Le traitement médical de la maladie de Dupuytren T

La Lettre du Rhumatologue - n° 239 - février 1998
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TECHNIQUE
ucun traitement médical médicamenteux ou phy-
sique n’a pu redresser un doigt atteint de la mala-
die de Dupuytren. L’aponévrotomie à l’aiguille est
donc le seul traitement alternatif à la chirurgie. Cette technique,
expérimentée dès 1972 et proposée au rhumatologue dès 1979
(1), a fait l’objet depuis sa plus grande diffusion de polémiques
médico-chirurgicales passionnées. Il nous faut donc répondre à
trois questions fondamentales : l’aponévrotomie à l’aiguille est-
elle efficace ? Les résultats sont-ils reproductibles ? Est-ce une
méthode dangereuse ?
Cette technique a été souvent détournée de son cadre rhumato-
logique vers un cadre chirurgical : interventions en salle d’opé-
ration, sous garrot, sous anesthésie loco-régionale, avec port sys-
tématique d’attelles d’extension active, avec rééducation, et
même associées à une aponévrectomie.
RAPPEL TECHNIQUE
C’est une technique ambulatoire pratiquée au cabinet du prati-
cien (2, 3). Le principe consiste à réaliser une ou plusieurs sec-
tions percutanées des cordes aponévrotiques à l’aide du biseau
de l’aiguille 16 5/10, utilisée pour l’injection de l’anesthésique
local. Après désinfection soigneuse de la peau à l’alcool iodé à
1 %, on injecte dans et autour de la corde 1 à 2 cc d’un mélange
de 4 cc de Xylocaïne®à 2 % et de 1 cc d’Hydrocortancyl®. La
présence du corticoïde n’est pas obligatoire mais évite des réac-
tions douloureuses semi-tardives. La section est ensuite obtenue
par des mouvements de va-et-vient en étoile du biseau de l’ai-
guille transversalement à la paume. Le doigt est maintenu en
légère traction. La consistance des fibres est très particulière, ce
qui permet, avec l’expérience de cette sensation tactile, d’avoir
la certitude de garder l’aiguille dans la bride. La rupture de la
corde est complétée par une extension énergique du doigt, qui
entraîne souvent un craquement caractéristique. Un pansement
sec, tenu par une contention élastique (Élastoplaste), doit être
gardé au moins quarante-huit heures. La reprise d’un travail non
salissant est possible immédiatement. Quatre-vingt-dix pour cent
des patients sont traités en moins de trois séances comportant une
à trois aponévrotomies. L’ordre topographique des sections est
toujours le même, de palmaire proximal à palmaire distal et au
doigt en regard de la première phalange, parfois de la deuxième
et exceptionnellement de la troisième. Le port d’une orthèse noc-
turne d’extension passive est nécessaire quand il existe une rétrac-
tion capsulaire et cutanée.
Le traitement médical de la maladie de Dupuytren
par l’aponévrotomie à l’aiguille
Dr J.L. Lermusiaux
L’aponévrotomie à l’aiguille est le seul traitement médi-
cal de la maladie de Dupuytren alternatif à la chirurgie.
C’est une méthode ambulatoire efficace et reproduc-
tible.
Son efficacité est d’autant meilleure que le traitement est
précoce, avant la survenue de rétractions articulaires, en
particulier des interphalangiennes proximales.
Elle doit être utilisée en première intention, avant tout
acte chirurgical, puisqu’elle est aussi efficace et beaucoup
moins iatrogène que la chirurgie et d’un coût économique
et social minime.
POINTS FORTS
POINTS FORTS
* Président de l’Association pour l’étude et le traitement non chirurgical
de la maladie de Dupuytren, service du Pr Kuntz, Centre Viggo-Petersen,
Hôpital Lariboisière, 75010 Paris.
A
Avant traitement.
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LAPONÉVROTOMIE À LAIGUILLE EST-ELLE EFFICACE ?
Comme nous l’avons montré dans un travail précédent (4), les
résultats immédiats sont comparables à ceux de la chirurgie et
sont d’autant meilleurs que le stade est moins évolué (81,3 % de
bons et excellents résultats tous stades confondus). Le taux de
récidive à 5 ans (50 %) est élevé, mais comparable aux séries chi-
rurgicales, et la reprise du traitement est toujours possible grâce
au peu d’agressivité de la méthode.
Nous avons montré dans un autre travail (5) qu’il était possible
de reprendre les récidives post-chirurgicales par l’aponévrotomie
à l’aiguille, mais pas les cicatrices rétractiles ni les séquelles d’al-
godystrophie.
LES RÉSULTATS SONT-ILS REPRODUCTIBLES ?
