DOSSIER THÉMATIQUE Complications cardiaques de la radiothérapie Radiation toxicity to the heart Philippe Giraud*, Mehdi Henni*, Jean-Marc Cosset** E n raison de sa position anatomique et de la relative radiosensibilité de certaines de ses structures, le cœur constitue un organe “critique” pour la radiothérapie thoracique. Il est habituellement admis que les complications cardiaques des rayonnements ionisants (RI) représentent la deuxième cause de décès après la progression de la maladie néoplasique chez les patients qui ont reçu une irradiation médiastinale (1-3). Parallèlement à l’amélioration des taux de survie enregistrés pour les cancers, notamment pour la maladie de Hodgkin, on a progressivement été confronté aux complications cardiaques liées à la radiothérapie, celles-ci apparaissant plusieurs années, voire plusieurs décennies après l’irradiation (2-4). Cependant, en raison de la grande variabilité des symptômes, des nombreux cofacteurs cardiotoxiques (chimiothérapie, tabagisme, etc.), et des techniques d’irradiation très hétérogènes, voire “ancestrales” – certaines pouvant dater d’une vingtaine d’années –, leur évaluation précise reste complexe. Après avoir rappelé brièvement la physiopathologie des effets des RI sur le cœur, nous rapporterons les principales complications aiguës et tardives décrites dans la littérature, ainsi que les traitements proposés. Physiopathologie des complications cardiaques liées aux rayonnements ionisants Les mécanismes physiopathologiques des effets des RI sur le cœur sont mal connus. Ils relèvent très vraisemblablement tous des mêmes phénomènes successifs, débutant par une atteinte de la microvascularisation induisant une ischémie tissulaire, responsable, à son tour, d’une fibrose cicatricielle tardive (5-7). Le péricarde est le tissu le plus souvent affecté par les RI. Son atteinte se manifeste essentiellement sous la forme d’un épaississement fibrotique vraisemblablement lié à des phénomènes tardifs d’ischémie par microangiopathie, dont la pathogénie exacte reste inconnue. D’autres mécanismes pourraient également être en cause, comme la persistance d’un exsudat inflammatoire à la surface du péricarde, induisant des réactions biochimiques en cascade (inhibition de l’activateur du plasminogène, production de collagène, etc.) [8, 9]. Le myocarde est plus rarement touché que le péricarde, mais ses lésions sont plus graves. L’atteinte myocardique est caractérisée par la présence de plaques diffuses de fibrose, rarement de nécrose, affectant plus fréquemment le ventricule gauche que le ventricule droit en raison de sa situation plus antérieure. Ces zones de fibrose myocardique correspondent habituellement à des lits tissulaires d’aval d’artères coronaires altérées (7, 10). La biopsie n’est que rarement indiquée en raison du peu de corrélation entre l’image histologique et la répercussion fonctionnelle (6, 7). Comme pour les autres tissus cardiaques, les mécanismes physiopathologiques en cause relèvent plus d’une atteinte des cellules endothéliales des capillaires myocardiques, avec thromboses intravasculaires et microruptures des parois vasculaires, que d’une atteinte directe des myocytes par les RI (5, 10). L’atteinte de l’endocarde se manifeste le plus souvent par la formation de plaques de fibrose. Rarement symptomatiques, ces lésions résultent surtout d’une ischémie ou d’une hypoxie consécutive à l’atteinte de la vascularisation artérielle. L’atteinte des artères coronaires se caractérise par une hyperplasie fibromusculaire endoluminale qui s’accompagne d’une aggravation du risque d’athérosclérose et induit une atteinte architecturale (valvulopathies) et fonctionnelle du myocarde (troubles de conduction) [11-13]. L’existence d’une pathologie coronarienne préexistante est * Service d’oncologie-radiothérapie, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris. ** Département d’oncologie-radiothérapie, institut Curie, Paris. La Lettre du Cardiologue • n° 421 - janvier 2009 | 21 Résumé Mots-clés Radiothérapie Cœur Toxicité Summary Thoracic irradiation could be complicated by adverse effects to every structure of the heart. Potential injury of irradiation can include acute and late pericarditis, cardiomyopathy, valvular disease and conduction abnormalities. The pathophysiology of these various syndromes is probably similar, starting by prior microvascular injury that leads to subsequent myocardium ischemia, all of which cause late fibrous scars. However, most complications are often asymptomatic. Late pericarditis affects approximately 5% of the patients and the mortality rate is under 1%. Cardiomyopathy is rare. A long time unrecognized, coronary artery disease, diagnosed