Anomalies du rythme cardiaque-au cours des crises d

publicité
Anomalies du rythme cardiaque
au cours des crises d’épilepsie
D. Taussig*, M. Laurent**
Les structures corticales
impliquées dans la régulation
cardiovasculaire
Le cortex insulaire, le noyau central de
l’amygdale et certains noyaux hypothalamiques appartiennent au réseau
autonomique central qui contrôle les
voies efférentes sympathiques préganglionnaires et viscéromotrices parasympathiques. La stimulation électrique
des structures limbiques, surtout de
l’amygdale et du cortex pyriforme
périamygdaloïde, ainsi que du gyrus
cingulaire antérieur et du cortex
orbito-frontal, peut provoquer des
réponses cardiovasculaires sympathiques ou parasympathiques (2).
L’insula joue un rôle pivot dans ce
réseau central autonomique, avec
des résultats expérimentaux parfois
contradictoires. Chez l’humain, le rat
et le singe, il y a des arguments en
faveur du rôle de l’insula gauche dans
la régulation des neurones cardiaques
vagaux. Certains accidents isché-
* Ancienne interne et chef de clinique
assistant de neurologie à Paris. Praticien
hospitalier dans le service des explorations fonctionnelles au CHU de Rennes.
Activité consacrée à la prise en charge
des épilepsies pharmacorésistantes
au sein de l’équipe s’occupant de la
chirurgie de l’épilepsie. Rôle clinique et
d’interprétation des examens électrophysiologiques préchirurgicaux (EEG vidéo et
explorations par électrodes profondes
ou SEEG).
** Service de cardiologie,
CHU Pontchaillou, Rennes.
miques insulaires antérieurs gauches
ont été associés à une tachyarythmie
et, chez le rat, à une réduction de la
sensibilité baroréflexe. La stimulation
peropératoire du cortex insulaire
gauche provoque une bradycardie et
une hypotension. Le cortex insulaire
droit, quant à lui, est impliqué dans la
régulation des neurones sympathiques
responsables des résistances vasculaires. La stimulation peropératoire du
cortex insulaire droit provoque une
tachycardie et une hypertension. Par
ailleurs, chez le chat anesthésié, il
existe une organisation chronotopique
du cortex insulaire, mise en évidence
par microstimulations. La stimulation
de l’insula antérieure provoque une
tachycardie, celle de l’insula postérieure, une bradycardie en l’absence
de toute variation de la pression artérielle et de la respiration (1). La présence de voies excitatrices et de voies
inhibitrices allant de l’insula aux
noyaux hypothalamiques latéraux peut
expliquer ces résultats contradictoires.
En outre, après une crise d’épilepsie,
l’hyperpolarisation neuronale qui
conduit à une inhibition peut aussi être
importante dans la génération des
arythmies cardiaques en créant un
déséquilibre relatif entre les deux cortex, interrompant ainsi la régulation
musculaire lisse de l’équilibre cardiaque sympatho-vagal. Des voies
transcalleuses interhémisphériques
non myélinisées (inhibitrices et excitatrices) reliant les régions cardiovasculaires des deux insulas ont récemment
été décrites. Ces voies peuvent contribuer à l’intégration cardiovasculaire,
mais aussi permettre la propagation
rapide de la décharge critique entre les
zones cérébrales ayant différents effets
sur le cœur et les vaisseaux.
Act. Méd. Int. - Neurologie (4) n° 8/9, novembre-décembre 2003
L
e diagnostic étiologique d’une
perte de connaissance n’est pas
toujours aisé. Les syncopes prolongées s’accompagnent fréquemment de myoclonies, posant des
difficultés dans le diagnostic différentiel. Le diagnostic peut être particulièrement complexe chez les patients
ayant à la fois une atteinte cérébrale
et cardiaque, comme chez ceux souffrant de maladies mitochondriales ou
chez ceux ayant fait un accident
vasculaire cérébral (AVC) d’origine
cardiaque. Les crises d’épilepsie peuvent
avoir un effet direct sur le rythme
cardiaque. Elles provoquent le plus
fréquemment des tachycardies
décrites initialement par Erickson en
1939 (1), plus rarement des bradycardies, des asystolies et d’autres
troubles du rythme. Les aires corticales impliquées dans la régulation
du rythme cardiaque ont été décrites
à l’aide de modèles animaux, de
descriptions de lésions focales chez
l’homme et des résultats de stimulations électriques chez des patients
porteurs d’électrodes intracérébrales
pour explorer des épilepsies rebelles.
