Quel avenir pour les traitements à visée immunitaire ?

L’immunothérapie reste le parent
pauvre de notre arsenal thérapeu-
tique pour lutter contre le VIH.
Face à ce constat, Anthony Fauci
a proposé à Mexico de nouvelles
directions de recherche, et quel-
ques travaux ont apporté des
résultats encourageants.
Les thérapeutiques immunologi-
ques incluent les vaccins préventifs et
l’immunothérapie visant à augmenter le
nombre de CD4 ou la réponse immuni-
taire spécifique chez des sujets déjà infec-
tés, qui sont importantes à la fois pour
infléchir l’épidémie et pour envisager un
arrêt des antirétroviraux. Néanmoins,
aucune thérapeutique à visée immuno-
logique n’a obtenu à ce jour une autorisa-
tion de mise sur le marché.
L’avancée de telles thérapeutiques marque
le pas, suite à l’échec de l’étude vaccinale
STEP (Merck et le National Institutes of
Health [NIH]) et à au récent arrêt par le
NIH de l’étude vaccinale PAVE. Cet essai
vient d’être arrêté dans son développe-
ment car le vecteur de type adénovirus uti-
lisé pour induire la réponse T CD8 cytotoxi-
que chez les sujets non-infectés était très
semblable à celui de l’étude STEP.
Quatre idées forces
C’est lors d’une présentation plénière fort
écoutée qu’Anthony Fauci, directeur du
programme VIH au NIH, a donné sa vision
sur le futur du développement des vac-
cins et de l’immunothérapie dans l’infec-
tion VIH1. On peut en retenir quatre idées
forces qui expliquent la mise en échec des
stratégies actuelles d’immunothérapie :
1. Le système immunitaire a une faible
possibilité d’éliminer le virus dès l’infec-
tion car ce dernier va en quelques jours
s’établir dans des réservoirs et très vite
devenir latent, donc caché du système
immunitaire.
2. Le virus détruit les lymphocytes CD4, les
cellules même qui sont responsables de
la coordination du combat immunitaire
anti-VIH.
3. La variabilité extrême du virus et les
mutations lors des cycles de réplication
virale permettent au virus d’échapper à la
surveillance immunitaire.
4. Les parties constantes de l’enveloppe
virale, qui pourraient être de parfaites
cibles antigéniques, sont masquées par un
« bouclier de glycoprotéines » virales qui
va permettre d’échapper aux anticorps.
Le « plan de guerre » d’Anthony Fauci
Fort de ce constat, Fauci exhorte les cher-
cheurs à suivre le « plan de guerre » sui-
vant : il faut retourner au laboratoire et étu-
dier de façon exhaustive la réponse
immunitaire innée et acquise qui implique
les cellules dendritiques, les cellules NK,
et les lymphocytes T et B. Cette réponse
immune intégrée doit être absolument
analysée dès la primo-infection avant que
les relations d’équilibre soient établies
entre l’hôte et le virus, pour en déterminer
les corrélats de protection immunitaire.
D’autre part, des idées nouvelles et auda-
cieuses sont absolument nécessaires pour
faire avancer ce champ de recherche.
Enfin, il faut impérativement étudier cette
réponse immunitaire intégrée non seule-
ment dans le sang périphérique mais
aussi au niveau des muqueuses digestives
et des ganglions lymphatiques.
Il semble bien évident que pour réussir une
telle entreprise, une collaboration encore
jamais vue entre les patients, les mouve-
ments associatifs, les cliniciens et tous les
chercheurs sera nécessaire. A partir de
ces nouvelles directions de recherche pro-
posées par Fauci, nous avons retenu les
travaux les plus pertinents.
Les interactions hôte/virus
lors de la primo-infection
H. Streeck et M. Altfeld, de l’université
d’Harvard, ont présenté une très impor-
tante étude sur les facteurs associés à la
réponse CD8 cytotoxique lors de l’établis-
sement du « set point » viral2. Il avait été
préalablement établi par ce même groupe
que la réponse spécifique CD8 observée en
primo-infection est directement respon-
sable du contrôle de la réplication virale et
détermine le niveau du « set point » viral.
