Modélisation de la dépendance par la théorie des copules : une

18 ème Congrès Français de Mécanique Grenoble, 27-31 août 2007
Modélisation de la dépendance par la théorie des copules :
une généralisation de la transformation de Nataf.
Anne Dutfoy & Régis Lebrun
EDF R&D EADS Innovation Works
MRI IW-SE-AM
1, avenue du Général De Gaulle 12, rue Pasteur BP76
92140 CLAMART Cedex 92152 SURESNES Cedex
Résumé :
Dans l’étude de la fiabilité d’un système, il est fréquent que les paramètres aléatoires du modèle de fiabilité
soient dépendantes. L’évaluation de la probabilité de défaillance du système nécessite alors de connaître la loi
jointe de ces paramètres, qui est souvent supposée inaccessible. La dépendance est alors décrite par une matrice
de corrélation (linéaire ou des rangs), et une procédure algorithmique fournit ensuite une estimation de cette
probabilité. Dans le cas de la méthode analytique FORM (First Order Reliability Method), cette procédure prend
le nom de transformation de Nataf, (Nataf (1962) et Liu et al. (1986)). Après une rapide présentation de la théorie
des copules, nous analysons la transformation de Nataf à la lumière de cette théorie, puis proposons une extension
de cette transformation aux copules elliptiques. L’intérêt majeur de cette analyse est de montrer les conséquences
de l’utilisation de la transformation de Nataf en terme de modélisation probabiliste.
Abstract :
When we study the reliability of a system, it is common to be faced of dependent stochastic parameters. Thus,
to compute a probability of failure, we must proceed with the full joint distribution, which is oftenly said to be
unavailable. The dependence is then described through a (rank or linear) correlation matrix, and an algorithmic
procedure leads to an evaluation of this probability. In the case of the First Order Reliability Method (FORM),
this procedure is called the Nataf transform. After a short presentation of copulas theory, we analyse the Nataf
transform in the light of this theory, then we propose an extention of this transformation to any elliptical copula.
The key point of this analysis is to show the consequences of the use of the Nataf transform in term of probabilistic
modelling.
Mots-clefs :
FORM, copule, transformation de Nataf
1 Introduction
L’évaluation de la probabilité de défaillance d’un système dont la performance est décrite
par un modèle numérique fse ramène à l’évaluation d’une intégrale multidimensionnelle :
Pdef =ZD
pX(x)dx(1)
XRnest le vecteur aléatoire (supposé continu) décrivant les paramètres incertains du sys-
tème, de densité pX, et Dest le domaine de défaillance du système : D={xRn|:f(x)0}.
Dans le cas où pXest inconnue, on suppose connaître les lois marginales (pXi)i=1,...,n de X,
ainsi que la matrice de corrélation (linéaire par exemple) Rde X.
La méthode FORM (cf. Madsen et al. (1986)) permet d’évaluer une approximation de Pdef
à l’aide d’un nombre limité d’évaluations de la fonction f, qui est souvent complexe à évaluer.
Pour cela, elle enchaîne les étapes suivantes :
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1. Le vecteur aléatoire Xest transformé en un vecteur aléatoire Ugaussien de même dimen-
sion, mais dont les composantes sont indépendantes, centrées et réduites. Dans le cas qui
nous intéresse, cette transformation Test la transformation de Nataf. On a alors :
Pdef =ZD
ϕn(u)du(2)
u=T(x),ϕn(u) = 1/(2π)n/2exp(−kuk2/2) = ψ(kuk)et D=T(D).
2. Le domaine Dest remplacé par un demi-espace Πpar linéarisation de la frontière de D
au voisinage du point de conception uqui réalise le maximum de ϕnsur D(on suppose
que 0/D) : u= argmaxDϕn(u).
3. La probabilité de défaillance est approchée par :
PF ORM
def =ZΠ
ϕn(u)du= Φ(β)(3)
Φest la fonction de répartition de la loi normal centrée réduite monodimensionnelle et
β=kuk.