Plus récemment, l’existence de morts
subites inexpliquées (SUDEP) chez
l’épileptique a incité à étudier les
relations entre les troubles du rythme
et les SUDEP.
Crises généralisées et
états de mal généralisés
tonico-cloniques
Lors des crises généralisées tonicocloniques, la décharge corticale pro-
193
Actualités
Actualités
voque une excitation transmise à l’hypothalamus et au tronc cérébral, entraînant un dysfonctionnement majeur du
système végétatif, comme cela a été
montré dans des modèles animaux ou
des crises déclenchées par les électrochocs ou le pentylènetétrazole (1). Les
états de mal généralisés tonico-cloniques
provoquent une libération massive de
catécholamines associées à des arythmies cardiaques parfois fatales (3).
Les anomalies du rythme
cardiaque dans les crises
partielles
Zijlmans et al. (4) ont étudié les enregistrements simultanés de vidéo-EEG
et d’électrocardiogrammes (ECG)
chez 102 patients en cours d’explora-
A
Valeur localisatrice d’un
trouble du rythme cardiaque
dans les crises partielles
Les variations de fréquence cardiaque
peuvent être utilisées lors des explorations vidéo-électroencéphalographiques
(EEG) préchirurgicales des épilepsies
rebelles pour dater le début clinique de
la crise, car elles précèdent souvent les
autres signes (4). Différents auteurs
ont essayé de leur donner une valeur
localisatrice précise à la lumière des
connaissances de physiologie décrites
précedemment. Toutefois, d’une façon générale, l’interprétation d’un signe clinique au cours d’une crise partielle
n’est pas aisée : il est difficile de savoir
s’il est directement lié à la décharge
critique, s’il est associé à l’inhibition
d’un fonctionnement ou à la mise en
jeu d’un réseau sous-cortical (sous forme
d’une activation ou d’une désactivation). En outre, les EEG de scalp sont
souvent artefactés et manquent de précision topographique, notamment pour
les régions profondes. À l’opposé, lors
des enregistrements intracérébraux, la
précision d’enregistrement dans une
structure donnée est contrebalancée
par le biais d’échantillonnage. Enfin, il
est probable que, dans certaines crises,
les modifications initiales de fréquence
cardiaque soient liées à des modifications de vigilance. Il serait souhaitable
de réaliser des études avec traitement
du signal pour écarter ce biais. Un
exemple de modifications cardiaques
au cours d’une crise temporale droite
est donné dans la figure.
tions préchirurgicales. Mais, dans de
nombreuses crises, les artefacts de
mouvements empêchent une interprétation correcte du cardiogramme (chez
20 % des patients pour ces auteurs,
davantage dans notre expérience, surtout pour les troubles de repolarisation). Les auteurs ont étudié au total
281 crises. Les résultats sont résumés
FP2-F4
F4-C4
C4-P4
P4-O2
FP2-F8
F8-T4
T4-T6
T6-O2
FP2-FT10
FT10-P10
P10-O2
FP1-F3
F3-C3
C3-P3
P3-O1
FP1-F7
F7-T3
T3-T5
T5-O1
FP1-FT9
FT9-P9
P9-O1
FZ-CZ
CZ-PZ
PZ-POZ
EKG
B
FER. J.
FP2-F4
F4-C4
C4-P4
P4-O2
FP2-F8
F8-T4
T4-T6
T6-O2
FP2-FT10
FT10-P10
P10-O2
FP1-F3
F3-C3
C3-P3
P3-O1
FP1-F7
F7-T3
T3-T5
T5-O1
FP1-FT9
FT9-P9
P9-O1
FZ-CZ
CZ-PZ
PZ-POZ
EKG
FER. J.
Figure. Anomalies rythmiques cardiaques au cours d’une crise temporale droite chez
un patient de 30 ans (montage longitudinal). A. Tachycardie supraventriculaire à
180/mn percritique dont l’origine est incertaine : sinusale ? jonctionnelle (réentrée
nodale ou voie accessoire) ? auriculaire ectopique ? B. La présence en postcritique
d’extrasystoles de même morphologie est plutôt en faveur d’un authentique trouble du
rythme.
194
Actualités
Actualités
dans le tableau. Pour les patients chez
lesquels ils ont trouvé des anomalies
du rythme cardiaque pendant les
crises, ils constatent que ces anomalies se trouvent significativement plus
fréquemment lorsqu’elles sont plus
longues, ce qui est également souligné
par d’autres auteurs pour lesquels le
deuxième facteur de risque est la survenue d’une généralisation secondaire
(5, 6).
