Mini-revue Rôle de la réponse immunitaire au cours de l`infection

Mini-revue
Rôle de la réponse
immunitaire au cours
de l’infection virale C
Philippe Podevin
Service d’hépatogastroentérologie, hôpital Cochin, 27, rue du Faubourg Saint-Jacques,
75679 Paris Cedex 14
L’hépatite chronique C est un problème majeur de santé publique ;
à l’échelle de la planète 170 à 200 millions d’individus en sont
porteurs chroniques. Aucun vaccin n’est actuellement disponible et
20 % à 60 % des patients ayant une hépatite chronique C sont en
situation d’échec thérapeutique avec la bithérapie pégylée. En
dépit d’une recherche active, le rôle de la réaction immunitaire au
cours des différentes phases de l’infection virale C, les mécanismes
responsables de la chronicité de l’infection et des échecs du
traitement antiviral par la bithérapie pégylée sont encore mal
connus. Cependant, il est établi que la présence d’une réponse
spécifique T CD4 et T CD8 forte et polyclonale est indispensable
pour obtenir l’éradication virale. Chez les individus porteurs chro-
niques du virus C et/ou non répondeurs au traitement antiviral, les
anomalies fonctionnelles du système immunitaire associent une
inhibition de l’effet biologique de l’interféron alpha, un défaut
d’induction de la réponse T helper par les cellules dendritiques, une
réponse lymphocytaire T CD4 insuffisante et in fine une réponse
T CD8 effectrice insuffisante pour permettre l’éradication virale. De
façon tout à fait intéressante, une réponse T insuffisante est égale-
ment retrouvée chez les patients non répondeurs virologiques au
traitement antiviral par la combinaison interféron-ribavirine. Dans
l’état actuel des connaissances, il est fort probable que le virus C
exerce un rôle déterminant dans la genèse de ces différentes
anomalies immunitaires.
Mots clés : hépatite chronique C, immunité
Le système immunitaire est composé de l’immunité innée ou non
spécifique et de l’immunité acquise ou spécifique (figure 1). La
production d’interféron alpha par les cellules infectées, l’activation
des processus de cytotoxicité cellulaire par les cellules natural killer (NK)
et la production de TNFapar les macrophages sont les premières lignes
de défense antivirale de l’organisme.
Ultérieurement, l’activation des cellules présentatrices d’antigènes par la
phagocytose de débris cellulaires (probablement également aussi par leur
infection directe par le virus C), va permettre le processing intracellulaire
des épitopes viraux et leur expression membranaire par les molécules du
complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) de classe II. Ainsi présentés
aux lymphocytes TCD4 helper, les différents épitopes viraux vont induire
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une réponse lymphocytaire T spécifique polyclonale.
Les lymphocytes helper correspondent à deux sous-
populations caractérisées par leur profil d’expression
de cytokines. Les cellules T CD4 produisant essentielle-
ment l’interleukine 2 (IL2) et l’interféron csont de type
Th1, les cellules T CD4 produisant l’IL4, l’IL5, l’IL6 et
l’IL10 sont de type Th2. En raison de l’effet antagoniste
réciproque de ces deux profils de cytokine, la réaction
immunitaire peut avoir une orientation différente. Les
cytokines Th1 orientent la réponse lymphocytaire vers
la voie effectrice, c’est-à-dire l’activation de cellules T
CD8 cytotoxiques spécifiques de l’épitope viral ex-
primé par les hépatocytes infectés dans le contexte des
molécules du CMH de classe I. La cellule cible infectée
est alors détruite par contact direct via la voie Fas/Fas
récepteur ou perforine/granzyme. Les cytokines pro-
duites participent également via un effet antiviral di-
rect. Le profil Th2 oriente la réaction immunitaire vers
l’activation lymphocytaire B, la réponse humorale poly-
clonale et la production d’anticorps neutralisants.
Hépatite aiguë virale C
Immunité innée
Le rôle de l’immunité innée au cours de la phase aiguë
de l’infection virale C est inconnu chez l’homme. Chez
le chimpanzé, la transcription hépatique des gènes de
l’immunité innée (molécules d’adhésion, gènes de ré-
ponse à l’interféron alpha) augmente au cours de la
phase aiguë de l’infection virale C, mais son efficacité
est limitée. Contrairement à celle de l’IFNc[1], l’acti-
vation de la transcription des gènes de réponse à
l’IFNane prévient pas le passage à la chronicité [2].
Cette résistance du virus C à l’effet biologique de
Virus
CD4+/Th2
Plasmocyte
Virus
CTL CD8+
CD4+/Th1
Hépatocyte infecté
Cellule dendritique
IL12
IL4, IL5,
IL6, IL10
Anticorps neutralisants
Lyse immune
Inhibition de la
réplication virale
Cellules NK, T-NK
Macrophages
IL2, TNF
α
IFNγ,
Figure 1.La réponse immunitaire.
