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L’intelligence marketing au service de la co-innovation : le rôle clé des
communautés stratégiques de connaissance.
Anne KRUPICKA
Nicolas MOINET
Laboratoire CEREGE EA1722– IAE de Poitiers
Bât E1 TSA 61116 20, rue Guillaume VII Le troubadour – 86073 POITIERS CEDEX 9
Résumé :
La co-innovation, est une démarche d’innovation qui s’appuie sur le partage, la coopération entre
divers partenaires de l’entreprise ou parties prenantes, dont le consommateur fait partie. L’objet
de la présente communication est d’explorer la co-innovation en train de se faire au travers de
deux cas de PME afin de comprendre comment se conçoit l’innovation ouverte pour identifier
quelques facteurs de réussite d’une telle démarche. Ce qui caractérise les deux cas étudiés, c’est
la démarche d’intelligence marketing qu’elles ont développé, chemin faisant et par la pratique,
afin de replacer le client au centre de leur processus d’innovation. Et il en ressort que l’élément
déterminant de leur réussite dans cette démarche est la création de communautés stratégiques de
connaissance.
Mots-clés : co-innovation, intelligence marketing, intelligence économique, communautés
stratégiques de connaissances, PME, relation-client.
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L’intelligence marketing au service de la co-innovation : le rôle clé des
communautés stratégiques de connaissance.
Introduction
La co-innovation, aussi connue sous l’appellation open innovation (innovation ouverte), a fait
l’objet de nombreux articles depuis le début des années 2000, notamment grâce au programme
Connect & Developp développé par Procter & Gamble (Huston et Sakkab, 2006). Cette démarche
d’innovation s’appuie sur le partage, la coopération entre divers partenaires de l’entreprises ou
parties prenantes, dont le consommateur fait partie. Dans certains cas, la participation de ce
dernier est si grande que l’on parle d’innovation consumer made. Bien qu’elle soit de plus en plus
répandue dans la pratique, la co-innovation n’est pas sans soulever quelques interrogations voire
quelques réticences de la part des industriels comme des académiques, notamment en ce qui
concerne les conditions de réussite d’une telle démarche (LeNagard et Reniou, 2013). L’objet de
la présente communication est d’explorer la co-innovation en train de se faire au travers de deux
cas de PME afin de comprendre comment se conçoit l’innovation ouverte pour identifier
quelques facteurs de réussite d’une telle démarche.
Dans une première partie, il importe de présenter une acception de l’innovation en tant que
processus réticulaire, ouvert et en évolution dont le point de départ est la conception. De plus, une
définition de l’Intelligence Marketing s’impose dans la mesure où il s’agit d’une démarche à
l’intersection entre l’Intelligence Economique et le Marketing stratégique. Une seconde partie
présente les deux études de cas traitées : la Maac et Domalys. Ces deux entreprises ont su adopter
une démarche d’Intelligence Marketing afin d’intégrer le client dans leur démarche de co-
innovation. L’analyse des deux cas permet de comprendre le rôle déterminant joué par la
démarche d’Intelligence Marketing mise en œuvre pour la création de communauté stratégique de
connaissance essentielle à la réussite de ces co-innovations.
I. L’intelligence marketing au service de l’innovation
Akrich, Callon et Latour (1988), considèrent l’innovation comme un processus complexe et non
linéaire à l’avenir incertain. Sa conception adopte un processus tourbillonnaire engendré par un
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réseau d’actants (pour reprendre le terme de Callon, 1986 qui englobe les acteurs humains et non
humains) en interaction où ajustements et jeux de pouvoir permettent de faire évoluer le projet
sous l’effet de porte-paroles. Ainsi, qu’elle soit initiée par une ou plusieurs organisations,
l’innovation est nécessairement conçue en collaboration et en considération d’autres actants
socialement et institutionnellement situés (Krupicka et Coussi, 2015). De plus, le client est
souvent au cœur de ce processus de conception, notamment parce qu’il en est destinataire.
Souvent représenté par des porte-paroles internes à l’entreprise que sont les chefs de produits, le
client est effectivement à l’œuvre dans le processus de conception de l’innovation Consumer
Made. C’est parce que l’innovation est un processus en évolution que S. Kline et N. Rosenberg
(1986) ont proposé un modèle qui met au centre de l’innovation un processus longtemps mis à la
marge par les économistes : le processus de conception. La conception est au cœur du processus
d’innovation, et, sous certaines conditions, l’activité de conception va se doter de raisonnements,
d’une organisation et de critères de performances favorisant l’émergence d’une innovation,
comme le montrent Le Masson, Weil et Hatchuel (2006). Ils montrent, par ailleurs, que la notion
de connaissance constitue un élément central de cette activité de conception innovante qui va,
non seulement mobiliser des connaissances existantes, mais aussi étendre ces connaissances
allant jusqu’à en créer de nouvelles : c’est ce qu’ils nomment « les capacités d’expansion » de
l’activité de conception. Ainsi, l’innovation apparaît comme un processus de conception donnant
naissance à un réseau dynamique qui va favoriser la création de connaissances et bien plus encore
l’apprentissage au travers d’interactions entre les différents acteurs humains et non-humains du
réseau émergent.
Cette notion de partage et création de connaissance constitue un élément fondamental en
intelligence économique, notamment au travers des communautés stratégiques de connaissance.
