SIV), dilatation des oreillettes droite (OD) et gauche (OG), épanchement péricardique minime en arrière de l’OD (petite flèche) en incidence apicale quatre cavités C) IRM myocardique 10 minutes après injection de gadolinium rehaussement tardif prédominant au niveau du SIV (grande flèche) et de l’apex du VG (petite flèche) Figure 2. A,B) Echocardiography A) Left ventricular wall hypertrophu (LV), parasternal long-axis plane B) Scintillating appearance (large arrow) of the interventricular septum (IVS), dilatation of the right atrium (RA) and left atrium (LA), minimal pericardial effusion behind the RA (small arrow) on an apical four-chamber view C) Myocardial MRI 10 minutes after injection of gadolinium delayed enhancement predominantly at level of the IVS (large arrow) and the LV apex (small arrow). Quel est votre diagnostic ? Réponse page suivante. Ibis caronculés, espèce endémique (monts Simiens, 3 900 m, Éthiopie) # F Augey Médecine et Santé Tropicales, Vol. 23, N8 4 - octobre-novembre-décembre 2013 391 J. CAUTELA, ET AL. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. L’amylose AL : cause rare d’insuffisance cardiaque révélée par une hypertrophie ventriculaire gauche Devant un tableau atypique n’évoquant pas une simple cardiopathie hypertensive avec l’association d’une insuffisance cardiaque diastolique sévère, d’une HVG atypique pouvant faire évoquer une cardiomyopathie restrictive, d’un épanchement péricardique et d’un microvoltage à l’ECG, d’une insuffisance rénale et d’une anémie, l’hypothèse d’une maladie de surcharge était soulevée. Une hémochromatose était éliminée devant la normalité du bilan ferrique, une maladie de Wilson était écartée du fait la normalité de la cuprémie et de la cuprurie, et une maladie de Fabry était exclue en raison de la normalité de l’activité alphagalactosidase A. Une amylose cardiaque était évoquée d’autant que des chaı̂nes légères d’immunoglobulines lambda monoclonales étaient retrouvées à l’électrophorèse des protéines sériques et urinaires. La présence de 18 % de plasmocytes dysmorphiques au myélogramme confirmait l’existence d’un myélome. La calcémie était normale et il n’y avait pas de lésion osseuse. La biopsie des glandes salivaires s’est avérée normale. Le diagnostic d’amylose AL a finalement été confirmé par une biopsie de la graisse sous-cutanée abdominale montrant la présence d’une substance amyloı̈de prenant la coloration par le rouge Congo (figure 3). Même si l’aspect échocardiographique était fortement évocateur, l’atteinte myocardique de type amyloı̈de a été indirectement confirmée en imagerie par résonance magnétique (IRM) cardiaque, retrouvant des plages de rehaussement tardif (hypersignal myocardique 10 mn après injection de gadolinium) au niveau des zones hypertrophiques, en particulier au niveau du SIV (figure 2C). Il n’a pas été réalisé de biopsie endomyocardique dans ce contexte. Le diagnostic final est celui d’un myélome à chaı̂nes légères lambda compliqué d’une amylose systémique AL lambda révélée par une insuffisance cardiaque par cardiopathie restrictive (amylose cardiaque). Un traitement par furosémide a été débuté, permettant la régression des signes congestifs et la stabilisation initiale du patient en l’absence de réhospitalisation pour insuffisance cardiaque aiguë à trois mois. Parallèlement, une chimiothérapie associant melphalan et bortézomib a été débutée. A Discussion L’amylose cardiaque est probablement largement sous-estimée en Afrique, et son épidémiologie y reste mal connue [2]. À notre connaissance, ce cas de cardiopathie amyloı̈de avec amylose AL est le premier à être rapporté chez un patient originaire des Comores. En Afrique, l’HTA, dont la prévalence peut atteindre 50 à 60 % dans certaines régions chez les sujets de plus de 65 ans, est une des causes les plus fréquentes d’insuffisance cardiaque [1]. Une cardiopathie hypertensive est retrouvée dans près de 50 % des cas d’insuffisance cardiaque en Afrique subsaharienne [3]. Comme dans notre observation, la découverte d’une HVG dans un contexte d’insuffisance cardiaque à fonction systolique