Toutefois, le nombre, le type d’épitopes
(parties du virus qui sont immunogènes)
qui sont impliqués dans le contrôle viro-
logique sont peu connus car ceci néces-
siterait l’étude de l’ensemble des 200 pep-
tides viraux. De plus, cette réponse
cytotoxique étant modulée par les nom-
breux haplotypes des gènes HLA de
classe I, il faut donc un très grand nom-
bre de sujets en primo-infection pour
répondre à ces questions.
La réponse CD8 spécifique a été mesurée
par ELIspot (INF-γ) chez 440 patients en
primo-infection. Il a donc fallu obtenir la
collaboration de chercheurs des Etats-
Unis, du Canada, d’Australie et d’Allemagne
afin d’obtenir un nombre suffisant d’échan-
tillons pour atteindre une puissance statis-
tique suffisante.
La réponse T CD8+spécifique durant la
primo-infection ne porte en fait que sur un
34 Mexico /numéro spécial ANRS – Transcriptases /automne 2008
Quel avenir pour les traitements
à visée immunitaire ?
Jean-Pierre Routy
Université McGill (Montréal)
Mexico /numéro spécial ANRS – Transcriptases /automne 2008 35
nombre très restreint d’épi-
topes, et ce de façon hiérar-
chique et HLA-dépendante.
La fréquence de reconnais-
sance de cette réponse hié-
rarchisée et sa persistance
en phase chronique sont
associées à un set point plus bas et à une
moindre chute des lymphocytes CD4 cir-
culants.
Les patients ayant les haplotypes HLA-
B57 et B27 obtiennent le meilleur contrôle
viral et les clones cytotoxiques persistent.
A l’inverse, les patients n’ayant pas ces
haplotypes, contrôlent moins bien leur
niveau de virémie, et les clones cytotoxi-
ques sont soit rapidement délétés par
épuisement post-activation ou sont fonc-
tionnellement bloqués par un inhibiteur
réversible (PD-1).
Les résultats de cette étude ont une impor-
tance immédiate pour le développement
de vaccins visant à induire des réponses
cytotoxiques.
Protéger la destruction des CD4
Jean-Michel Molina (Hôpital Saint-Louis,
Paris) et Yves Levy (Hôpital Henri-Mondor,
Créteil) ont voulu montrer, avec l’étude
ANRS 119 Interstart, si l’interleukine-2
pouvait retarder l’initiation des ARV3. Ils
ont réalisé une étude ouverte à allocation
aléatoire. Le premier groupe recevait de
l’IL-2 (n = 66) soit 4 cycles de 4,5 MUI s/c
deux fois par jour durant cinq jours tou-
tes les huit semaines et comparé à un
groupe contrôle (n = 64). Les patients
devaient présenter à l’inclusion des chif-
fres de CD4 compris entre 500 et 350.
Le critère de jugement principal était la
proportion de patients ayant des CD4 < 300
à la semaine 96 et à la semaine 150. Les cri-
tères secondaires étaient la proportion de
patients initiant les antirétroviraux, ou qui
développent le sida, ou qui décèdent. Les
2 groupes avaient des CD4 et une charge
virale comparables au début de l’étude.
La proportion de patients ayant des CD4
< 300 à la semaine 96 était de 35 % pour
le groupe IL-2 contre 59 % pour le groupe
contrôle (p = 0,008). La réponse de l’IL-
2 était encore meilleure si l’on ne prenait
que les sujets avec une charge virale
< 4,5 log (90 % et
44 % respective-
ment à la semaine
150). Les nombres
de CD4 ont aug-
menté de 51 dans le
groupe IL-2 et ont
chuté de 64 dans le groupe contrôle (p
= < 0,001). La charge virale, elle, n’a pas
varié dans les deux groupes, ce qui est très
rassurant (p = 0,93). L’IL-2 a permis de
retarder en moyenne de 92 semaines l’ini-
tiation des antirétroviraux. Il n’a pas été
noté de différence dans le nombre de cas
de sida ou décès dans les deux groupes et
les toxicités importantes de grade 3 ou 4
étaient similaires dans les deux groupes.
