2 – L`asymétrie d`information

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#2 – L’asymétrie d’information
En 1963, l’économiste Kenneth Arrow introduit le concept d’asymétrie d’information comme concept clé de l’analyse des systèmes de santé. Il pose ainsi les bases d’une discipline nouvelle, l’économie de la santé ; mais la grille d’analyse qui émerge va au-delà de cette
discipline et fonde une approche
résolument politique de la santé.
La démocratie en santé a 27 ans :
27 ans de concepts qui
sédimentent et progressent,
s’ouvrent à de nouveaux enjeux, traversent de nouvelles
problématiques. L’IPDS tente l’exercice lexical : approfondir au
gré des concepts-clés du paysage
de la démocratie en santé les
grands enjeux de demain.
Mélanie HEARD
Déléguée générale
Christian SAOUT
Membre fondateur, membre du comité de
pilotage
INSTITUT POUR LA DEMOCRATIE EN
SANTE
avril 2016
@DemocratieSante
Ce concept est bien connu des
économistes : on parle d'asymétrie
d'information lors d'un échange quand
certains des participants disposent
d'informations pertinentes que d'autres
n'ont pas. L’exemple-bateau est celui du
marché de la voiture d’occasion. L’honnêteté des uns est sujette à caution pour les autres ; pour
réintroduire un équilibre efficient, il faut
définir des motifs de confiance, qui
peuvent être de divers ordres
(régulation, transparence minimale,
contractualisation, déontologie, etc.).
Dans le champ de la santé, le caractère
« patient », passif et souffrant, du
consommateur,
gouverne
une
explication des spécificités du secteur
caractérisé notamment par la séparation
des fonctions de prescription, de
consommation, et de financement.
Entre les trois pôles d’acteurs que sont
les professionnels, les usagers et les
payeurs règnent des asymétries
d’informations. Deux relations sont particulièrement analysées sous cet
angle : la relation entre le payeur et le
professionnel, dans laquelle le payeur
« aveugle » ne maîtrise pas le savoir qui
guide la pratique du professionnel ; et la
relation entre l’usager et son soignant, dans laquelle l’usager est ignorant à la fois du savoir mobilisé par le
professionnel et de la qualité de ses
pratiques.
C’est bien sûr cette deuxième expression de l’asymétrie d’information, entre le professionnel et l’usager, qui intéresse au premier chef la démocratie en santé.
Plus précisément, et comme l’avait d’emblée montré Arrow, c’est elle qui motive une vision politique de la santé,
dans laquelle le patient vient occuper la
place de « réformateur social » chère à
Daniel Defert.
La question politique que pose en effet
l’asymétrie d’information, c’est celle des facteurs de rééquilibrage que la
collectivité va choisir pour redonner à
l’usager du pouvoir et des capacités de connaître, de choisir et de décider pour
sa santé.
Historiquement, c’est d’abord du côté de la déontologie que la relation médicale
va aller naturellement chercher ces
gages de confiance et de coopération.
Puis, avec le tournant de 2002, c’est progressivement à la loi que revient de
sécuriser cet encadrement éthique par la
reconnaissance de droits des patients –
au premier rang desquels bien sûr le
droit à l’information (L.1111-2 du Code
de la Santé Publique), qui conditionne
l’accès aux capacités de choisir et de
décider.
Enfin, au-delà de l’information sur les pathologies et les traitements ou sur
l’accessibilité des offreurs, la réduction de l’asymétrie d’information nécessite aussi une évaluation transparente de la
qualité des pratiques, mobilisant les
outils du régulateur que sont la
certification, la publication d’indicateurs, etc.
L’information, en l’espèce, ne se résumera pas à la détention d’une pièce documentaire : ce que l’usager y gagne, ce n’est pas d’être savant, mais de devenir capable de donner-forme,
littéralement, à ce qui lui arrive.
Or on voit bien que, sur tous les aspects
d’information utiles au patient, la mise en réseau et la transparence qui
gouvernent la révolution numérique
conduisent aujourd’hui à repenser les
enjeux de l’asymétrie d’information. D’aucuns voient une dérive consumériste dans cette transformation
qui modifie la relation médicale ; le
patient se rapprocherait-il de la figure du
“consommateur souverain”, agent préservé des risques de l’asymétrie d’information ? En réalité, il ne se trouve personne
aujourd’hui qui souhaite que le numérique fasse émerger un modèle
libertarien de la médecine où le médecin
fournit les informations à un patient qui
décide seul comment maximiser son
utilité. Ne voir dans l’histoire de la
démocratie en santé qu’une succession historique de modèles éthiques
déplaçant le centre du pouvoir d’un lieu à un autre de la relation médicale
n’aurait pas de sens. Ce en quoi la
révolution digitale renverse réellement
l’asymétrie d’information, c’est, plus
essentiellement, la notion de mise en
réseau, qui rend visible, tangible,
évaluée et commentée
l’interdépendance entre professionnels et usagers.
Kenneth J Arrow, “Uncertainty and the welfare economics of medical care”, The American Economic Review, dec 1963
Daniel Defert, « Le malade réformateur
social », Gai-Pied, 29 juin 1989
Jean-Philippe Pierron, « Une nouvelle figure
du patient ? Les transformations
contemporaines de la relation de soins »,
Sciences sociales et santé 2007/2 (Vol. 25), p.
43-66.
Alexandre Jaunait, « La relation de
coopération médicale et l'asymétrie
médecin-patient. Commentaire », Sciences
sociales et santé 2007/2 (Vol. 25), p. 67-72
Claude Le Pen, « « Patient » ou « personne
malade » ? Les nouvelles figures du
consommateur de soins », Revue économique
2009/2 (Vol. 60), p. 257-271
Lise Rochaix, « Asymétries d’information et incertitude en santé : les apports de la
théorie des contrats », Économie et Prévision,
1997, p. 129-130 (11-24)
Amartya Sen, « Capabilty and Well-Being
(1979) », dans NUSBAUM M.C. et SEN A.,The
Quality of Life, 1993,Oxford, Claredon Press.
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