Après une rapide présentation de la théorie des copules, nous analysons la transformation de
Nataf à l’aide de cette théorie, puis nous proposons une extension de cette transformation aux
copules elliptiques.
2 Théorie des copule
On commence par définir la notion de copule, puis on énonce le théorème central de la
théorie des copules. On donne ensuite la définition des lois et des copules elliptiques.
2.1 Généralités sur les copules
La notion de copule permet de décomposer la loi jointe d’un vecteur aléatoire de dimension
nen nfonctions décrivant les lois marginales seules et une fonction décrivant la dépendance
entre les composantes de ce vecteur indépendamment des lois marginales, la copule du vecteur.
Plus précisément, nous avons :
Définition 1. On appelle copule Cde dimension nune fonction de répartition ndimensionnelle
définie sur [0,1]net dont les lois marginales sont uniformes sur [0,1] :
1. Pour tout u[0,1]nayant au moins une composante nulle, C(u) = 0 ;
2. Cest n-croissante : P2
i1=1 ···P2
in=1(1)i1+···+inC(u1i1,...,unin)0avec uj1=ajet
uj2=bjpour tout j∈ {1,...,n}et a,b[0,1]n,ab.
3. Pour tout u[0,1]nayant toutes ses composantes égales à 1 sauf éventuellement uk,
C(u) = uk.
Le théorème suivant (voir Nelsen (1999) pour une démonstration) justifie l’intérêt de la
notion de copule :
Théorème 1 (Sklar (1959)).Soit Fune fonction de répartition n-dimensionnelle dont les lois
marginales sont F1,...,Fn. Il existe une copule Cde dimension ntelle que pour xRnon
ait :
F(x1,...,xn) = C(F1(x1),...,Fn(xn)).(4)
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Si les lois marginales F1,...,Fnsont continues, la copule Cest unique, sinon elle est détermi-
née de manière unique sur Im(F1)× ··· × Im(Fn).
Dans le cas de lois marginales continues, pour tout U[0,1]non a :
C(u) = F(F1
1(u1),...,F1
n(un)) (5)
et
p(x) = c(F1(x1),...,Fn(xn))
n
Y
i=1
pi(xi)(6)
cest la densité associée à Cet les pi, les densités marginales de F.
On montre (voir Nelsen (1999)) qu’une transformation monotone des composantes d’un
vecteur aléatoire ne modifie pas sa copule.
La relation (4) permet de construire une loi jointe à partir de lois marginales et d’une copule,
alors que la relation (5) permet de construire des copules à partir de lois jointes. On construit
ainsi les copules elliptiques à partir des lois elliptiques. Pour une présentation détaillée des
copules, voir Nelsen (1999).
2.2 Lois et copules elliptiques
Définition 2. Une loi continue est dite elliptique de paramètre de position µet de matrice de
forme symétrique définie positive Σsi sa densité ppeut s’écrire :
p(x) = (det Σ)1/2q(xµ)tΣ1(xµ)(7)
qest une fonction scalaire à valeur positive telle que RRnq(kyk2)dy= 1. On note E(µ,Σ, q)
une telle loi.
La loi est dite sphérique si Σ=kIdnavec k > 0.
Les lois elliptiques associées à la même fonction qfont parties de la même famille elliptique,
dans laquelle on distingue le représentant standard pour lequel µ=0et Σ= Idnet les éléments
centrés réduits pour lesquels µ=0et diag Σ= Idn, la matrice Σétant alors la matrice
de corrélation linéaire de la loi si elle admet des seconds moments finis (ce qui dépend de
la décroissance à l’infini de q). La loi d’un vecteur gaussien est un exemple de loi elliptique,
d’autres exemples classiques sont donnés dans Fang et al. (1990). Les lois elliptiques jouissent
des mêmes propriétés algébriques que les vecteurs gaussiens, à savoir qu’elles forment une
classe stable par transformation affine : si Xsuit la loi E(µ,Σ, q), alors le vecteur Y=V+
M X suit la loi E(V+M µ,MΣMt). Pour une présentation détaillée des lois elliptiques,
voir Fang et al. (1990).
