M I S E A U P O I N T Les traitements médicaux de la maladie de Dupuytren Medical treatments of Dupuytren’s disease J.L. Lermusiaux* Points f o r t s L’aponévrotomie à l’aiguille est le traitement de première intention dans la maladie de Dupuytren. Il s’agit d’un geste simple, bien toléré. Il doit être proposé dès que le test “de la table” est positif. Les résultats sont excellents, surtout dans les stades précoces. Il existe environ 50 % de récidives à 5 ans qui peuvent être retraitées. Les corticoïdes locaux sous forme d’infiltration ou de dermocorticoïdes peuvent être proposés dans les formes douloureuses nodulaires. La colchicine en traitement au long cours pourrait être intéressante dans les formes récidivantes et/ou d’évolution rapide. Mots-clés : Maladie de Dupuytren - Aponévrotomie à l’aiguille - Fasciotomie - Colchicine - Vérapamil. Keywords: Dupuytren’s disease - Needle’s aponeurotomy Needle’s fasciotomy - Colchicine - Verapamil. RAPPEL La maladie décrite en 1831 par le Baron Guillaume Dupuytren, chirurgien de l’Hôtel-Dieu de Paris, est génétique et d’origine Viking. Elle se caractérise par une rétraction fibreuse de l’aponévrose palmaire moyenne entraînant une rétraction progressive et irréductible des doigts. Cette affection fréquente dans la race blanche et chez les Japonais touche plusieurs millions de personnes en Europe et en Amérique. L’efficacité de l’aponévrotomie à l’aiguille et la diffusion française puis européenne et nord-américaine de cette technique ont permis ces dernières années un réel progrès dans la prise en charge de la maladie de Dupuytren. Mais il reste à découvrir le * Unité rhumatologique des affections de la main (URAM), centre ViggoPetersen, hôpital Lariboisière, Paris. La Lettre du Rhumatologue - n° 319 - février 2006 ou les gènes responsables pour espérer obtenir un traitement préventif de cette affection. Il faut rappeler que la maladie de Dupuytren évolue en deux phases : une phase nodulaire isolée sans rétraction des doigts qui peut être stable ou même régressive pendant des années, ce qui rend difficile l’appréciation des traitements à ce stade ; une phase de rétraction par cordes aponévrotiques avec transformation des fibroblastes en myofibroblastes. Cette dernière phase ne peut être traitée que par une destruction enzymatique, par des corticoïdes ou par l’aponévrotomie à l’aiguille. Rappelons enfin ici la cotation de Tubiana : • stade N : nodule sans flexion • stade 1 : 0 à 45°de flexion globale du doigt • stade 2 : 45 à 90° • stade 3 : 90 à 135° • stade 4 : supérieur à 135° • cotation globale = somme de la cotation de chaque doigt pour une main. TRAITEMENTS MÉDICAUX ABANDONNÉS Il s’agit de traitements soit dangereux ou faiblement efficaces comme les cytolytiques ou la radiothérapie, soit de traitements inefficaces comme l’allopurinol ou les injections locales d’interféron. TRAITEMENTS MÉDICAUX UTILISÉS SANS PREUVE Traitements physiques De nombreuses techniques de médecine physique ont été proposées. Certaines descriptions sont très détaillées et parfois même dithyrambiques quant à l’intérêt de ces traitements. Cependant, nous n’avons retrouvé aucune étude précise de leur efficacité. Les ultrasons et les ionisations ont été essayés, notamment dans les formes douloureuses, qui sont rares. Une technique d’ionophorèse (1) reposant sur l’utilisation de trypsine, d’alphachymotrypsine, de hyaluronidase et de lidocaïne, suivie de tractions énergiques et du port d’une attèle, a été décrite par des chiropracteurs du Missouri. Cette méthode est décrite comme douloureuse par ses promoteurs et aucune étude statistique ne fait suite à cette description. C’est aussi le cas des propositions des séances d’acupuncture, de mésothérapie, d’ostéopathie ou encore de magnétothérapie. 