Tachycardie
Pour Opherk et al. (6), la longueur de
la crise et la survenue d’une généralisation secondaire sont associées à une
tachycardie critique plus importante.
Epstein et al. (7) fournissent des arguments en ce sens : ils ont étudié
27 crises chez 5 patients souffrant
d’épilepsie temporale, implantés avec
des électrodes intracérébrales. Une
décharge limitée à l’amygdale ne provoque pas de tachycardie, il faut une
propagation corticale plus vaste. Les
auteurs suggèrent que la tachycardie
dépend principalement du volume des
structures cérébrales recrutées lors des
crises, et non de la durée de la crise.
Quand le volume est stable, la fréquence cardiaque est constante.
Quand la décharge envahit des régions
cérébrales supplémentaires, la stimulation des structures grises profondes
et du tronc provoque une augmentation
graduelle de la fréquence cardiaque.
Des extrasystoles auriculaires et ventriculaires, ainsi que des fibrillations
auriculaires ont été décrites, sans que
l’on en connaisse la fréquence ni la
signification (4, 5).
Bradycardie
Tinuper et al. (2) ont repris les 44 cas
de bradycardie critique rapportés dans
la littérature, documentés par un enregistrement simultané EEG et ECG, et
ils y ont ajouté 3 cas personnels. La
fréquence atteinte, la présence de
pauses, l’origine sinusale ou jonctionelle ne sont pas mentionnées en
général. Huit patients sur 44 ont plus
de 60 ans, il n’est pas précisé s’ils
souffrent d’une maladie cardiaque.
Les crises sont d’origine temporale
chez 31 des patients (avec toutes les
réserves déjà exprimées sur la précision localisatrice). Seuls 2 patients ont
eu des enregistrements intracérébraux :
un hamartome hypothalamique et une
épilepsie temporale sans exploration
de l’insula. Le côté de la décharge est
certain dans 32 cas : 20 à gauche et
12 à droite, mais la dominance hémisphérique n’est pas toujours connue.
Munari et al. (8) décrivent des bradycardies dans des crises orbitaires
explorées par électrodes profondes,
sans préciser les relations temporelles
entre la décharge épileptique et la survenue de la bradycardie. Kahane et al.
(9) rapportent des accès de bradycar-
Tableau. Fréquence cardiaque et anomalies ECG en lien avec les crises (d’après [4])
(81 patients à ECG interprétables).
Anomalies critiques ou postcritiques
Tachycardie (> 100)
Bradycardie (< 60)
Fréquence cardiaque > 150
Anomalies potentiellement graves
• asystolie (30 s)
• pause sinusale
• sus/sous-décalage de ST
• inversion des ondes T
Anomalies moins graves
• arythmie sinusale
• dépolarisation prématurée auriculaire
• complexes prématurés ventriculaires
> 1 anomalie
Act. Méd. Int. - Neurologie (4) n° 8/9, novembre-décembre 2003
Nombre de patients
62
11
13
1
6
3
1
19
12
7
7
die critique chez un patient enregistré
avec des électrodes profondes, porteur
d’un hamartome hypothalamique. La
bradycardie ne survient pas lorsque la
décharge reste limitée à l’hamartome
mais lorsque la décharge gagne les
régions fronto-centrale et temporale
droites. Là encore, est-ce spécifiquement lié à une activation de ces structures ou au caractère étendu de la
décharge ? La bradycardie peut être
associée à une apnée qui serait l’élément central (10). Il est également
possible que la décharge critique
active des régions responsables simultanément de bradycardie et d’apnée,
comme cela a été décrit dans des stimulations électriques fronto-temporales. Les modifications respiratoires
associées à la bradycardie sont inconstantes puisque, dans les deux cas personnels de Tinuper et al. (2), pour lesquels la fréquence respiratoire a été
mesurée, il n’y en a pas.
Asystolie
Rocamora et al. (11) décrivent l’enregistrement d’une asystolie chez
5 patients âgés de 16 à 53 ans en cours
d’explorations vidéo-EEG. L’asystolie
dure de 7 à 60 secondes. Deux patients
souffrent d’épilepsie temporale gauche,
2 autres d’épilepsie frontale gauche, le
dernier d’épilepsie bifrontale. Deux
d’entre eux ont une cardiopathie
concomitante mais un seul a un ECG
anormal. Deux ont une apnée simultanée. L’asystolie est précédée dans
4 cas d’une bradycardie (le cinquième
a une cardiopathie). Deux ont une
période postcritique anormalement
longue, en lien avec un ralentissement
EEG majeur. Il est difficile de savoir
s’il s’agit d’une activation vagale
directement liée à la décharge épileptique ou d’un dysfonctionnement non
spécifique.