L’association pour l’étude et le traitement non chirurgical de la
maladie de Dupuytren a entrepris, en 1995, une étude coopéra-
tive prospective avec 13 rhumatologues et un chirurgien ayant
appris la technique à l’hôpital Lariboisière. Afin de vérifier la
reproductibilité de la méthode, aucun membre de l’équipe des
promoteurs n’a été inclus dans la liste des praticiens. Cette série
comprend 799 patients, soit 952 mains traitées en 1 557 séances,
soit 3 736 aponévrotomies (6). Les bons et excellents résultats
(pourcentages d’amélioration respectifs supérieurs à 70 et 90 %)
sont respectivement de 92,6 %, 77,7 %, 71,2 % et 56,6 % pour
les quatre stades de Tubiana (stade 1 = flexion du doigt inférieure
à 45°, stade 2 = flexion inférieure à 90°, stade 3 = flexion infé-
rieure à 135°, stade 4 = flexion supérieure à 135°). Une étude pra-
tiquée par des chirurgiens de la main (7, 8) utilisant l’aponévro-
tomie à l’aiguille dans les conditions médicales définies plus haut,
avec en plus une orthèse dynamique d’extension, a montré des
résultats similaires dans les formes palmaires et digitales.
LAPONÉVROTOMIE À LAIGUILLE EST-ELLE DANGEREUSE ?
Les accidents sont heureusement rares. La rupture du ou des ten-
don(s) fléchisseur(s) est semi-tardive ou tardive, de quelques jours
à quelques semaines après l’aponévrotomie à l’aiguille, le plus
souvent à l’occasion d’un effort. Elle impose la réparation chi-
rurgicale rapide pour éviter les rétractions tendineuses. Il faut,
pour prévenir cet accident, une technique parfaite et la vérifica-
tion systématique, par les mouvements de flexion-extension du
doigt, que l’aiguille n’est pas au contact du tendon. Il faut égale-
ment conseiller au patient de ne pas faire d’efforts violents avant
un mois. Depuis 1972, dans notre série personnelle, 5 ruptures
ont été recensées sur plus de 50 000 aponévrotomies. Cette
faible incidence est confirmée dans l’enquête coopérative : 2 pour
3 736 aponévrotomies. En revanche, cet accident semble plus fré-
quent (9) du fait de praticiens non entraînés.
La section du nerf collatéral est un accident définitif qui survient
toujours après des aponévrotomies digitales. Cette complication
est aussi rare que la rupture tendineuse. Il faut éviter l’aponé-
vrotomie digitale après l’anesthésie induite par plusieurs aponé-
vrotomies palmaires. Au début de l’anesthésie, un mouvement
doux de l’aiguille recherche une sensation de décharge électrique
qui signerait la piqûre du nerf collatéral dont le trajet peut être
aberrant, repoussé par les cordes aponévrotiques.
Dans notre expérience, nous n’avons pas observé d’algodystro-
phie globale de la main, mais deux algodystrophies focales d’un
doigt ont été observées avec une évolution bénigne. Rappelons
ici la fréquence des accidents chirurgicaux (10) section nerveuse
5,2 %, nécrose profonde 2,1 %, section artérielle 1,8 % et algo-
dystrophie 1,8 %.
Les incidents sont plus fréquents mais bénins ; dans l’enquête
coopérative citée plus haut avec trois mois de recul, on a observé,
par ordre de fréquence décroissante et pour cent aponévrotomies :
fissures et déchirures cutanées 2 %, dysesthésies transitoires
0,8 %, et plus rarement douleurs post-aponévrotomie, infections
d’évolution bénigne, malaises vagaux, réactions inflammatoires
non microbiennes et hématomes bénins.
CONCLUSION
Il existe à présent un consensus médico-chirurgical pour traiter
en première intention les formes palmaires de maladie de Dupuy-
tren par l’aponévrotomie à l’aiguille. Depuis 1972, nous traitons
également les formes digitales ; cette attitude est adoptée main-
tenant par certains chirurgiens (8) mais combattue par d’autres
chirurgiens de la main (9). Il existe également un consensus
médico-chirurgical pour réserver l’aponévrotomie à l’aiguille à
des praticiens expérimentés, bien formés et connaissant l’anato-
mie de la main.
Avant traitement.
Après traitement.
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TECHNIQUE
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. Lermusiaux J.L., Debeyre N. Le traitement médical de la maladie de
Dupuytren. In : de Sèze S., Ryckewaert A., Kahn M.F., Guérin C. L’actualité rhu-
matologique 1979 présentée aux praticiens : 338-343. Expansion Scientifique
Française Paris 1980.
2. Lermusiaux J.L. Comment je traite la maladie de Dupuytren. Rev Prat (méd.
générale), 1996 ; 924 : 10.
3. Lermusiaux J.L. Pathologie abarticulaire de la main et du poignet. In : Bardin
T., Kuntz D. Thérapeutique rhumatologique, Flammarion ed, Paris 1995 ; 1 :
763-9.
4. Badois F.J., Lermusiaux J.L., Masse C., Kuntz D. Traitement non chirurgical
de la maladie de Dupuytren par aponévrotomie à l’aiguille. Rev Rhum 1993 ; 60 :
808-13.
