D I A L O G U E Migraine et génétique : quoi de neuf depuis le chromosome 19 dans la migraine hémiplégique familiale ? Les questions du neurologue ● H. Massiou* 1. Depuis l’identification de mutations d’un gène codant pour un canal calcique sur le chromosome 19 dans certaines familles de migraine hémiplégique, quelles autres anomalies génétiques ont été retrouvées ? 2. Existe-t-il des différences cliniques entre les familles liées au chromosome 19 et celles liées aux autres loci ? 3. Pouvez-vous rappeler le type de dysfonctionnement du canal calcique lié aux mutations du gène CACNA1A sur le chromosome 19 ? 4. Que sait-on des autres gènes de la migraine hémiplégique familiale ? 5. A-t-on idée du mécanisme par lequel une mutation d’un canal ionique peut provoquer des phénomènes de migraine hémiplégique ? 6. Faut-il systématiquement à l’heure actuelle faire une analyse génétique chez un patient atteint de migraine hémiplégique familiale ? 7. Y a-t-il des différences cliniques entre la migraine hémiplégique familiale et la migraine hémiplégique sporadique ? Connaît-on les prévalences respectives de ces deux types de migraine ? 8. Parmi les patients souffrant de migraine hémiplégique, connaît-on la prévalence de ceux qui souffrent en plus de leur crises hémiplégiques de crises sans aura et de crises avec aura typique sans déficit moteur ? 9. A-t-on progressé dans la génétique de la migraine sans aura et de la migraine avec aura ? Une responsabilité du chromosome 19 a-t-elle été recherchée ? Quels sont les arguments pour penser que ces deux types de migraine ont une transmission génétique similaire ou au contraire différente ? Les réponses du généticien ● A. Ducros** 1. Depuis l’identification de mutations d’un gène codant pour un canal calcique sur le chromosome 19 dans certaines familles de migraine hémiplégique, quelles autres anomalies génétiques ont été retrouvées ? La migraine hémiplégique familiale est la seule variété monogénique, autosomique dominante, de migraine. Dans une famille, tous les membres affectés sont porteurs de la même mutation et un parent (père ou mère) atteint transmet un gène muté et donc la maladie à 50 % de ses enfants. Un premier gène a été localisé en 1993 sur le chromosome 19, puis identifié en 1996 comme étant CACNA1A (Calcium Channel Alpha-1A) qui code pour la * Service de neurologie, hôpital Lariboisière, Paris. ** Urgences céphalées, hôpital Lariboisière, Paris. sous-unité alpha-1A des canaux calciques neuronaux dépendant du voltage de type P/Q. CACNA1A n’est pas le seul gène de la migraine hémiplégique familiale. En effet, il a été démontré que cette affection était hétérogène sur le plan génétique, plusieurs gènes différents étant impliqués dans plusieurs groupes de familles (tableau et figure 1). Le gène CACNA1A situé sur le chromosome 19 est muté dans environ 50 % des familles. Un autre gène, localisé en 1997 sur le chromosome 1, est muté dans environ 20 % des familles. Enfin, 30 % des familles ne sont liées ni au chromosome 19, ni au chromosome 1, démontrant l’existence d’au moins un troisième gène responsable. Le gène localisé sur le chromosome 1 a été identifié début 2003. Il s’agit d’ATP1A2 qui code pour la sous-unité α2 d’une pompe Na+/K+ ATP dépendante. Cette protéine membranaire est fortement exprimée dans les neurones, les astrocytes et les cellules musculaires. Il s’agit d’une pompe qui utilise l’énergie de l’ATP pour faire entrer contre les gradients transmembranaires du potassium dans la cellule en échange de sodium. Elle intervient dans le maintien du potentiel membranaire. Deux mutations du gène La Lettre du Neurologue - Supplément Céphalées au n° 6 - vol. VII - juin 2003 7 D I A L O G U Tableau. Loci et gènes de susceptibilité identifiés dans la migraine hémiplégique familiale (MHF) et la migraine avec aura (MA). Type de migraine Chromosome Gène CACNA1A CACNA1A ATP1A2 MA 19p13 19p13 1q21-q23 1q31 19p13.2 MA MA/MSA MA/MSA 4q24 1q Xq24-q28 MHF avec signes cérébelleux MHF pure MHF pure Distinct de CACNA1A ? ? ? E migraine hémiplégique avec signes cérébelleux permanents sont liées au chromosome 19 et donc à des mutations du gène CACNA1A. Au contraire, la migraine hémiplégique pure est hétérogène sur le plan génétique avec un premier groupe de familles liées au chromosome 19 et donc à des mutations de CACNA1A, un deuxième groupe de familles liées au chromosome 1 et un troisième groupe de familles non liées à ces deux loci. Les mutations du gène CACNA1A responsables de migraine hémiplégique avec signes cérébelleux sont différentes des mutations responsables de migraine hémiplégique pure. Enfin, les familles liées au chromosome 1 sont caractérisées par une pénétrance plus faible de la maladie, c’est-à-dire une fréquence plus élevée de sujets porteurs du gène muté mais n’ayant pas de crise de migraine hémiplégique. 