13 M I S E A U P O I N T Stade 1 Stade 2 Stade 3 Stade 4 Vitamine E Per os, elle n’a jamais prouvé son intérêt dans la prévention ou le traitement de la maladie de Dupuytren. Les traitements locaux actuellement très à la mode sur internet, à base de germe de blé (teneur élevée en vitamine E) n’ont pas fait l’objet d’une évaluation. Quoi qu’il en soit, aucune de ces techniques n’a pu redresser un doigt déjà fléchi. à raison de deux applications par jour, sans dépasser cinq jours, car ce produit atrophiant peut en utilisation prolongée provoquer une dermite suintante. TRAITEMENTS CORTICOÏDES LOCAUX Corticoïdes injectables Les injections répétées (et douloureuses) d’hydrocortisone intracordales, suivies de traction manuelle, avaient permis à N. Debeyre d’obtenir des résultats intéressants dès les années 1950 (par action atrophiante puis rupture mécanique). Les injections d’acétate de prednisolone (Hydrocortancyl®) restent indiquées dans le traitement des rares formes douloureuses nodulaires ou dans le traitement des coussinets dorsaux des phalanges (1 ml intranodulaire) (2). Clobétasol (Dermoval®) Ce dermocorticoïde puissant de classe IV est aussi indiqué dans le traitement des nodules douloureux isolés de la paume. On l’utilise 14 COLLAGÉNASE Le collagène est le constituant principal de l’aponévrose palmaire. La seule enzyme capable de dégrader les fibrilles hélicoïdales du collagène est la collagénase. Les laboratoires BioSpecific ont produit une collagénase clostridiale purifiée et exempte d’autres protéases sous le nom de Cordase™ qui dégrade les régions hélicoïdales du collagène. L’injection de 10 000 unités se fait dans la corde aponévrotique et peut être répétée après une semaine. Le patient est invité à faire des tractions pluriquotidiennes sur ses doigts et une rupture est en général obtenue après quelques jours. En 1999, une étude (3) en double aveugle contre placebo portant sur quarante-neuf patients a montré dix-huit améliorations sur les vingt-cinq patients ayant reçu l’injection de produit actif. Les effets indésirables ont été minimes (douleurs, œdème, hématome) et se sont estompés entre cinq à quatorze jours après l’injection. Les mêmes auteurs ont montré en 2002 (80 patients avec flexum moyen de 49°) une récupération complète dans 81 % des formes palmaires et dans 5 cas sur La Lettre du Rhumatologue - n° 319 - février 2006 M 7 des formes digitales traitées avec des injections de 10 000 unités contre 0 % du groupe placebo. Malheureusement, l’usage de cette technique brevetée est interdit aux autres équipes. D’après les résultats des études et les témoignages des patients traités par la collagénase, il semble que ce traitement corresponde à une simple fasciotomie enzymatique par aponévrolyse. Or, en 1992, McCarthy (4) avait montré l’importance des récidives dans les fasciotomies enzymatiques : 78 % des patients traités et initialement satisfaits avaient récidivé en trois ans. APONÉVROTOMIE À L’AIGUILLE L’aponévrotomie à l’aiguille (5), rendue possible par les progrès technologiques des aiguilles à usage unique, est utilisée depuis plus de 30 ans. C’est un traitement ambulatoire, dont le principe consiste à réaliser une ou plusieurs sections percutanées des cordes aponévrotiques, à l’aide du biseau de l’aiguille utilisée pour l’injection de l’anesthésique local. On injecte sous pression 1 à 3 cc de Xylocaine® à 2 % dans et à côté de la corde après désinfection soigneuse