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l’IFNaa été confirmée chez l’homme [3]. In vitro, les
protéines non structurales NS3 et NS5A [4] inhibent
l’effet biologique de l’IFNa.
Immunité spécifique
L’immunité acquise, principalement la réponse T CD4,
joue un rôle déterminant au cours de la phase aiguë de
l’infection virale C (figure 2). Chez l’homme [5] et le
primate [1], l’éradication virale nécessite la présence
d’une réponse lymphocytaire T CD4 forte et multi-
spécifique dirigée contre des épitopes viraux majeurs
(immunodominants). Ces épitopes viraux, localisés
principalement sur des régions conservées entre les
génotypes sur les protéines NS3 et de capside du virus
C, peuvent être présentés par différents haplotypes
HLA de classe II [6]. Ex vivo, les lignées T CD4
spécifiques, obtenues à partir des lymphocytes circu-
lants de sujets porteurs chroniques du virus C, expri-
ment l’IFNcseul (phénotype Th1) ou associé à l’IL4
(phénotype Th0) [6]. Une forte réponse T CD4 va
permettre d’obtenir une réponse T effectrice CD8 cyto-
toxique dirigée contre les hépatocytes infectés expri-
mant, via les molécules de classe I, des épitopes viraux
situés dans les régions structurales et non structurales.
Ainsi, chez le chimpanzé, la réponse spécifique T CD4
et CD8 hépatique précoce est fortement corrélée à
l’éradication virale [1]. La technique des tétramères
(permettant de mettre en évidence de très rares cellules
spécifiques des épitopes viraux) a permis de confirmer
cette relation chez l’homme, dans le sang périphérique
[7]. Enfin, la déplétion expérimentale, chez le primate,
en cellules T CD4 conduit à la persistance de l’infection
virale, malgré une faible réponse effectrice T CD8 [8].
À distance de la guérison, la réponse humorale dirigée
contre les protéines d’enveloppe peut disparaître ; en
revanche, la réponse cellulaire T CD4 et CD8 dirigée
contre les protéines non structurales demeure détecta-
ble chez l’homme 9 fois sur 10 [9]. Cette réponse
anamnestique est fonctionnelle, elle permet de prévenir
la ré-infection expérimentale chez le primate [10].
A
B
0
2
4
6
8
0,5
1
0
10
40
20
30
1,5
Semaines
Réponse T CD4
(prolifération)
γ
Réponse T CD8
(tétramères IFN )
ARN VHC
(log)
Alat
(UI/L)
1600
1200
800
400
0
0 4 8 12 16 20 24
0 4 8 12 16 20 24
Figure 2.Histoire naturelle de l’infection aiguë virale C chez l’homme. A) Évolution spontanée de virémie VHC et des transaminases.
B) Évolution de la réponse lymphocytaire périphérique spécifique T CD4 et T CD8. D’après Thimme et al. [7].
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Hépatite chronique C
La chronicité de l’infection virale C dépend de facteurs
viraux (forte charge virale, hétérogénéité de la popu-
lation virale, apparition de mutants d’échappement à
la réponse humorale et cellulaire, réservoirs extra-
hépatiques du virus C) et de facteurs liés à l’hôte, en
particulier un déficit qualitatif et quantitatif de la ré-
ponse immunitaire. En outre, il existe une convergence
d’arguments en faveur du rôle direct du virus C sur ces
anomalies fonctionnelles des cellules immunocompé-
tentes.
Anomalies de la réponse lymphocytaire T CD4
L’étude de Gerlach et al. montre que 66 % des indivi-
dus qui vont développer une infection chronique n’ont
aucune réponse lymphocytaire T et qu’une réponse
insuffisante conduit à la rechute [11]. Chez les porteurs
chroniques, la réponse T CD4 est 10 fois inférieure à
celle observée chez les individus ayant évolué vers la
guérison [12]. Cette réponse est faible en termes de
prolifération [13, 14], de production d’IFNc[15] (fi-
gure 3). In vitro, la stimulation lymphocytaire par un
décapeptide dérivé de la région hyper-variable, res-
treint aux molécules HLA A2, permet d’observer une
réponse cytokine de type Th2 ou Th2/Th0 [16]. Ces
différents éléments montrent que le défaut de la ré-
ponse lymphocytaire T CD4 constitue à lui seul un
élément permettant de rendre compte de la chronicité
de l’infection, de façon indépendante de la sélection
de mutants d’échappement à la pression immunitaire.