5. Lermusiaux J.L., Badois F.J., Lellouche H., Masse C.Le traitement médical de
la maladie de Dupuytren 17 ans après. In : de Sèze S., Ryckewaert A., Kahn M.F.,
Kuntz D., Dryll A., Meyer O., Bardin T., Guérin C. L’actualité rhumatologique
1996 : 311-16. Expansion Scientifique Française Paris 1996.
6. Badois F.J., Bardin T., Lellouche H., Lermusiaux J.L. Le traitement médical de
la maladie de Dupuytren In : Simon L., Revel M., Rodineau J. Main et médecine
orthopédique, Masson ed., Paris 1997 ; 1 : 142-8.
7. Bleton R. Place de l’aponévrotomie percutanée à l’aiguille dans le traitement
de la maladie de Dupuytren. Entretiens de Bichat Orthopédie, 1995.
8. Bleton R., Marcireau D., Alnot J.Y., Levame J.H. Traitement de la maladie de
Dupuytren par fasciotomie à l’aiguille. In : Simon L., Revel M.,Rodineau J. Main
et médecine orthopédique, Masson ed., Paris 1997 ; 1 : 148-52.
9. Leclercq C. Complications du traitement médical de la maladie de Dupuytren.
In : Simon L., Revel M., Rodineau J. Main et médecine orthopédique, Masson ed.,
Paris 1997 ; 1 : 152-8.
10. Hoet F., Boxho J., Decsoter E., Evrard H., Guillaume C., Jacquemin D., Van
Innis F. Maladie de Dupuytren. Revue de 326 patients opérés. Ann Chir Main
1988 ; 7 : 251-5.
Si “le test de la table” est négatif (stade nodulaire sans perte
de l’extension recherchée la main paume sur la table), il
ne faut traiter que les rares nodules douloureux ou pruri-
gineux, par application de Dermoval®ou par infiltration
d’Hydrocortancyl®. Il faut traiter par l’aponévrotomie à
l’aiguille dès que le test de la table devient positif, en
sachant que le résultat est d’autant meilleur que le stade
est peu important.
Dans les stades 3 et 4 avec flexion de l’interphalangienne
proximale, il faudra éventuellement compléter l’aponé-
vrotomie par une orthèse d’extension passive. Si le résul-
tat est jugé insuffisant par le patient et non pas par le pra-
ticien, la chirurgie peut être proposée. Malheureusement,
les mauvais cas médicaux correspondent aux mauvais cas
chirurgicaux.
En cas de récidive, on propose à nouveau l’aponévrotomie
à l’aiguille. Si les récidives sont trop fréquentes, la chi-
rurgie peut être envisagée, en sachant que seules les greffes
cutanées diminuent le taux de récidive.
Rappelons, en cette période de récession économique, le
faible coût de cette méthode ambulatoire qui n’entraîne ni
arrêt d’activité, ni rééducation, ni soins infirmiers. Un trai-
tement préventif des récidives reste à découvrir.
L’ARBRE DÉCISIONNELACTUEL
FMC
Question 1
Devant un patient atteint de maladie de Dupuytren asymp-
tomatique avec test de la table négatif (une bonne réponse) :
a. je prescris une crème corticoïde
b. je prescris de la physiothérapie
c. je fais une infiltration de corticoïde dans le nodule
d. je conseille une intervention chirurgicale précoce
e. j’enseigne au patient le test de la table et je lui demande de
revenir lorsque ce test sera positif
Question 2
Devant un patient atteint de maladie de Dupuytren avec
flexion globale du doigt à 30° sans aucune gêne (une bonne
réponse) :
a. je confie le patient au chirurgien
b. je lui propose une aponévrotomie à l’aiguille
c. je lui conseille d’attendre d’être gêné pour se traiter
Question 3
Un patient atteint de la maladie de Dupuytren palmo-digi-
tale a été traité par aponévrotomie à l’aiguille avec amélio-
ration de 70 % (flexion globale passée de 100 à 30°) (une
bonne réponse) :
a. je propose immédiatement un acte chirurgical complémentaire
b. je propose des soins de rééducation complémentaires
c. je propose le port d’une prothèse passive d’extension
d. je propose le port d’une orthèse dynamique d’extension
Question 4
Un patient atteint de maladie de Dupuytren n’a été amélio-
ré que de 50 % par l’aponévrotomie à l’aiguille malgré le
port d’une orthèse (flexion passée de 120 à 60°) (une bonne
réponse) :
a. je conseille un acte chirurgical complémentaire
b. je prescris de la vitamine E pour compléter le traitement
c. avant toute décision, je fais le bilan avec le patient de la gêne
restante
Question 5
Un patient atteint de maladie de Dupuytren récidivante a
déjà eu 18 aponévrotomies à l’aiguille en 10 ans (deux
bonnes réponses) :
a. il est de plus en plus dangereux de continuer les aponévrotomies
b
.on peut proposer l’aponévrotomie élargie
c. on peut continuer les aponévrotomies à l’aiguille
d. on peut proposer l’aponévrotomie avec greffe cutanée
Réponses p. 38
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