3. Pouvez-vous rappeler le type de dysfonctionnement du canal calcique lié aux mutations du gène CACNA1A sur le chromosome 19 ? Figure 1. Hétérogénéité génétique de la migraine hémiplégique familiale. Quinze mutations différentes du gène CACNA1A ont été identifiées à ce jour dans différentes familles de migraine hémiplégique (figure 2). Toutes ces mutations sont de type faux-sens, entraînant une substitution d’un seul des 2 500 acides aminés qui composent la sous-unité protéique alpha-1A. Toutes les mutations sont situées près du pore ionique du canal. Les études électrophysiologiques comparant les courants calciques produits par les sous-unités mutées aux courants normaux ont montré que ces mutations modifiaient la cinétique des courants calciques. Ces changements sont probablement à l’origine d’une modification de l’excitabilité neuronale. ATP1A2 ont été identifiées dans deux familles atteintes de migraine hémiplégique. Les analyses électrophysiologiques ont démontré que ces deux mutations étaient responsables d’une haploinsuffisance, les sous-unités mutées étant non fonctionnelles. Ces données confirment que la migraine hémiplégique familiale est liée à une perturbation des flux ioniques membranaires neuronaux avec hyperexcitabilité. 2. Existe-t-il des différences cliniques entre les familles liées au chromosome 19 et celles liées aux autres loci ? Plusieurs études ont comparé l’expression clinique de la migraine hémiplégique familiale entre les familles liées au chromosome 19, les familles liées au chromosome 1 et les familles qui ne sont liées à aucun de ces deux loci. Avant l’ère de la génétique, les cliniciens avaient déjà distingué deux formes cliniques. La forme la plus fréquente est la migraine hémiplégique pure qui touche 80 à 85 % des familles et dans laquelle l’examen clinique entre deux crises est strictement normal chez tous les patients. La seconde forme clinique est la migraine hémiplégique avec signes cérébelleux permanents qui touche 15 à 20 % des familles et dans laquelle certains patients atteints de migraine hémiplégique ont de façon permanente un nystagmus et/ou une ataxie de sévérité variable. Les études de corrélations génotype/phénotype ont montré que ces deux formes cliniques correspondaient à des formes génétiques distinctes. En effet, toutes les familles de 8 Le gène CACNA1A code pour la sous-unité α1A des canaux calciques P/Q représentée sur cette figure. La sous-unité est située dans la membrane cellulaire et comporte quatre domaines répétés constitués de six segments transmembranaires et d’une boucle “P” pour pore. Les quatre boucles “P” se replient et tapissent la partie interne du pore calcique. Les mutations responsables de MHF pure sont représentées par des ronds violets. Les mutations responsables de MHF avec signes cérébelleux sont représentées par des étoiles roses. Toutes ces mutations altèrent des parties fonctionnelles importantes du canal, proches du pore ionique. Figure 2. Mutations de CACNA1A responsables de MHF. La Lettre du Neurologue - Supplément Céphalées au n° 6 - vol. VII - juin 2003 4. Que sait-on des autres gènes de la migraine hémiplégique familiale ? Le gène CACNA1A sur le chromosome 19 est un canal calcique. Le gène ATP1A2 situé sur le chromosome 1 est une pompe NA+/K+. Les deux gènes identifiés pour l’instant dans la migraine hémiplégique codent donc pour des canaux ioniques. L’argument le plus fort en faveur de l’implication de canaux ioniques dans les migraines hémiplégiques familiales non liées au chromosome 19 ou au chromosome 1 est clinique : ce sont des affections paroxystiques et la plupart des autres maladies neurologiques paroxystiques héréditaires sont des canalopathies comme les ataxies épisodiques, les paralysies périodiques hyper- ou hypokaliémiques et certaines épilepsies. Dans ces maladies, une mutation d’un canal ionique entraîne une hypo- ou une hyperexcitabilité neuronale (ataxie épisodique, épilepsie) ou musculaire (paralysies périodiques) responsable des crises. 