Néanmoins, chez le primate, la déplétion en cellules T
CD4 entraîne une faible réponse T CD8, insuffisante
pour prévenir la chronicité en raison de la sélection de
mutants d’échappement à la réponse cytotoxique
contre des épitopes situés dans les régions HVR1 ou
NS5A [8].
Anomalie de la réponse lymphocytaire T CD8
Quantitativement, la réponse T CD8 spécifique du virus
C est très faible par rapport à celle observée dans
d’autres maladies virales [15]. Elle est également insuf-
fisante en termes de prolifération, de production
d’IFNcet d’activité cytotoxique [17, 18]. Cette ré-
ponse T CD8 insuffisante pourrait résulter d’un proces-
sus passif, conséquence d’une diminution de l’activa-
tion T CD4, ou d’un processus actif, via la production
de cytokines immunosuppressives, essentiellement
l’IL10, par les différentes populations de cellules T
régulatrices (Tr) [12]. Cette induction des cellules Tr
pourrait être un effet direct des protéines du virus C
[19].
Anomalies fonctionnelles
des cellules dendritiques
Les cellules dendritiques ou présentatrices d’antigènes
jouent un rôle capital dans l’induction de la réponse
lymphocytaire T. En dépit de résultats contradictoires
sur leur maturation [20, 21], ces cellules dendritiques
**
*
Chronicité (n = 9)
Chronicité (n = 9)
Témoins (n = 10)
Guérison (n = 10)
Chronicité (n = 28)
E1 E2 NS3 NS4 NS5
100
10
1
20
A
B
15
10
5
0
Figure 3.Réponse immunitaire spécifique et évolution spontanée de l’infection virale C. A) Réponse T CD4 à différentes protéines virales en
fonction du profil évolutif de l’infection aiguë virale C. D’après Missale et al. [5]. B) Comparaison de la réponse T CD8 (Elispot interféron c)
en réponse à la stimulation par la protéine de capside) au cours des 6 premiers mois après la phase aiguë de l’infection. D’après Gerlach et
al. [11].
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dérivées du sang chez les porteurs chroniques du virus
C produisent, lors de l’activation, une quantité insuffi-
sante de cytokines stimulantes comme l’IL2 et l’IL12
[22]. En conséquence, la réponse primaire allogéni-
que est diminuée [20, 21], alors que la réponse
secondaire est normale. Cette anomalie de fonction
des cellules dendritiques est également retrouvée sur
les cellules présentatrices d’antigènes dérivées du sang
de patients non répondeurs à l’interféron et peut être
reproduite in vitro par la protéine de capside du virus C
[23].
Influence du traitement antiviral
Le traitement antiviral actuellement recommandé est
composé de l’interféron alpha recombinant pégylé
(cytokine faiblement antivirale et immunostimulante
dont l’effet antiviral est souvent insuffisant en cas d’in-
fection chronique C) et de ribavirine, analogue nucléo-
sidique actif in vitro sur différents virus, en particulier
les réplicons du virus C, mais inefficace chez l’homme
en monothérapie. Par conséquent, l’effet additif de la
bithérapie pégylée chez l’homme sur la réponse virale
prolongée suggère des effets additifs, en particulier sur
la réponse immunitaire. Ainsi, le traitement par interfé-
ron (pégylé ou non) et ribavirine stimule chez l’homme
la réponse T CD4+ dirigée contre différentes régions
du génome viral (figure 4) [24, 25]. La réponse T CD4,
bien que plus importante avec la bithérapie pégylée
par rapport à l’interféron classique [25], est corrélée à
la réponse virologique, quel que soit le type d’interfé-
ron [24, 25] (figure 4). Les patients non répondeurs
ayant une réponse T CD4 plus faible et un profil Th2
avec une production d’IL10 [24]. L’adjonction de riba-
virine potentialise l’effet immunostimulant de l’interfé-
ron [25], en favorisant l’orientation de la réponse
cytokine vers le type Th1, avec une forte production
d’IFNcet une réduction de la production d’IL10 [24,
25].
A
B
0
25
50
75
S0 S4 S12 S0 S4 S12
300
250
200
150
100
50
0
-50
-100
pg/mL IIL 2
Interféron
Interféron + ribavirine
Non réponse (n = 7) Rechute (n = 7)
Index de
stimulation
60
50
40
30
20
10
0
Suivi Suivi Suivi0 4 8 12 24 0 4 8 12 24 0 4 8 12 24
Semaines
Semaines
Réponse prolongée (n = 11)
IFNγ
Figure 4.Influence du traitement antiviral sur la réponse lymphocytaire T. A) Réponse lymphocytaire T stimulée ex vivo par la protéine de
capside du virus C. B) Production basale d’Il2 et interféron cavant et sous traitement antiviral. D’après Cramp et al. [24].
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