in 5 to 10% of the patients, begets multifarious sequelae like myocardial infarction, valvular abnormalities and cardiac rhythm changes. This coronary artery disease is more likely to occur if the patient was young at the time of the irradiation (< 21 years old) and/or if other cardiovascular risk factors are associated. Radiation-induced heart complications seem to be related to total dose (> 30 Gy), irradiated tissue volume and fraction size. Since cardiac complications appear months to years following incidental irradiation, appropriate screening and long-term cardiac followup are essential. Keywords Radiotherapy Heart Toxicities La radiothérapie thoracique expose à la survenue de complications qui peuvent intéresser toutes les tuniques du cœur. Ces toxicités cardiaques comprennent les péricardites aiguës et chroniques, les myocardites, les valvulopathies, les atteintes coronariennes et les troubles de la conduction. Leurs mécanismes physiopathologiques relèvent très vraisemblablement tous des mêmes phénomènes successifs, faisant intervenir une atteinte de la microvascularisation responsable d’une ischémie tissulaire secondaire, celle-ci conduisant à son tour à une fibrose cicatricielle tardive. Cependant, la plupart des complications cardiaques des rayonnements ionisants sont asymptomatiques. La péricardite chronique affecte environ 5 % des patients, et le taux de mortalité qui lui est imputable est inférieur à 1 %. Les myocardites sont beaucoup plus rares. Très longtemps ignorées, les atteintes des artères coronaires sont probablement responsables de la survenue tardive d’infarctus, de valvulopathies ou de troubles de la conduction. Ces atteintes sont d’autant plus fréquentes que les patients sont porteurs d’autres facteurs de risque cardiovasculaire ou ont été irradiés jeunes (avant 21 ans). Les facteurs de risque reconnus de ces toxicités sont la dose totale (plus de 30 Gy), le volume de cœur irradié et la dose par fraction. Ces complications pouvant survenir très longtemps après l’irradiation, une surveillance prolongée et stricte est nécessaire. très probablement un cofacteur essentiel à l’origine de la plupart des complications décrites. Les complications cardiaques des chimiothérapies ne rentrent pas dans le cadre de cette revue. Cependant, nombreuses sont les molécules antimitotiques potentiellement cardiotoxiques, et l’association de la radiothérapie à ces molécules aggrave bien entendu encore le risque de complications (5, 14). Symptomatologie clinique Le suivi des patients traités pour une maladie de Hodgkin fournit depuis de nombreuses années des informations des plus complètes sur la toxicité cardiaque des RI (2, 4, 8, 9, 15). Les complications cardiaques sont responsables de 25 % des décès qui surviennent chez les patients guéris, et de 2 à 5 % de l’ensemble des décès (3). En revanche, dans le cadre du cancer du sein ou du cancer de l’œsophage, le volume de cœur irradié étant moins important, la tolérance est meilleure et la fréquence des complications plus faible (16, 17). L’élément essentiel à retenir, s’agissant des complications cardiaques des RI, est la longueur du délai de latence entre l’irradiation et l’apparition des symptômes (quand ils apparaissent, car, si l’atteinte cardiaque est très fréquente, elle reste souvent asymptomatique) [2-4, 16]. La péricardite Pendant l’irradiation, les symptômes sont surtout marqués par l’atteinte péricardique. Cette maladie inflammatoire bénigne est rare et ne nécessite qu’exceptionnellement l’arrêt du traitement. Les symptômes sont semblables à ceux des péricardites aiguës classiques. Habituellement, ils disparaissent en quelques semaines et ne constituent pas un facteur de risque pour le développement futur d’une péricardite chronique. Seuls 20 % des patients qui développent une péricardite aiguë présenteront secondairement, 5 à 10 ans plus tard, une péricardite chronique constrictive (8, 9). Cependant, une véritable péricardite aiguë peut apparaître dans les mois qui suivent le traitement, voire jusqu’à 2 ans après l’irradiation (1, 8). 