François et Levy (2003) ont montré les grands traits qui distinguaient, et ceux qui liaient,
Intelligence économique et marketing. Il semble aujourd’hui opportun de développer le concept
d’intelligence marketing, interaction entre une discipline, le marketing, et le concept polymorphe
d’intelligence économique. Le terme Marketing Intelligence remonte à 1961 et a été développé
par William T. Kelley (1965), pour aider les top-managers des entreprises américaines à mieux
gérer les informations potentiellement stratégiques pour évoluer sur leurs marchés. Il s’agit de
répondre à un besoin de sélectionner, prioriser, mettre en valeur et surtout donner du sens à des
informations efficientes, parmi pléthore d’informations issues de diverses sources, qu’elles soient
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ouvertes, blanches, grises ou noires dans de rares cas. La catégorisation des flux d’information est
primordiale dans la démarche d’intelligence marketing et on distingue les flux externes,
constitués de flux sortants et sous contrôle relatifs de l’entreprise comme les flux internes. Les
flux d’information extérieurs peuvent être sortants, tels que la communication d’entreprise sous
toutes ses formes, mais aussi être entrants, tels que l’information sur les marchés et issus des
différentes études terrains menées par les services ou consultants de l’entreprise, ou encore les
informations économiques. Les flux d’information internes, quant à eux, surviennent au sein
même de l’entreprise, de manière formelle ou informelle, dans quatre directions qui peuvent être :
ascendantes, descendante, dans les deux sens ou horizontale (c’est le cas notamment au sein des
groupes de projet). La fluidité de la circulation de l’information va très largement dépendre de
l’organisation et de la structuration de l’entreprise. La circulation de l’information transversale ne
suffit pas, l’ensemble des informations issues des études économiques, des études de marché, les
informations relatives au marché, les données administratives et internes vont devoir être
vérifiées, validées puis traitées de manière à rendre intelligible l’information efficiente pour
qu’elle devienne intelligente (stratégique). Ainsi, Competitive Intelligence et Market Intelligence
ont nécessité la création de directions dédiées à l’intelligence service au sein des entreprises
américaines dès le milieu des années 60’s.
Il faut avouer que la culture de l’information et des connaissances en entreprise était plus
répandue aux Etats-Unis ou au Japon, qu’en France et cela pour des raisons historiques. François
et Levy (2003) rappellent à ce propos que l’intelligence économique résulte d’une réflexion géo-
économique, dans les années 90, concernant la compétitivité nationale, consistant à renforcer la
compétitivité des entreprises afin de bénéficier à la puissance nationale du pays. Deux nations ont
su rapidement mettre en œuvre des systèmes dans lesquels l’information était perçue comme un
outil d’aide à la décision et comme arme d’influence et parfois de déstabilisation : les Etats-Unis
et le Japon. La particularité de ces deux nations est que la veille économique et technologique
constitue une préoccupation commune des grands acteurs économiques, politiques et
administratifs. Dans ces pays, comme en France, les activités d’intelligence économique ne se
limitent pas uniquement à la veille (qu’elle soit commerciale, concurrentielle, technologique ou
environnementale, dans ses dimensions passive, active ou offensive comme l’indiquent
Lendrevie et Lindon, 2000), mais s’étend à la protection des informations sensibles (Martre,
1994), en passant par des pratiques de management des connaissances, notamment au travers de
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la création de communautés stratégiques de connaissance, à l’instar des organisations japonaises
(Fayard, 2006). Ainsi, pour devenir une puissance économique mondiale, et avec une forte
volonté d’indépendance, le Japon a élaboré et mis en œuvre des stratégies au moyen d’un
dispositif intelligent d’acquisition-intégration de l’information. Walt Shill, un associé du cabinet
de conseil en stratégie Mac Kinsey, explique que si les compagnies de commerce japonaises ont
pris au milieu des années 90 un avantage sur les entreprises américaines dans les échanges
commerciaux avec la Chine, c’était avant tout grâce à leur market intelligence capability (The
Journal of Commerce Knight-Rider/Tribune Business News - Tokyo, by Mark Magnier,
02/07/95). Cependant et bien que la France ait fait de l’intelligence économique une politique
publique, le terme d’intelligence marketing est relativement récent en France, et les auteurs
privilégient une présentation de l’intelligence économique comme outil de marketing plutôt que
de définir l’intelligence marketing en tant que telle, comme une hybridation de ces deux
disciplines au service de la prise de décision de l’entreprise dans une approche systémique des
marchés et des décisions marketing.
En effet, l’intelligence marketing peut se définir à l’intersection entre l’intelligence économique
et le marketing, ce dernier ne pouvant alors être réduit à des études de marchés. Et ces deux
approches se complètent bien pour donner une vision plus systémique des marchés, de ses acteurs
et des moyens d’interagir avec eux. En effet, ce qui caractérise l’intelligence économique c’est
tout d’abord son approche conceptuelle, car si elle part d’un besoin d’information bien défini, il
s’agit plutôt de rechercher des concepts avec une certaine sérendipité1. De plus, l’étendue de son
spectre est bien plus large, macroscopique, voire global et intègre l’environnement au sens large,
comprenant aussi des acteurs qui pourraient sembler éloignés du marché, mais exerçant sur lui
une influence quasi-invisible. Ainsi, sera-t-il plus aisé de comprendre le marché, les forces qui
sy exercent, mais aussi et surtout les changements survenus, en action ou à venir grâce une
approche historique et longitudinale des données collectées et traitées en continu dans un souci de
vérification et de recoupement permettant une vision à 360 degré du marché et de l’entreprise.
Car l’intelligence économique est non seulement globale, mais aussi transversale et va rechercher
l’information tant à l’extérieur de l’entreprise qu’à l’intérieur de ses murs pour évaluer les
ressources, compétences et capacités à fédérer de l’organisation. De la démarche historique,
1 Du terme anglo-saxon serendipity qui caractérise le fait de trouver autre chose que ce que l’on venait chercher au
départ, plus communément adopté pour indiquer la capacité à découvrir de nouvelles choses sans préjugés
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