de Aponévrotomie à l’aiguille. Stade 3. Palmodigital avant et après une séance d’aponévrotomie. La Lettre du Rhumatologue - n° 319 - février 2006 I S E A U P O I N T la peau à l’alcool iodé à 1 %. La section est obtenue par des mouvements de va-et-vient en étoile de l’aiguille transversalement à la paume. La rupture est complétée par une extension énergique du doigt traité. Un pansement sec tenu par une bande d’Elastoplaste® doit être gardé 48 heures. Les séances comportent une à quatre aponévrotomies et peuvent être répétées à sept jours d’intervalle. L’ordre topographique est toujours le même, de palmaire proximal à distal et au doigt en regard de P1, voire de P2. Une à deux séances sont suffisantes pour traiter les stades 1 et 2. Le port d’une orthèse thermoplastique de contention passive nocturne est parfois nécessaire dans les formes avec rétraction capsulaire des IPP. Il n’y a pas d’arrêt de travail, sauf pour les travailleurs manuels (2 jours). Les accidents du traitement sont heureusement rares : rupture tendineuse (1 pour 1 000) ; section du nerf collatéral (1 pour 1 000) ; phlegmon des gaines (exceptionnel). Les incidents sont moins rares, mais inférieurs à 1 % : fissures et ruptures cutanées, hypoesthésie transitoire, infections superficielles et hématomes. Il faut rappeler la fréquence des accidents chirurgicaux : algodystrophie 2 %, nécrose, infections, cicatrices vicieuses, sections nerveuses. Les résultats immédiats et à 5 ans sont comparables aux résultats chirurgicaux (6). Les résultats immédiats sont excellents pour les stades 1 et 2 (92 % et 89 %), bons pour les stades 3 (83 %) et moyens pour les stades 4 (48 %), et il n’y a aucun échec ni aggravation, contrairement aux séries chirurgicales. À 5 ans, les résultats sont encore bons pour les stades 1, 2 et 3 (92 %, 74 % et 57 %) et ils sont de 38 % dans les stades 4. Les récidives sont de 50 % à 5 ans dans toutes les séries mais la bénignité, le caractère ambulatoire et le faible coût de cette méthode permettent de retraiter les patients en cas de récidive. Seuls les stades 4 ont des résultats insuffisants, ce qui doit inciter à faire traiter les patients à un stade précoce. L’aponévrotomie à l’aiguille doit être proposée d’emblée pour les stades 1, 2 et 3. Les améliorations techniques permettent également de traiter les formes digitales (7). Les récidives postchirurgicales (8) sont également traitables par l’aponévrotomie, à l’exception des cicatrices vicieuses ou des rétractions capsulaires des IPP. Cette méthode médicale est cependant d’apprentissage délicat et ne doit être pratiquée que par des praticiens entraînés. “Le test de la table” consiste à demander au patient de poser sa main à plat sur le plan de la table. Dès que l’extension au-dessus de ce plan n’est plus possible, ce test est positif et le traitement par l’aponévrotomie à l’aiguille est alors indiqué. Forme digitale du 5e rayon avant et après aponévrotomie. 15 M I S E A U P O I N T Test de la table – Surveillance + Dermoval® Aponévrotomie Échec Récidives Aponévrectomie Greffe de peau Le test “de la table”. Arbre décisionnel. TRAITEMENTS ANTIFIBROSANTS (rares) cas de résultat insuffisant ou dans les cas multirécidivants, le patient pourra bénéficier d’un traitement chirurgical (aponévrectomie, greffes de peau, Mac Cash, etc.). Vérapamil Le vérapamil (Isoptine®) est un inhibiteur calcique cardiosélectif. Son utilisation dans le traitement de la maladie de Dupuytren et dans la maladie de La Peyronie se fonde sur la capacité des inhibiteurs calciques à inhiber in vitro et in vivo la synthèse de la matrice