5. A-t-on idée du mécanisme par lequel une mutation d’un canal ionique peut provoquer des phénomènes de migraine hémiplégique ? Les canaux ioniques jouent un rôle essentiel dans le contrôle de l’excitabilité cellulaire. Les mutations de CACNA1A et d’ATP1A2 perturbent cette excitabilité. On peut donc émettre l’hypothèse que les neurones des patients ont une excitabilité modifiée, mais on ne sait pas comment cette anomalie conduit à des crises de migraine avec aura motrice. Il est possible que cette anomalie de l’excitabilité favorise le phénomène de dépression corticale envahissante. En effet, plusieurs études d’imagerie ont suggéré que la dépression corticale envahissante était à l’origine de l’aura chez des patients atteints de migraine avec aura non hémiplégique. Mais il n’a pas encore été démontré que ce même phénomène se produisait lors des crises de migraine hémiplégique. 6. Faut-il systématiquement à l’heure actuelle faire une analyse génétique chez un patient atteint de migraine hémiplégique familiale ? La réponse est claire : il n’y a pas de nécessité ni d’utilité à faire un diagnostic génétique chez un patient atteint d’une forme typique de migraine hémiplégique familiale. Le diagnostic de cette affection reste clinique, fondé sur la mise en évidence par l’interrogatoire de crises de migraine avec aura motrice chez le patient et chez au moins un de ses apparentés au premier degré et sur la normalité des examens complémentaires. 7. Y a-t-il des différences cliniques entre la migraine hémiplégique familiale et la migraine hémiplégique sporadique ? Connaît-on les prévalences respectives de ces deux types de migraine ? La prévalence de la migraine avec aura motrice est voisine de 1 à 2 pour 1 000 dans la population générale. Récemment, une étude de population danoise a identifié 147 patients atteints de migraine hémiplégique familiale sur 5,2 millions d’habitants, ce qui donne une prévalence de 3 pour 10 000. Les cas non familiaux de migraine hémiplégique se répartissent en deux groupes. Certains sont liés à une mutation autosomique dominante d’un des gènes de la migraine hémiplégique familiale (mutation de novo absente chez les parents biologiques ou mutation transmise par un des parents porteur sain). D’autres cas sporadiques se rapprochent des variétés plus habituelles de migraine avec aura et sont d’origine multifactorielle avec intrications de facteurs environnementaux et de facteurs génétiques complexes. 8. Parmi les patients souffrant de migraine hémiplégique, connaît-on la prévalence de ceux qui souffrent en plus de leurs crises hémiplégiques de crises sans aura et de crises avec aura typique sans déficit moteur ? De 10 à 60 % (selon les études) des patients atteints de migraine hémiplégique familiale ont aussi des crises de migraine avec aura non motrice. Cette prévalence est plus élevée que dans la population générale. En revanche, seulement 10 à 20 % ont aussi des crises de migraine sans aura, ce qui n’est pas plus élevé que dans la population générale. 9. A-t-on progressé dans la génétique de la migraine sans aura et de la migraine avec aura ? Une responsabilité du chromosome 19 ou du chromosome 1 a-t-elle été recherchée ? Quels sont les arguments pour penser que ces deux types de migraine ont une transmission génétique similaire ou au contraire différente ? Les études épidémio-génétiques les plus récentes ont montré que la migraine sans aura et la migraine avec aura étaient des affections polygéniques, à transmission génétique complexe. Plusieurs mutations dans plusieurs gènes différents sont nécessaires chez un même patient pour que le phénotype migraineux apparaisse. Ces facteurs génétiques interagissent avec des facteurs environnementaux dont le poids est plus important dans la migraine sans aura que dans la migraine avec aura. Le gène CACNA1A situé sur le chromosome 19 n’est probablement pas impliqué dans les variétés plus habituelles de migraine. En revanche, différentes études ont mis en évidence plusieurs loci de susceptibilité à la migraine, en particulier la migraine avec aura, sur le chromosome 4, le chromosome 19 (différent du locus de la migraine hémiplégique familiale), sur le chromosome X et peut-être le chromosome 1 (tableau). Aucun des gènes mutés situés au sein de ces loci de susceptibilité n’a encore été identifié. L’implication du gène ATP1A2 n’a pas encore été analysée dans la migraine sans ou avec aura. ■ Imprimé en France - Point 44 - 94500 Champigny-sur-Marne - Dépôt légal : à parution. © février 1997 - ALJAC S.A. Locataire gérant de Edimark SA. Les articles publiés dans La Lettre du Neurologue le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays. La Lettre du Neurologue - Supplément Céphalées au n° 6 - vol. VII - juin 2003 9