Diabète, inhibiteurs de la DPP-4 et risque d`insuffisance cardiaque

publicité
ÉDITORIAL
Diabète, inhibiteurs de la DPP-4
et risque d’insuffisance cardiaque :
quelles conclusions après TECOS ?
Diabetes mellitus, DPP4 inhibitors and heart failure:
which lessons from TECOS?
“
L
es inhibiteurs de la dipeptidyl peptidase-4 (DPP-4), introduits dans
le traitement du diabète il y a environ 10 ans, agissent sur la voie
des incrétines et améliorent l’équilibre glycémique chez les patients
atteints de diabète de type 2, principalement en diminuant les niveaux
de glucagon et en augmentant la sécrétion endogène d’insuline (1).
M. Komajda*
* Département de cardiologie,
hôpital de la Pitié-Salpêtrière ;
IHU de cardiologie-métabolisme
et nutrition − ICAN ; université
Pierre-et-Marie-Curie, Paris.
1. Scheen AJ. Cardiovascular
effects of gliptins. Nat Rev
Cardiol 2013;10(2):73-84.
2. Department of Health
and Human Services, Food
and Drug Administration,
Center for Drug Evaluation
and Research. Guidance for
industry: Diabetes mellitus –
Evaluating cardiovascular risk
in new antidiabetic therapies
to treat type 2 diabetes,
december 2008 (http://
www.fda.gov/ucm/groups/
fdagov-public/@fdagovdrugs-gen/documents/document/ucm071627.pdf).
3. European Medicines Agency,
Committee for Medicinal
Products for Human Use.
Guideline on clinical investigation of medicinal products
in the treatment or prevention
of diabetes mellitus. Mai 2012
(http://www.ema.europa.eu/
docs/en_GB/document_library/
Scientific_guideline/2012/06/
WC500129256.pdf ).
En 2008, la Food and Drug Administration (FDA) aux États-Unis
et l’European Medicines Agency (EMA) ont simultanément publié
des règles concernant la mise sur le marché des nouveaux médicaments
antidiabétiques et leur sécurité cardiovasculaire (2, 3).
Ces recommandations résultaient des débats qui avaient entouré le risque
cardiovasculaire de la rosiglitazone. C’est dans ce cadre qu’ont été
entreprises de grandes études de sécurité d’emploi, ciblées sur des critères
de jugement cardiovasculaires avec les inhibiteurs de la DPP-4.
En 2013 ont été simultanément présentées à la Société européenne
de cardiologie et publiées dans le New England Journal of Medicine
l’étude SAVOR-TIMI 53 avec la saxagliptine et l’étude EXAMINE
avec l’alogliptine (4, 5). SAVOR-TIMI 53 a inclus 16 492 patients
atteints de diabète de type 2, dont la majorité avait une maladie
cardiovasculaire documentée. Une minorité de patients présentait
de multiples facteurs de risque cardiovasculaires. Cette étude a permis
de démontrer la sécurité d’emploi sur le critère de jugement principal,
constitué d’un composite incluant mortalité cardiovasculaire, infarctus
du myocarde ou accident vasculaire cérébral. Cependant, et de manière
inattendue, un surrisque de 27 % de survenue du premier événement
d'hospitalisation pour insuffisance cardiaque a été retrouvé.
L’étude EXAMINE a pour sa part inclus 5 380 patients diabétiques
de type II ayant présenté un infarctus du myocarde ou un angor
instable, 15 à 90 jours avant l’instauration de l’alogliptine ou du placebo.
Dans cette étude, le critère composite principal, également constitué de
mortalité cardiovasculaire, infarctus du myocarde ou accident vasculaire
cérébral, est survenu de manière équivalente dans les 2 groupes (hazardratio : 0,87), et une augmentation non significative du nombre total
d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque (19 %) a été retrouvée.
À la suite de ces observations, une analyse détaillée des événements
“insuffisance cardiaque” a été effectuée dans les 2 études. L’analyse
de SAVOR montre que le risque d’insuffisance cardiaque est surtout
présent dans l’année qui suit la randomisation (6).