22 | La Lettre du Cardiologue • n° 421 - janvier 2009 Une péricardite chronique peut survenir très tardivement, plusieurs mois à plusieurs années après l’irradiation. Sa fréquence est d’environ 1 à 5 % après radiothérapie des cancers bronchiques et mammaires, et de 5 à 10 % après radiothérapie des lymphomes (8, 9). Le diagnostic de péricardite chronique dépend surtout de l’initiative du praticien qui demande sa recherche et des moyens d’investigation utilisés. Dans la littérature, le taux de mortalité par atteinte péricardique est estimé à 0,7 % chez les patients traités pour une maladie de Hodgkin (8, 9). Comme pour la péricardite aiguë, les symptômes de la péricardite chronique ne sont pas spécifiques. La majorité de ces péricardites guérissent spontanément et sans séquelle. Cependant, quelques-unes évoluent jusqu’au stade de péricardite constrictive tardive et, dans de rares cas, vers une tamponnade nécessitant une péricardectomie ou un drainage du péricarde. En dehors de cette présentation inhabituelle, le traitement est avant tout médical, la chirurgie étant à réserver aux cas menaçants ou extrêmement exsudatifs (8, 15). La myocardite La myocardite survient en général chez des patients qui présentent déjà une péricardite constrictive avec des signes sévères d’insuffisance cardiaque diastolique. Elle devient évidente quand les signes cardiaques persistent malgré le traitement de la péricardite (5, 9). Son incidence est difficile à déterminer. Très faible avec les nouvelles techniques de radiothérapie, le risque augmente en cas d’association avec une chimiothérapie, et en particulier avec les anthracyclines (14). Dans une série nécropsique de patients irradiés dans leur jeune âge, une fibrose myocardique a été retrouvée dans environ 50 % des cas (15). Dans les nombreuses publications parues sur le suivi de patients irradiés pour une maladie de Hodgkin, on retrouve une diminution de la fraction d’éjection du ventricule gauche dans 30 à 50 % des cas (2, 4). Mais l’interprétation de ces résultats reste subjective compte tenu des techniques d’irradiation très différentes, des incertitudes relatives au calcul des doses et du recul d’observation très variable. Il faut noter que les patients traités avec les techniques les plus DOSSIER THÉMATIQUE modernes semblent garder une fonction cardiaque normale et la conserver au cours du temps (17). Le traitement de cette myocardite radio-induite n’est pas spécifique et s’attache surtout à corriger les signes d’insuffisance cardiaque (18). Les atteintes coronariennes Les complications coronariennes sont rares. Cependant, leur fréquence réelle est très probablement sousestimée, car elles sont souvent asymptomatiques ou responsables de lésions cardiaques secondaires non spécifiques (myocardiopathies, valvulopathies, troubles de la conduction, etc.) [5, 11, 12]. Les autres facteurs de risque, hypercholestérolémie ou tabagisme par exemple, semblent potentialiser le développement des lésions coronariennes (17). La mortalité par infarctus du myocarde est de 2,5 % dans l’étude de Stanford sur les maladies de Hodgkin, avec un risque relatif d’environ 4 (2). Ces chiffres ont été confirmés dans d’autres études (2-4). Comme pour les myocardiopathies, la plupart des équipes retrouvent une fréquence et une gravité d’autant plus importantes que les patients ont été irradiés jeunes (15). Ces complications coronariennes apparaissent généralement 5 à 6 ans après l’irradiation, soit un temps de latence globalement plus long que pour les autres atteintes cardiaques, avec une nette prédominance des lésions monotronculaires proximales. Cette caractéristique topographique incite à dépister précocement ces lésions afin de proposer une dilatation rapide rétablissant un bon lit d’aval pour la revascularisation myocardique. Pour le reste, le traitement de ces atteintes coronaires n’est pas différent de celui des lésions dues aux causes plus classiques (athérome, etc.) [12]. Les valvulopathies Le principal mécanisme serait une atteinte indirecte des valves par un processus de fibrose myocardique périvalvulaire qui entraînerait secondairement leur dysfonction (11). L’atteinte valvulaire peut se révéler extrêmement fréquente si des méthodes diagnostiques sophistiquées sont employées pour la rechercher. Son incidence est alors comprise en moyenne entre 15 et 30 %. L’incidence cumulative est de 45 % à 20 ans et de 60 % à 25 ans (2, 4, 11). L’atteinte valvulaire est le plus souvent à type d’insuffisance mitrale ou aortique. La mortalité globale par atteinte valvulaire chez des patients irradiés sur le médiastin peut atteindre 0,3 % (11). Les troubles de la conduction Le mécanisme le plus probable de ces lésions serait une atteinte des voies de conduction secondaire à une ischémie ou à une fibrose post-radique. Les troubles de la conduction restent le plus souvent asymptomatiques ; ils ne sont souvent détectés que sur un ECG systématique, qui révèle habituellement des troubles de la phase de repolarisation dans les dérivations précordiales (13). Cependant, des atteintes plus sérieuses telles que des troubles de la conduction atrioventriculaire ou intraventriculaire ont été décrites 1 à 23 ans après une irradiation (13 ans en moyenne) [1, 4, 13]. Apport de la radiothérapie moderne Le meilleur traitement