On peu maintenant définir les copules elliptiques :
Définition 3. Une copule est dite elliptique si elle est la copule d’une loi elliptique.
Exemples 1.
La copule gaussienne n-dimensionnelle a pour expression :
CGauss
R(x) = ZΦ1(x1)
−∞
...ZΦ1(xn)
−∞
(det R)1/2(2π)n/2exp(xtR1x/2) dxn. . . dx1
Φ : xR7→ Φ(x) = Rx
−∞ exp(t2/2)/2π dx
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La copule de Student n-dimensionnelle a pour expression :
CStudent
R(x) = Zt1
ν(x1)
−∞
...Zt1
ν(xn)
−∞
(det R)1/2Kn,ν 1 + xtR1x
ν(n+ν)/2
dxn. . . dx1
Kn,ν =Γ( n+ν
2)
Γ(ν/2)(νπ)n/2et tν:xR7→ tν(x) = Rx
−∞ K1(1 + t2)(1+ν)/2dt
On peut montrer (Embrechts et al. (2003)) qu’il y a une bijection entre les copules el-
liptiques et les éléments centrés réduits des familles elliptiques, une copule elliptique est donc
paramétrée par la matrice de corrélation linéaire du représentant centré réduit qui lui est associé.
Attention, cette matrice n’est pas la matrice de corrélation linéaire de la copule : la modification
des lois marginales modifie la matrice de corrélation linéaire!
3 Transformation de Nataf et copules elliptiques
Les résultats de la section précédente permettent d’apporter un nouvel éclairage sur la trans-
formation de Nataf, et d’en proposer une extension naturelle. Un exemple analytique permet de
confirmer l’intérêt d’une telle extension.
3.1 Lien entre transformation de Nataf et copule gaussienne
La transformation de Nataf procède en deux étapes :
On applique une transformation des lois marginales de Xpour que le vecteur Yrésultant
soit un vecteur gaussien à composantes centrées et réduites :
i= 1, . . . , n, Yi= Φ1(FXi(Xi)) (8)
Φest la fonction de répartition de la loi gaussienne monodimensionnelle centrée ré-
duite. Ce vecteur gaussien a une matrice de corrélation Robtenue à partir de la matrice
de corrélation RXselon une transformation qui dépend de la nature de RX(corrélation
des rangs, corrélation linéaire).
On applique une transformation linéaire à Yafin de décorréler ses composantes, ce qui
revient à les rendre indépendantes puisque Yest gaussien. On obtient ainsi le vecteur U:
U=ΓYΓtΓ1=R(9)
En terme de copule, puisque la première étape de la transformation de Nataf est une trans-
formation monotone des composantes de X, les vecteurs Xet Yont la même copule, à savoir
la copule gaussienne de matrice de corrélation R. Lorsqu’on affirme ne pas connaître la loi
jointe de X,en utilisant la transformation de Nataf, on choisit implicitement une copule gaus-
sienne pour X: on fait donc un choix implicite de loi jointe pour X, que cette analyse de la
transformation de Nataf a rendu explicite. Ceci a des conséquences qui peuvent être très impor-
tantes sur l’évaluation d’une probabilité de défaillance. Par exemple, si la probabilité cherchée
est faible, il est probable que dans le domaine de défaillance, plusieurs composantes du vec-
teur Xprennent des valeurs associées à des quantiles élevés, or le comportement joint de deux
composantes d’un vecteur aléatoire de copule elliptique de matrice de corrélation donnée peut
être très variable selon la famille de copule elliptique considéré, c’est-à dire selon la fonction
qchoisie. Ainsi, le coefficient de dépendance de queue (cf. Embrechts et al. (2003)) est nul
pour une copule gaussienne, alors qu’il est non nul pour une copule de Student de paramètre
ν < 2, ce qui peut modifier l’évaluation d’une probabilité de défaillance de plusieurs ordres de
grandeur. Il est donc souhaitable d’étendre la transformation à d’autres copules que la copule
gaussienne.