Par ailleurs, parmi les facteurs prédictifs de survenue d’une
hospitalisation pour cette pathologie ont été retrouvés un antécédent
avéré d’insuffisance cardiaque, une atteinte de la fonction rénale, l’âge
ou l’augmentation du N-terminal-proBNP. Dans l’étude EXAMINE,
4 | La Lettre du Cardiologue • n 487 - septembre 2015
o
0004_LAR 4
16/09/2015 16:16:07
ÉDITORIAL
l’augmentation du risque dans le groupe alogliptine n’est que de 7 %
si l’on considère les hospitalisations pour insuffisance cardiaque comme
premier événement, et la fréquence de survenue du composite constitué
de mortalité cardiovasculaire ou d’hospitalisation pour insuffisance
cardiaque (critère a posteriori) est exactement identique dans le groupe
alogliptine et dans le groupe placebo (7).
Quoi qu’il en soit, ces observations ont jeté le trouble sur la sécurité
d’emploi des inhibiteurs de la DPP-4 au regard de la survenue
d’une insuffisance cardiaque, d’autant qu’aucune explication biologique
plausible n’a été retrouvée à ce jour. En effet, un des substrats
cardio-actifs de la DPP-4 est le BNP (brain natriuretic peptide)
qui est dégradé par cette enzyme. Le blocage de cette dernière devrait
augmenter la concentration de BNP et avoir, en conséquence, un effet
bénéfique au travers de l’action rénale et vasodilatatrice de ce peptide.
Parmi les autres substrats, on trouve le neuropeptide Y, qui entraîne
une vasodilatation coronaire et a un effet angiogénique, et le stromal
cell-derived factor 1 alpha, qui intervient dans la cicatrisation
des vaisseaux et du myocarde. On ignore si le blocage de la dégradation
de ces 2 substrats ou d’autres facteurs peuvent avoir un effet
cardiovasculaire néfaste.
4. Scirica BM, Bhatt DL,
Braunwald E et al. ; SAVORTIMI 53 Steering Committee
and Investigation. Saxagliptin
and cardiovascular outcomes
in patients with type 2 diabetes
mellitus. N Engl J Med
2013;369(14):1317-26.
5. White WB, Cannon XP,
Heller SR et al. ; EXAMINE
Investigators. Alogliptin
after acute coronary
syndrome in patients with
type 2 diabetes. N Engl J Med
2013;369(14):1327-35.
6. Scirica BM, Braunwald E,
Raz I et al. ; SAVOR-TIMI 53
Steering Committee and
Investigators. Heart failure,
saxagliptin, and diabetes
mellitus: observations
from the SAVOR-TIMI 53
randomized trial. Circulation
2014;130(18):1579-88.
7. Zannad F, Cannon CP,
Cushman WC et al. ; EXAMINE
Investigators. Heart failure
and mortality outcomes in
patients with type 2 diabetes
taking alogliptin versus placebo
in EXAMINE: a multicentre,
randomised, double-blind trial.
Lancet 2015;385(9982):
2067-76.
8. Green JB, Bethel MA,
Armstrong PW et al. ; TECOS
Study Group. Effect of
sitagliptin on cardiovascular
outcomes in type 2 diabetes.
N Engl J Med
2015;373(3):232-42.
Dans ce contexte, la publication de l’étude TECOS, conduite
avec la sitagliptine sur un groupe de 14 671 patients ayant une maladie
cardiovasculaire avérée, était donc attendue avec beaucoup d’intérêt (8).
Cette étude a montré que le taux d’hospitalisations pour insuffisance
cardiaque est exactement identique dans les 2 groupes (sitagliptine
et placebo), avec un hazard-ratio à 1, alors même que la proportion
de patients avec antécédent d’insuffisance cardiaque est plus élevée
dans TECOS (18 %) que dans SAVOR (13 %). De plus, le composite
d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque ou mortalité
cardiovasculaire est également survenu de manière identique,
avec un hazard-ratio de 1,02. Enfin, le taux de survenue
des hospitalisations pour insuffisance cardiaque en fonction
d’un antécédent ou non de cette pathologie n’est pas statistiquement
différent. L’étude TECOS apporte donc 2 messages principaux :
➤ la sitagliptine a une bonne sécurité d’emploi cardiovasculaire,
puisque le critère principal composite, incluant mortalité cardiovasculaire,
infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral ou hospitalisation
pour angor instable, est survenu de façon identique dans le bras
sitagliptine et dans le bras placebo, avec un hazard-ratio de 0,98 ;
➤ l’emploi de la sitagliptine dans une population de diabétiques de type II,
et en prévention secondaire, n’augmente pas le risque d’insuffisance
cardiaque. Ce résultat lève donc l’hypothèque d’un effet “classe”
des inhibiteurs de la DPP-4 sur la survenue d’une insuffisance cardiaque.