Rapports avec la mort subite
La mort subite concernerait entre 7,5
et 15 % des décès chez les épilep-
195
Actualités
Actualités
tiques (1). Il n’existe aucune preuve
que les crises d’épilepsie répétées ou
les états de mal puissent avoir un effet
délétère sur la fonction cardiaque (1).
Dans les SUDEP, ont été mis en cause
un trouble du rythme cardiaque, une
apnée centrale et un œdème pulmonaire neurogène. La responsabilité
d’un trouble cardiaque aigu critique
chez un patient à cœur sain est controversée. Le rôle néfaste des antiépileptiques l’est également, même si des
blocs auriculo-ventriculaires ont été
décrits avec la carbamazépine et la
phénytoïne injectable, parfois mortels.
Les explorations réalisables pour étudier un dysfonctionnement cardiaque
a minima ou une perturbation du système végétatif chroniques pourraient
faire l’objet d’un autre article. Dans
notre expérience, la réalisation d’un
ECG intercritique systématique, complété d’une échographie ou d’un holter
en cas d’anomalie minime, ne permet
pas un dépistage satisfaisant.
Conclusion
Les modifications de la fréquence cardiaque au cours des crises d’épilepsie
partielles sont fréquentes et d’interprétation complexe. Elles sont liées
directement à la décharge des aires
limbiques et insulaires et, sans doute,
à une activation végétative non spécifique. Lors des enregistrements vidéoEEG, qui ne concernent qu’une minorité de patients épileptiques, leur mise
en évidence, lorsqu’elle est possible,
pourrait prévenir la survenue de certaines SUDEP. La bradycardie per se
n’est pas dangereuse en elle-même
mais pourrait être associée à des événements plus dangereux, comme les
troubles de conduction et les asystolies. Dans les bradycardies critiques, il
faut éviter les antiépileptiques, que
sont la phénytoïne et la carbamazépine, rendus responsables de troubles
conductifs, sauf s’ils contrôlent parfaitement les crises. Si l’épilepsie est
pharmacorésistante, la pose d’un pace maker doit être discutée. Cette
implantation doit être systématique en
cas d’asystolie prouvée.
Nous remercions Mme A. Alix pour
les illustrations
Références
1. Jallon P. Épilepsie et coeur. Rev Neurol
1997 ; 153 : 173-84.
2. Tinuper P, Bisulli F, Cerullo A et al.
Ictal bradycardia in partial epileptic seizures. Autonomic investigation in three
cases and literature review. Brain 2001 ;
124 : 2361-71.
Act. Méd. Int. - Neurologie (4) n° 8/9, novembre-décembre 2003
3. Walton N. Systemic effects of generalized
convulsive status epilepticus. Epilepsia
1993 ; 34 : S54-S58.
4. Zijlmans M, Flanagan D, Gotman J.
Heart rate changes and ECG abnormalities during epileptic seizures : prevalence
and definition of an objective clinical sign.
Epilepsia 2002 ; 43 : 847-54.
5. Nei M, Ho RT, Sperling MR. EKG
abnormalities during partial seizures in
refractory epilepsy. Epilepsia 2000 ; 41 :
542-8.
6. Opherk C, Coromilas J, Hirsch LJ.
Heart rate and EKG changes in 102 seizures : analysis of influencing factors.
Epilepsy Res 2002 ; 52 : 117-27.
7. Epstein M, Sperling M, O’Connor M.
Cardiac rhythm during temporal lobe seizures. Neurology 1992 ; 42 : 50-3.
8. Munari C, Tassi L, Di Leo M et al.
Video-stereo-electroencephalographic
investigation of orbitofrontal cortex. Ictal
electroclinical patterns. Adv Neurol 1995 ;
66 : 273-95.
9. Kahane P, Di Leo M, Hoffmann D,
Munari C. Ictal bradycardia in a patient
with hypothalamic hamartoma : a stereoEEG study. Epilepsia 1999 ; 40 : 522-7.
10. Nashef L, Walker F, Allen P et al.
Apnoea and bradycardia during epileptic
seizures : relation to sudden death in epilepsy. J Neurol Neurosurg Psychiatry
1996 ; 60 : 297-300.
11. Rocamora R, Kurthen M, Lickfett L et
al. Cardiac asystole in epilepsy : clinical
and electrophysiologic features. Epilepsia
2003 ; 44 : 179-85.
196
Actualités
Actualités
Téléchargement