préservée chez un Africain hypertendu est attendue. De même, l’association d’une insuffisance rénale dans le cadre d’une néphropathie hypertensive et/ou diabétique est également habituelle. Chez ce Comorien, la discordance entre les données cliniques (HTA) et les données de l’ECG (microvoltage, là où un aspect plus compatible avec l’HVG était attendu), l’association d’un SIV hyperéchogène et d’un épanchement péricardique, ainsi que l’existence d’une insuffisance rénale ont motivé la recherche d’une cardiopathie restrictive par maladie de surcharge au-delà du diagnostic de simple cardiopathie hypertensive initialement évoqué. Une fibrose endomyocardique, cause la plus fréquente de cardiomyopathie restrictive en Afrique, a été écartée d’emblée par les examens d’imagerie. Les maladies de surcharge sont une cause non exceptionnelle d’insuffisance cardiaque avec des formes particulières d’HVG, associées à des atteintes polyviscérales. L’amylose est une des causes les plus fréquentes de cardiopathie de surcharge avec l’hémochromatose et la maladie de Fabry. Dans l’amylose, les complications viscérales sont liées au dépôt insoluble de protéines fibrillaires (ou substance amyloı̈de) au niveau du rein, du cœur, du foie, du système nerveux périphérique et des vaisseaux. Si la biopsie des glandes salivaires et/ou celle de la graisse cutanée abdominale sont facilement réalisables au lit du patient, l’analyse histologique – qui seule permet le diagnostic positif – n’est pas toujours disponible en Afrique. La biopsie endomyocardique n’est pas indispensable pour porter le diagnostic d’amylose cardiaque lorsque l’amylose a été prouvée histologiquement à partir d’un autre site de prélèvement et que les données d’imagerie, incluant aujourd’hui l’IRM cardiaque, sont concordantes [4]. B Figure 3. Biopsie de la graisse cutanée abdominale confirmant le diagnostic d’amylose. A) En coloration standard (HES), mise en évidence d’une substance éosinophile, extracellulaire et amorphe (flèche). B) Ce dépôt colorable par le rouge Congo (flèche) correspond à de la substance amyloı̈de. Figure 3. Biopsy of abdominal cutaneous fat confirming the diagnosis of amyloidosis. A) Standard staining (HES), demonstration of an eosinophilic, extracellular, amorphous substance (arrow). B) This Congo red-stainable deposit (arrow) corresponds to the amyloid substance. 392 Médecine et Santé Tropicales, Vol. 23, N8 4 - octobre-novembre-décembre 2013 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Une cause rare d’insuffisance cardiaque Il existe plusieurs types d’amylose, en fonction de la protéine précurseur (vingt-huit protéines amyloı̈des sont identifiées à ce jour). Les plus fréquentes sont : – l’amylose AL, associée à des chaı̂nes légères monoclonales, – l’amylose AA, qui est la plus fréquente en Afrique (42 à 66 % des amyloses), associée à une maladie inflammatoire, néoplasique ou infectieuse chronique en particulier tuberculeuse en Afrique, – l’amylose héréditaire à transthyrétine mutée, – l’amylose sénile également associée à un dépôt de transthyrétine non mutée [2]. Devant une gammapathie monoclonale à chaı̂nes légères, la recherche d’une atteinte d’organe est systématique. L’atteinte cardiaque est retrouvée dans environ 60 % des amyloses AL [5]. La cardiopathie amyloı̈de s’exprime le plus souvent par une HVG associé à une dysfonction diastolique, évoluant vers une cardiopathie restrictive, des troubles du rythme atriaux et ventriculaires, et des anomalies de la conduction. Si la dysfonction diastolique est constante et s’aggrave progressivement, une dysfonction systolique ventriculaire gauche est absente dans 75 % des cas mais peut être présente dans les formes les plus évoluées. Par ordre de fréquence décroissante, les anomalies échocardiographiques les plus évocatrices sont : une hypertrophie du SIV, un aspect granité et scintillant du myocarde, une hypertrophie de la paroi libre du ventricule droit, un épanchement péricardique, une oreillette gauche dilatée ou une dilatation biauriculaire, une hypertrophie du septum interauriculaire (anomalie peu fréquente