La question est maintenant de savoir pourquoi les résultats
de TECOS diffèrent de ceux de SAVOR-TIMI 53.
Même s’il existe quelques différences entre les populations incluses,
concernant notamment l’ancienneté du diabète ou le niveau
de l’hémoglobine A1c, SAVOR-TIMI 53 et TECOS portent en définitive
sur des diabétiques en prévention secondaire, vu la très haute prévalence
La Lettre du Cardiologue • no 487 - septembre 2015 |
0005_LAR 5
5
16/09/2015 16:16:07
ÉDITORIAL
des maladies cardiovasculaires à l’état basal dans ces 2 études.
D’ailleurs, le taux annualisé de survenue de mortalité cardiovasculaire,
décès ou infarctus du myocarde dans les 2 bras placebo est relativement
voisin. Il est donc peu probable que des différences significatives
entre les profils des patients inclus dans ces 2 études soient en jeu.
Il en est de même pour les traitements prescrits à l’état basal, et le taux
de prescription des médicaments recommandés en prévention
secondaire était élevé dans les 2 essais.
L’adjudication des événements relatifs à l’insuffisance cardiaque
a été faite de façon quasi identique dans les 2 études, et ne joue
donc probablement pas un rôle dans ces résultats divergents.
Restent 2 hypothèses : une variation d’effet due aux molécules
elles-mêmes, avec des différences d’affinité pour la DPP-4,
ou un effet “off target”.
À ce jour, si l’existence de variations d’affinité des différentes
gliptines pour DPP-4 est démontrée, il n’y a pas de données disponibles
sur un éventuel effet différentiel des divers inhibiteurs de DDP-4
sur les substrats cardio-actifs dégradés par cette enzyme. Il convient
néanmoins de citer une étude avec la vildagliptine, un autre inhibiteur
de la DPP-4, l’étude VIVIDD (non publiée), conduite chez des patients
ayant une dysfonction ventriculaire gauche, et qui suggère que, 1 an
après la randomisation, les patients traités par cet inhibiteur de la DPP-4
ont un remodelage inverse, avec une dilatation ventriculaire gauche.
Afin d’explorer plus avant l’hypothèse selon laquelle les inhibiteurs
de la DPP-4 ne sont pas tous identiques vis-à-vis du risque d’insuffisance
cardiaque, il convient donc de retourner vers les études expérimentales
et de tenter d’identifier les mécanismes de cet hypothétique effet
différentiel.
Reste enfin l’hypothèse, qui ne peut être écartée, d’un effet de hasard
statistique, comme cela a pu s’observer dans les études incluant des effectifs
aussi importants.
L’auteur déclare avoir des liens
d’intérêts avec Amgen,
AstraZeneca, BMS, Menarini,
MSD, Novartis, Sanofi, Servier.
Quoi qu’il en soit, les conclusions pratiques à tirer à la suite
de la publication de TECOS sont qu’il n’existe pas d’effet “classe”
des inhibiteurs de la DPP-4 sur la survenue d’une insuffisance cardiaque
chez le diabétique de type 2. L’utilisation de la sitagliptine dans
le traitement du diabète de type 2 s’accompagne d’une bonne sécurité
d’emploi cardiovasculaire, y compris en termes d’insuffisance cardiaque.
Compte tenu des doutes qui avaient surgi après la publication
de SAVOR et d’EXAMINE, les réponses apportées par TECOS
ont donc des implications pratiques importantes.
”
Envolons-nous
vers une très belle rentrée ensemble
Claudie Damour-Terrasson et toute l’équipe Edimark
0006_LAR 6
16/09/2015 16:16:08
Téléchargement