extracellulaire. Celle-ci comprend le collagène mais aussi les glycoamynoglycanes et la fibronectine. Rayan et al. ont démontré in vitro que le vérapamil avait une action inhibitrice sur la rétraction fibromateuse. Une pommade au vérapamil est disponible aux ÉtatsUnis et doit être appliquée deux fois par jour pendant plusieurs mois dès le stade nodulaire. À ce jour, aucune étude sérieuse n’a démontré une efficacité dans la maladie de Dupuytren. En revanche, la forme injectable a prouvé son efficacité dans la maladie de La Peyronie (9). Colchicine La colchicine est le médicament traditionnel de la goutte. Son excellente tolérance et son innocuité sur le long cours, à faible dose, sont bien connues. Ce médicament est aussi utilisé classiquement dans certaines maladies systémiques inflammatoires et fibrosantes telles que la sclérodermie, la fibrose pulmonaire idiopathique et la mucoviscidose. Elle réduit la production des fibres de collagène par les myofibroblastes et inhibe in vitro la multiplication des fibroblastes. Des travaux récents (10) montrent une efficacité certaine dans la maladie de La Peyronie avec réduction des plaques fibreuses dans 50 % des cas à la dose de 1 mg par jour pendant trois à cinq mois. Dans notre expérience, nous avons observé un arrêt de l’évolution de formes récidivantes de Dupuytren dans 50 % des cas. Une étude en double insu contre placebo sur deux ans est en cours de réalisation à l’hôpital Lariboisière. CONCLUSION L’aponévrotomie à l’aiguille reste le traitement médical le plus efficace et permet une prise en charge ambulatoire avec des risques minimes de la plupart des maladies de Dupuytren. Les nouvelles recherches sur les médicaments antifibrosants semblent prometteuses pour résoudre le problème des formes récidivantes. Bibliographie 1. Davis RV. Therapeutic modalities for the clinical health sciences. 1st ed. copyright Library of Congress, TXU, 1983;389-661. 2. Lermusiaux JL, Badois F, Lellouche H. Le traitement des maladies associées à la maladie de Dupuytren. In : La main rhumatologique. Med-Line éditions 2002; 157-65. 3. Badalamente MA, Hurst LC. Enzyme injection as non-surgical treatment of Dupuytren’s disease. Hand Surg 2000;25:629-32. 4. McCarthy DM. The long-term results of enzymic fasciotomy. J Hand Surg 1992;17:356 p. 5. Lermusiaux JL, Lellouche H, Badois F, Kuntz D. Le traitement de la maladie de Dupuytren en 1997. Rev Rhum 1997;64:889-91. 6. Badois F, Lermusiaux J L, Masse C, Kuntz D. Traitement non chirurgical de la maladie de Dupuytren par aponévrotomie à l’aiguille. Rev Rhum 1993;60:808-13. 7. Lermusiaux JL, Badois F, Lellouche H. Traitement des formes digitales pures de la maladie de Dupuytren par l’aponévrotomie à l’aiguille. In La main rhumatologique. Med-Line éditions 2002;63-7. 8. Lellouche H, Badois F, Teyssedou JP, Lermusiaux JL. Le traitement médical de ARBRE DÉCISIONNEL Il faut traiter par l’aponévrotomie à l’aiguille dès que le test de la table est positif. Il paraît licite de proposer de la colchicine (hors AMM) pour les formes d’évolution rapide (diabète, sujets jeunes, etc.). Dans les 16 la maladie de Dupuytren. Quoi de neuf en 2002 ? In : La main rhumatologique. Med-Line éditions 2002;419-33. 9. Kadioglu A, Tefekli A, Koksal T et al. Treatment of Peyronie’s disease with oral colchicine: long term results and predictive parameters of successful outcome. Int J Impot Res 2000;12:169-75. 10. Rehman J, Benet A, Melman A. Use of intralesional verapamil to dissolve Peyronie’s disease plaque: a long term single blind study. Urology 1998;51:620-69. La Lettre du Rhumatologue - n° 319 - février 2006