des complications cardiaques des RI reste la prévention. Les effets des RI sur le cœur dépendent essentiellement de trois facteurs : la dose par fraction, la dose totale et le volume de cœur irradié (5, 17). La réduction de ces facteurs permet de diminuer le risque d’atteinte cardiaque. La dose par fraction joue un rôle non négligeable. J.M. Cosset et al. ont montré que l’incidence cumulative des péricardites à 5 ans était de 5 % pour une dose par fraction de 2,5 Gy et de près de 7,5 % pour des fractions de 3,3 Gy (9). Le risque relatif est multiplié par 2 lorsque la dose par fraction est égale ou supérieure à 3 Gy. Cependant, le volume de cœur irradié est probablement le facteur le plus important. Plus ce volume est conséquent, plus le risque de complications est élevé. Si l’ensemble du péricarde est irradié, l’incidence des complications aiguës et chroniques atteint 20 %, contre seulement 7 % lorsque le ventricule gauche est protégé (9). La radiothérapie conformationnelle tridimensionnelle (figure 1), l’irradiation avec modulation d’intensité, et notamment la tomothérapie, pourraient représenter une solution en diminuant le volume cardiaque irradié. De même, l’asservissement respiratoire (figure 2), nouvelle technique consistant à délivrer l’irradiation à un moment précis, toujours identique, du cycle respiratoire, permettrait de diminuer l’irradiation cardiaque en éloignant le cœur des faisceaux d’irradiation tangentiels utilisés pour le cancer du sein (figure 3) [18, 19]. La dose totale est également un facteur capital. L’étude des résultats des irradiations en mantelet pour une maladie de Hodgkin a montré que l’incidence cumulative des péricardites sur 5 ans augmente avec la dose totale (9). La Lettre du Cardiologue • n° 421 - janvier 2009 | 23 DOSSIER THÉMATIQUE Toxicité cardiovasculaire des traitements anticancéreux Complications cardiaques de la radiothérapie Figure 1. Irradiation moderne, selon une technique conformationnelle tridimensionnelle susdiaphragmatique, du médiastin et des aires cervicales inférieures (faisceau antérieur en trait jaune) pour une maladie de Hodgkin. Figure 2. Système de radiothérapie asservie à la respiration avec blocage respiratoire volontaire et dispositif de feedback par lunettes vidéo (système SDX de la société Dyn’R, service de radiothérapie, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris). A B 24 | La Lettre du Cardiologue • n° 421 - janvier 2009 Figure 3. Distribution de dose d’une irradiation du sein gauche par deux champs tangentiels et de la chaîne mammaire interne gauche par un faisceau antérieur direct sans (A) et avec (B) asservissement respiratoire. Le trait jaune correspond au contour du sein en respiration normale, le trait rouge correspond au contour en blocage inspiratoire maximum. Pour chaque technique, l’isodose bleue correspond à la quantité de cœur irradiée à une dose de 30 Gy (potentiellement toxique). DOSSIER THÉMATIQUE À fractionnement égal, elle est de 4 % pour une dose de 36 Gy et de plus de 10 % pour des doses supérieures à 41 Gy. Le risque relatif dépassait 3 lorsque la dose était supérieure à 41 Gy (9). L’âge des patients est également à prendre en compte. Les patients irradiés avant 20 ans à des doses supérieures à 35 Gy ont un risque relatif de décès par infarctus du myocarde de 44, le risque étant de 22 pour les causes cardiaques autres (15). Pour les coronaropathies, la correction des facteurs de risque coronariens classiques constitue une mesure préventive essentielle. Conclusion La radiothérapie thoracique, dont le rôle bénéfique est par ailleurs indiscutable, peut être responsable de complications cardiaques potentiellement graves. Le risque est majoré chez les patients qui ont des facteurs de risque cardiovasculaires classiques et chez ceux qui ont été irradiés jeunes ; il augmente encore en cas d’association à une chimiothérapie, classiquement aux anthracyclines. Des progrès considérables ont été réalisés sur le plan technique pour limiter ces risques. La réduction des volumes irradiés, les améliorations de la balistique, l’adaptation des doses par séance et la diminution des doses totales ont d’ores et déjà permis de limiter drastiquement le risque de ces complications cardiaques. Les premiers résultats de ces effets sont donc probants, mais, le temps de latence de ces complications étant long, il convient de rester prudent et de suivre très étroitement nos patients sur le long terme. ■ Références bibliographiques 1. Gaya AM, Ashford RFU. 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Abonnez-vous en ligne ! www.edimark.fr Bulletin d’abonnement disponible page 35 La Lettre du Cardiologue • n° 421 - janvier 2009 | 25