La Lettre du Cardiologue - n° 306 - février 1999
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CAS CLINIQUE
Réponse
La survenue d’un trouble du rythme ventriculaire syncopal chez
un patient coronarien pourrait initialement faire porter à tort le
diagnostic de tachycardie ventriculaire. Il s’agit en fait d’un épi-
sode de torsade de pointe, diagnostic étayé par les points sui-
vants :
❏
l’allongement de l’espace QT sur l’ECG de la figure 2 à 600 ms,
❏
le début d’accès fait suite à une extrasystole ventriculaire de
type R/T à couplage tardif (figure 5a),
❏
les ventriculogrammes élargis ont une fréquence à 210/min et
la polarité s’inverse régulièrement (figure 4),
❏
il existe sur le plan biologique une hypokaliémie à 3,4 mmol/l
et l’historique des ionogrammes sanguins retrouve une déplétion
potassique chronique,
❏
l’arrêt spontané du trouble du rythme,
❏
le premier QRS au retour en rythme sinusal a un espace QT très
allongé (figure 5b).
Après recharge en potassium et sulfate de magnésium, le trouble
du rythme ne se reproduira plus, et le patient quittera le service
le 30 août 1998 après un contrôle holter-ECG satisfaisant.
DISCUSSION
L’expression “torsade de pointe” a été utilisée pour la première
fois par Dessertenne en 1966. Il s’agit de complexes d’origine
ventriculaire élargis dissociés de l’activité auriculaire, dont la fré-
quence se situe entre 150 et 240/min, et dont la polarité s’inverse
tous les 5 à 10 complexes. Le début de l’accès se fait à l’occa-
sion d’une extrasystole ventriculaire à couplage tardif et est sou-
vent précédé d’un bigéminisme ventriculaire avec les mêmes ESV,
monomorphes, à couplage tardif et fixe. Le retour en rythme de
base est le plus souvent spontané. L’ECG intercritique montre un
rythme lent, avec un espace QT ou QU allongé au-delà de 600 ms.
Le diagnostic de torsade de pointe ne pose habituellement guère
de problème. Il se distingue de la tachycardie ventriculaire mono-
morphe, mais il peut être plus difficile de la distinguer d’une
tachycardie ventriculaire polymorphe, avec inversion de la pola-
rité des complexes. Contrairement aux torsades de pointe, la
tachycardie ventriculaire est précédée d’extrasystoles ventricu-
laires initiales à couplage court, l’ECG intercritique montre un
QT normal, et le terrain est habituellement différent.
Les étiologies habituelles des torsades de pointe regroupent les
déplétions potassiques, les bradycardies (BAV complet ou bra-
dycardies supra-ventriculaires, les torsades de pointe étant res-
ponsables de 5 à 10 % des syncopes) et les causes médicamen-
teuses (antiarythmiques classe Ia et substances “quinidine like”).
De rares cas ont été observés sous amiodarone (seule ou, plus
souvent, associée aux antiarythmiques classe Ia). Les torsades de
pointe peuvent également survenir dans le cadre d’un syndrome
de QT long congénital (syndrome de Jervell et Lange-Nielsen),
qui associe une surdimutité, des syncopes d’effort par torsades
de pointe et parfois une anémie, ou le syndrome de Romano et
Ward qui associe un QT long et des syncopes d’effort par des tor-
sades de pointe.
Sur le plan électrophysiologique, la torsade de pointe serait due
à la modification de certains courants participant à la repolarisa-
tion, pouvant entraîner un allongement marqué du potentiel d’ac-
tion et des anomalies électrogéniques (oscillations du potentiel
de membrane dans la phase 3, appelées post-dépolarisations pré-
coces). Ces post-dépolarisations précoces sont, comme les tor-
sades de pointe, favorisées par l’hypokaliémie, la bradycardie et
les quinidiniques, et sont inhibées par le magnésium. Ces auto-
matismes anormaux pourraient déclencher des circuits de réen-
Figure 5a. Initiation de la torsade de pointe avec des extrasystoles ventriculaires à couplage tardif.
Figure 5b.
Arrêt spontané de la torsade
et reprise d’un rythme sinusal
avec un intervalle QT à 600 ms.
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