En conclusion, l’IL-2 peut retarder l’initia-
tion des antirétroviraux surtout si la charge
virale est en dessous de 4,5 log. Une telle
approche thérapeutique semble intéres-
sante pour les patients qui ne voudraient
pas prendre des antirétroviraux, toutefois
la toxicité de l’IL-2 et le risque lié à l’ab-
sence de contrôle des complications non-
infectieuses liées au VIH (cardiovasculai-
res et rénales) restent inconnues. Ce
même groupe de chercheurs travaille aussi
sur le rôle de l’interleukine-7, qui semble
être bien mieux tolérée et serait associée
à une augmentation plus importante des
cellules CD4 naïves que l’IL-2.
Variabilité du virus et immunothérapie
Pour surmonter la variabilité du virus et
pour augmenter la présentation antigéni-
que du VIH aux cellules CD8 cytotoxi-
ques, notre groupe à Montréal a réalisé
une étude utilisant le virus et les cellules
dendritiques de chaque patient4,5. Cette
étude pilote nécessite d’avoir conservé
du plasma collecté juste avant l’initiation
du premier traitement antirétroviral de
façon à pouvoir amplifier l’ARN viral. Les
cellules dendritiques sont dérivées à par-
tir des monocytes du sang du patient col-
lecté par cytaphérèse. Ces cellules sont
maturés avec des cytokines, puis transfec-
tées par quatre gènes viraux de chaque
patient et avec du CD40L qui va rendre
plus forte la liaison entre les cellules den-
dritiques et les CD8.
L’administration des ces cellules dendri-
tiques a été réalisée quatre fois à un mois
d’intervalle. Ce traitement a été très bien
toléré, sans induire de changement dans
les nombres de CD4, ni de la charge virale.
Les études d’immunogénicité ont démon-
tré par méthode de dilution de CFSE l’aug-
mentation de la réponse cytotoxique chez
huit des neuf patients.
Cette réponse encourageante et la bonne
tolérance clinique de ce traitement nous
ont permis de mettre en place une étude
multicentrique dans 11 centres au Canada.
Dans cette phase II, après immunisation,
les patients vont arrêter leur traitement
antirétroviral pour évaluer le niveau de
contrôle virologique induit par les cellules
CD8 cytotoxiques.
Les anticorps bloquants
Ces anticorps qui devraient limiter l’infec-
tion ont été surtout étudiés au laboratoire.
Aucune présentation n’a porté sur les stra-
tégies dirigées pour lever le « bouclier de
glyco-protéine » qui rend le virus toujours
invisible aux yeux du système immunitaire.
Certes, le travail reste immense avant que
nous ayons un vaccin et des thérapeuti-
ques à visée immunitaire accessibles à tous.
Pour être mises au point, ces thérapies vont
demander une exploration à un niveau non
encore envisagé du système immunitaire.
Rappelons-nous les moments difficiles du
développement des thérapeutiques antiré-
trovirales, ils doivent nous servir de guide
pour le développement de l’immunothéra-
pie basée sur la physiopathologie du VIH.
1 - Fauci A, « The future of AIDS research », WESS0101
2 - Streeck H, « Inter-epitope interference modulate
HIV-1-specific CD8+ T cell immunodominance
patterns in primary infection », MOAX0306
3 - Molina JM, « Interleukine2 (IL-2) herapy to prevent
CD4 T-cell loss and defer HAART in antiretroviral
naive HIV-1 infected patients – Interstart ANRS 119
trial », TUPDA105
4 - Routy JP, « Autologous dentritic cells immuno-
therapeutic (Arcelis) : Tolerability and immunogenicity
in HIV-1 infected subjects treated with ART », TUPDA101
5 - Yegorov O, « The co-transfection of monocyt derived
dendritic cells by different combinations of HIV antigen
RNA and molecular adjuvant RNA enhanced the
response of HIV-specific CD8+ T cells », TUPDA 102
Une collaboration encore
jamais vue entre les patients,
les mouvements associatifs,
les cliniciens et tous les
chercheurs sera nécessaire.
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