mais très spécifique), un épaississement des feuillets valvulaires et l’existence de thrombus intracardiaque [5]. Plusieurs de ces aspects étaient réunis chez notre patient. La médiane de survie des patients avec une amylose AL est inférieure à quatre ans, avec un tiers de mortalité à un an, 75 % des décès étant liés à l’atteinte cardiaque incluant 25 % de morts subites [6]. Un traitement précoce permet la disparition des chaı̂nes légères dans le sérum et parfois une lente régression des signes cliniques, avec une régression partielle de l’atteinte cardiaque et amélioration de la qualité de vie [7]. Le traitement symptomatique de l’insuffisance cardiaque est souvent difficile et repose essentiellement sur les diurétiques de l’anse, parfois à forte posologie. Les bêtabloquants peuvent avoir un effet hémodynamique délétère dans ce contexte et doivent être utilisés avec beaucoup de prudence ; ils sont principalement réservés aux patients en fibrillation atriale rapide [8]. Conclusion Une insuffisance cardiaque à fonction systolique préservée chez un Africain hypertendu avec une HVG n’est pas systématiquement ou exclusivement liée à l’HTA. La connaissance des aspects atypiques de certaines HVG permet de s’orienter vers des causes rares d’insuffisance cardiaque peu ou pas décrites à ce jour en Afrique mais néanmoins classiques comme l’amylose cardiaque. L’amylose cardiaque, en particulier de type AL, s’intègre dans un tableau systémique évocateur. Son pronostic est sévère à court terme. Conflits d’intérêt : aucun. Références 1. Opie L, Seedat YK. Hypertension in sub-saharian African populations. Circulation 2005 ; 112 : 3562-8. 2. Lekpa FK, Ndongo S, Pouve A, et al. Les amyloses en Afrique subsaharienne. Med Sante Trop 2012 ; 22 : 275-8. 3. Damasceno A, Mayosi BM, Sani M, et al. The Causes, Treatment, and Outcome of Acute Heart Failure in 1006 Africans From 9 Countries : Results of the Sub-Saharan Africa Survey of Heart Failure. Arch Intern Med 2012 ; 3 : 1-9. 4. Maceira AM, Joshi J, Prasad SK, et al. Cardiovascular magnetic resonance in cardiac amyloidosis. Circulation 2005 ; 111 : 186-93. 5. Seldin DC, Berk JL, Sam F, Sanchorawala V. Amyloidotic cardiomyopathy : multidisciplinary approach to diagnosis and treatment. Heart Fail Clin 2011 ; 7 : 385-93. 6. Merlin G, Seldin DC, Gertz MA. Amyloidosis : pathogenesis and new therapeutic options. J Clin Oncol 2011 ; 29 : 1924-33. 7. Desport E, Bridoux F, Sirac C, et al. AL Amyloidosis. Orphanet J Rare Dis 2012 ; 7 : 54. 8. Falk RH. Diagnosis and management of the cardiac amyloidoses. Circulation 2005 ; 112 : 2047-60. Résumé. En Afrique, l’hypertension artérielle est un problème majeur de santé publique, et la cardiopathie hypertensive est une cause fréquente d’insuffisance cardiaque. L’hypertrophie ventriculaire gauche (HVG) est l’une des manifestations cardinales de la cardiopathie hypertensive. Cependant, certaines HVG peuvent révéler des pathologies rares comme l’amylose cardiaque, pathologie exceptionnellement décrite en Afrique. L’enquête étiologique d’une HVG atypique chez un Comorien de 73 ans hospitalisé pour insuffisance cardiaque a permis de diagnostiquer une amylose cardiaque, pathologie jamais rapportée jusqu’alors aux Comores et dont le pronostic demeure sombre. Abstract. In Africa, hypertension is a major public health problem, and hypertensive heart disease is a leading cause of heart failure. Left ventricular hypertrophy is a common consequence of hypertension. We present a case illustrating an unusual cause of such hypertrophy in a 73-year-old patient with heart failure living in the Comoros Islands, in whom we diagnosed cardiac amyloidosis. This disease has not previously been reported in the Comoros Islands and remains associated with a poor prognosis. Key words: cardiac amyloidosis, left ventricular hypertrophy, heart failure, Comoros. Mots clés : amylose cardiaque, hypertrophie ventriculaire gauche, insuffisance cardiaque, Comores. Correspondance : P.-L. Massoure <[email protected]> Médecine et Santé Tropicales, Vol. 23, N8 4 - octobre-novembre-décembre 2013 393