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3.2 Extension de la transformation de Nataf à une loi de compule elliptique quelconque
L’intérêt de la transformation de Nataf est de transformer l’expression (1) de la probabilité
de défaillance en l’expression (2), où la loi de uest sphérique, ce qui simplifie considérablement
la recherche du point de conception qui devient une recherche de point le plus proche. Le fait
que cette loi sphérique soit la loi gaussienne centrée réduite n’intervient que dans la formule
(3) permettant de calculer l’approximation FORM de la probabilité de défaillance. Plutôt que
de définir la transformation de Nataf généralisée en décrivant la loi du vecteur résultant de la
première étape de transformation des marginales, on part directement d’un vecteur Xde copule
elliptique CE
q,Ret de lois marginales FX1,...,FXndonnées :
Définition 4. Soit Xun vecteur aléatoire de copule elliptique CE
q,Ret de lois marginales
FX1,...,FXn. On définit la transformation de Nataf généralisée Tpar :
T:RnRn
X7→ U=Γ
E1(FX1(X1))
.
.
.
E1(FX1(X1))
(10)
Eest la fonction de répartition marginale du représentant standard de la famille elliptique
associée à CE
q,Ret Γa la même définition que pour la transformation de Nataf classique.
L’utilisation de cette tranformation généralisée pour un calcul FORM se fait de façon iden-
tique à la transformation classique, en remplaçant l’estimation de la probabilité de défaillance
Φ(β)par E(β). Dans le cas de la copule gaussienne, E=P hi, et dans le cas de la copule
de Student, E=tν.
On peut illustrer l’intérêt de cette extension sur un problème simple : considérons un vecteur
aléatoire de lois marginales gaussiennes centrées réduites, ayant un coefficient de corrélation de
Kendall de τ= 1/2. On considère le domaine de défaillance D={(x1, x2)R2|x1+x2
δ2}, et on trace en fonction de δl’évolution de la probabilité de défaillance calculée par la
méthode FORM en utilisant la transformation de Nataf généralisée et en prenant pour Xsoit la
copule gaussienne, soit la copule de Student (avec ν= 3). On obtient la figure 1.
Sur cet exemple, on constate l’intérêt de pouvoir explorer d’autres structures de dépendance
que la structure gaussienne pour ce type de calcul : alors que pour les niveaux de probabilité
élevés, le choix de la structure de dépendance a une influence très faible, pourles faibles niveaux
de probabilité de défaillance, le choix de la copule conduit à une variation de plus d’un ordre
de grandeur de la probabilité de défaillance bien que les lois marginales de Xsoient identiques
dans les deux cas, ainsi que la corrélation de Kendall. On constate également qu’un scalaire
comme τest loin de pouvoir synthétiser seul la dépendance entre les composantes de X.
4 Conclusions
Nous avons montré que les concepts de copule et de loi elliptique permettent à la fois d’ap-
porter un éclairage plus profond de la transformation de Nataf et d’en proposer une généralisa-
tion naturelle. Cette généralisation permet d’explorer l’influence de la structure de dépendance
dans le calcul d’une probabilité de défaillance par la méthode FORM, qui est également géné-
ralisée pour prendre en compte la nouvelle formulation de la transformation isoprobabiliste.
Le concept de copule est au cœur du logiciel OpenTURNS (www.openturns.org), un logiciel
Open Source dédié à la propagation probabiliste d’incertitudes dans les modèles numériques
réalisé en partenariat par EDF R&D, EADS Innovation Works et PhiMECA. La transformation
de Nataf généralisée ainsi que la méthode FORM généralisée sont disponibles dans ce logiciel.
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